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LES NOMS DES JUIFS DE TUNISIE


   

Paul Sebag

LES NOMS DES JUIFS DE TUNISIE 1

(Annexe: “Les noms des Livournais”)

 

Ce n’est point une recension mais une véritable étude que nous livre ici Lionel Lévy à l’occasion du dernier ouvrage de Paul Sebag, dont une importante annexe est consacrée aux « noms des Livournais »  2.                                                                    *

 

Respectant trop Paul Sebag pour imaginer qu’il m’en voudrait d’aspirer au dialogue, même serré, je sais assez sa probité pour le croire insensible à ce qui viendrait infléchir ses premiers jugements ou préjugés. Des erreurs de détail en histoire Marc Bloch disait qu’elles « s’annulaient par compensation ». Or les erreurs, ici, semblent aller dans le même sens, d’où mon trouble.

 

Noms d’origine italienne ?

Pages 160 et 161, l’auteur énumère 71 patronymes dont il écrit : l’origine italienne de ces noms ne peut être mise en doute, et même : Ces noms sont ceux de juifs de souche italienne, puis plus loin : ces juifs de vieille souche italienne4. Qu’il me soit permis pourtant — e pùr si muove — plus que de mettre en doute bon nombre des certitudes ainsi affirmées, d’être catégorique au moins pour les 21 noms suivants, tous ibériques ou arabo-ibériques, dont plusieurs notoirement liés à l’histoire des Juifs portugais :

Ayacchini est un diminutif italianisé de Ayache, classé par Richard Ayoun parmi les Livournais d’Alger. Juda Ayache (1690-1760) est un maître en études talmudiques. Il publie plusieurs ouvrages à Livourne. À cette époque tous les théologiens algériens sont d’origine ibérique ou hispano-marocaine.

Benedite, nom très peu répandu à Tunis, n’est qu’une esquisse d’italianisation de Bendito ou Bendit  (cf Cohn Bendit), traduction espagnole de Baruch, correspondant au Bento portugais, le plus souvent traduit en italien en Benedetti. Des Bendit sont à Solsona en 1373-1391.

Benero. Le sens de ce patronyme est ”Vénitien”, mais en langue portugaise (Venero ou Benero) comme le souligne Eisenbeth. Il désigne un Juif portugais venant de Venise.

Bonan est l’un des noms notables livournais de Tunis qu’on ne rencontre guère à Livourne. La seule mention y est celle de la ballotation dont faisait l’objet un Messaoud Bonan venu de  Michines   en 1775. Le nom Meknès est transcrit dans sa forme quasi portugaise 5. Le premier Benbunan ayant fait souche à Gibraltar est né à Tétouan en 1700   6, ce qui rend l’origine hispano-portugaise quasi certaine. La famille est ancienne à Tunis et prestigieuse  7. Certes Paul Sebag propose l’hypothèse italienne  Buonanno  = bonne année. Mais il existait à Tolède des   Buenanno  8 — qui ont très bien pu donner au Maroc : Bunan, correspondant d’ailleurs à sa prononciation d’avant le Protectorat — et des Bonanath, même sens. L’identité de racines ibériques et italiennes ne doit pas créer confusion dans le contexte  historique.

Buonafaro. Faro est un nom sépharade classique à Livourne et Amsterdam, Bueno également. Buonafaro ne peut-être que la contraction relativement italianisée de Bueno Faro avec attraction du A. Cette construction rappelle les Bonastruc et Bonardut.

Cassuto. En 1466, le roi Alfonso V passe un marché avec un Moises Caçuto, forgeron établi à Alcácer-Ceguer, possession portugaise au Maroc 9. Renzo Toaff signale qu’en 1639 seuls vivent à Florence tre ebrei levantini, Aron Franco, David Cassuto et Elia Jesurun 10. De nombreux Cassuto sont présents à Livourne, Amsterdam, Hambourg, Salonique, Smyrne.

Coen. Il y a de l’a priori à classer les Coen nécessairement parmi les Italiens. Lire ci-dessous les  explications données au sujet de Cohen classé “nom hébreu” (mais Coen est-il moins hébreu ?).

Eminente. L’apparente consonnance italienne est trompeuse et l’auteur y est attiré. Le même mot avec même sens existe tant en espagnol qu’en portugais. Les Baruh Eminente sont l’une des premières grandes familles d’origine marrane de Livourne. Abram Baruh Eminente fut deux fois Massaro  ou parnas  avant 1645 à Livourne, date à laquelle seuls les ibériques pouvaient accéder aux charges  11.

Felice. Il y a là un glissement habituel vers la forme italienne du nom portugais primitif Felis ou Feliz que l’on trouve à Livourne en 1656 parmi les  Gabbayim di Zedaqà  (Toaff, p. 461). Un David Felis nieto (petit-fils) est en 1654  membre de la  Fraterna di Mohar Ha-Betulot  (œuvre pour  le mariage des jeunes orphelines, poste réservé à l’aristocratie marchande. Emidio de Felice (catholique), dans son  Dizionario dei cognomi iIaliani, assimile les Felice et Felis, mais sans même en évoquer la religion ni l’origine.

Grego. La forme italienne est  Greco. Les formes espagnoles sont Greco ou Griego. Grego par contre est la forme portugaise. Il devrait, semble-t-il, désigner une famille d’origine levantine rebaptisée à Livourne. Mais rien ne justifie l’hypothèse — ni en tous cas la certitude !  — italienne.

Iacchia. Il est vrai que ce nom est une italianisation de Yahia. Mais la famille Yahia dont le nom remonte au XIIe siècle est l’une des plus anciennes et prestigieuses parmi les Juifs portugais. Le nom est l’alias  de Diniz. L’ancêtre Rabbi Joseph ibn Yahia qui quitta le Portugal vers 1490 figurait la onzième génération de la lignée connue  12 .

Levi. Mêmes observations que pour les Coen. L’origine italienne n’est nullement démontrée vu la présence des Levi à Pise et Livourne dès les premiers jours de la   Nazione. Les seuls Levi livournais de Tunis étaient alliés à plusieurs des vieilles familles sépharades, Cardoso, Nunez etc. Le Dr Guglielmo Levi, directeur de l’hôpital israélite et de l’hôpital italien, était né à Livourne. Primo Levi a toujours dit sa propre origine ibérique.

Molco, Molho ou Molgo. Le nom est hispano-portugais. Il était présent au Portugal et en Catalogne avant l’expulsion, largement représenté à Amsterdam (Molcho ou Molgo), Livourne (1674, Renzo Toaff) et Salonique. Abraham Molho est présent au sein de la communauté portugaise de Pise en 1613 13. La racine permet de supposer l’origine commune avec les Melki et Malka, c’est-à-dire orginaires de Malaga 14, ces derniers noms étant la forme arabe pour l’habitant et la ville, et Molco, Molgo ou Molho, la forme latine. Il existe des Melki parmi les Morisques ce qui renforce l’origine espagnole. Un médecin rabbin Mordekhai (Angelo) Malki est à Livourne à la fin du XVIIe siècle, puis se transfère  à Jérusalem 15. Paul Sebag, p.161, classe les Molco parmi familles dont l’origine italienne ne peut être mise en doute, alors que p. 107 il expliquait l’origine portugaise du même nom : pourquoi?

Pansieri. La forme adoptée par le signataire des contrats de mariage à Tunis est Pansier. (Eisenbeth cite Pensier ). Le marié signe Isaque Pansier nobio le 8 juin 1796, signature tout espagnole par la forme  du prénom et le terme choisi pour désigner le marié :  nobio,  et non sposo. Le nom ne figure point au  Dizionario dei cognomi italiani  de Emidio De Felice, auquel se réfère souvent l’auteur. Certes il  évoque le terme italien méridional    panza  (panse), mais panza  existe en espagnol, illustré par Cervantes. On peut songer aussi au très classique nom portugais Penso  présent dans toute la diaspora hispano-portugaise et voir dans le jeu homophonique hispano-italien plus de pensée que de panse. Mais on ne peut écarter l’hébreu Penyer, hispanisé.

Provenzal. Les premiers Provenzal présents à Livourne avaient conservé la forme portugaise Proenza ou Proensa au XVIIe siècle. Il en était ainsi d’Abram Nunes Proensa classé par Toaff parmi les Mercanti attivi nella vita pubblica degli anni 1650-1659. En 1677 le même personnage transcrivait son nom en Abram Nunes Provençal 16. À cette date seuls les ibériques avaient vocation aux charges publiques. Ces Provençal, comme les Franco ou Frances ou les Narbonne ou Narboni étaient des descendants de Juifs français réfugiés en Espagne au cours des siècles. Cette famille ne cessa jusqu’au XIXe siècle de faire partie des notables de Livourne. Natanielo Provenzal fut le représentant des Juifs au  Conseil Municipal de Livourne lors de l’occupation française de 1799.

Roa n’est  nullement italien, mais hébreu pour Roah  17.

Sacuto. Il est étonnant de voir classer ce nom historique parmi les noms italiens. Rappelons qu’Abraham Zacuto, célèbre cartographe né à Salamanque vers 1450 quitta le Portugal pour la Tunisie, puis la Turquie où il mourut vers 1510  18. Toaff, qui cite plusieurs Zacuto ou Sacuto parmi les massari  de Pise en 1599, écrit que la famille Zaquto ou Sacuto était d’indubitable origine marrane portugaise, comme les Aboab  19 (que nous retrouverons tout à l’heure).

