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Déchiffrement d'une Amulette Juive du XXème Siècle pour la Protection du Nouveau-né et de la Parturiente |
Michèle Bitton
Parmi les nombreuses pratiques magico-religieuses qui accompagnaient la naissance dans les sociétés juives traditionnelles, celle qui était la plus répandue et qui l'est encore est l'usage d'amulettes pour la protection du nouveau-né mâle et de sa mère. Tout en appartenant à l'ensemble des amulettes et talismans — des objets portés ou posés près de soi et censés protéger des maladies et des maléfices — désignés en hébreu par le terme générique de qemi'ot,[1] ceux utilisés pour la naissance ont des noms particuliers : Shmira layeled velayoledet "Protection pour l'enfant et la parturiente" en hébreu, ou simplement shemira ; warkat nefissa "feuille de l’accouchée" en judéo-arabe ; kimpetselt "note pour le lit de l'enfant" ou Shmir-Tselt "note de protection" en yiddish. Ces feuilles protectives, portant différentes prières et formules en caractères hébraïques sont destinées à être accrochées près du lit de la parturiente et de son fils pendant les huit jours qui précédent la circoncision. Auparavant manuscrites, elles ont ensuite été imprimées, et il reste aujourd'hui relativement facile de s'en procurer différents modèles dans certaines librairies ou dans des magasins d'objets rituels juif, en Israël ou en diaspora. Celle qui que j’ai retenue, parce qu'elle offrait des textes d'accès direct (sans alphabets kabbalistiques), date des années 1950 et a été conservée sous deux impressions différentes de contenu strictement identique : l'une imprimée à Tunis [probablement au début des années 1950] :"Imp. UZAN Pére & Fils 40, Rue des Maltais. TUNIS. Tél 241 224" (en français dans le texte)[2] ( fig. 1), l'autre, datée de 1955, porte le nom d'un circonciseur (tunisois) domicilié à Paris :"F. Gaston GUEZ Opérateur spécialiste pour la Circoncision / "Mohel" dipômé de l'Hôpital Rothschild de Paris/27, rue Villin, Paris-20°. tél. MEN. 91.32 / et 5, rue de la Présentation, Paris 12° . tél. O23.62.39" (en français dans le texte)[3] (fig. 2).
Avant de présenter la traduction[4] de cette protection, j’ajouterai que les autorités rabbiniques, à l'exception notoire de Maïmonide au XIIème siècle, n'étaient généralement pas opposées à l'utilisation d'amulettes et de talismans dans la mesure où ils ne contrevenaient pas à la loi juive au regard de laquelle le sauvetage d'une vie prime toujours sur toute autre considération. De fait, depuis le Moyen Age les "feuilles de l'accouchée" font partie intégrante des rituels pratiqués durant la semaine qui précède la circoncision, une période où la mortalité infantile était très élevée et qui était considérée comme un espace particulièrement exposé aux atteintes des mauvais esprits et en particulier à celles de Lilith, la Reine des démons. Au cours des ces huit nuits, au Maroc, ces rituels de protection accompagnés de lecture de différents versets bibliques et de prières sont connus sous le nom de Tahdid : "Quand sonne minuit, on ferme portes et fenêtres (interdisant à l'autre, celle que l'on ne nomme pas, Lilith l'innombrable, d'entrer dans la pièce), et pendant, que se déroule le rituel, on passe un vieux sabre ou un gros couteau sur les murs et les issues hermétiquement closes de la pièce où se trouve l'accouchée, puis on dépose l'objet métallique [hdid, "fer", en arabe] sous l'oreiller de l'enfant blotti contre sa mère"[5]. Dans le modèle traduit, nous remarquerons en premier lieu les deux dessins prophylactiques classiques : au centre, le poisson, symbole de fécondité et de richesse, et, dans la colonne de droite, la main, très largement utilisée en Afrique du Nord par les juifs comme par les musulmans, pour se protéger des sorts en général et du "mauvais œil" en particulier. Deux autres dessins plus petits apparaissent dans la colonne de gauche. Le premier représente une couronne surmontant un texte où nous lirons la prière de la circoncision, le second, une poignée de mains surmontant la formule de vœux "Bon signe et réussite" qui introduit la citation de versets bibliques qui commémorent l'Alliance d'Abraham. Dans les deux cas, les dessins redoublent la signification des textes qui les suivent. L'ensemble de la feuille, répartie en trois colonnes, est sobre et équilibré, dans un encadrement du style "art-déco" du début du XXème siècle.
