"Exquis promeneurs. Entre levant et ponant" de Monique Zetlaoui, Ed. SindbadIls viennent de loin, si loin. Quelle est belle et longue la route qui les a menés jusqu’à nous. Nés en Asie ou de l’autre coté de l’océan, dans les Amériques, nombre de ces voyageurs ont acquis depuis longtemps la nationalité méditerranéenne. Curieux, ils suivaient, le vent, les armés en déplacements, les longues caravanes qui cheminaient le long d’interminables pistes ou d’intrépides navigateurs. Nul besoin de laissez-passer, de passeport, de carte de séjour. Nul impôt, taxe ou droit de douane. Ils franchissaient allègrement les frontières, naviguent sur les océans, les mers, les fleuves et rivières. Ils embarquaient sur des chaloupes, des dhows, des felouques, des galères autres navires. Ils escaladaient joyeusement les collines et montagnes, pas même essoufflés par l’effort et enfonçaient leurs racines dès qu’une terre leur plaisait. Ils découvrent émerveillés, le Moyen –Orient et les pourtours méditerranéens. D’emblée, ils les aiment ces rivages sertis de bleu, ces contours semblables et différents. Lauriers, basilic, oliviers, palmiers, cognassiers, grenadiers, y sont à l’aise, font souche. Entre eux et le monde méditerranéen c’est un coup de foudre, une histoire d’amour et de toujours. Ces fruits et légumes portent en eux la mémoire de l’humanité, celle des progrès en agriculture. L’histoire de ce moment magique ou boire et manger ne sont plus seulement nécessité vitale, mais plaisir. Emerveillement au printemps, à la floraison, ravissement des yeux devant ces vergers riants et colorés offrant leurs fruits à profusion, satisfaction des papilles gustatives qui se délectent de nouvelles saveurs. Et, aussi et surtout bonheur du partage, manger, s’alimenter, se nourrir, se sustenter, pour vivre tout simplement, mais aussi se faire plaisir, déguster, se réunir et se rencontrer. Commensalité et convivialité sont à la base des rapports sociaux, fruits et légumes puis plats élaborés ont amplement participé à ce processus de socialisation. Connaître nos ancêtres, nos aïeux par leur nourriture, s’émouvoir de cueillir une figue, une grenade, un abricot, avec la même gourmandise, les mêmes gestes, humer le frêle et vert basilic au parfum puissant et volatil, quel bonheur, quelle continuité. Au début, ils poussaient sauvages, sans soins ni tendresse. Les hommes ont mis tout leur savoir faire, leur amour pour qu’ils soient plus charnus, plus juteux, plus gouteux. Pour eux, dès l’aube, ils se sont échinés, ne ménageant pas leur peine. Ils ont tenté de nouvelles boutures, des greffons, ont appris a connaître la nature des sols. Ils ont inventé des méthodes pour capter, drainer l’eau, ce trésor sans lequel aucun fruit ne peut croître. Pour eux de nouveaux métiers apparaissent, jardiniers, arboriculteurs, oléiculteurs, aviculteurs. Et, chéris, choyés, gorgés d’amour et de soleil, les fruits vont donner le meilleur d’eux-mêmes. Au printemps, les fleurs épanouies embaument, rivalisant de couleurs pour former les plus beaux tableaux champêtres qu’aucun peintre ne pourra jamais concurrencer. Puis, vient la saison de la maturité de la cueillette, lorsque les paniers tressés se remplissent de grenades, coings, figues, lorsque femmes, hommes et enfants gaulent les olives, les trient, séparant celles que l’on consommera en saumure et celles qui iront au pressoir laisser couler des larmes d’or. Ils coupent ces grappes charnues que l’on foulera joyeusement, ce raisin qui mettra la joie dans les cœurs, une fois transformé en vin. Ronds, pleins, charnus, juteux, sucrés, les fruits s’offrent, se laissent croquer à belles dents, se laissent presser, déshabiller. Et l’homme apprend à tirer la quintessence de leur saveur. Il apprend aussi à les conserver, à les dessécher, à les déshydrater, à les confire dans le miel et les aromates pour le long hiver. On ose des unions qui peuvent sembler incongrues, le clou de girofle s’allie au coing, la grenade à l’eau de rose et on assiste à la naissance de nouveaux mets. Ces plats, comme les fruits et légumes vont voyager à leur tour, se faire de nouveaux amis en route, les saveurs vont évoluer, le voyage forme la jeunesse c’est bien connu. Hommes et femmes laissent courir leur imagination, inventent de subtiles et nouvelles saveurs. Pour que la vie apparaisse, il faut un mâle et une femelle, pour que naisse l’art culinaire, il fallait deux conditions, des terres fertiles, limoneuses, arrosées par des fleuves et une vie de cour, luxe raffinement et volupté. Et, sorti des palais, l’art culinaire est devenu une histoire de femmes, un vecteur de transmission, une histoire d’amour. Lequel d’entre nous n’a pas une faiblesse pour les plats de son enfance ? Séduits et sous le charme de ces exquis promeneurs, les hommes ne se sont pas contentés de s’en délecter, ils les ont offert aux divinités et, ont forgés de si jolies légendes. Comme les hommes et les femmes, ils séduisent, se font beaux et, en cuisine tombent même amoureux. Le sucre s’extasie devant la prune d’Arménie, à la peau couleur de soleil, de leur union naît une si belle confiture. Le frêle et vert basilic a le cœur qui palpite à la vue de la ronde et rougissante tomate, c’est à Naples que les noces seront célébrées, le miel flirte avec les amandes pour que l’exquis nougat voit le jour et, ..ainsi va la vie. Ivres de bonheur, ils dansent une farandole autour de la Méditerranée, une ronde joyeuse, gaie, savoureuse.
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