Scialom. Déduire de la seule orthographe adoptée au XIXe siècle l’origine italienne de ce nom semble aussi étonnant. Jusqu’au recensement de 1841 le nom est orthographié à la portugaise, Salom ou même Salon. La prononciation devait être à la portugaise Shalom comme en hébreu. Des Salom figurent à Tunis sur la reconnaissance de dette de 1686. Il s’agit de Jacob de Rafael, Rafael,  Rafael de Jacob, Rafael Samuel Salom que Toaff rapproche des Salom  Abram, David et Eliahu de Livourne (1645, 1624 et 1689). Le 16 juin 1612 Abraham Salom et Rafael Coen Salom avec un Mose Israel et Selomo Zaquto rédigent une requête en langue portugaise à propos de l’organisation de la synagogue 20. Le nom n’existe plus au recensement de 1841 à Livourne, mais est très banal à Amsterdam (Salom, Salom Morenu, Salom d’Azevedo, Salom del Valhe). Au XIXe siècle des Livournais Salom deviennent des Salmon. D’autres deviennent Pacifici.

Servadio. Ce nom est selon Toaff l’italianisation par traduction du nom Ovadià. Renzo Toaff l’explique en évoquant la figure d’Ovadià di Shabettay, juif romaniote habitant Damas, présent à Ancône en 1544-45. Servadio s’établit en Toscane comme beaucoup de Juifs levantins et  ponentins d’Ancône fuyant les persécutions papales 21. Toaff rappelle qu’après 1492, phénomène bien connu, la culture et la langue espagnole furent dominantes parmi les romaniotes qui devinrent des    levantini. Il existe des Ovadia à Lisbonne, venus du Maroc espagnol (Abecassis, T 3, 540). Rappelons qu’à l’origine, pour raisons politiques, la première communauté de Pise se déclara levantine, mais que la prédominance portugaise y fut rapide, le portugais devenant très tôt langue administrative de la communauté tout entière.

Sulema. L’identité portugaise semble évidente. Salamão Sulema (la forme du prénom est caractéristique) est massaro  à Pise en 1643. A cette époque rappelons que seuls les ibériques ont accès aux charges jusqu’à la réforme de 1693. Les Sulema, soit à Pise, soit à Livourne, ne cessèrent jamais de faire partie des notables. Eisenbeth signale des Soullam à Barcelone en 1270.

J’allais oublier les Arditti. Paul Sebag n’en parle pas dans le chapitre visé mais les évoque par ailleurs, maintenant sa thèse de l’italianité du nom, appuyé sur l’ouvrage de Pettrocchi. J’avais déjà sur ce point fourni dans ma thèse des références qui me paraissaient déterminantes 22 et me semblaient l’avoir convaincu, le nom étant absent des listes de son Annexe. Je vois qu’il n’en est rien. Vient s’ajouter l’étude de Taranto sur les Juifs de Smyrne où l’on ne voit pas moins de 129 Arditi. Reconnaissons qu’Eisenbeth a affirmé l’italianité du nom. Mais, sans s’embarrasser de contradiction, il cite un Pedro Ardit dans la liste des Juifs de Barcelone en 1392.

Encore les noms italiens. Pièges des toponymes. Hypothèses et surprises.

Nous venons de grouper au début de cette étude des noms inclus à tort par l’auteur dans la liste de noms italiens, pour ne pas mêler ce qui relevait de l’évidence à ce qui méritait discussion. Sur un plan général il faut être prudent pour attribuer à des familles une origine italienne au seul motif que leur nom serait celui d’une ville italienne ou d’un métier, voire d’une provenance étrangère. Nous avons vu que beaucoup de marranes d’Ancône et des possessions romaines, objets d’une brutale répression après une certaine tolérance, prirent justement le parti d’adopter des noms de villes italiennes surtout de la région adriatique (Ancona, Rimini, Senegaglia, etc..). Une illustration nous interdit les certitudes, celle d’un Moises Fano ou da Fano (ou d’Affano) qui, quittant la région d’Ancône, prit le nom de la ville de Modigliana où il s’arrêta au XVIe siècle. Il devint ainsi Modigliano, nom que l’espagnol altéra en Modillano, puis Modiano. Cette branche des Modiano émigra à Salonique dès le début du XVIe siècle d’où elle s’est répandue sur tout l’empire ottoman 23. Des Modiano de Salonique s’installèrent par la suite à Livourne où avait vécu autrefois un de leurs ancêtres espagnols d’Affano. Ceci nous permet au moins une interrogation sur l’origine des Modigliani.

Autre découverte, les Fiorentino. Ayant remarqué dans les statuts de la    Pia Santa de Bikur Olim 24, en langue portugaise, un administrateur du nom de Florentino, j’eus un moment l’impression  que le l remplaçant le i italien s’expliquait par une séphardisation du nom. Or, j’appris que les Florentin étaient une famille notable d’Istanbul et de Smyrne depuis le XVIe siècle. Je fis connaisance, lors d’un voyage en Espagne, d’un Parisien de ce nom, originaire d’Istanbul, et lui demandais si ses ancêtres n’étaient pas des Fiorentino de Livourne séphardisés en Florentino et Florentin. Le hasard voulut que nous soyions passés à Séville dans une rue “Florentin” où le guide nous expliqua que le nom  était autrefois appliqué à tout Italien arrivant dans la ville, quelle que fût d’ailleurs sa religion ou sa province. Ainsi les Florentin d’Istanbul descendraient-ils d’Espagnols de lointaine origine italienne, comme les Frances d’Espagnols de lointaine origine française.

Africano. L’adjectif peut être aussi bien italien qu’espagnol ou portugais.

Allatini. Cette famille de Livournais, célèbres mécènes à Salonique où ils firent tant pour les Ecoles de l’Alliance, est-elle sépharade ? L’apparente consonnance italienne me laisse vigilant depuis les Uzzielli, voire Ussili et Uccielli pour Uziel, Gallichi ou Gallico pour Gallego, Obediente pour Abudiente, Pacifici pour Salom, Sacerdote pour Coen, Zuccarelli ou Zuccharino pour Zaccharia 25. Je fus mis en éveil à Amsterdam quand j’y trouvai de nombreux   Aletrino  au moins depuis le début du XVIIIe siècle, nom curieusement sans correspondance apparente à Livourne. Or, entre les deux noms il n’y a guère que l’élision du r et le passage au pluriel. Chaque  fois qu’un nom ibérique commence par AL j’ai tendance à privilégier la piste arabe. En italien, l’élision du “r” ne  serait pas innocente. On passerait des latrines à la latinité... Mais elle écarte aussi la source arabe ; or, en arabe, la consonnance alatrin  fait penser à  Al Attarin, c’est à dire les marchands d’épices, racine que l’on retrouve dans Abenattar. Cette hypothèse me paraissait digne d’être exposée sans influer vraiment sur le sort du débat, car dès lors que la forme Aletrino n’existe qu’à Amsterdam et non à Livourne il y a lieu de rechercher quelle transformation nous l’aurait voilée.

Un autre nom, Astrologo ou Dello Strogolo m’inspire aussi. Il se trouve surtout en Vénétie, à Livourne et dans le Sud, premières régions d’accueil des Ibériques. Or il existe en Aragon un nom Astrugono (variante non réduite d’Astruc) désignant l’origine asturienne (d’Astorga) et dont on ne voit pas trace directe en Italie. On note déjà dans le rapprochement de l’adjectif Astrugono et du substantif Astorga une inversion des consonnes, phénomène banal en Espagne et au Portugal (ex: Abrabanel, Abarbanel, Albuquerque, Aboulker, de Castro, de Crasto, etc...) 26. Je n’écarte donc pas l’idée qu’Astrologo ne soit un glissement d’Astrugono dans une oreille italienne encline à lui prêter un sens. Ajoutons que le mot Astrologo lui-même existe aussi bien en espagnol qu’en italien. Eisenbeth classe d’ailleurs le nom comme espagnol.

Donato paraît une italianisation de l’espagnol Donado, signifiant converso. La démarche est fréquente : Abulafia (nom de ville espagnole) devenu Bolafi, Amado Amato, Branco Bianchi ou Bianchini, Bueno Bono, Castel Castelli, Castro Castri, Coronel Colonnello, Duran Durante, Espinoza Spinosa, Felis Felice, Gallego Gallico ou Gallichi, Garcia Garzia, Pariente Parente, Peixotto Picciotto, Penha Pegna, Señor Signor, Uziel Uzielli, Vidal Vitali, etc.

Tedeschi peut, comme Tedesco, être l’italianisation de Tudesco (équivalent espagnol archaïque d’Alemano 27) dont Dodisco  paraît une déformation arabisée. La consonnance ressemble à la sicilienne. Rappelons que les Juifs siciliens, présents en Tunisie aux XVe et XVIe, se sont souvent mêlés aux ibériques dans le bassin méditerranéen.

Noms d’origine hébraïque.

