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Reportage à l’occasion de Pessah : Une journée avec les Juifs de
Djerba
A l’occasion de Pessah, la Pâque juive, que la communauté hébraïque célèbre
du 16 au 24 avril, nous avons passé une journée avec la communauté juive de
Djerba. Un aïd que nos compatriotes du Sud, jeunes, adultes et du troisième
âge (l’âge d’or), continuent à célébrer en respectant toutes les
coutumes ancestrales et en toute quiétude. L’occasion également pour les
Juifs tunisiens de l’étranger de rentrer au pays parmi les leurs pour célébrer
la fête “ à la Djerbienne”, comme l’exige la tradition insulaire
depuis 2500 ans. Reportage.
Il est 8 heures du matin, il fait gris en ce matin d’avril à Houmt Souk à
Djerba. La ville s’éveille tranquillement pour préparer une journée comme
les autres. Ou presque. Car au souk Essagha (marché des bijoutiers), beaucoup
d’échoppes sont fermées. On prépare l’aïd de Pessah, appelé aussi Aïd
el Ftira (fête de la galette), Aïd el khodhra (fête des légumes) ou encore
Aïd el allouche (fête du mouton). C’est toute l’histoire du monothéisme
qui est à l’honneur d’Abraham dont le fils est sauvé grâce au sacrifice
d’un mouton jusqu’à la sortie des Juifs d’Egypte, soit juste après Moïse.
C’est pour cela que quelques jours plus tôt, on a sacrifié un mouton,
d’où le nom Aïd el allouche. Qu’exige le rite ? Ne pas manger de pâtes
et se contenter de galettes sans levure, d’où le nom de Aïd el ftira. Pour
pallier à ce manque, les légumes sont à l’honneur tout au long des huit
jours que dure la fête, d’où le nom de Aïd el khodhra.
Et à Djerba, on tient à célébrer comme d’habitude la fête, indépendamment
des guerres et conflits qui se déroulent au Moyen-Orient. On est occupé à
cuire les galettes, à acheter les légumes et à préparer les soirées
qu’on va passer en famille à lire l’agada, l’histoire du monothéisme.
Comme partout ailleurs dans le pays, chacun vaque à ses préoccupations tout
en jetant un coup d’œil d’un moment à l’autre aux infos.
A quelques kilomètres de là, à Hara el Kbira, le quartier juif de l’île,
le réveil se fait également doucement. On prépare la fête et on est
quelque part joyeux de revoir les siens rentrer de France et d’ailleurs.
Rien de spécial à noter. Du moins pour quelqu’un qui a grandi à
Lafayette, quartier tunisois où Musulmans et Juifs vivent en toute quiétude.
Ici aussi, à Hara Kbira, tout le monde vit côte à côte en toute
tranquillité. “Ça étonne les étrangers, mais chez nous, il n’y a rien
de plus normal, nous dira plus tard un chauffeur de taxi. D’ailleurs, à
quoi cela sert de se faire la guerre ? On a tout intérêt des deux côtés à
vivre en paix. Ici on gagne notre vie grâce aux touristes. Si ces derniers
savent que les autochtones s’entredéchirent, ils ne viendront pas ! Qu’on
soit Musulmans ou Juifs, on ne trouvera plus de quoi manger, alors il vaut
mieux arrêter ces commérages dictés par des gens qui pensent à leurs
propres intérêts ”. Les électeurs de Sharon ou encore les kamikazes
palestiniens ont visiblement des leçons à prendre ici à Hara Kbira (ou
encore à Lafayette ou la Goulette à Tunis), meilleurs exemples que les
communautés, quelles que soient leurs religions, peuvent vivre en paix. Mais
là n’est pas le sujet du jour.
On va rencontrer M. Youssef Uazane, président de la communauté juive de
Djerba. Le premier mot qu’il prononce quand on décline notre identité est
“ Hamdoullah, on vit tranquillement, en toute quiétude, la sécurité est là
et aussi bien à Djerba que dans le reste de la Tunisie, on vit en paix ”.
