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Le mendiant aveugle |
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Un vieux mendiant aveugle était assis tous les jours à la même place, pas loin du chemin
qui menait au palais du roi. Ainsi il espérait être vu par les riches qui se rendaient souvent au
palais.
A côté de lui, un petit plat en argile contenait les pieces que les passants charitables lui
jetaient. Il était unique dans son genre. Il n'avait jamais accepté de l'aumône avant d'être d'abord giflé.
Personne n'avais jamais osé lui demander la raison pour ces gifles. Certains le prenaient pour
un fou d'autres le considéraient comme un pauvre malheureux. Il était devenu plutôt un objet de
discussion et d'amusement. C'était de cette façon qu'il gagnait son pain quotidien. Un jour
le roi voulait visiter sa ville avec son ministre, afin de sentir l'atmosphère et d'évaluer le pouls
de ces citoyens. A la fin de sa visite il vint à passer près de ce pauvre mendiant aveugle et
généreusement lui lança un pièce en or dans son assiette. Le mendiant refusa l'aumône que le
roi venait de lui donner. Le roi tout étonné demanda la raison de son refus. Mais le mendiant
insistait:
"Je ne peux pas prendre la pièce avant que vous me gifliez." Le roi sans aucune
hésitation donna une gifle au mendiant et continua son chemin. Dans son parcours il avait vu certains
sujets qui avait attiré son attention. Mais quand il arriva de retour au palais le roi était surtout
tourmenté par ce mendiant. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi ce pauvre mendiant qui
était déjà aveugle devait encore gagner son existence d'une manière aussi humiliante. Le jour
suivant le roi convoqua son ministre et lui demanda de lui faire venir au palais, ce pauvre mendiant. Il
donna les instructions nécéssaires à ce qu'on lui présente ce mendiant dans un état agréable et
humain. Il insista qu'on lui fasse un bain, que le coiffeur du roi s'occupe de ses cheveux et
que le tailleur de la cour lui trouve des habits respectables. Il voulait s'entretenir tête-à-tête
avec ce
mendiant. Quand le mendiant arriva au palais les servants firent ce que le roi avait ordonné.
Après le bain et la coiffure, ils l'habillèrent somptueusement et le présentèrent au roi. A
la vue du mendiant bien habillé le roi avait saisi que ce malheureux avait dû être un homme honnête
et respectable. Il devait certainement avoir un destin très particulier se disait-il. Le
mendiant ne savait pas ce qui lui arrivait lorsque les soldats du roi étaient venus le chercher en
calèche, mais quand il arriva au palais il réalisa d'après le nombre de marches des escaliers qu'il venait de
monter qu'il devait bien être dans le palais royal. Le roi l'accueillit chaleureusement et le fit
assoir dans un fauteuil confortable. Puis sans perdre du temps le roi commença par ces
questions:
"Vous rappelez-vous de la pièce en or que je vous avais jetée.hier?" Le pauvre mendiant
répliqua:
"Oh oui, j'avais reconnu par le son que c'était bien une pièce en or, mon roi." Le roi
fut stupéfait d'entendre ceci de ce mendiant, qui ne pouvait pas savoir qu'il était le roi, et
répondit:
" Mais comment saviez-vous que je suis le roi, puisque vous êtes aveugle?" Le mendiant
fit un grand sourire et continua:
" Mon roi, qui dans cette ville peut se permettre de donner à un mendiant comme moi une
telle pièce?" Le roi sourit aussi, puis fit: "Puisque vous avez deviné que je suis le roi, alors
racontez-moi pourquoi m'aviez-vous demandé de vous gifler?" Le mendiant secouant sa tête lui répondit:
"Mon roi, c'est une longue et bien triste histoire!"
"Allez-y continuez!" fit le roi qui était très curieux d'entendre la suite. Le pauvre
mendiant fit d'abord un lourd soupir puis avec une voix pleine de tristesse, commença:
"Mon roi, j'était une fois un homme très heureux et je gagnais bien ma vie, honnêtement,
dans mon atelier d'artisan, je faisais les meilleurs bijoux dans toute cette région et je n'étais
pas riche mais pas pauvre non plus. Je vivais aisément, je possédais ma propre maison avec un beau jardin
que ma femme aimait soigner, car elle adorait les fleurs. Puis un beau jour un homme que je ne
connaissais pas et qui paraissait être sérieux vint me visiter. Je l'avais bien reçu comme
c'est la
coutume de notre pays. Ce bonhomme prit l'habitude de me visiter presque tous les jours.et il
me parlait tout le temps des trésors qu'il avait à sa disposition. Un jour il me
promit de
partager avec moi tous les trésors du monde. Sa seule condition, selon ce qu'il disait était: 'Je
devais bien l'écouter et le suivre'. Honnêtement je ne voulais pas le croire, car à juger selon ses habits
un peu froissés et démodés, il ne me paraissait pas posséder des trésors." Le mendiant soupira
profondément avant de continuer.