Beaucoup de Marranes, dès l’exil, ont choisi des noms hébreux pour masquer leur identité. Les premiers émigrants de 1492 avaient, quant à eux, conservé leurs noms d’origine, souvent hébreux.

Avigdor. Josef Avigdor est classé en 1685 par Toaff comme marchand actif à Tunis. Jacob Samuel Avigdor participe en 1670 avec Josef Vais et Abram Attias de Livourne à la  création d’un embryon de communauté portugaise à Marseille. Elisa Alaique consent un prêt au banquier Niçois Isaac-Samuel Avigdor en 1682 28.

Baruch. C’est le premier élément du nom composé des rabbins Baruch Carvalho. Abram Baruch est cité à Pise en 1613-1619. On le voit à Livourne en 1631 (Toaff, p. 145). Selomò Baruch est Massaro à quatre reprises à Livourne avant 1645, il est classé à cette époque parmi les marchands actifs dans la vie publique. Plusieurs Baruch existent encore à Livourne en 1809 et 1841.

Bensasson. Le nom existait en Espagne sous les formes Ibn Sasson, Abensasson ou Abençaçon au moins au début du XIVe siècle 29. Nous avons cité plus loin, à propos des Sabocca et Ibn Sasson les propos de Quevedo. Il existe encore des Sasso à Amsterdam et aux Antilles, forme hispanisée pour le diminutif d’Isaac. Isaac étant traditionnellement “le fils de la joie”, il n’y a pas contradiction avec l’étymologie suggérée, si ce n’est que le nom se réfère au prénom biblique et non à  l’étymologie de celui-ci. 27 Sasson existaient à Smyrne  30.

Carmi. Des Carmi ou Carmy existent à Livourne en 1809, mais rien ne nous permet  d’infléchir l’origine ibérique.

Cohen. En Espagne on trouvait aussi bien des Coen, Cohen ou Cofen. La difficulté est de distinguer à Livourne les Coen ibériques des italiens, mais en 1613 à Pise deux Coen, l’un avec la forme portugaise Coem, sont manifestement ibériques alors que l’immigration juive italienne y est quasi inexistante et que jusqu’en 1698 seuls les Ibériques accédaient aux fonctions publiques. Un Josef Abram Coen figure en 1678 à Livourne parmi les marchands actifs (Toaff, p. 466). Les très nombreux noms composés accompagnant le premier nom Coen d’un deuxième nom typiquement ibérique, nous confirment que ce nom hébreu classique est porté par les Juifs espagnols. Des quantités de Cohen (avec h) figurent parmi les contrats de mariage d’Amsterdam (10 pages de la liste). Là, les non ibériques n’étant jamais intégrés, l’identité ibérique est certaine. De même les innombrables Cohen de Salonique, Istanbul, Smyrne (257) et Rhodes.

Dilouya. Sebag lui-même évoque le toponyme espagnol  de Loja, ville d’Andalousie, proposé par Eisenbeth, mais, sans s’expliquer, estime que l’hypothèse Dilayah, prénom hébreu, serait “plus probable”. Pourquoi ? Et pourquoi cette “probabilité” relative p. 63 devient-elle certitude p.162? Pourtant Eisenbeth cite des rabbins Delouya au XVIIe siècle au Maroc, date à laquelle les rabbins  marocains étaient presque tous  espagnols.

Ghidalia. Nous trouvons des Gedelicia dans la liste internet “Los Hijos”. Toaff, inépuisable ressource, signale (p. 345) l’arrivée à Livourne en 1648, venant d’Orient, du Chakham  Abram ben Shemuel Ghedalya (in portoghese Ghedelha)  de Jérusalem, pour imprimer à l’imprimerie Gabbay son commentaire  Berit Abraham  (Le Pacte d’Abraham).

Israel est le nom de l’une des plus anciennes familles de Livourne puisque les deux interlocuteurs choisis par le Grand Duc Ferdinand en 1595 furent Jacob Aboab et Abram Israel de Pise. Pour le premier la qualité de descendant du “Dernier Sage de Castille 31, explique le choix ; pour le second, il était depuis 1595  massaro  della Nazione Ebrea di Pisa.  En 1645 les Israel obtenaient la Régie des Tabacs de Toscane. Une branche ayant séjourné à Tunis, revenant à Livourne vers 1630, prenait le nom “Israel de Tunes” 32.

Issachar. Il s’agit d’une famille turque, alliée des Enriques Saranno et des Israel.

Lévy ou Levy. Renvoyons à nos précédents travaux. Mon bisaïeul Moses Levy est le fils de Judah Levy, marchand à Lisbonne et d’Ordueña Espinoza, elle-même fille de Moses Espinoza, armateur à Gibraltar au XVIIIe siècle et Vice-Consul des Pays-Bas. En 1807 le père de Judah, Moses Levy, fut autorisé avec son beau-frère Isaac Aboab à transférer à Lisbonne sa maison de commerce de Gibraltar, avec garantie personnelle de liberté religieuse 33. Néanmoins ils continuèrent de faire naître leurs enfants à Gibraltar par souci de conserver la nationalité britannique. Avant de s’établir à Gibraltar au début du XVIIIe siècle, les Levy étaient à Tétouan. Leurs ancêtres y furent rabbins et juges au moins à partir de 1640. Il résulte des travaux de Corcos et de Benady, grâce auquel la généalogie entière a été reconstituée sans interruption jusqu’en 1460, que cette famille avait quitté Lisbonne pour Safi, enclave portugaise, en 1512, selon édit spécial du roi Manuel. La plus grande part de leur descendance vit encore à Lisbonne. Un rabbin Abraham Levy, descendant de ce Moses, est aujourd’hui le président de la congrégation hispano-portugaise de Londres. Nous avons agréablement correspondu. Malgré leurs études en Angleterre, les Levy étaient hispanophones lorsque Moses 2, son frère Joseph et leur sœur Clara Messodi s’établirent à Tunis en 1857 où ils s’italianisèrent par leurs mariages livournais 34. Leur mère Ordueña Espinoza descendait d’Abraham, grand-oncle de Baruch. Tant par leurs origines que par leurs alliances ils étaient dans la tradition portugaise.

Trois autres familles Lévy existaient à Tunis. Celle du Dr Benjamin Lévy, grand dignitaire maçon assassiné à Auschwitz, venait de Trieste. Il ne semble pas que ce dernier ait été inscrit à la communauté. Une autre famille Lévy de Trieste tout à fait distincte, par contre, était intégrée chez les Livournais : celle du Professeur Emile Lévy, économiste connu dont la mère est une Cassuto. Enfin les plus anciens sont les descendants du rabbin des Livournais Judah Levy, autre branche de Gibraltar auxquels a été attribuée une lointaine origine ashkénaze. Les petits-fils de Judah Levy ont marqué la vie intellectuelle de Tunis : Raphael (Ryvel) Directeur des Ecoles de l’AIU et  écrivain ; Georges, Libraire à  La Cité des Livres.

Menasce. Quatre familles Menashe existent à Smyrne (Taranto op. cit.). À Livourne en 1809 un Benaiuto fù Emmanuel Menasce est maître d’hébreu. Le nom y est parfois italianisé en Menasci.

Ouziel. Shemuel Uziel figure au cadastre de Livourne de 1645 comme locataire de Judà Cordovero. Il était riche, selon Toaff (p. 351) qui pense que la prospère famille devenue plus tard Uzielli vécut à Livourne, puis Florence jusqu’à nos jours. 17 Uziel sont relevées à Smyrne (Taranto).

Semah. Deux négociants Semah figurent à Livourne en 1809. Il s’agit d’un prénom.

Voilà donc treize noms ibériques sur les treize que cite l’auteur.

 

 

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Noms d’origine maghrebine ?

Le postulat qui donnerait au Maghreb le monopole de la langue arabe ne pourrait qu’être  source d’erreur en onomastique juive. Les Juifs, et même les chrétiens, ont porté des noms arabes dans l’Espagne musulmane. Au XIIe siècle ceux qui fuirent l’intégrisme almohade pour se réfugier dans les royaumes chrétiens du nord n’abandonnèrent pas toujours leurs patronymes anciens ni la culture arabe. Mais avant la discussion générale prenons un après l’autre les noms dit « maghrébins » étudiés par l’auteur.

Abeasis. Ce nom qu’Eisenbeth assimile à  Aziz  a pu être porté sous cette forme par des Espagnols puisque le même auteur signale à Ancône le 29 mars 1602 un Salvatore Aziz bénéficiaire d’une concession de Banque. Or à cette date les Juifs d’Ancône étaient pour la plupart ponentins ou levantins. Les autres avaient été expulsés. Si ces deux catégories pouvaient porter des noms de consonnance ibérique ou arabe cela eût été étrange pour des Italiens. Selon J.-M. Abecassis 35, les Abeasis sont une famille espagnole expulsée en 1492. Commerçants, ils établirent des relations avec Venise. Une branche a essaimé à Gibraltar puis à Malte et de là à Tunis, puis Tripoli.

