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La Pkaïla  


   

Lpar  Monique Zetlaoui

 

                Un plat se doit d’être savoureux, ravissement des papilles mais aussi plaisir des yeux, ce n’est pas tout à fait ton cas. Ton aspect, pour le moins, n’est pas n’est attrayant, ta teinte indéfinissable entre  noirâtre et verdâtre, donne à l’huile d’olive, ce fluide d’or, ce soleil liquide, l'allure d’une huile de vidange bien avant l’invention du moteur.

            Comment peut-on accorder si peu d’importance à son apparence lorsque, comme toi, on la  chance d’être conviée à toutes les tables de fêtes ? Comment peut-on être si peu élégante lorsque, pendant des siècles on a résidé dans ce golfe céruléen aux grèves ourlées de jasmins et de bougainvilliers flamboyants, où le sable blond et soyeux ne cesse de se laisser caresser par une mer azur ?  L’esthétique n’est pas ton fort, c’est évident. Jamais, au grand jamais, un peintre n’aurait envie de ravir ta couleur. Jamais, au grand jamais, une femme ne se vêtirait d’une robe de cette teinte, qui ôterait, à tout homme, le désir de la déshabiller. Pourtant, statistiques et sondages sont formels, tu es le mets favori des juifs tunisiens. Femmes et hommes, princes et mendiants se damneraient pour t’avoir à leur table. Tu es la convive   que l’on reçoit avec jubilation et allégresse. Après les kémia, lorsque, impavide et sans fards, tu apparais, les yeux brillent, les bouches se font gourmandes, les couverts carillonnent, la miche de pain se trémousse et, les graines de couscous pépient. Tu fais partie de ce patrimoine culinaire, affectif et culturel de ces juifs enracinés depuis si longtemps sur cette terre de mixité.  En faisant défiler les ingrédients qui entrent  dans ta préparation, on le reconnaît ce métissage que ces Tunes portent en eux, même si souvent ils ont tendance à l’oublier. Les épinards, les haricots, la menthe, l’ail les osbân, les viandes, l’huile en ont fait du chemin avant de se rencontrer, venant d’horizons, de mondes différents.

        Tu restes mystérieuse sur ta date et ton lieu de naissance. Es-tu enfant de l’amour ou fruit d’une rencontre éphémère ? Tu te gardes bien de répondre. Es-tu née à Baghdad, « le nombril du monde » qui brillait de mille feux ou en Andalousie, cette terre : « généreuse en soie, douce en miel, complète en sucre, illuminée en cire en chandelles, nombreuse en huile, joyeuse en safran » qui fut terre de tolérance et de raffinement culinaire.

   En pleine gloire de la dynastie abbasside, Baghgad, s’enthousiasme pour un délicieux légume vert et tendre venu de Perse. Les hommes deviennent souvent tendres lorsqu’ils ne sont plus verts, ce n’est pas le cas de ce légume, toujours fringant, alerte, et tendre  prêt à séduire ; l’espenay devenu isfanakh en arabe. Il est cultivé dans les plaines de Sawad et de Dilaya (arrière pays de Baghdad ) et régale les califes et la cour. Les cuisiniers l’apprêtent de mille et une façons, et s’aperçoivent que sa saveur est sublimée par la friture. Le vert et fringant jeune homme,  est plongé dans de la graisse de mouton ou de l’huile de sésame bouillantes, les deux matières grasses les plus utilisé à l’époque au Moyen-Orient. Assaisonné d’épices, il donne des plats qui  sont tes ancêtres, savoureuse pkaïla et que nous livre un traité de cuisine du XIII°siècle.

 

    Isfanakh mutajjan :( mutajjan : frits dans un tajin, du grec tagenos) 

        « Prends des épinards, ôte les racines et lave-les. Ensuite, fais-les bouillir légèrement dans de l’eau salée jusqu’à évaporation. Prends de l’huile de sésame raffinée, jette-la sur les épinards et  laisse frire en remuant jusqu’à ce que ça embaume. Emince, un peu d’ail, et ajoute-le. Saupoudre de cumin finement moulu, de coriandre sèche et de cannelle. Remue à nouveau. »

 

Isfanakhiya :

Coupe de la viande, lave-là, mets-là  dans une marmite posée sur un feu doux et fais-la brunir. Ensuite, ajoute coriandre et cumin finement moulus,  le cour d’un oignon, un bâton de cannelle de Chine, de l’huile de sésame, des pois chiches pelés. Tu couvres d’eau  et tu  laisses mijoter.  Découpe tes épinards en lanières pas plus épaisses qu’un doigt et fais-les frire longuement. Puis tu les rajoutes à la viande, Laisse cuire, si tu veux, rajoute du riz.,

          Et notre épinard, suis les armées arabes en s’en va baguenauder du coté de  l’Andalousie. Dire qu’il y est adulé, c’est peu dire. Ici, il découvre, l’huile d’olive, les saucisses où la viande hachée et pilée donne à la chair une texture nouvelle comme pour faire oublier l’animal égorgé, il flirte avec la menthe.  Mais, Dame Pkaïla, ton compagnon de route actuel, le haricot  lingot, n’est pas encore au rendez–vous. Il demeure par-delà des océans dans ce nouveau monde que Christophe Colomb découvrira, l’année où juifs et Arabes quittent Al-Andaluz. L’Andalousie et le Moyen –Orient connaissent néanmoins  d’autres variétés  de haricots dont, la dolique, sans doute, originaire d’Ethiopie. Les gousses qui se dégustent vertes ou sèches sont appelées baquilla.   

        Terre de confrontation de pensées, d’idées mais aussi de saveurs, de gourmandise, de convivialité, c’est en Andalousie, que le légume perse  rencontre le couscous, ces céréales cuites,  à la façon berbère, à la vapeur. Tu es née de ces rencontres et voyages successifs. L’épinard, Don Juan dans l’âme s’unit avec la même passion à tous les ingrédients qui entrent  dans ta composition. Et ton nom, d’où le tiens –tu ? Qui t’a baptisé ainsi ? Pkaïla est-ce la déformation de qalaya (frit dans une poêle appelée miqla ou maqla) ou de baquilla ? Nul ne le sait et sans doute l’ignores-tu aussi..

            A voir ces Tunisiens te courir après, te faire la cour, prêts à n’importe quoi pour un rendez-vous,  un baiser volé, on comprend vite que pour séduire la beauté n’est pas indispensable. Mais que lui trouvent-t-ils se demandent  jalouses  les autres préparations culinaires ? Tu hausses les épaules, les courtisanes, peuvent pavaner, exhiber leurs plus beaux atours, se faire belles, tu n’en as cure,  tu es et tu restes la reine de la table et  la maîtresse du palais.

 

Le Voyage du mot épinard.

 

pehlvi (moyen persan) : aspanag

perse(moderne) espanay

arabe : isfanaay, isfanakh

castillan : espinaca

portugais: espinaccio

italien: spinaccio

français : épinard

 

           

 

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