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LES NUAGES DE BEAU TEMPS |
« Maréchal, nous voilà ! » Quelques petits nuages blancs,
vraiment blancs, dans un ciel d’un bleu. C’est ce que nous appelions
« les nuages de beaux temps ». C’était la Tunisie, c’était
Sfax, c’était dans les années quarante où tout petit déjà nous avions des
angoisses, des
noeuds à la gorge et au ventre sans vraiment comprendre
pourquoi sinon que nos parents avaient perdu leur bonne humeur et
qu’ils affichaient des têtes d’une grande tristesse mêlée de beaucoup
d’inquiétude. Sans
conteste, nos voisins de palier nous aimaient bien ! Pourtant,
Ils auraient préféré, en ces temps difficiles, avoir des voisins plus
conformes aux goûts du jour mais le sort en avait décidé autrement. Alors même
s’ils nous aimaient sincèrement et qu’ils se lamentaient sur notre triste
sort, leurs enfants - pour s’amuser, bien évidement ! - inscrivaient sur
notre porte des « sales juifs » et dessinaient des étoiles de
David. « Vous savez ce ne sont que des enfants, gémissait la voisine, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ». « Ils ne savent pas ce qu’ils font ! » mais,
tout de même, c’était de bon ton, et en plus nos bons voisins ne pouvaient
être soupçonnés de complaisance envers ces « ennemis jurés de la
France Eternelle ». Ainsi
allait la vie en cette fin d’hiver 1943. J’avais à peine un peu plus de six
ans et mes premiers souvenirs s’inscrivaient dans ma mémoire,
douloureusement. La
caractéristique de ce temps était le conciliabule. Partout et à toute heure. A
la maison, mon père et ma mère chuchotaient des heures entières avec des
mines graves souvent une larme brillant au coin de leurs yeux. Mes soeurs et
moi, l’oreille collée à la porte de la chambre ou parfois ils
s’enfermaient, surprenions des murmures incompréhensibles mais combien inquiétants....... Nous
autres, les petits, nous jouions au milieu de ces groupes, pas totalement
inconscients de l’inquiétude ambiante mais sans imaginer cependant le désastre
qui se préparait sous nous yeux d’enfants. Nous
étions à la fin du mois de février 1943 et comme souvent dans notre belle région
de Sfax le printemps s’annonçait bien en avance sur son heure, splendide et
nonchalant. Une
douce chaleur pénétrait déjà dans la maison par les interstices des
persiennes que ma Mère tenait maintenant le plus souvent fermée. Allongé
sur le lit de mes parents pour la sieste de l’après-midi, j’observais la
chambre dans toutes ses dimensions. Elle était grande, elle sentait bon la
poudre de riz «coty » de ma Mère, l’eau de Cologne de lavande dont
s’aspergeait mon Père tous les matins, elle sentait bon le linge propre gorgé
du soleil qui l’avait séché et qui remplissait l’armoire en acajou, fierté
de Maman. A ces odeurs domestiques venaient s’entremêler celles de l’extérieur.
Nous habitions près du port et la fraîche
brise de mer pénétrait dans la maison entraînant avec elle l’odeur
puissante des faux-poivriers qui bordaient notre rue. Les
yeux mi-clos j’évitais du regard les longues lames de feu que faisaient les
rayons du soleil en s’immisçant entre les lamelles des persiennes et qui,
conquérantes, venaient violer la pénombre de la chambre pourtant savamment
organisée. J’écoutais
les bruits de la rue. Roues de bicyclettes chuintant sur l’asphalte ramolli
par la chaleur du début d’après-midi, grincements des roues des wagons sur
les rails de la gare voisine dont le dépôt était à
quelques centaines de mètres de la maison, sirènes
triomphantes des bateaux entrant dans le port pour une escale bien méritée. Mais
ce que j’attendais avec grande impatience c’était le mercredi après midi
pour entendre chanter les enfants de l’école voisine qui partaient en
promenade vers les plages de la ville. Du fond de la rue, avec une intensité
croissante, montait le chant des enfants, saccadé, vigoureux, qui atteignait
son paroxysme sous nos balcons pour décroître et disparaître au détour de
notre rue. Qu’il
me paraissait beau ce « Maréchal nous voilà... » chanté par des
voix si jeunes, si limpides, si fermes et si sincères. Aussi dès les premières
notes entendues je me levais comme un ressort et l’oeil rivé à l’entrebâillement
des persiennes j’attendais le spectacle de ces jeunes enfants défilant en
ordre plus ou moins dispersé, la tête haute, chantant à gorge déployée
l’amour qu’ils portaient à ce vieil homme au regard si doux qui embrassait
les petits enfants à la sortie des églises sous les acclamations des foules
subjuguées par le vainqueur de Verdun. Je
n’ai appris que bien plus tard que ce glorieux Maréchal de France, ce grand
soldat, ce pieux chrétien avait signé, entre autres documents administratifs,
le « statut des juifs » le 3 octobre 1940 et par « humanité »
- sur proposition du Président du Conseil - autorisé en 1942 la déportation
des enfants juifs « pour ne pas les séparer de leurs parents »,
cette terrible décision étant allée bien au-delà des exigences de
l’occupant allemand. L’excès
de zèle était de rigueur en ces temps difficiles ! A suivre
"claude.rene"
<claude.rene@infonie.fr> |
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