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RENCONTRE AVEC NINE MOATI


par Yaël König

 

A l’heure des performances supersoniques où l’on plonge en une heure et trois coups d’aile de Paris à Nice, Budapest ou Madrid, j’ai eu le plaisir de frôler la téléportation en une seconde, le temps de franchir le seuil d’un appartement parisien !

En allant à mon rendez-vous avec Nine Moati, j’ai rencontré la plus orientale des parisiennes, et quitté Paris pour l’Orient : des étincelles de Tunisie par ci, des reflets chatoyants d’Inde par là, le tout dans un décor de rêve, au bon goût mâtiné de traits de génie.

Avec ce sourire qui n’appartient qu’à elle, Nine Moati m’a fait les honneurs de sa demeure, dans laquelle chaque tenture, chaque objet ciselé raconte les personnages de ses livres, et sûrement ceux de sa vie. D’ailleurs je jurerais que tous se ressemblent, et se rassemblent, pour créer cet univers particulier, aux senteurs épicées, aux éclats de rire installés à chaque éclat de regard.

Et parmi ces plaisirs des yeux généreusement offerts, un indubitable point d’orgue ; les colliers que créé mon hôtesse : pierres semi-précieuses, ciselages tunisiens, perles irisées, matières délicates ; quelle imagination, quel talent sont nécessaires à ces créations raffinées !

Nine Moati est une femme à l’exquise intensité ; profondeur de ce regard bienveillant et intelligent, finesse d’analyse, perspicacité attentive…

Elle fut l’une de mes premières invitées lors de mes débuts en radio, il y a… oh, même plus que ça ! Et déjà, je m’en souviens, elle entrait dans le studio, auréolée d’une atmosphère de bonheur sûr, malgré tous les aléas d’une Histoire contemporaine agitée, et d’une histoire personnelle parfois douloureuse, comme pour tout un chacun. Mais peut-être plus douloureuse encore pour elle.

D’un père journaliste politique, très tôt venu en France pour soutenir les Tunisiens dans leur volonté d’indépendance, elle a sûrement hérité cette empathie avec la société qui l’a projetée, à son tour, en politique, plutôt bâbord que tribord.

D’un oncle maternel, André Scémama, journaliste radio, télé, correspondant du Monde, et j’en passe, elle a sans doute reçu la volonté de comprendre tout et par le menu, le sens de l’analyse rigoureuse.

Sa mère, elle, est devenue par la force du hasard gérante d’une compagnie de taxis, histoire que Nine relatera dans « Deux femmes à Paris »[1], reprise au cinéma, avec Romane Bohringer et Julie Depardieu[2].

Pressée par les événements mondiaux nauséabonds, la famille Moati quitte Paris pour Marseille en 1941. Là, elle embarque par le dernier bateau en direction de Tunis.

Réfugiés dans un hammam désaffecté, les Moati assistent à l’arrivée des Allemands à Tunis. Le père de Nine entre dans la Résistance ; il est arrêté, et déporté avec tout son réseau de résistants. Par chance, il en reviendra.

          Mais alors qu’elle est encore mineure, Nine Moati perd sa mère. Seule à son chevet, elle l’accompagne jusqu’au dernier moment, ce moment où même un miroir approché de la bouche de celle qui s’en est allée sans qu’aucun souffle ne le ternisse, ne suffit pas à convaincre de l’irréversible…

Dès lors, Nine n’a de cesse que de rejoindre Paris, son jeune frère « sous le bras ».

Journaliste radio, entre autres, elle travaille sans compter, nuit et jour. Elle est dans l’urgence du quotidien, mais la force d’amour que lui avaient donnée ses parents la soutient constamment.

A la question de savoir si les années galère ont été nombreuses et pesantes, Nine Moati élude dans un sourire : « Vous savez, avec l’amour et la jeunesse, on supporte bien des choses… Mais ce fut long, oui, trop long…»

- Et l’écriture, Nine ?

- … Il me fallait absolument un moteur pour continuer de vivre ; j’avais une envie folle d’avoir des enfants, de recréer un climat familial autour de moi… Et j’ai eu la chance inouïe d’avoir une fille, Marie. Cela a totalement bouleversé ma vie… 

- Mais, l’écriture ?