"Un beau jour ce monsieur s'amena avec une boîte toute ornée de diamants, mais toute
minuscule, qu'on pouvait bien cacher dans une main, et me dit:
'Vous voyez cette boîte? Et bien elle m'ouvre tous les trésors du monde.' Comme je ne
savais plus quoi en penser de ses propos je lui répondis:
'Mais que voulez-vous de moi, et bien allez-y apportez des trésors pour vous-même!" Le
monsieur répliqua presqu'en colère et s'exclama:
'Mais je n'ai pas de chameaux pour transporter ces trésors!' Je vous l'avoue, mon roi,
que j'avais presque pitié de lui et pour le calmer, je lui dis:
'Je vous achèterai bien un chameau si cela peut bien vous aider!' Le monsieur à la boîte
s'exclama encore une fois:
'Un chameau pour tant de trésors! Il nous faut au moins dix chameaux et j'aurais aussi
besoin de votre aide. Avez-vous été dans le désert? Savez-vous ce que c'est que d'être dans ces
étendues de sable? Croyez-moi cela n'est pas agréable.' Puis il continua:
'Après tout je le fais pour nous deux, vous cinq chameaux et moi cinq chameaux, avec ça on
aura assez pour vivre aisément dix fois cette vie.'
Mon roi" reprit le mendiant: "Par ses dires il paraissait bien savoir ce qu'il disait et
en effet j'étais bien tenté de ces trésors qui me semblaient bien être à ma portée. Vous savez, mon
roi, l'or tente sûrement bien les hommes les plus honnêtes et ainsi je m'étais dit:
'Il a peut-être raison après tout, un aller-retour d'ici au désert ce n'est pas la fin du
monde et puis on sera les deux riches en un jour, alors que je travaille toute ma vie et je ne suis
pas encore devenu riche.' Ainsi je cédai à l'envie d'être riche et je m'adressai au monsieur avec
ces paroles:
'Est-ce que vous vous connaissez dans les chameaux, car moi je ne m'y connais pas du
tout'.
Mais, mon roi, à vrai dire je connaissais très bien les chameaux et je savais bien les
maîtriser. .Je voulais tout simplement savoir si lui il connaissait les chameaux et je
continuais ainsi:
'Vous voyez, je suis un artisan et je connais bien mon métier." Le monsieur à la boîte
répondit:
'Oh, ne vous inquiètez pas! Moi et les chameaux nous avons grandi ensemble dans le
désert.'
Je me sentais un peu réconforté par ces dires et je décidai spontanément de lui accorder ma foi
et je lui dis:
'Voici dix pièces d'or de mes épargnes.' Et quelques heures plus tard nous allâmes tout
deux vers le marché des animaux pour acheter les dix chameaux. Le lendemain à l'heure
convenue nous nous mîmes en route, chacun avec cinq chameaux attachés l'un après l'autre vers une destination
qui m'était inconnue et qui d'après le monsieur devait aboutir à l'endroit des trésors.
