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Mon cousin Ephraïm était un homme grand de taille, bien bâti et
costaud.
Il était né à Gafsa et sa famille avait emménagé à Tunis, au ghetto juif, quelques
années avant la guerre.
Pendant l'occupation nazie il se trouvait parmi les travailleurs forcés juifs. Un jour
ces travailleurs réparaient les rails de chemin de fer en ayant les Allemands qui les
surveillaient. Ephraïm avait enlevé sa chemise pour pouvoir mieux travailler. Un jeune
officier allemand qui le surveillait, voyant un Juif si bien bâti en était jaloux et,
s'approchant de lui il le gifla. Mon cousin, tout naturel, réagit instinctivement et lui
dit:
- "Makech Rajel, Nahi Qmejtek ou Ahbet Ma'ya!" (Tu n'es pas un homme,
enlève ta chemise et viens te battre avec moi devant tout le monde.)
L'officier qui n'avait pas de respect pour les Juifs et qui se trouva provoqué par les
dires d'Ephraïm, tira son révolver et voulait abattre mon cousin. Par chance un colonel
était juste arrivé et avait été témoin de cette triste scène. Il fit:
- "Halt! Ein deutcher Offizier fürchtet sich nicht vor einem Juden! Zieh dein Hemd
aus und schlag dich mit ihm! Das ist ein Befehl!" (Un officier allemand n'a pas peur
d'un Juif! Enlève ta chemise et bats- toi avec lui, c'est un ordre!) Mon cousin avec un
sourire innocent dit à ses collègues juifs:
- "Hada Nhabtou Bdarba Ouahda!" (Celui-là je l'abats d'un coup!) Ses collègues
qui avaient peur pour lui, crièrent ensemble:
- "Qilek Mel Ebla! Had Yoqtlek!" (Eloigne-toi de ce problème, il peut te tuer!)
Ephraïm, avec un flègme que tous lui connaissaient et avec son sourire, répliqua:
- "Echbikem Khaïfen, Choufou! Choufou!" (Pourquoi vous avez peur, regardez!
regardez!) En effet Ephraïm, en un clin d'oeil mit l'Allemand par terre et lui dit:
- "Yezik Ouwala Nzidek?" (Ça te suffit ou je t'ajoute?) Le colonel intervint et
déclara mon cousin gagnant. Ephraïm regarda ses collègues et dit:
- "Vous avez vu? Qu'est-ce que je vous ai dit?" Ensuite le colonel s'éloigna
avec le jeune officier. Entre-temps les Juifs qui n'avaient pas confiance aux Nazis dirent
à mon cousin:
- "Tu est fou, ils vont te jouer un tour!" Ephraïm toujours flègmatique les
calma en disant:
- "La Matkhafouchi Hadou A'sker Cardouna, Manajmouchi A'lina" (Non, n'ayez pas peur, ce sont des soldats en carton, ils ne peuvent pas nous avoir.) Deux jours
plus tard deux soldats allemands vinrent au chantier et avec une note dans la main, ils appelèrent:
- "Ephraïm Chimoni!" Mon cousin fit:
- "C'est bien moi!" Un des soldats fit:
- "Kommen sie mit uns!" (Venez avec nous!) Les soldats emportèrent mon
cousin avec eux! Tous ses collègues se faisaient des reproches de l'avoir laissé faire et ils étaient tous convaincus, qu'ils ne verront plus Ephraïm.
Quelques jours plus tard une Volkswagen arriva au chantier. Et bien, Ephraïm habillé
proprement conduisait le colonel allemand. Tous les Juifs le regardaient avec étonnement.
Lorsque les soldats l'avaient pris ils l'avaient conduit chez le colonel. Celui-ci lui
avait dit:
- "J'aime bien les hommes courageux et forts comme vous. Est-ce que vous savez
conduire une voiture?" Mon cousin lui avait répondu:
- "Evidemment!" Le colonel l'engagea comme chauffeur et garde-corps. Depuis mon
cousin avait un laissez-passer allemand avec la mention: "chauffeur et
garde-corps" (ein deutscher Ausweis: "Fahrer und Leibwache")
Le colonel l'entraîna à sa nouvelle fonction. Depuis que le comité juif prit connaissance de sa position, il le chargea de tas de tâches, comme donner des messages,
transporter des nourritures aux travailleurs forcés juifs, etc. Le colonel allemand pris
goût aux restaurants juifs et à la bonne vie de chez nous et devint un bon copain des
Juifs grâce à Ephraïm. Celui-ci était libre d'aller où il voulait quand il n'était
pas en service. Le soir il venait en voiture à la maison.
Vers l'année 1947 Ephraïm a été fait prisonnier et interné à Chypre par les Anglais,
son jeune frère Menaché était avec lui. En 1949 il est arrivé en Israël et il a servi
dans l'armée israëlienne en tant que garde-corps. Mon cousin est décédé naturellement
en 1976 au mochav Bezet au Galil Hama'aravi.
Zikhrono Lebrakha! Amen!
Emile Tubiana
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