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Histoire de la Tunisie
La Tunisie a dû à sa position géographique d'être la proie d'invasions
diverses, le plus souvent venues par mer. Les Phéniciens s'y établissent au
premier millénaire avant l'ère chrétienne et fondent Carthage. Cette cité
florissante arrive, par le commerce et par les armes, à imposer son hégémonie
bien au-delà de la côte africaine. Les trois guerres malheureuses qu'elle
livre contre Rome, sa rivale, de 264 à 146 avant l'ère chrétienne, conduisent
à sa destruction totale. S'emparant du territoire, les romains y développent
l'agriculture, en faisant un des greniers de Rome, et le christianisme s'y
implante. Après les Vandales et les Byzantins, les arabes pénètrent dans le
pays en 669. Dès lors, l'islamisation et l'arabisation sont rapides. Elles sont
presque complètes dès la fin du VIIème siècle. Kairouan, fondée à l'arrivée
des arabes, fait très vite figure de ville sainte.
La Tunisie dépend alors de Damas puis de Bagdad et, après un bref intervalle
d'indépendance sous la dynastie fatimide au Xème siècle, enfin du Caire. La
dynastie berbère des Zirides proclame son indépendance au XIème siècle, mais
doit faire face à des tribus bédouines, dont la migration est encouragée par
l'ancien suzerain installé en Egypte. Les Normans de Sicile s'établissent sur
les côtes mais sont bientôt chassés par les Almohades du Maroc. Au XIIIème
siècle, le vice-roi almohade se rend indépendant et fonde la dynastie hafside
jusqu'à ce que la Tunisie devienne province ottomane en 1574 ; la huitième
croisade, conduite par saint Louis, qui trouve la mort à Tunis, ne sera qu'une
péripétie dans une histoire agitée. S'affranchissant des Ottomans, les
souverains locaux qui portent le titre de beys, finissent par imposer leur
autorité sur le pays mais se heurtent à partir du XVIIIème siècle aux empiétements
des commerçants européens.
Sous l'impulsion du parti du Néo-Destour et de son chef Habib Bourguiba, les
nationalistes ne cessent depuis 1934 de réclamer l'indépendance. Au fil des
années, l'agitation se fait plus vive ; ni des réformes partielles ni la répression
n'arriveront à la faire cesser, et une rébellion armée éclate en 1952. Trois
ans plus tard, l'autonomie interne est obtenue, mais l'apaisement ne survient
pas. L'indépendance sera accordée le 20 mars 1956.
La Tunisie et le monde arabe
La ligue arabe a élu domicile à Tunis en 1979, après avoir quitté Le Caire
à la suite du traité de paix signé entre l'Egypte et Israël. Elle devait y
rester jusqu'en 1990, son retour au Caire ayant été décidé, non sans
contestations, en mars de la même année avec un délai de quelques mois. C'est
aussi à Tunis que, chassée du Liban en 1982, l'OLP s'est installée, sans que
ce transfert se soit traduit par une véritable mise en place d'institutions.
Cette présence a néanmoins valu à la cité d'essuyer en 1985 un bombardement
israélien visant les bâtiments occupés par l'organisation palestinienne ;
quelques années plus tard, un haut responsable de l'organisation, Abou Jihad,
devait y être assassiné, là encore, selon toute apparence, du fait des israéliens.
le soutien de la cause palestinienne demeure plus que jamais un des principes
intangibles de la diplomatie tunisienne que Habib Bourguiba avait illustré en
conviant, dans l'esprit d'ouverture qui était le sien, Palestiniens et Israéliens
à entamer un dialogue à l'époque prématuré. Cette même diplomatie
manifeste depuis le changement de régime un intérêt accru pour les relations
inter arabes, quelques peu délaissées précédemment. La priorité reste
cependant l'édification du Maghreb uni. Il y a bien longtemps que la Tunisie
voit le meilleur moyen de consolider son indépendance dans un équilibre régional
où jouerait tout un ensemble de contre-poids et qui lui permettrait d'éviter
des tête-à-tête avec des voisins plus puissants qu'elle.