C'était encore bien avant le lever du soleil. Les chameaux marchaient des heures dans le désert et
chacun de nous était juché sur le dos de son chameaux. Nous étions fatigués et
assoiffés lorsque nous attaignâmes un chemin très étroit qui ne semblait pas être fréquenté, car il était loin des
artères principales du désert. Nous prîmes ce sentier et nous nous trouvâmes subitement dans une place
qui semblait être cachée à la vue des passants. Ensuite, un autre petit chemin,
encore plus étroit que l'autre conduisait devant une montagne qui n'était pas très haute, lorsque le guide du
trésor s'arrêta:
'Nous voilà arrivés!' fit-il. Puis il ajouta:
'Reposez-vous un peu, car dans un moment, nous allons commencer à charger nos chameaux
de diamants et d'or.' J'étais tout étonné et curieux à la fois, car je ne voyais rien autour
de nous qui semblerait pouvoir cacher un trésor, puis je lui dis:
'Mais où sont ces trésors?' Le monsieur se tourna vers la montagne et me dit:
'Vous voyez, à l'intérieur de la montagne!' Je voulais quand-même bien le croire, quoique
je ne voyais toujours pas les trésors. Il m'était dur à imaginer qu'une telle montagne
pourrait s'ouvrir, mais je voulais bien qu'il me surprenne agréablement, car j'étais déjà bien embaumé
du flair de la richesse. Moi qui toute ma vie avais travaillé dur pour gagner mon pain, je
commençais à me faire des rêves. J'imaginais comment ma femme réagirait lorsqu'elle verrait des bijoux
qu'elle n'avait jamais vus de sa vie. Alors que je songeais, soudain! le monsieur prit la boîte en
main comme une boussole et commença à trouver la direction du trésor. Je n'avais jamais vu une
telle boîte, je me tournai curieusement vers la montagne lorsqu'à ma stupéfaction je vis tout-à-coup
la montagne qui s'ouvrait petit-à-petit. Je n'en revenais pas, tellement j'étais émerveillé et
béat de voir une si grande montagne s'ouvrir à la commande d'une boîte aussi minuscule. Le monsieur
avec la boîte me dit:
'Apportez vos chameaux et commençons le travail, vous voyez ces trésors!' Je ne savais
plus quoi dire devant de telles merveilles. En effet, la montagne ouverte donna accès à une grotte
pleine de trésors. Il y avait de tout: des chaînes en or, des colliers en or, des perles, des
diamants d'une grandeur que je n'avais jamais vue. Je ne savait plus si j'avais à faire à un mirage ou
à une hallucination. Je vous avoue, mon roi, que mon corps commençait à frissonner et je me disais:
'Une telle boîte dans les mains d'un ignorant pareil? Vous m'écoutez, mon roi?"
"Allez-y, continuez!" répliqua le roi.
Le mendiant continua::
"Mon Dieu, je ne l'avait pas cru, je croyais bien qu'il était un fou et heureusement que
j'avais consenti à le suivre."
Le roi écoutait silencieusement ce pauvre mendiant, sans l'interrompre une seule fois. Le
roi était lui-même étonné et émerveillé de ce qu'il entendait, il ne savait pas s'il fallait
prendre cette histoire au sérieux. Puis le mendiant continua:
"Nous avons chargé chameau après chameau et après que le dernier était chargé, nous
quittâmes les lieux mystérieux. Une fois que nous étions dehors, le monsieur ferma le couvert
de la boîte et la montagne se referma petit-à-petit, comme elle s'était ouverte, c'était
fascinant, mon roi de voir une montagne s'ouvrir et se refermer. Le monsieur de la boîte ne paraissait pas
être content de son trésor et me dit:
'Choisisez vos cinq chameaux et laissez-moi mes cinq chameaux, car moi je vais dans une
autre direction que vous.' Chacun de nous deux prit son chemin et suivait les pas lents des
chameaux alourdis par le poids de leur précieuse marchandise. Honnêtement j'étais devenu très
envieux de la richesse après avoir vu tous ces trésors. Je trouvais que ce bonhomme à la
boîte ne méritait pas tant de chameaux avec un si grand trésor. Ensuite comme je ne voulais pas qu'il
s'éloigne de trop je l'appelais en criant:
'Hé! bonhomme! Je m'inquiètais pour vous, qu'allez-vous faire avec tant de chameaux
remplis de trésors. En plein désert les bandits peuvent vous attaquer et je serais bien loin
pour pouvoir venir à votre secours.' Le monsieur à la boîte répondit:
'Vous avez raison, que dois-je faire?' Alors mon roi, je voyais que mes arguments avaient
agi sur cet homme et j'ajoutais:
'J'avais justement pensé à celà. J'ai apporté avec moi un petit sac de pièces d'or, de
quoi suffir pour toute une vie. Ainsi vous n'auriez plus à craindre qui que se soit et vous seriez
débarrassé de ce fardeau de marchandise et de ces animaux bêtes qu'il faudra encore soigner.