Abouaf. Là se situe, nous semble-t-il, l’erreur majeure du livre. Isaac Aboab ( os Abuefes, dit au pluriel David Franco Mendes, historien Amstelodamois, au XVIIIe siècle, des Portugais) fut au XVe siècle dernier sage de Castille  ou Gaon. Il franchit le premier la frontière portugaise en 1492 à la tête de trinta casas de nobres familias.  Is. S. Revah a démontré que les Aboab ou Abouaf  sont une seule et même famille à Amsterdam, Hambourg, au Maroc, à  Livourne, Corfou, Istanbul, Salonique et Curaçao 36. Ils comptent parmi les ancêtres de Disraëli. Un Aboab de Fonseca présida le Tribunal qui jugea Spinoza. Une famille vivait à Tunis, venue d’Istanbul.

Arous. Même nom que Roah (Eisenbeth). Le nom sous les formes Ruah, Arruas, Aruas, Aruhaj (parfois transcrits en Bentes ou Bento) est signalé par Abecassis au Maroc espagnol, au Brésil et à Lisbonne. Rodrigues da Silva évoque la famile Arovas ou Arrobas, originaire d’Avila (op. cit ;  p.145 n564).

Attia. Cette famille provient de la riche et petite communauté livournaise d’Alep où elle a joué un rôle important. Un rabbin livournais Abraham Attia d’Alep, au XVIIIe siècle, a publié au moins six œuvres théologiques à Livourne ( cf.Encyclopœdia Judaica ). Une branche s’est fixée à Tunis au XIXe siècle, se mêlant aux grandes familles livournaises sur place. Le nom est à rapprocher d’Attias qui n’en est que la forme plurielle 37. Ces noms n’ont été adoptés qu’après l’exil au XVIIe siècle, m’a précisé Gérard Nahon. Ainsi Abraham Athias, père de l’imprimeur d’Amsterdam Joseph Athias, avait-il été brûlé vif à Cordoue en 1665 sous le nom de Jorge Mendes de Castro.

Bembaron. Là aussi nous tombons dans le piège linguistique. Baron, Varon, Ben Varon et Bembaron sont fréquents dans le monde juif hispanophone et dans le sud de la France. Eisenbeth le confirme, et explique qu’en Espagne le nom arabe a même été traduit en Delmar. Un article intéressant a été publié par Bension Varon 38. Il y signale notamment un Abuzach Avenbaron en 1142 à Tudèle (qui servit alors de refuge aux Juifs du Sud de l’Espagne fuyant l’intégrisme musulman). Mais les Avenbaron, Baro, Baron, Barron, Bembaron, De Varo, Varan, Varão, Varronides, Varro, Varron ou  Waron se retrouvent et émigreront vers l’Italie, la Grèce et la Turquie.

Darmon. José Rodrigues de Silva Tavim cite les Darmon parmi les Juifs portugais transférés dans les enclaves du Maroc. Georges Marçais relève les fréquentes homonymies entre les noms morisques et juifs portugais et cite les Darmon ou Dermoul 39. La firme livournaise Darmon est signalée à Tunis par Toaff en 1686. La famille ne cessera jusqu’à notre  époque de faire partie des notables de la communauté.

Dardour. L’origine serait araméenne dit Eisenbeth. Mais “dourador” existe au Portugal pour orfèvre. Un Dardeiro figure parmi les notables Juifs portugais de Safi en 1514.

El-Guir. Le nom est inconnu de nous. Peut-on le rapprocher de l’aragonais Algerri ? Pas de mention à Livourne. Pas de contrat de mariage à Tunis.

El-Haïk. Le  nom était orthographié Aljayque au XVIIe siècle. On ne peut s’empêcher de le rapprocher du mot Alxeique désignant au Portugal le chef des Juifs (Rodrigues da Silva). Une orthographe Alxaique existait d’ailleurs pour des Livournais de Salonique, assurément de la même famille. Avant l’apparition du jota, le “j” et le “x” marquaient le chuintement et se trouvaient interchangeables (voir par exemple Jerez, Xeres et Sherry). Les grands vestiges de mots arabes dans les langues ibériques peuvent créer des confusions. Haïk, que Sebag traite séparément, n’est qu’une abréviation d’El-Haïk.

Flak, Flah (ou Fellah?). C’est le  nom d’un rabbin livournais au XIXe siècle, très hostile à sa propre communauté. L’origine est-elle constantinoise ? La famille est représentée à Livourne en 1809 (Flach, droghiere). En 1846 il existe deux femmes seules, indigentes, dont l’une se dit originaire d’Allemagne.

Gandus. Sur le contrat de mariage du 13 novembre 1788, la signature est espagnole (Ieusuah de Isaque Ganduz novio ).Le nom, rare, figurait à Venise au XVIIIe siècle sous les formes Gantus ou Ganduz, puis à Livourne ou existait encore une maison Gandus au début du XIXe siècle. L’identité portugaise, évidente à la fin du XVIIIe, n’a pu disparaître brusquement au XIXe. De nombreux portugais des Pays-Bas espagnols ayant pris racine à Venise au XVIe siècle, comme les Anversa,  peut-on voir en Ganduz, selon la même démarche, un toponyme  de Gand ou Gent ? Les De Castro Tartas n’ont reçu ce nom composé qu’à la suite d’un séjour de quelques années à Tartas en France.

Halfon. Hébreu pour changeur (cp. ashkénaze Halphen). Eisenbeth cite un Abba Mari Halfon, astronome italien aux XV° et XVI° siècles. Il étudia l’astronomie à Naples. Le 17 février 1796, à Tunis, Abraham Halfon signe son contrat de mariage avec Gracia Lumbroso :  Abram de Salamon Halfon nobio. Le nom figure au vieux cimetière de Livourne sous la forme Jalfon. Il existe à Livourne en 1809: deux Halfon, deux Jalfon mais un Calfon. Il est resté dans le folklore dans l’expression  matto calfon  désignant un comportement très original 40. Haim Zafrani cite les Khalfon parmi les noms de quelques familles du Maroc, presque toutes d’origine ibérique, qui se sont illustrées dans les affaires et le gouvernement de la communauté 41. Encore une fois un nom hébreu ou arabe ne contredit pas l’origine espagnole.

Hayoun. Là encore histoire et linguistique doivent composer. Sous la forme Hayon ce nom est trouvé en Espagne par Eisenbeth dans un acte ou un Hayon, sa femme et une parente vendent le 18 février 1166 un terrain au nord de Tortosa. Il s’agit d’un diminutif de Haim, prénom biblique et non arabe. Il y a certes homophonie avec le très classique nom marrane Aylion (Rab. Aylion 1688, Toaff p. 374). Des quantités d’Ailyon existent à Amsterdam depuis le XVIIe. Il n’y a à Livourne en 1809 ni Hayoun, ni Ayoun, ni Ailyon, mais le nom Hayon est cité dans Toaff. Le nom Ailyon est porté à Alexandrie d’Egypte par une famille livournaise. Il se trouve même à Curaçao. Il est difficile d’étudier les Portugais sans examiner leurs différents pôles. La présence sur la liste livournaise à Tunis paraît néanmoins mystérieuse, cette famille ayant peu fait parler d’elle.

Lasry. Les Lasry sont une famille de Gibraltar de souche marocaine. Le nom  est arabe (Oulad Al’asri) mais les pemiers Lasry que José Maria Abecassis cite ont vécu à Fayal (Açores),Tétouan, Lisbonne. Samuel Lasry fut grand rabbin de Gibraltar en 1837. Il y exerçait la profession de notaire. Plusieurs ont contracté mariage à la synagogue hispano-portugaise de Londres et la culture arabe était loin d’eux lorsqu’une branche s’est établie à Tunis.

Malca. Ce nom a été étudié à propos des Molco.

Meimon. L’origine ibérique — ou non tunisienne — de la famille a été contestée en raison du nom arabe. Elle n’est pas représentée à Livourne. Le premier mariage cité par Attal et Avivi ne remonte qu’à 1863. La dot est importante. Est-ce le prestige de la famille de la mariée, Reine de Soria, qui aurait  permis  l’intégration ? Peu d’éléments sont fournis  par la littérature si ce n’est quelques plaisanteries. Il reste que  le nom lui-même n’est pas antinomique de l’origine ibérique. Il existait à Tolède des Maimon parmi les   Conversos  ( Pilar, op. cit.); un Bonfos Maïmon à Perpignan en 1413 42 ; et en Aragon des Maymo et des Maimona. Des Maymo sont à Gérone en 1390. Des Meimon sont ensevelis dans des cimetieres sépharades de Bulgarie. Il n’y a donc ni présomption ni commencement de preuve.

Melloul par contre est amplement représenté dans les cimetières de Livourne et Pise. En 1809 il y a à Livourne six chefs de famille Millul dont trois imprimeurs et un enseignant des écoles hébraïques. Au recensement de 1846 l’origine des cinq Millul est la suivante : Livorno, Germania, Livorno, Germania et Pesaro, ce qui ne nous apprend pas grand chose. Le savoir faire en matière d’imprimerie explique peut-être la provisoire émigration en Allemagne.