Les relations avec la Libye ont toujours été changeantes, d'une fusion de deux
étés annoncée à Djerba en 1974 jusqu'à l'expulsion en 1984 de 30 000
travailleurs tunisiens entraînant une rupture de relations diplomatiques. Un
processus de normalisation entamé dès l'été 1987, a abouti au rétablissement
des relations diplomatiques avant la fin de la même année, à la reprise des
courants d'échange et de migration et, en 1988, au règlement d'un vieux
contentieux territorial sur le plateau continental du golfe de Gabès allant
jusqu'à prévoir l'exploitation commune des ressources de cette zone.
Avec l'Algérie les rapports sont ostensiblement bons, même si la délimitation
de la frontière à l'extrême Sud prête toujours à discussion. Avec le Maroc,
de bonnes relations ont toujours été sauvegardées. Tunis a souvent joué le rôle
d'intermédiaire entre Rabat et Alger.
La Tunisie, pays d'ouverture
La réputation séculaire de la Tunisie d'être un pays ouvert s'entend de deux
manières. La première apparaît en lisant la carte. Le promontoire tunisien
boucle à l'Est la méditerranée occidentale, ouvrant en particulier l'accès
à l'Italie dont ne la séparent que les 140 Km du détroit de Sicile, au
demeurant parsemé d'îles. Du côté du levant, la Tunisie est la porte
principale du Maghreb, route des invasions depuis Oqba Ibn Nafii jusqu'à
Rommel. La deuxième qui n'est pas sans lien avec la première, rappelle les
influences multiples qu'a subie la Tunisie, son goût pour les échanges et les
apports de l'étranger, la modération de ses positions, en même temps que
l'impératif d'élargir le cercle de ses amis pour instaurer un équilibre
garantissant sa souveraineté de petits pays dans une zône de haute importance
stratégique. Une Tunisie stable, démocratique et pacifique est, à l'évidence
une assurance de tranquillité et de paix pour le Maghreb, l'Europe et la Méditerranée
occidentale.
L’ancienneté de la Présence Juive en Tunisie
Il existe différents témoignages établissant l’origine de la présence
juive en terre de Tunisie à une époque très ancienne : les preuves
historiques remontent au IV ème siècle avant l’ère commune et par la suite
il ne manque pas d’autres attestations. Mais il est pratiquement établi
qu’au moment de la destruction du premier Temple, les Juifs ont été de par
le monde, et qu’entre autres, ils se sont retrouvés en Tunisie. Certaines
traditions orales tentent même de refaire remonter la présence juive en
Tunisie au temps du Roi David et à la relier à l’une des douze tribus...
Dans l’Antiquité
Dans nos sources traditionnelles, ce pays est appelé "Tounès". Selon
la tradition des Septante et le commentaire du livre de Jonas par Rabbi Ibn
Ezra, la ville de Tarchich citée dans la Bible comme étant la direction que
prit Jonas lors de sa fuite, n’est autre que Tounes en Afrique... Il est vrai
que le prophète fuyait la colère divine, ayant refusé de se rendre vers
l’Orient, à Ninive, pour exhorter les habitants de cette grande ville à
revenir de leurs mauvaises actions. Peut-être cherchait-il refuge en un lieu désert,
où aucun Juif n’habitait ? Cet épisode remonterait au VIII ème siècle
avant l’ère actuelle et serait contemporain à l’époque du roi Jérobam
II, selon les historiens.
En fait, diverses thèses à l’antiquité de la présence juive en Tunisie ont
été élaborées.