- J’y arrive. Pendant toutes ces années, journaliste à « Elle », je consacrais mes soirées à écrire mon premier livre. Paradoxalement, en racontant la mort de ma mère, la naissance de mon enfant, en évoquant tous les sujets de douleurs intimes que connaissent bien les femmes, j’ai senti que je mettais peu à peu un point quasi final à mon deuil. Quand on est orpheline, on le reste toute sa vie. Mais tout de même, la vie reprenait ses droits et ses surprises heureuses, avec ce bébé tellement désiré. 

 « Mon enfant, ma mère »[3] est un texte intense et pudique, le premier d’une longue série d’écrits parfumés et sensuels comme cette atmosphère orientale qu’elle aime tant.

Mais les livres de Nine Moati ne font pas que fleurer bon le jasmin ; ils racontent des vies, mettent en scène des personnages souvent réels, font revivre des époques encore proches et pourtant déjà nimbées des effluves du passé.

Depuis l’excellentissime « Les Belles de Tunis »[4], Nine Moati n’a cessé de faire revivre sous sa plume des générations roulées et blackboulées par le flot du temps qui va ; des femmes nées dans l’opulence et que l’Histoire malmène, des chefs de famille à la stature colossale, mais dont le talon d’Achille va changer le destin, une humanité dans l’Humanité, voilà ce que décrit avec talent Nine Moati, totalement impliquée dans ses récits. 

Virtuose de l’écriture parfumée, Nine Moati ne se contente pas des saveurs et des senteurs. Elle sait donner de la profondeur psychologique à ses personnages,     elle sait ménager le suspens, montrer au fil des pages que la vie a de ces entêtements inattendus qui détissent les prévisions les plus évidentes, qui mettent à mal les espoirs naïfs et les attentes obstinées.  

Et le dernier ouvrage de Nine Moati en est un exemple d’excellence.

« Hannah et les derniers Ottomans »[5] nous entraîne d’Istanbul à Paris, de la fin du XIXème siècle à la dernière guerre mondiale ; des décennies brûlantes d’actualité remuante au cours desquelles deux illustres familles, les Camondo d’Istanbul, et les Scemama de Tunis, s’observent vivre, se jalousent, s’espèrent, se rejoignent et se défont.

Dans cette immense fresque deux fois familiale notre auteur évolue tellement à l’aise qu’on n’a aucune peine à l’imaginer dans le secret de son bureau, tendre sourire aux lèvres, décrivant le grand collectionneur Isaac Camondo, ou Hannah, la sultane de la Place Vendôme, dont les vies vont se chercher, se trouver, se conjuguer jusqu’à l’ultime étape, voulue par un fou pas si fou mais très enragé et haineux...

- Comme vous êtes lucide avec vos personnages, Nine ! Et ce Judaïsme, omniprésent dans vos ouvrages, comment le vivez-vous ?

- Sans problème aucun. Je ne suis pas une juive à la façon sartrienne. Ce n’est pas le regard des autres qui m’identifie. Je suis intensément et entièrement juive, sans fanatisme, sans credo, sans heurt avec qui que ce soit ou quoi que ce soit.

- Quel regard portez-vous sur l’histoire de votre peuple ?

- Regardez l’exergue de mon dernier roman : « L’antique douleur du peuple qui n’a pas de patrie, la douleur sans espoir de l’exode que chaque siècle renouvelle. ». Ces paroles de Primo Levi vous répondent clairement pour moi.

 

Je flirte un instant avec l’idée de demander à Nine Moati quel est le sujet de son prochain roman.

Mais je choisis de me taire.

Depuis 1974, date de parution de son premier ouvrage, et date à laquelle je l’ai lu,  je laisse faire le temps, et à périodes régulières, je reçois mon apanage de plaisir signé Nine Moati.

Mais pas seulement du plaisir. Comme l’affirmait Antoine Albalat, spécialiste de littérature française ; «  Un livre qu’on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu’on n’a pas lu ».

Je n’ai jamais fermé les livres de Nine Moati sans ce regret d’avoir trop vite terminé ma lecture, mais surtout, les livres de Nine ne m’ont jamais quittée, tant ils m’apportent d’assurances et de rassurance.

Une très belle œuvre de romancière talentueuse, et plus encore.


 

[1] Editions Ramsay, Paris, 1998.

[2] Téléfilm; 2000.

[3] Editions Stock, Paris 1974. Rééd. Ramsay,2006

[4] Editions Le Seuil, Paris, 1983. Rééd Le Rocher, 2004.

[5] Editions Ramsay, Paris 2006

 

 


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