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Erriadh , l’ancien village juif de Djerba,
a le privilège d’être veillé par la Ghriba , sanctuaire d’une des plus anciennes
Torah au monde ; cette merveilleuse Sainte ,étrange et étrangère, détiendrait le
pouvoir de guérir l’âme et le corps, de réjouir les cœurs et d’apporter la
fertilité.
En me rendant à ce pèlerinage, j’ai été témoin d’un miracle : celui du
SALAM-SHALOM !
Certes, le but de ce voyage à Djerba était avant tout l’occasion de me
ressourcer au soleil sous les palmiers de l’île aride , faire de longues
ballades en bord de mer , peuplée d’algues sèches et d’éponges naturelles , de «
souiller » le sable chaud de la terre où je demeure enracinée malgré tout, humer
le fond de l’air tunisien indescriptible tant il est particulier, ce parfum de
jasmin et de fleur d’oranger .
Retrouver mes anciens compatriotes issus des ghettos ou de la bourgeoisie ! ils
s’étaient donné rendez-vous , inconsciemment ou sciemment à la Ghriba : ils
n’auront jamais été aussi nombreux que ces 22 et 23 mai 2008….
De l’hôtel Ulysse au Pénélope en passant par Télémaque, héros de cette épopée
romanesque, ce fût une belle Odyssée… les dalles marbrées des hôtels ont tremblé
sous les pas de danse saccadés de ces femmes enveloppées de poésie , laissant
éclater leur joie de la liberté , affrontant sans retenue les démons de la
transe pour certaines ; que de patience il vous aura fallu, Monsieur Kamel,
vaillant Directeur de l’hôtel Télémaque , pour faire face à cet assaut
boulimique de beignets, de rougets, de tout « kif » pour gommer le stress de
Paris jusqu’à friser l’indécence et en oublier les règles du savoir-vivre…
En les regardant vivre , j’ai pris conscience de réelles faiblesses chez
certains: la peur du manque et le manque de civisme pour la plupart d’entre
eux….
En choisissant l’excursion sur un bateau pirate pour l’Ile aux Flamants Roses,
absents ce jour là et les autres jours , sans doute, j’ai imaginé un instant à
ce qu’aurait pu être l’Exode avec eux….. Journée tout de même réussie malgré les
coups de gueule, les bousculades et les cabinets d’aisance infectieux ; j’étais,
bien heureusement, transfusée à la musique berbère ….
Découverte de la Hara juive avec ses enfants rieurs aux boucles brunes ,
intimidés , ses femmes vêtues à la djerbienne, assises à même les trottoirs
poussiéreux et d’autres élégantes au sourire discret ; musulmans et juifs vivent
en communauté , sereinement, et partagent côte à côte, les ruelles commerçantes,
envahies de fumées de grillades et produits locaux ….. C’est presque la
campagne… Les fermes berbères ne sont pas loin d’ailleurs et nous les traversons
en calèche , désarçonnée par les sentiers caillouteux et l’embardée du cheval
…Je n’ai pas retrouvé la lagune promise …. mais les cactus et palmiers dattiers
foisonnent sur le chemin sablonneux et malaisé …
Je savais que ma tranquillité allait être « ébréchée « …. Peu m’importait :
j’avais besoin de ce bol d’air tunisien comme les autres, ceux qui m’ont
sensibilisée de par leur détresse trop souvent « inhumaine » … ils étaient là
pour une prière précise , une demande particulière à l’étrangère miraculeuse et
ils y croyaient ; c’était peut être leur dernier espoir pour parvenir au nirvana
; j’étais moi-même, inconsciemment, en quête de chaleur humaine, de bienfaits
pour les miens avec une pensée pieuse pour ceux qui souffrent…. Ces braves gens
m’ont apporté la réponse que j’attendais ; cela tient aussi du miracle …. Nous
sommes bien vivants, D… merci et l’île de Djerba est inondée de soleil … la
dépose des œufs sacrés à la grotte , la purification à l’eau puisée en ce lieu
saint, les cierges allumés dans un recueillement de prières et chants
folkloriques , les incantations en « live » , à voix haute, d’un homme qui avait
mal partout ;
je « naviguais » dans l’oukala entre les crises de fou rire et les larmes ; une
atmosphère de traditions particulières que seul Freud aurait pu analyser….
La procession qui a suivi les vœux à la synagogue le long de l’artère principale
du village sous les tsagharits , encadrée par les services de sécurité est un
miracle à elle seule : la Ménorah recouverte de foulards multicolores dont le
mien, bandanas rouge auquel je tenais, sacrifié pour le meilleur, se laissait
glisser sur le bitume.. elle était auréolée de jeunes femmes en liesse , aux
mousselines fleuries, menées par un curieux « gourou » aux multiples mains de
Fatma sous les regards des autochtones et des nombreuses caméras ; les chants
joyeux résonnent encore dans ma tête : faire la paix, pas la guerre ! mon cœur
et ma tête auraient voulu scander ces mots pour eux , au nom de tous les miens
mais une boule envahissait peu à peu ma gorge : l’émotion face à cette ferveur
livrée , dans ce pays où Monsieur le Président BEN ALI, à qui je rends hommage ,
nous a permis d’être libres de notre appartenance, sans retenue , comme jadis….
Ici, le temps s’est arrêté depuis les années 60, date de notre éloignement ;
Kherredine, la Goulette , Tunis, c’était Djerba : une cohabitation tranquille….
Seule l’escorte corsée de notre « transhumance » nous rappellera que la menace
subsiste, malheureusement…..
Les chansons d’amour des israéliens « Lior Narkis » et « Rani Zer » au Casino,
mêlés à celles des tunisiens Ichan et de Amed Sultane , sont universelles et
rassemblent les peuples ; nous arriverons à cette paix : beaucoup en font le vœu
…. La Ghriba n’est que miracles et il faut y croire….
Ce que j’ai vu et ressenti en sont les prémices !
Peu importe cette volonté de développer le tourisme en Tunisie en encourageant
le retour au pays des anciens en toute sécurité ; cela aura pour effet de
faciliter les échanges, la communication entre les gens de bonne volonté et de
colporter la bonne parole de dunes en dunes .
Cette même volonté favorisera ainsi une meilleure compréhension de notre
histoire et le devoir de mémoire de notre vie en Tunisie durant plusieurs
générations.
A l’année prochaine, Inchallah, si D…le veut !
Nadine Tibi
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