Selon certaines traditions, les premiers Juifs sont arrivés en Tunisie au temps
du Roi salomon. Il est bien connu que celui-ci entretenait des relations
commerciales avec Hiram roi de Tyr, comme il est écrit dans le livre des Rois
(I 9, 27-28) : "Et Hiram envoya sur ses navires, auprès des serviteurs de
Salomon, ses propres serviteurs, des matelots connaissant la mer. Ils allèrent
à Ophir et ils y prirent de l’or, 420 talents, qu’ils apportèrent au roi
Salomon". Ils semblent que les Juifs soient parvenus aux rivages tunisiens
avec les navigateurs phéniciens.
Une tradition très répandue veut qu’il ait existé à Djerba, dans le
tabernacle de la synagogue La Ghriba, une pierre sur laquelle était gravés les
mots suivants : "Jusqu’ici est parvenue, durant la guerre, la main de
Joab, fils de Tsérouya". Ceci nous ramène à la période du roi David...
Certains éléments permettraient même d’identifier la filiation des Juifs de
Tunisie et de l’attribuer à une tribu particulière : celle de Zebulon !
En effet, les deux métiers les plus répandus à Djerba et au Sud de Tunis étaient
la pêche et la poterie. Or, il est dit dans Genèse 49, 13 à propos de la
tribu de Zebulon : "Zebulon occupera le littoral des mers ; il offrira des
ports aux vaisseaux, et sa plage atteindra Sidon". Comme le territoire dévolu
à Zebulon longeait la côte, les membres de cette tribu exerçaient des métiers
liés à la mer : ils pêchaient des poissons, les salaient et les conservaient,
les vendant ensuite dans d’autres pays. Ils connaissaient également l’art
du tissage, de la broderie et de la teinture.
L’écrivain romain Pline, qui vécut à l’époque de la destruction du
second Temple, mentionne la "réputation des habits de pourpre fabriqués
sur l’île de Meninx (= Djerba) qui égalait celle des somptueux vêtements
confectionnés à Tyr". Témoignage plus récent : celui du chroniqueur Ibn
Khaldoun qui vente les tissus originaires de Djerba, au XIV ème siècle. En
1906, l’île de Djerba exportait vers la France et le Maroc des tissus et des
vêtements teints pour la valeur de 400 000 francs en or.
Jadis, les Juifs de Djerba pratiquaient également un autre métier, celui de
potier. Dans deux villages proches du littoral, S’devikech et Guellala, ils
utilisaient le sable fin de la mer pour confectionner jarres et autres objets en
argile ornés de dessins et esquisses diverses. Lez style de ces dessins et
sculptures est identique à celui des amphores et autres objets découverts à
Sidon et à Carthage. Les Juifs furent aussi des orfèvres réputés, métier
qu’ils pratiquent jusqu’à ce jour. Chose curieuse, jusqu’en 1959, les
Arabes se refusaient à exercer l’art de l’orfèvrerie ou tout autre métier
lié aux travaux des métaux : il existait en effet dans le monde musulman une
croyance répandue selon laquelle il pouvait arriver malheur à celui qui exerçait
ce métier. Habib Bourguiga, premier président de la Tunisie, s’employa à
abolir cette croyance primitive. Il invita un orfèvre de Djerba (Mordekhai
Haddad) à venir enseigner son art aux jeunes arabes.
Rapporté au nom du rabbin de Sfax, le récit suivant semble confirmer cette
filiation à la tribu de Zebulon : " J’ai trouvé un manuscrit nommé Les
chemins de la paix du Rav Chalom Chim’oni, expliquant qu’un décret avait
interdit de donner aux enfants juifs les noms des patriarches et des prophètes
; pour contourner l’interdiction, les tunisiens nommèrent leurs fils selon
les surnoms d’animaux donnés par Jacob à ses fils. Les gens de Djerba
portaient le nom de Zebulon, car on pense que les premiers habitants étaient en
effet issus de la tribu de Zebulon, qui était accoutumée à résider
uniquement sur le littoral ".
A la lumière de toutes ces données, l’hypothèse selon laquelle les Juifs de
Tunisie et en particulier ceux de Djerba seraient issus de la tribu de Zebulon
pourrait bien être fondée ".
