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Quelques traditions Tunes de Yom Kippour |
Tout Tune porte en lui les traces des trois cultures (celle de son peuple, celle de son pays et celle du pays de Jules Ferry) qui l’ont imprégné avant son exode vers le refuge qu’il a choisi. Etant né au Sud de la Tunisie, j’arrivai à Tunis à l’age de 11 ans. Ma branche Judaïque fut donc enrichie d’un deuxième fruit, qui avait un goût différent mais qui s’accordait bien avec l’ancien. Ainsi mes souvenirs de Yom Kippour se composent de ceux de mon enfance à Gabès et de ceux de mon adolescence vécue dans la capitale.
La fête de Yom Kippour, au Sud, commençait deux jours auparavant quand mon père apportait les volailles à la maison. Tout était bien compté, un coq pour chaque male de la famille et des poules pour les femmes. Le jour de la veille, on nous réveillait très tôt le matin pour la cérémonie des Caparott. Le Shoh’ett passait de maison en maison et immolait les pauvres bêtes, après les avoir tournées autour de nos têtes en priant que ce sacrifice soit la Cappara (absolution) de nos péchés. Nos mamans ne disaient-elles pas à leurs petits chéris : « Nemshi cabbara a’lik ». Dans les pays arabes, même les Juifs (avant l’arrivée des études de la langue Hebraique à l’Européenne) prononçaient la lettre P comme la lettre B. Des fois elles ajoutaient le deuxième dicton d’amour-sacrifice « Arrani n’dour a’lik » (que je tourne autour de toi, en sous-entendant le poulet tournoyé par le Shoh’et.) On aidait à déplumer les poulets en faisant très attention de ne pas déchirer la peau, surtout de ceux qui étaient destinés à être farcis.
Quand j’ai atteint l’age avancé de 8 ou 9 ans mon père me prenait, avec lui vers midi, à la synagogue. Il devait recevoir ‘les Malkott’, une sorte de bastonnade symbolique, encore une action expiatoire. C’était humiliant pour moi, de voir qu’on ‘liait’ les bras de mon héros à une échelle, qu’on lui découvrait et mouillait le dos et qu’on lui ‘infligeait’ ces coups, avec un drôle d’instrument, même si ce n’était pas ‘pour de vrai’.
A la maison, la maman avait fini de préparer le Majmou’, ce petit pain cuit avec un œuf qui lui était attaché par des barreaux de pâtes. Elle en faisait un pour chaque enfant qui n’était pas sensé jeûner. Cette combinaison d’œuf dur et de pain nous servait de provision pour toute la journée, qu’on devait passer à la synagogue (il n’y avait personne à la maison.) : Ma mère a continué à les faire pour mes enfants et je les fais pour mes petits enfants.
La tradition voulait qu’on allume, à la synagogue, un Kandil (lampe à huile) qui puisse tenir plus de 24 heures, un pour chaque male. Mon père y avait sa place sur un des bancs ‘périphériques’, ce qui a facilité l’installation de nos 3 Kandils (2 garçons) sur une étagère. Une demi-heure avant le grand repas qui précède le jeûne mon père prenait ces kandils ainsi qu’un petit tapis et un coussin qui lui servait d’accoudoir et nous les portions à la synagogue, où nous retournions après le repas, pour la prière du Kol Nidréi. Le lendemain, la prière continuait sans arrêt jusqu’au Schofar qui annonce la fin du jeûne.
Pour nous, les moins de 10-12 ans, quand nous avions assez de suivre la prière des grands, nous allions voir nos mamans ou bien jouer dehors et grignoter notre Majmou’. La partie la plus impressionnante de cette journée était, je crois pour beaucoup d’autres aussi, la bénédiction des Cohens de l’après midi et la Nei’la, qui annonçait par sa belle mélodie l’approche de la fin du jeûne. Les femmes qui étaient parties tout de suite après le Schofar commençaient à préparer le Boulou, la limonade (et l’orgeat), la confiture de coings et à chauffer le poulet farci dans son Broudou ainsi que le H’lalem.
Quand nous quittâmes le Sud pour la capitale, j’ai du m’adapter à quelques nouvelles coutumes. Malheureusement mon père a succombé à sa maladie, et j’ai pris la relève en tant que chef de famille surtout pour le coté religieux et traditionnel. On me répéta sans cesse ce beau dicton Tune « Elly khala khlifa ma matt » (celui qui a laissé un remplaçant n’est pas mort). Guidé par ma mère, je dus alors apprendre, plus d’un an avant la Bar-Mitsva, à diriger toutes les cérémonies. Cette femme qui n’avait pas fait d’études, était une encyclopédie des traditions juives ; elle connaissait tout par cœur et exigeait que cela soit exécuté jusqu’au plus petit détail.
Tunis m’avait apporté de nouveaux amis et de nouvelles coutumes qui, sans rien soustraire aux anciennes, étaient venues s’y ajouter. Ainsi j’ai appris à préparer le coing avec la poudre de clous de girofles pour le jour de Kippour. Les copains se vantaient : qui avait le coing le plus lisse et à qui le plus beau ‘brun’. L’odeur du girofle aidait, disait-on, à surmonter les effets du jeûne.
Apres le dîner de la fin du jeûne, tout le monde se souhaitait les meilleurs vœux “Cmarra A’m Akher”. Les jeunes, garçons et filles, se retrouvaient tous autour des ‘Immeubles’ de la Hafsia pour s’embrasser. Malgré nos relations très affectueuses, les embrassades entre jeunes n’étaient autorisées que ce soir là. Ces tournées se terminaient très tard dans la nuit, on cherche les vieilles connaissances et on en fait des nouvelles, tout en pensant un peu à se faire pardonner par tous ceux que l’on a connus.
Si durant cette journée la rue Sidi Bou Hadid était déserte, elle s’éclairait soudain à la sortie de Kippour et se remplissait de vendeurs locaux qui étalaient déjà les Jrids, (les grandes palmes) pour la construction de la Souccah.
Texte et photos par Avraham Bar-Shay (Benattia)
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