Memmi est le nom d’une famille livournaise ancienne à Tunis. Le nom est porté par une autre famille sans conteste tunisienne, celle de l’écrivain bien connu Albert Memmi. Ce qu’on peut dire est que la famille livournaise était d’une bonne culture italienne. Le nom coïncide-t-il ? Lorsque les Memmi tunisiens (qui étaient peut-être, comme la famille homophone musulmane sans doute andalouse, des Mami) ont fait écrire leur nom à la française, n’y a-t-il pas eu peut-être tendance à se référer à l’orthographe italienne, usage fréquent à Tunis ? Il existait en Aragon des Mahme, des Mamen et des Mimi. D’après José Maria Abecassis ils pourraient être originaires de la localité espagnole de Miaman. Le grand rabbin Shimon Meimi a été torturé à mort à Lisbonne en 1497 en résistant a la conversion 43 . Nous sommes dans le domaine des spéculations, et non de la certitude maghrebine.

Moatty. Le nom semble algérien. Le transfert chez les Livournais doit s’expliquer par les alliances matrimoniales. Mais il existait un rabbin de ce nom à Constantinople au XVIIe.

Sebouk, forme de Sabocca, est une famille de “Livournais d’Alger”. Les Sabocca sont cités par Quevedo, avec les Ibn Sasson et les Ibn Nahmias, par dérision, comme exemples des mésalliances de la noblesse espagnole au XVIIe siècle 44.

Suied. La présence de ce nom surprend dans la liste livournaise, même avec la forme ibérisée Assuied. La plupart des époux ne savent pas signer leurs contrats de mariage. Le nom est inconnu à Livourne. Nous ne l’avons pas rencontré sur les listes des noms espagnols publiées par divers sites.

Timsit. Le nom  est assurément algérien. La famille semble avoir habituellement contracté des alliances matrimoniales livournaises, ce qui expliquerait sa cooptation.

Zerafa. Il existait à Livourne des Esdrafa. Le nom Zerafa a, en arabe, le sens de girafe. Mais le mot espagnol voisin, jirafa, est emprunté au premier. Mieux, en espagnol ancien le mot était azorafa. (Rey, dictionnaire historique, p. 889). Au XVe siècle vivait à Valence Rabbi Joseph b. Isaac Zerafa (Eisenbeth). Il peut aussi s’agir d’une forme de Azeraf (en arabe : changeur), nom présent au Portugal sous la forme Açaraf, avant l’expulsion (Abecassis, t 4 p. 6). L’origine ibérique est patente.

Ainsi sur les 24 noms présentés comme maghrébins, l’origine ibérique est démontrée pour 12 : Abeasis, Abouaf-Aboab, Arous, Attia, Bembaron, Darmon, El-Haïk, Haïk, Hayoun, Malca, Sebouk, Zerafa. Elle est amplement présumée pour les Halfon, plausible pour les Gandus, Meimon,  Memmi, Dardour, incertaine pour les Mellul, absente pour les Flak, Moaty, Suied, Timsit. Parmi les noms vraiment litigieux seuls les Flak et les Moaty ont eu une présence à Livourne. Ni les Suied,  Timsit, ni même les Meimon ni les Memmi, à les supposer maghrébins d’origine, n’y ont laissé de traces. On peut donc écarter la thèse de Paul Sebag selon laquelle la communauté livournaise de Tunis se serait accrue de familles tunisiennes précédemment intégrées à  Livourne. Au contraire nous constatons que ces familles, pour leur totalité (Alloro, Attal, Assal, Azoulay, Azria, Baranès, Bedossa, Bessis, Bigiaoui, Bismut, Boulakia, Coen Solal, Coen Tanugi, Djeribi, Fellous, Fitoussi, Guetta, Hanouna, Hanun, Jais, Jaoui, Liscia, Marzouk, Pincas, Sahadun, Slama, Sarfati, Sebag, Taïeb, Temim, Tubiana, Zerah, Zeitoun, Zibi ), à la seule et double exception des Moaty et Flak, n’ont nullement été intégrées à Tunis chez les Livournais à leur retour 45, en raison peut-être d’un certain sectarisme de ces derniers, mais aussi par la résistance de la communauté tunisienne qui n’entendait pas perdre ses ressortissants et contribuables à la faveur de ces ballotations, souvent provisoires. L’exemple d’Angiolo Junès, Français de Livourne, est frappant qui, se faisant inscrire chez les Livournais après s’être installé à Tunis, dut revenir à la communauté tunisienne en tant qu’originaire d’Algérie  46. Nous rectifions aussi l’exposé de Paul Sebag sur un point mineur : la présence tunisienne à Livourne ne s’est nullement accrue de 1809 à 1841, mais considérablement réduite, les nouvelles arrivées étant plus qu’effacées par des départs beaucoup plus importants.

Disons un mot des Boccara pour lesquels Paul Sebag adopte, sans critiquer Eisenbeth, la thèse du toponyme Boukhara. L’hypothèse, même cautionnée par un grand auteur, me paraît bien gratuite. Les premiers Bocarra (le nom prenait un c et deux r) de Pise et de Livourne sont des Bocarro. En Algérie la forme adoptée, Abouccara, comme dans les registres des  kettubot. livournaises de Tunis, Aboccara, permet de décomposer le nom. Le préfixe  Abou  indique en arabe la paternité. Il était souvent réduit en  Bo  au Portugal, sinon supprimé. Ainsi Abudarham devenait Bodarro. En Italie Abulafia (nom de ville espagnole) devient Bolaffi. Comment donc ne pas reconnaître le nom juif ibérique célèbre Caro ou Carro sous le préfixe arabe Abou ou Bou ? Tout concorde à expliquer Boccara par l’évolution portugaise puis italienne des Abu-Carro devenus Bocarro et Bocarra..

Noms d’autres  origines.

Brandon. Ce nom aurait pu être trouvé dans la liste des noms juifs de Curaçao publiée à ma thèse, p. 208. La forme portugaise à Amsterdam est Brandão. Brando signifie en portugais, doux, mou ou tendre (cf. français ”blandices”). Blando est l’équivalent espagnol.

Brunswick, Goldschmidt, Hertz, Klein, Lehman, Loew, Schweke, Schwartz, Weil, Wolf, Wolinski. Noms ashkénazes. Les Juifs originaires d’Allemagne et d’Europe de l’Est — sauf les Roumains — intégraient à Tunis, jusqu’au XIXe siècle, non pas la communauté livournaise, mais la communauté tunisienne 47. Les choses changèrent après le Protectorat quand des ashkénazes, certains de grande culture, installés à Tunis ou de passage, demandèrent leur rattachement à la communauté des Livournais. Mais sauf exception, ces ashkénazes, qui ne participèrent jamais à la direction de la communauté, se mêlèrent peu aux familles livournaises comme l’admet Sebag, et n’exercèrent aucune influence sur leur mentalité.

Crémieux, Carcassonne, Mossé. Il en est autrement pour ces familles comtadines que l’histoire avait mêlées étroitement aux Portugais. À la veille de la Révolution les Comtadins avaient tenté, pour jouir de leurs privilèges, de s’intégrer aux communautés portugaises de Bordeaux et Bayonne. Celles-ci repoussèrent leur démarche. Par contre lorsque des Livournais de Tunis et de Livourne (Arias, Attias, Bembaron, Boccara, Brudo, Cansino, Castelli, Angelo Coen, Constantini 48,  de Paz, de Segni, de Silva, Daninos, Darmon, Dias Santillana, Duran, Gozlan, Huziel, Israel, Lumbroso, Montefiore, Racah 49, Salom), entreprirent de créer à Marseille en 1780 une communauté dite portugaise, ils y accueillirent les Comtadins dont plusieurs avaient des parents à Livourne. Les Livournais, contrairement aux Bordelais, avaient toujours suivi une politique d’ouverture. La primauté livournaise dans le milieu portugais était rappelée dans les statuts. Ils prévoyaient que la nouvelle communauté se réfèrerait en tout aux usages de Livourne adoptés “par toutes les communautés portugaises de France” et que notamment l’espagnol en serait la langue. Comment dès lors croire en l’extinction de l’identité portugaise chez des Livournais de Tunis qui, à la fin du siècle, l’imposaient à des Français, sur le sol même de France ?  Les Comtadins réalisaient leur rêve : devenir Portugais, comme Michel Boujenah dans un joli sketch rêvait d’être Bourguignon. De grandes familles tunisiennes furent intégrées à cette nouvelle communauté marseillaise et notamment les Bellaïsche, Bismut, Lamy, Semama, Tubiana 50. C’est dire que les Provençaux se mêleront aux Livournais (des Carcassone devenant des Carcassona !), certains venant même à Tunis. Quant aux familles tunisiennes de Marseille, elles n’intégrèrent pas, à leur retour à Tunis, la communauté livournaise, mais initièrent une ère de mariages mixtes qui les en rapprochèrent sur le plan des mœurs.

J’ai écarté les Narboni car le nom n’est point français mais celui d’Espagnols d’origine française. Eisenbeth cite un Moïse Narboni de Perpignan au XIVe siècle. À cette date Perpignan était en Catalogne et avait reçu des réfugiés français. Dans cette rubrique nous avons donc au moins deux noms ibériques.

Identité quantitative ?