Carthage : Terra Judaïca
L'arrivée des Juifs en Tunisie se divise en deux parties : une première vague
date de l'époque de la destruction du second Temple (et la précède peut-être)
et dure jusqu'à la disparition des Sages de Kairouan. La seconde a lieu après
l'expulsion des Juifs d'Espagne et s'éteindra à l'époque moderne.
Il s'agit de deux périodes fort différentes dans l'histoire qui marque chacune
à sa façon la structure et le rôle de la communauté juive de Tunisie. Au
cours de la première, les Sages tunisiens, essentiellement localisés à
Kairouan, serviront de relais entre l'ensemble du peuple juif e, dispersé en
Afrique du Nord et déjà dans certains pays d'Europe, et les Sages de Babylone
; ces derniers les Guéonim, mettent à cette époque un point final à
l'immense oeuvre d'interprétation et de codification des lois de la Torah,
scellée par Rav Achi et les Sages du Talmud.
Au cours de la période moderne, tout en maintenant le contact avec le judaïsme
de l'extérieur, les Juifs de Tunisie vivront plutôt repliés sur leurs propres
communautés. Cependant, si Kairouan connaîtra un rayonnement pendant plusieurs
siècles, c'est à Carthage que débute en fait l'histoire des Juifs en Tunisie.
Carthage a été édifiée en 184 avant l'ère actuelle par des colons
originaires de Tyr et de Sidon. Il est prouvé que certaines inscriptions découvertes
à Carthage ont été faites par des Juifs à l'époque de l'exil de Babylone.
Un sceau portant en lettres hébraïques très lisibles les mots
"LeYoav" (pour Joab) y a notamment été trouvé. Par ailleurs
Carthage est citée dans les sources talmudiques (aussi bien dans le Talmud de Jérusalem
que dans celui de Babylone), apposée à des noms d'Amoraïm, sans doute pour
marquer leur origine : Rabi Aba Carthiginia, et Rabbi H'anan Carthigina.
Flavius Joseph écrit dans La Guerre des Juifs 6, 9 : "Vespasien donna à
son fils Titus la terre d'Afrique et celui-ci installa à Carthage 30 000 Juifs,
sans compter ceux des autres régions".
L'échec des révoltes qui suivirent la destruction du Temple entraîna encore
l'augmentation de la population juive de Carthage. De nombreux réfugiés de Cyrène
(l'Est de Tripoli fait partie de la Libye) et d'Égypte vinrent s'y installer.
Sous le règne des Sévère (193 - 217 de lère commune), l'influence des Juifs
se renforcent et ils propagent les principes de la foi juive parmi leurs
voisins. Les fouilles archéologiques témoignent également de l'importante
concentration de Juifs à Carthage. Sur plusieurs pierres tombales mises au jour
près de l'antique Carthage, sont gravés des chandeliers à sept branches ou le
mot Chalom.
Après la conquête romaine, de sévères décrets s'abattent sur les Juifs. le
christianisme est imposé comme religion officielle dans le pays et cette décision
entraîne un cruel édit : la transformation des synagogues en églises. De
nombreux Juifs fuient dans les montagnes et s'organisent là en groupes de résistance
contre le régime de l'oppresseur romain. En 429, la Tunisie passe sous la
domination des Vandales qui font de Carthage la capitale de leur royaume. Les
Vandales occupent plusieurs îles en Méditerranée et de conquête en conquête,
poursuivent leur avance inexorable sur Rome. ils pillent tout sur leur passage,
y compris les ustensiles sacrés du Temple et le candélabre en or pris jadis
par les Romains. Jusqu'à nos jours, on ignore où ont été enfouis ces
ustensiles.
Une reine juive
Un autre épisode assez curieux de l'histoire des Juifs en Tunisie mérite
quelques lignes.