Ça on le sait, mais on n’est pas là pour parler de guerre et paix, mais de
Pessah. Va pour Pessah ! Mais rapidement, on a basculé dans les affaires. Et
quand on dit affaires, on parle systématiquement de tourisme. “ Vous savez,
nous dit M. Uazane, nous les Djerbiens sommes des commerçants dans l’âme
et on travaille tout le temps. On aime travailler, alors aïd ou pas aïd, le
travail passe d’abord ”. La discussion est interrompue, un client entre
dans sa bijouterie pour acheter un collier à sa dulcinée. “ Alors comme ça
Youssef, tu ne chômes pas aujourd’hui ? ” Non, il ne chôme pas. On fait
le choix du bijou, cinq minutes de marchandage et puis s’en va. On reprend
l’interview : “ Plusieurs étrangers à l’île sont étonnés et se
demandent pourquoi on vit normalement ”, nous dit Youssef, en nous invitant
à témoigner de nous-mêmes de la quiétude dans les souks et ailleurs et
traitant de gros menteurs ceux qui disent le contraire en les accusant de
chercher leur propre intérêt. On lui parle des actes d’antisémitisme qui
ont eu lieu en France, notamment lors de la guerre d’Irak. “ La France ?
Moi, mon passeport est tunisien, je suis Tunisien, je vis en Tunisie et je
parle arabe. En tant que tels, nous avons des particularités que d’autres
n’ont pas : nous aimons nos parents et ne les envoyons pas dans les
hospices. Ce qui me préoccupe, c’est le tourisme, parce que je vis de ça.
Parce que nous vivons de ça. Et pour sauvegarder ce tourisme, il est clair
que nous devons vivre en paix ”. Même avis partagé par ce chauffeur de
taxi djerbien musulman qui insiste sur la nécessité que tout le monde vive
en toute quiétude pour l’intérêt de tout le monde. Les nombreux agents de
l’ordre et gardiens de la paix que nous avons croisés à El Ghriba ou
encore à El Hara El Kbira veillent jour et nuit pour maintenir cette quiétude.
Ils sont partout, ils ne s’immiscent en rien, ils ne sont pas là pour
surveiller, mais pour protéger toute la communauté djerbienne, quelle que
soit sa religion. Tant mieux.
On va vers une synagogue d’El Hara pour voir un autre aspect de Pessah. Un
passant s’étonne de voir un journaliste tunisien couvrir un événement
religieux juif. “ Et pourquoi on ne le ferait pas ?, s’interroge-t-on à
notre tour. On couvre bien les fêtes religieuses musulmanes ! La presse
tunisienne a pour mission de s’adresser à tous les Tunisiens et non
exclusivement à une communauté, même si elle est majoritaire ! ”.
Dans une partie de la synagogue, on voit une bonne dizaine de jeunes au four
et au moulin. “ Ils sont élèves ou étudiants ”, nous dit M. Uazane. Ils
sont en train de fabriquer les galettes composées de son de blé complet
selon les traditions ancestrales. Ce sont ces galettes qui remplaceront pain
et pâtes tout au long de Pessah et qui accompagneront l’harissa, les légumes
et autres délicieux mets régionaux.
Des habitudes qu’on trouve chez d’autres familles musulmanes de l’île.
Faut-il préciser ou rappeler que toutes les discussions se sont déroulées
en arabe dialectal ? Un dialectal ordinaire avec un accent comme partout
ailleurs où l’accent diffère avec les régions. Un insulaire interroge :
“ Pourquoi faut-il que les Djerbiens rappellent tout le temps qu’ils
parlent arabe, qu’ils vivent en paix cette mixité et que les Juifs de l’île
sont avant tout des Tunisiens comme des autres ? Un Américain ou un
Britannique doit-il justifier son anglais parce qu’il est juif ? ”.
Une autre particularité, connue par plusieurs, et qui nous a été rappelée
par quelques insulaires : la grande honnêteté des Juifs insulaires dans le
commerce et les rapports de confiance qu’ils ont réussi à établir avec
leurs clients. “ Il n’est pas rare de voir un bijoutier juif vous louer
des parures en or de dizaines de milliers de dinars, sans garantie aucune ”.
Est-ce typique de l’île et du Sud tunisien tout court où est-ce typique à
cette communauté ? Pour ceux qui connaissent la Tunisie et sa générosité,
notamment celle du Sud, la réponse est connue. Juif ou Musulman, être du Sud
c’est être généreux et, être de Djerba, c’est être un bon commerçant
généreux.
Nizar Bahloul
Magazine Tunisien Réalités
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