Vous ne seriez plus qu'une simple proie dans les mains des voleurs du désert.' Le bonhomme à
la boîte miraculeuse répondit:
'Que voulez-vous en échange pour ces pièces d'or?' Tout joyeux en moi-même de voir mon
dessein se réaliser, je lui dis:
'Ah, donnez-moi quelques chameaux! Et vous seriez plus libre" Le pauvre monsieur à la
boîte me dit:
'Est-ce que trois chameaux vous suffiront? pour vos pièces d'or?' Je lui dis:
'Evidemment, j'accepterai cet échange, même à perte, trois chameaux contre mon sac de
pièces d'or.' J'ajoutai les trois chameaux à mes cinq et à nouveau nous continuâmes à marcher
sur nos différents chemins, mais après un court moment, je me retournai encore une fois, car je
trouvais que ce bonhomme ne méritait pas deux chameaux pleins d'or et de diamants et je
trouvais aussi qu'il n'était pas un commerçant pour pouvoir gérer ces marchandises, en plus
qu'il était ignorant en la matière de commerce, surtout lorsqu'il s'agissait d'or et de diamants. Je
pensais que j'étais mieux placé que lui pour ce genre d'affaires et à nouveau je l'appelai:
'Mon cher ami, que voulez-vous faire avec ces deux chameaux pleins de trèsors, vous ne
connaissez même pas la valeur de ces bijoux, les commerçants sont des vautours et ils vont vous
rouler, et peut-être même vous tuer!' Le bonhomme naïvement me répondit:
'Que voulez-vous que je fasse?' Je souriais dans mon coeur car je voyais qu'il n'était
pas intelligent comme je l'avais pensé et je lui répondis:
'J'ai pitié de vous! Voilà encore un sac d'or et je prendrai sur moi ce lourd fardeau de
négocier avec les commerçants, et à savoir si je vais réussir à tout vendre.' Le pauvre
monsieur
me remit ses deux derniers chameux, en échange pour le sac de pièces d'or et se mit à nouveaux
sur son chemin. J'étais content de moi même, j'attachais les dix chameaux l'un après l'autre,
puis, après un moment de marche, je me tournai à nouveau et je criai:
'Mon cher ami, vous connaisssez bien le désert, qu'avez-vous besoin de cette boîte, vous
n'avez même pas des chameaux pour transporter des trésors.' Le monsieur s'arrêta et me dit:
'Que voulez-vous que je fasse?' Je profitai de cette dernière chance et je lui répondis:
'Passez-moi cette boîte et je vous donnerai encore un petit sac d'or, et vous n'auriez
plus de soucis. Vous auriez assez d'argent pour vivre comme un roi.' Le bonhomme semblait être
convaincu des mes arguments mais avant de me remettre la boîte il me dit:
'Vous voyez cette boîte, elle a deux côtés, le côté bas et le côté haut. Quand vous
voulez ouvrir la montagne, ouvrez toujours le côté haut, jamais le côté bas.' J'était finalement
satisfait et
content d'avoir réussi à lui soustraire les dix chameaux chargés de trésors, et encore plus
d'avoir acquis la possibilité d'accéder à tous les trésors, à ma guise, à
l'aide de cette boîte." Le mendiant leva un peu la tête, comme s'il pouvait voir le roi, et dit:
"Mon roi, imaginez-vous, dix chameaux, de quoi rendre mille familles riches. Et bien, je
voulais encore plus. Je fis plus de cent fois l'aller-retour avec ces chameaux et j'avais
rempli au
moins dix dépôts. Un beau jour, je m'étais posé la question:
'Pourquoi ce monsieur, ne voulait-il pas que j'ouvre le côté bas de la boîte, il devait y
avoir une raison. Certainement il a connaissance d'autres trésors qui ne s'ouvre qu'à l'aide de la
partie basse de la boîte', me disais-je et j'étais tellement curieux de découvrir peut-être de
meilleurs trésors qu'ignorant les conseils de ce gentil bonhomme j'ouvris le côté bas de la boîte et
soudain, une lumière éblouissante et incroyable sortit de la boîte et m'aveugla instantanément. Depuis
ce jour-là je ne pouvais plus rien voir, ni gérer mes biens. Ma femme m'avais quitté et s'empara
de toute ma fortune.
C'est ainsi que je devins le mendiant que je suis. C'est la raison pour laquelle je vous ai
demandé de me donner une gifle. Je mérite cette gifle, parce que je n'étais jamais satisfait." Le roi
écouta l'histoire jusqu'à la fin et dit au mendiant:
"Maintenant je comprends pourquoi vous êtes dans cette misère et dans cet état, car vous
avez échangé votre bonheur pour des faux trésors." Il lui tendit encore une pièce et le gifla
à
nouveau et lui dit:
"C'est vous qui avez choisi votre sort, allez-y vivre avec. A un certain moment j'avais
pensé vous venir en aide, mais je vois que c'est vous qui avez tracé votre destin."
Cette histoire a paru dans le livre "Balance" en anglais par Emile Tubiana en 1984, elle
apparaîtra bientôt pour la première fois en langue française dans l'Harissa.
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