Une reine appelée la Kahéna régna sur un grand Etat berbère et guerroya aux
côtés de la tribu de Djéraoua. Avec un tel nom, il y a lieu de se demander si
cette souveraine ne fut pas juive. Certains auteurs (cf. H. Z. Hirshberg dans
son livre L'histoire des Juifs en Afrique du Nord, tome 1, p.61) rapportent au
nom de l'historien Ibn Kaldoun (XIV ème siècle) que des triobus berbères -
elles mêmes issues des philistins, dit-il, ont été influencées par le judaïsme,
notamment la tribu de Garava et ceertains habitants de l'Aurès en Algérie, la
tribu de la Kahéna. Hirshberg dit : "La personnalité de cette femme
visionnaire, dernière reine des berbères dans les montagnes de l'Aurès tient
une grande place dans la conquête de l'Afrique du Nord occidentale par les
arabes". Elle joua un grand rôle en effet, au VII ème siècle, dans la résistance
contre l'invasion arabe de l'époque.
Revue Kountrass N° 34, Mai Juin 1992
Les sages de Kairouan
La première période faste dans l'histoire des Juifs de Tunisie commence au
Moyen Age avec les Gueonim de kairouan. Ayant hérité quelque peu de la gloire
des Sages de Babylone, ils acquièrent une solide réputation de commentateurs :
les sages de Kairouan exerceront ainsi une influence remarquable sur leurs
contemporains.
Toute opinion d'un Rabbénou H'ananel, qui vécut dans cette cité, sera acceptée
sans discussion écrira t-on plus tard, car ses paroles reposent sur des
fondements irréprochables.
S'il est évident que la communauté juive de Kairouan est antique, les preuves
précises de la présence des Juifs en son enceinte ne sont pas très
nombreuses. L'une des premières date de 827, lorsque, parallèlement à son développement
commercial, la ville de Kairouan chercha à conquérir la Sicile et l'Italie du
Sud, dans le but d'étendre ses relations commerciales avec les pays européens
du bassin méditerranéen. Les Juifs des communautés de Tunis et de Kairouan
participèrent à ces opérations de conquête.
Un lien suivi fut établi entre les chefs de la communauté de Kairouan et les
Guéonim des villes de Soura et de Pombédita en Babylonie, lien qui se développa
avec le temps. Les questions concernant la vie juive sous tous ses aspects
faisaient le long parcours vers l'Est, pour parvenir en Babylonie. A force de
consultations, il y eut même des doubles démarches, pratique tout à fait
inadmissible : ainsi Rabbi Nah'chon Ben Tsadoq, Gaon de la ville de Soura en
Babylonie, décédé en 882, se plaint en constatant que certaines questions
sont posées en même temps à lui et aux autres Sages de l'autre grand centre
de l'époque : Poumbedita !
C'est sans doute sous l'influence des Sages de Babylonie qu'on adopte à
Kairouan la haute tradition des Yarh'ei Kala : tous les sages se rencontrent
deux fois par an, comme c'était la coutume en Babylonie, et ses "états généraux"
kairouanais se tiennent en présence du Naguid.
Dunash Ben Tamim était un élève de Rabbi Yitsh'ak haYisraéli, grammairien de
renom et médecin du roi, tout comme son illustre maître. Il rédigea l'ouvrage
Ibour Hachanim, à la demande du ministre Rav H'asdai Ibn Chaprouth, en Espagne.
Avraham Hanaguid était aussi le médecin de deux gouverneurs de Kairouan.
Le Naguid remplissait de nombreuses autres fonctions, servant de lien entre les
autorités civiles et la communauté. D'une lettre de Rabbi Chelomo Ben Yéhuda,
Gaon de la Yéchiva d'Israël, adressée au Rav Ephraïm Chemaryahou de Fostat
en Égypte, nous apprenons que Rabbi Yaacov, le Naguid de Kairouan, aida sa
communauté à échapper aux mains d'étrangers dressés contre eux.
Le Naguid s'occupait aussi des besoins des Yéchivot celles d'Israël et celles
de Babylonie, et décidait du partage des sommes qui leur étaient allouées.