Voilà donc au moins des erreurs certes nombreuses, matérielles ou liées à la complexité des sources. Qui n’en commet, y compris le grand Eisenbeth (Abecassis venant de Cassis... Benveniste d’Italie...) ? Mais ici toutes confluent dans le sens d’une théorie comme négatrice d’identité à laquelle l’auteur, depuis quelques années déjà, se serait attaché avec d’autres, au point, semble-t-il, d’avoir du mal à s’en défaire. Nous venons de démontrer qu’à Tunis, le nombre de Livournais d’origine ibérique était bien largement majoritaire. Ce ne sont point en effet à 61 noms sur 187 (chiffre de Sebag + Arditi) que s’élève le nombre de ces derniers, mais déjà, de façon certaine, à 109 sans compter les nombreux noms litigieux pour lesquels j’évoque des hypothèses plausibles, me gardant bien d’affirmer et de statuer. On ne peut donc dire que les 78 noms restants soient tous d’une origine autre, si bien qu’en évaluant les noms “ibériques” à 59% — dépassant de 25 points le quota de Livourne en 1809— nous sommes bien en deçà de la vérité. Encore ce coefficient porte-t-il sur des noms, et non une population, sans tenir compte du fait que les membres des familles traditionnelles, telles les Boccara, Bonan, Cardoso, Enriquez, Lumbroso, Valensi, se chiffrent par centaines, contrairement à d’autres, et qu’un décompte individuel, plutôt que par famille, ferait apparaître plus de 80% de personnes portant un nom d’origine ibérique. Les chiffres ne reflètent pas non plus le poids ni l’influence économique et sociale.51 Nous avons vu aussi que les familles tunisiennes intégrées dans la communauté portugaise étaient en nombre infime.

Ni l’onomastique ni les chromosomes ne font les identités. L’empreinte du noyau dirigeant sépharade sur l’ensemble des Juifs intégrés ( agregati ) à Livourne était telle jusqu’après le milieu du XVIIIe siècle que, pouvait dire Toaff, «  Volenti o nolenti, tutti sefarditi ». C’est ce qui explique que des Finzi 52, des Calò, intégrés dès le XVIIe, Cesana, Morpurgo, Forti, Disegni 53, au XVIIIe, aient continué jusqu’au début du XIXe à Tunis à utiliser l’espagnol, s’alliant  régulièrement à des familles sépharades dont rien ne les distinguait ; ainsi les Montefiore, nom italien, comptent dans leur arbre généalogique des Lumbroso, Mocatta et Medina. En Angleterre ils sont Portugais. Enfin ces familles se sont expatriées dans toutes les zones hispanophones ou lusophones de leur monde tels les Allatini, les Morpurgo à Salonique, les Cesana à Smyrne. Des dizaines de Forti, Finzi, Calò, Morpurgo ont fait souche à Amsterdam, y restant lusophones. Des Finzi à Gibraltar. Des Ottolenghi s’inscrivent dès le XVIIIe siècle aux synagogues portugaises d’Amsterdam  et de Londres.

Les anciens noms

L’auteur part d’un principe : les noms hispano-portugais de Tunis concerneraient essentiellement des familles présentes depuis le XVIIe siècle. Ayant rencontré certains noms en 1640 ou en 1686 dans l’ouvrage de Grandchamp, et retrouvé certains d’eux au XIXe siècle, il en déduirait qu’ils n’auraient jamais quitté Tunis et, à la longue, auraient abandonné leur culture pour “s’arabiser”. Ce raccourci est à écarter résolument. La plupart des personnes citées par Grandchamp de 1614 à 1640 ne se trouvait sur la place que pour affaires, et non à demeure. Nous avons démontré que la majorité se retrouvait à Livourne à des périodes postérieures, y remplissant des fonctions publiques. On s’accorde à dire que les 27 signataires en 1686 d’une reconnaissance de dette au profit du Consul de France formaient l’essentiel de “la  Nation” qui venait ainsi de se constituer.

À propos d’une famille que j’ai bien étudiée, les Guttières Penha de Livourne et d’Amsterdam, la démonstration m’est facile. On voit à Tunis vers 1686 la firme Abram Guttieres et Benjamin Gomes Davila pratiquer des opérations commerciales. Ces personnages sont connus, il s’agit de deux beaux-frères. Abram, par ailleurs médecin, est entre Amsterdam — où il était à la même époque parnas  de la communauté et membre de l’Académie Littéraire  Los Floridos — et Livourne— où il sera chargé en 1703 de  la réorganisation de l’aide médicale gratuite aux indigents. Il y est l’un des trente gouvernants de la Nation en 1693. Il n’est donc nullement établi à Tunis. Le testament en langue espagnole, en juin 1652 à Livourne, de sa mère Rachel alias Gracia Guttieres Penha née Fernandes Caseres nous révèle que le père d’Abram est Jacob, alias Pedro, et les jeunes frères, Isaac et Moises. Moises aura un fils Jacob que l’Inquisition romaine arrêtera pour apostasie en 1730 sur la dénonciation de son propre frère revenu au catholicisme sous le nom de Paolo Antinori. Jacob fut libéré sur intervention du Grand-Duc Gaston. L’étude des index des actes de naissance de la communauté de Livourne révèle que Jacob eut pour fils un autre Moisè Guttieres Pegna, père d’un autre Jacob. Elia Guttières Pegna, né en 1795, est le fils de ce dernier, donc l’arrière-petit-fils du Jacob de 1730. Il s’implantera à Tunis en 1828, alors que sa femme et ses premiers enfants s’y étaient rendus dès 1827. Les registres des émigrations vers la Tunisie le précisent. Ils retrouvent sur place des cousins présents depuis la fin du XVIIIe siècle, branche aujourd’hui éteinte. Dire que ce Elia et ses enfants se seraient “arabisés” à partir de cette date, ou auraient attendu l’arrivée d’”Italiens” pour“s’italianiser”, défierait toute logique. Les deux fils aînés d’Elia, Giacomo et Angelo, furent membres de la Commission financière internationale de tutelle des Finances tunisiennes comme représentants italiens en 1869. Angelo fut député des Italiens de Tunisie et leur jeune frère Guglielmo, Directeur de Douanes fonction qui lui fut conservée sous l’administration française. Est-il besoin de souligner que tous pratiquaient l’italien, le français et l’arabe ? Leurs grand-parents avaient pratiqué l’espagnol et le portugais comme leur cousin Isaac Guttières, Président de la communauté d’Amsterdam qui, à la fin du XVIIIe  encore, correspondait avec Isaac Pereire en espagnol. À Livourne le portugais ne cessa qu’en 1787 d’être langue judiciaire. Mais surtout Elia ni ses enfants, ne pouvaient oublier que son propre arrière-grand-père avait été prisonnier de l’Inquisition. Le passé marrane de la famille, loin de figurer quelque mythe ancien, restait inclus dans leur identité particulière, et ils en étaient fiers, malgré leur sincère patriotisme italien. Comme l’écrit Sergio Romano : « Le judaïsme (l’ébraismo ) n’est pas seulement une religion. C’est aussi un « lignage » donc une aristocratie. Nous sommes tous fiers de notre ascendance. Autant une famille peut remonter dans le temps, autant peut-elle tirer fierté de sa propre continuité et de la conscience qu’elle en a (autocoscienza ) » 54.Toutes ces familles avaient gardé des traces de cet ordre, notamment les Attias, Boccara, Cardoso, Cariglio, Cassuto, Costa, De Paz, Enriquez, Franco, Lumbroso, Medina, Molco, Moreno, Nunez, Sacuto, Soria, Vais, Valensi, familles  dirigeantes et cultivées.

L’un des intérêts de ce testament est qu’il renseigne sur les familles alliées, permettant même des recoupements avec des sources telles que “la relation généalogique d’Immanuel Aboab” (op. cit.). Nous y apprenons que Rachel Guttières-Penha née Fernandes Caceres est fille de Beatriz de Fonseca et que ses sœurs ont épousé l’une Abraham Nunez Sierra, l’autre Jahacob Zacuto auxquels elle a apporté des capitaux 55. Elle a aussi placé des fonds auprès d’Abram Athias, marchand et notable de Livourne, dont naîtra vingt ans plus tard le futur humaniste rabbin-médecin Josef Attias. La relation d’Immanuel Aboab nous permet de découvrir un lien de parenté entre Rachel Guttières et Abram Athias. En effet Immanuel Aboab de Fonseca ayant interrogé un de ses cousins de Livourne sur ses homonymes de cette ville, celui-ci lui répondait que   os Athias de aquì  étaient apparentés aux Fonseca. On sait que Caceres est un alias de Carvalho, famille de marchands d’Amsterdam et de médecins-rabbins livournais de Tunis. On voit donc s’étendre le tissu de parentés entre les deux pôles de l’occident sépharade, Amsterdam et Livourne, donnant son sens à une expression classique chez les Livournais du XXe siècle : nostre famiglie, l’une des clés de leur identité. Presque toutes ces familles étaient représentées à Tunis au XIXe siècle. Presque toutes les grandes familles de noms italiens leur étaient alliées et assimilées. Que les unes et les autres aient substitué l’italien à l’espagnol au début du XIXe siècle a-t-il effacé leur identité ? Les “Portugais” de Bordeaux et Bayonne, quand la Révolution les traita séparément au moment de l’émancipation de 1791, ne parlaient plus tous l’espagnol. En perdirent-ils aussitôt leur identité, leur endogamie ? Les Juifs tunisiens de France de la deuxième génération, francophones, cessent-ils de se sentir “tunes” ? Ce serait faire fi de la mémoire historique collective même inconsciente, bien plus vivace que la mémoire individuelle. Des dizaines de Juifs tunisiens qui ont une lointaine ascendance livournaise m’interrogent sur celle-ci. Elle compte donc bien dans leur identité. Quand Raymond Valensi, en 1941, alors quasi centenaire président de la communauté — avec une arrogance que n’améliorait pas le grand âge — invoquait naïvement auprès du Résident Général, pour contrer les menaces de dissolution de celle-ci, “la fière allure des Portugais” (sic), il y avait quelque réminiscence du rapport de l’ambassadeur de Venise à Amsterdam au XVIIe siècle, qui, décrivant alors les notables de la Nation Portugaise, commentait : ”Ils ont fière allure 56.”

