J'ai lu ce que vous avez ecrit sur le 5 Juin 1967 et tout mes souvenirs sont
revenus a la surface.
Le bac devait avoir lieu le 7 juin et, le 5 au matin, je revisais intensement
les annalles de maths chez un ami qui habitait dans l'immeuble d'a cote,
avenue de Paris entre le cinema Le Marivaux et la Grande Synagogue quand vers
11 heures du matin, nous entendimes des cris dehors. Bien sur, en bons tunes,
nous sommes descendus voir ce qui se passait.
Une foule de manifestants arrivait vers nous.
Au debut nous regardions sans comprendre ce que scandaient les manifestants
qui avaient l'air encore plus agites que lors de manifestations precedentes.
Et puis des bruits de verres brises, des gens qui courrent de partout,
l'ambiance qui tourne a la bagarre.
"Barra, barra", a crie le Hajj Mahmoud, le gardien de l'immeuble,
tout en nous poussant vers l'interieur de l'immeuble.
Enfermes a double tour, persiennes fermees, nous observions la foule, de plus
en plus violente, cassant des portes et des fenetres de magasins. Puis des
sirenes de police au loin.
Odeurs de brule.
Les pompiers qui passent et qui repassent.
En face, dans la rue de Vico, on voit des hommes ressortir en emportant des
coupons de tissu bigarres.
Une fumee sort du magasin.
La mere de mon copain hurle des qu'elle entend un bruit tout en courant entre
la porte d'entree et la fenetre. Son mari n'est pas encore rentre.
Agitation sans precedent sur l'avenue de Paris.
Ce n'etait pas des gens du coin qui commettaient les violences.
Des pillards avec des gourdins avaient ete laches dans la ville.
Nous pouvions regarder ce qui se passait au travers des interstices en biais
de ces grosses persiennes en bois de Tunis.
Des moments terribles barricades dans la maison avec la peur au ventre.
Tout le monde est rentre sain et sauf.
Puis apres quelques heures, les sirenes de police sont devenues plus
nombreuses. L'armee a ete deployee avec un soldat tous les 10 metres.
Le calme est revenu mais personne n'a bouge de chez soi ce jour la.
Nous etions effrayes.
Le soir meme, le discours de Bourguiba nous a redonne du baume au coeur.
Je ne crois pas que Bourguiba ait ete responsable de cette histoire. Il
n'avait rien a y gagner surtout a un moment de son histoire ou il voulait
prouver au monde qu'il etait quelqu'un de serieux.
Le lendemain, 6 juin 67 nous sommes ressortis timidement pour aller observer
les degats.
Heureusement pas de victimes.
Des soldats partout.
Interdiction de marcher a plus de deux personnes ensemble dans la rue.
Des helicopteres verts kaki au dessus de nos tetes.
Ce qui m'a le plus frappe ce jour la :
- La grande synagogue partiellement brulee a ete un grand choc. C'etait notre
symbole qui avait ete attaque.
- La seule victime dont je me souvienne etait le canari de l'employe de
Manino, le marchand de sandwiches du passage. Le magasin avait brule et le
canari avait suffoque dans la fumee. Beaucoup de badauds commentaient ces
faits devant la devanture brulee du magasin et la quelqu'un a fait un
commentaire qui est reste grave en moi :
"Mais pourquoi ils ont tue le canari? Il est pas Juif le canari !!!!!!!!!
"
Jean-Pierre C.