Lorsque des questions de Halakha (Loi juive) particulièrement difficiles lui étaient
posées, il se concertait avec les Guénonim des Yéchivot de Babylonie.
A Kairouan, le déclin fut rapide : en 1057, une tribu de bédouins Hilaliens
envahit Kairouan, mettant ainsi fin, d'un seul coup, à la splendeur de cette
cité qui marqua l'histoire des Juifs de Tunisie pendant près de deux siècles.
Selon un document de 1062 conservé à la Gueniza du Caire, des marchands
tunisiens qui se trouvaient en Égypte organisèrent une collecte en faveur du
Naguid, réfugié à l'Ouest de la ville de Mahdaya, dans la région de
Kairouan.
Tunis
Dès 1837, l'accession au trône d'Ahmed Bey, et surtout l'établissement du
protectorat français en Tunisie en 1883 marquent l'entrée du judaïsme dans la
modernité. Il y a deux communautés : les autochtones (Twansa) et les
Livournais (grana), d'origine hispano-portugaise. Ces derniers se perçoivent
comme une aristocratie. Les sensibilités culturelles demeurent différentes,
toutes deux douées d'une grande vitalité et d'un solide attachement aux
traditions juives, notamment dans le Hara, le quartier juif.
Les écoles de l'Alliance Israélite Universelle, la première fondée en 1878,
se développent considérablement. On y enseigne le français et l'hébreu. En
1921, est crée un Conseil élu et représentatif des Juifs de Tunis. Depuis
1923, les Juifs peuvent accéder individuellement à la nationalité française
En 1935, les Juifs de Tunis sont environ 60 000. C'est la ville d'Afrique du
Nord qui compte le plus grand nombre de Juifs. Mais c'est aussi celle où les
disparités sont les plus flagrantes : artisans, petits commerçants, marchands,
manœuvres, la plupart très pauvres, des classes moyennes et une bourgeoisie
plus fortunée. La période de Vichy puis l'occupation allemande de novembre
1942, à Mai 1943, seront très sombres. au cours des rafles, des Juifs seront
arrêtés environ 4 000 enrôlés de force dans les camps de travail, certains,
déportés à Auschwitz et Oranienburg. Après la délivrance de Tunis par les
alliés, l'abolition en Août 1943 de toutes les discriminations, la vie
reprendra.
En 1950, les Juifs dépassent 70 000 âmes, marquant l'apogée dans les domaines
démographique, politique, économique, social et culturel, avec leurs
fonctionnaires et leurs professions libérales (médecins, avocats notamment).
Signalons une presse judéo-arabe dans ses débuts, puis hébraïque et française,
souvent de sensibilité sioniste. Citons les cinquante périodiques, parus de
1882 à 1963, "La justice", "Le défenseur", "Le réveil
juif", "La voix juive", "La gazette d'Israël". Trois
écrivains juifs ont obtenu le prix Carthage.
Avec l'autonomie de 1954, puis l'indépendance de 1956, la situation va se
modifier considérablement. Elle entraînera une émigration pour moitié en
Israël et en france. Même si le pouvoir est relativement libéral en regard
des autres États arabes, mêmes si les autorités tunisiennes comptent à un
moment un ministre juif Albert Bessis, le tribunal rabbinique est dissous en
1957.
Habib Bourguiba stoppera in extremis un pogrome. Néanmoins, il y aura des morts
et des blessés, des magasins pillés, provoquant le départ hâtif chez ceux
qui sont restés. La guerre de Kippour accentuera cette tendance. Fin 1993, on dénombre
moins de 1600 juifs en Tunisie (Djerba et Tunis). Les écrivains Albert Memmi,
Raoul Darmon, Raphaël Lévy, Nine Moati, Marco Koskas, et tout récemment Maya
Nahoum affirment toujours leur attachement à leurs racines tunisiennes.
Victor Cohen
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