La Nação Portugueza

On a dit aussi — mais où l’a-t-on pris ? 57 — que l’appellation “Nation Portugaise” serait erronnée comme apparue tardivement lors du Protectorat, en 1881, pour complaire aux autorités françaises. Avrahami a réfuté cette légende en montrant —  dans un article que pourtant Paul Sebag cite lui-même — que l’appellation est fort ancienne et d’origine 58. Il suffit de voir que les copies des Ordonnances somptuaires de 1726-1759 publiées par  lui s’intitulent :  Copia de Las Escamot quitada del Libro antiguo de nuestro Kahal de Portugueses Tunes. Le mémorial qu’il étudiait avait pour titre, dès l’origine : Livre des Mémoires de la Sainte Communauté Portugaise que D. la garde et la protège  (traduction par Avrahami).

Les Tunisiens utilisaient le même terme, ainsi dans des  responsa  du 20 juillet 1741 qui rappelaient : “les voyageurs originaires des villes du royaume d’Edom relèveraient de la communauté des Portugais” 59. Dans leurs lettres de 1728-1730 à leurs collègues  de Livourne, les dirigeants de la Communauté Portugaise de Tunis Joseph Mendes Ossuna, Moseh de Abraham Franco et Abram de Isaque Lumbroso) s’intitulaient  Masares  (lusitanisation du mot italien Massari)  de la Naçaò  Portugueza de Tunes. Ces lettres étaient rédigées six fois sur dix en portugais et quatre fois en espagnol, mais même dans ces dernières le terme portugais  Naçaò  subsistait 60. Bien sûr, il n’avait pas à l’époque, pas plus qu’aujourd’hui, le sens moderne que lui a donné la Révolution. Ma thèse l’expliquait pp. 11-12.

La langue.

Ishak Avrahami a reçu avant même ma soutenance le manuscrit de ma thèse, a lu mes commentaires sur ses propres travaux, m’en a félicité. Je n’oserais trouver là partielle explication à l’évolution de ses propres analyses. Ainsi la disparition de l’espagnol au profit de l’arabe est une idée qu’il abandonne, écrivant au contraire :  « L’espagnol est la langue du passé, du souvenir ; l’italien est devenu la langue de l’avenir au XIXe siècle, la langue “nationale” des Livournais, l’hébreu dans le domaine juridique et rabbinique, et le judéo-arabe est la langue du quotidien que nombreux lisent et tous comprennent.» Pour la prétendue “arabisation”, Avrahami écrit : «trois siècles et demi de “vie mitoyenne” à partir du XVIIe siècle ne les assimilèrent pas, ils surent conserver jalousement leur autonomie.»

L’espagnol est encore utilisé dans les contrats. J.-M. Filippini a publié un contrat rédigé en espagnol et signé à Tunis par Sigr Eliau Attal, mandataire de David de Montel, de Livourne, avec treize marchands en 1779 61. Que le Livournais de Livourne ait choisi pour mandataire un Tunisien, Attal, que Tunisiens et Livournais collaborent à la même opération commerciale, cela révèle des rapports meilleurs qu’il n’est d’usage de les décrire. La langue adoptée montre que l’espagnol est encore pratiqué non seulement par les Livournais de Tunis, mais par des marchands tunisiens. Le contrat est traduit en italien à Livourne par un Judah Frosolone. Au même article Filippini publiait un contrat de société souscrit à Tunis en langue espagnole en 1782 par onze associés tous Livournais de Tunis  62. Tout cela aide à comprendre que ces Tunisiens étaient prêts à suivre leurs amis livournais dans la création d’une communauté “portugaise” à Marseille en 1780, adoptant la langue espagnole, ce qui eût été absurde si l’identité “portugaise” avait disparu de Tunis. Si l’italien s’imposa progressivement à la faveur des bouleversements qui suivirent, tout n’avait pu avoir complètement disparu, en 1880, des mentalités.

 

Lionel Lévy

1-       Les noms des Juifs de Tunisie,  l’Harmattan 2002,171 p.  ISBN : 2 - 7475-2533.

2-       Lionel Lévy est l’auteur de « La nation juive portugaise, Livourne, Amsterdam, Tunis 1591-1951,» L’Harmattan 1999.

3-       Voir en particulier les incontournables:Histoire des Juifs de Tunisie, l’Harmattan 1991; Tunis, Histoire d’une ville, id. 1998.

4-       Il énumère les 71 noms suivants : Africano, Allatini, Ascoli, Ayacchini, Bassano, Benedite, Benero, Bonan, Boralevi, Buonafaro, Calò, Cammeo, Cassuto, Castelnuovo, Cesana, Cittanova, Coen, Cremisi, Dello-Strologo, Disegni, Dodisco, Donato, Eminente, Faldini, Felice, Finzi, Fiorentino, Foa, Forti, Funaro, Gianforte, Grego, Iacchia, Lampronti, Lenghi, Levi, Lussato, Marini, Modigliani, Molco, Montefiore, Morpurgo, Naccamulli, Ortona, Ottolenghi, Padoa, Pansieri, Philipson, Piperno, Procaccia, Provenzal, Reginiano, Roa, Rossi, Sacuto, Scialom, Segre, Servadio, Sinigaglia, Sonnino, Spizzichino, Sulema, Tedeschi, Trionfo,  Veroli, Viterbo, Vivanti, Volterra, Zuccarino.

5-       Rodrigues da Silva op. cit. p. 139 : Mequinez.

6-       J.M.Abecassis,Geneaogia Hebraica, T1 , Lisbonne 1990, éd. José Maria  Abecassis, p. 652

7-       L’arbre généalogique gracieusement communiqué par Madame Mireille Hadas-Lebel remonte à Rab. Isaac Bonan né en 1762. Depuis cette date toutes les alliances sont faites avec des Lumbroso, Enriquez, Valensi, Boccara,Costa, Darmon, Mendes Ossuna, etc., c’est-à-dire avc des “vieux Livournais”, avant que n’interviennent au XXe siècle des mariages dits “mixtes” avec des familles tunisiennes. Des Benbunan existent dès le XVIIIe siècle à Gibraltar, venant du Maroc hispanophone. C’est sans doute ce trait qui  a amené la famille à s’intégrer au XVIIIe siècle dans la communauté portugaise.  Les Bonan qui se sont très tôt francisés n’ont jamais été un facteur d’italianisation de la communauté. Aucun d’eux n’a acquis la nation

8-       Pilar Jean Tello Judios de Toledo,  Institut Arias Montano, Madrid.

9-       José Rodrigues da Silva Tavim, Os Judeos na axpansão portuguesa em Marrocos durante o seculo XVI, Braga, éd. APPACDM, 1997.

10-   La Nazione Ebrea  di Livorno e di Pisa, éd. Olschki, Florence 1990, p.38.

11-   Renzo Toaff op. cit. En septembre 1675, en l’absence de rabbins en nombre suffisant, la commission du Issur ve-Hetter  (de ce qui  est prohibé et permis selon la loi religieuse) comprenait trois laïcs dont Abram Baruh Eminente.

12-   Abraham David, “Gedalia Ibn Yahia, auteur du Shalshelet Ha Qabbalah”, R.E.J. ,T LIII, 1994, pp. 101-132.

13-   R. Toaff op. cit. p.443.

14-   C’est l’opinion de Haim Zafrani pour les Melki et Malka. Màlaga (en arabe et espagnol archaïque: Màlaca) doit son nom au général carthaginois  Malachus (le “roi”). Ici racines sémitiques en hébreu, arabe et phénicien coïncident. Sebag exprime son désaccord sur cette hypothèse mais ne dit pas pourquoi. Il est constant que le nom est fréquent dans le Maroc hispanophone et que bien des noms ibériques sont des toponymes.

15-   Toaff op. cit. p. 375.

16-   Toaff,op. cit. p.173.

17-   Voir Eisenbeth, éd. CGJ et LS.p. 166 pour qui Rouasse, Rouach ou Rouah sont l’équivalent hébreu de Cabessa.

18-   Voir Eisenbeth, op. cit. p185, qui mentionne le rabbin David Zacuto et son frère Benjamin, notable et marchand livournais qui sauva la vie du Chevalier de Choiseul-Beaupré en 1683.

19-   Op. cit. p. 57. Abraham Zacuto fut le disciple d’Yishac Aboab (Purificacion Albarral-Albarral, La Almenara de la Luz, Grenade, 2001 (Lettre Sépharade n°44, 2002).

20-   Toaff op. cit. p. 494.

21-   op. cit. pp. 36-37

22-   LL, op. cit. p. 126 et n. 86 : Nombreux Ardut ou Ardit en Catalogne dès le Xe siècle, dynastie de médecins. Présence de la forme Ardit à Venise à laquelle de Felice assimile d’ailleurs la forme Arditi (ou Arditti). Présence des Arditi à Salonique comme fondateurs de la synagogue Catalane au XVIe siècle.

23-   Cf. Mario  Modiano, Hamehune Modillano, Athènes, 2000 et notre échange internet sur Jewishgen.

24-   Imp. Meldola, Livourne 1743. Il s’agit d’une œuvre d’assistance aux malades dont l’administration, héréditaire, est tradition-nellement réservée aux hispano-portugais.

25-   C’est ce qui se dit en Corse pour le premier nom.

26-   Paul Sebag suggère bien pour le nom Cassuto l’inversion de consonnes de Sacuto.

27-   cf le proverbe cité par Abecassis (t4,p.103):Ni ajo dulce ni tudesco bueno, tiré de Refranero.  À Gibraltar, Abecassis cite des Tudesqui, Todesqui, Tudesquino.  Selon Abecassis (t1, p. 413ss) et Laredo, “Ashkenazi est le nom  conservé par une famille d’origine allemande dispersée à travers la Turquie et l’Asie Mineure et dont les différents rameaux empruntèrent une traduction dans la langue des pays où ils s’établirent : Alaman, Deutsch, Allemano, Tedeschi, Tedesco et Todesco.”

28-   Idem,op. cit. p.231 et n.13.

29-   Baer  I, 327, cité in Laredo.

Roland Taranto, «Les noms de famille juifs à Smyrne» in ETSI   Mars 2002 , Vol 5 n°16.

30-   Toaff, op. cit. p. 53.

31-   L.L. op. cit. pp. 51 ss.

32-   Rab. Isaac Levy, A Morsel of Bread, traduction anglaise d’Alan D. Corré, 1997 Milwaukee.

33-   Le peintre Moses Levy, mon oncle, petit-fils de ce Moses 2, n’avait pas la  nationalité italienne, comme l’écrit Paul Sebag, mais britannique. Sa culture était entièrement italienne.

34-   Genealogia hebraica, éd. J.M. Abecassis, Lisbonne, 1990.

35-   cf Is. S. Revah,« La relation généalogique d’Immanuel Aboab » in Boletim Internacional de Bibliografia Luso-Brasileira, vol. II, n° 2, 1961, pp. 276 ss.

36-   L’adoption de la forme plurielle est fréquente. Ainsi les Moreno de Tunis avaient-ils été parfois désignés comme Morenos.

37-   « Sephardic “Varons” Historical background and distribution» in Revue de Généalogie et d’Histoire Séfarades, ETSI, Vol. 4 n°12, en anglais.

38-   « Testour et sa grande mosquée. Contribution à l’étude des Andalous de Tunis » in Revue Tunisienne 1942, pp. 147.160.

39-   Vittorio Marchi, Lessico del Livornese con finestra aperta sul Bagitto, éd. Belforte, Livourne 1993, p 304.

40-   In Les Juifs d’Espagne, sous la direction de Henry Méchoulan, éd. Liana Levi, 1992, p. 533.

41-   REJ, XIVp.68

42-    Elias Lipiner, Os Baptizados em  pé,  p. 106, 108, 109, 111, éd. Vega, Lisbonne, Coleção Documenta Historica, 1998.

43-   Cité Par Roth, Histoire des Marranes, éd. Liana Levi, pp. 37 et 310. Il s’agissait de parents de Diego Arias  Davila, nouveau chrétien immensément riche,  trésorier du favori du roi, Alvaro de Luna.

44-   Paul Sebag aurait pu observer qu’aucune de ces familles ne figure sur la liste De Paz qu’il cite lui-même p. 169, l’ayant trouvée  dans ma thèse p. 336, et la reconnaissant comme liste crédible des noms livournais en 1930 à Tunis.

45-   Lionel Lévy, op. cit. p. 133, n. 112.

46-   Responsa  Rabb. David Bonan et Yeouda  Halevy, oct. 1840, reproduite in L. Lévy, op. cit. p. 359ss. n13. Le mot hébreu Edom ne couvre pas toute l’Europe, mais seulement celle incluse dans l’ancien empire romain, m’a expliqué Gérard Nahon.

47-   Le grand poète Yosef Ha-Cohen né à Avignon en 1496 était le fils de Dolsa Alconstantini d’une grande famille juive aragonaise (Ana Riaño, El Manuscrito de Ha-Kohen,  Grenade 2002, Port-Royal  Ediciones (La Lettre Sépharade  n° 44, 2002).

48-    Il s’agit de la branche de Livourne venue d’Egypte au début du XVIIIe siècle via Venise.

49-    cf Hildesheimer cité par L.L. op. cit. p. 310. Peu après, en 1802, la maison Bellaïsche et Tubiana transférait à Marseille son siège social précédemment fixé à Tunis.

50-   L. Lévy, op. cit. pp. 131-135 montrant que la quasi totalité des dirigeants communautaires  en 1895 était d’origine ibérique.

51-   Chez Giorgio Bassani, le type du “Portugais” arrogant et aristocrate est un Finzi Contini (Il Giardino dei Finzi Contini).

52-   Un Aaron Disegni, intégré à Livourne y  fut assassiné en 1687 (Toaff, op. cit ; p. 230.)

53-   Sergio Romano, Lettera a un amico Ebreo ,  Milan, éd. Longanesi & C. 1997, pp. 72-73 ; lire du même auteur, Histoire de l’Italie du Risorgimento à nos jours , Paris éd.  Seuil, 1977

54-    Ce Yahacob Zacuto d’Amsterdam, fils du Dr Abraham Zacuto, semble avoir fait l’objet auprès de l’Inquisition portugaise d’une dénonciation de Gaspar Bocarro en 1637 (Elias Lipiner, op. cit. pp. 76-78).

55-   cf. l’intéressant et très riche article de Elia Boccara à la Rassegna Mensile di Israel, «La comunità ebraica portoghese di Tunisi (1710-1914) », LXVI, 2, 2000 .

56-   Peut-être dans le rapport en 1895 de Victor Cattan, futur bâtonnier, alors conseil du Grand Rabbin Eliaou Borgel et jeune avocat qui semblait mal maîtriser l’histoire des Portugais.

57-   Dans sa “Contribution des sources internes hébraaïques, judéo-arabes et arabes à l’histoire des Juifs de Tunisie”  (in Rassegna Mensile di Israel, Rome, Vo L, 3e série, 1984, p.726), Avrahami précise bien que l’appellation “Portugaise” est ancienne et non point adoptée pour ne pas irriter les Français, “comme on pourrait le prétendre et le croire.”   Tels sont intitulés notamment les Registres Matrimoniaux de la Communauté juive portugaise de Tunis aux XVIIIe et XIXe siècles, publiés par Robert Attal et Joseph Avivi. Citant dans leur deuxième volume la thèse d’Ishaq Avrahami, ces auteurs veulent bien rendre justice à mon analyse : “Lionel Lévy en a fait une excellente analyse dans la Revue des Etudes Juives, 1997,  pp. 393-400”. Ils citent en outre tout récemment l’important ouvrage de Lionel Lévy,  la Nation juive portugaise.

58-   Reproduit à L. Lévy, op. cit. p. 353 ss.

59-   Arch. comm. Isr. de  Livourne, Filza de Cartas n°48-49, inédit. Naçaò  avec accent sur le ò est l’orthographe archaïque. On l’écrit aujourd’hui Nação  avec tilde sur le ã.

60-   in Nuovi Studi Livornesi,1999, Vol VII, p. 147. Ces marchands sont Bizis, Coen Zardi, Catan, Sacuto, Semama, Mareh, Levi, Enriques, Boccara, De Pas, Halchaique, Tapia. Certains sont Tunisiens, d’autres Livournais.

62 -   Il s’agit de Salamone Enriches et Fils, Joseph Franchetti et Fils, Salamon Zevi et fils,  Abram Cohen de Lara et   Fils, Isaac Enriches et fils, Abram Enriches et fils,  Isach et Abram de Mordekhay et Fils, Isach Franchetti et Fils, Abram Nunes et Fils, Raffaelo Enriches et Fils,  Isach di Salamon Enriches et Fils. Le texte est traduit en italien      par Jacob Spinosa.

Qu’il me soit permis de le rappeler : dans son rapport de thèse, mon maître Gérard Nahon avait conclu:« Pour la langue, M. Lionel Lévy m’a convaincu.» Richard Ayoun a fait la part des nuances en distinguant entre la bourgeoisie et les pauvres, très minoritaires il est vrai , et en classant les  langues utilisées en langue du groupe,  langue religieuse et langue officielle.

 

                                           Lionel LEVY <lionel.levy@wanadoo.fr

  


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