Déchiffrement de l'amuletteAu centre supérieur de l'encadrement, en médaillon l'intitulé du feuillet :
Colonne de droitePour respecter l'ordre de la lecture de l'hébreu, nous commencerons par la traduction de la colonne de droite, surmontée par l'inscription :
Cette première citation biblique, qui fait partie de la prière sacerdotale (Nombres 6,22 à 27), est suivie par une prière originale qui évoque la présence des démons shedim et lilin (éventuellement un pluriel de lilit) et l'importance de l'allaitement, indispensable à la survie de l'enfant. Texte de la prière :
Nous lisons ensuite le Psaume 121, dit Cantique des degrés, psaume protecteur par excellence, désigné par les premiers mots qui le compose :
Le Cantique des degrés est suivi du dessin du poisson, puis d'un texte en araméen formant une longue litanie d'invocations contre le mauvais œil :
Colonne centraleAprès l'intitulé du feuillet déjà traduit, trois lignes occupent successivement le centre de la colonne. La première est une prière biblique tirée de Nombres 6,25 :
puis une indication de la source du texte qui suit :
sur la ligne suivante, en caractères plus larges et encadrés :
Puis la colonne centrale, qui se divise elle-même en trois parties, est occupée en son milieu par le dessin de la main entourée par le récit de la rencontre du Prophète Élie avec la démone Lilith :
Au dessous, également répartis en trois colonnes la formule :
[les noms des trois anges associés à Lilith dans le récit précédent]
puis encore en dessous, toujours sur trois colonnes :
[les noms des trois couples des patriarches et matriarches].
En médaillon :
et expulsée sous le médaillon, en plus petits caractères, la suite de la formule :
L'ensemble de la formule est accompagné, de chaque côté, par l'injonction biblique [Exode 22,18] rédigée par trois fois dans le sens de la longueur, sous forme d'anagramme en changeant l'ordre des mots :
En bas de la colonne centrale, en français dans le texte, l'indication de l'imprimeur, avec son adresse et son téléphone déjà cités. Colonne de gaucheTout en haut, un autre emprunt à la bénédiction sacerdotale :
dessin de la couronne
Cette ligne, ainsi que les indications suivantes relatives aux personnes qui doivent réciter les bénédictions et aux gestes qu'ils doivent faire, sont en judéo-arabe écrit en caractères hébraïques :
Puis le texte passe à nouveau à l'hébreu pour le texte de la prière habituelle des circoncisions :
Nouvelle indication en judéo-arabe :
Puis à nouveau l'hébreu :
dessin d'une poignée de mains, en signe de l'Alliance
Nouvelle indication en judéo-arabe concernant la bénédiction suivante :
Puis texte de la bénédiction hébraïque :
Indication en judéo-arabe avant la prière en hébreu :
Texte de la bénédiction hébraïque :
CommentaireLa plupart des éléments constitutifs de cette protection pour l'enfant et la parturiente apparaissent dans d'autres amulettes destinées au même usage, et je limiterai mon commentaire à la légende relative à la rencontre du prophète Élie avec Lilith et à la formule contre Lilith. Comme la légende de la Première Ève attribuée pseudépigraphiquement à Ben Sira, celle-ci est attribuée à un rabbin célèbre : le Ba'al Shem Tov, Israël ben Eliezer (1698-1780), réputé pour ses dons de guérisseur et pour les miracles qu'il aurait réalisés en employant des combinaisons des noms de Dieu qui lui valurent son titre de Maître du bon Nom [de Dieu]. Originaire des Carpathes, il est considéré comme le fondateur du hassidisme, mouvement mystique propagé dans l'ensemble du judaïsme par ses disciples, notamment par les descendants de Loew Baer originellement installés dans la ville de Loubavitch (Biélorussie). Toujours désignés par le nom de cette ville, les Loubavitch sont actuellement les représentants les plus importants et le plus actifs du mouvement hassidique Habad. Ce procédé de légitimation pseudépigraphique est redoublé par le contenu même de la légende qui met en jeu un personnage également célèbre, le prophète Élie qui préside toujours aux circoncisions. D'une manière générale, le prophète Élie occupe une place prépondérante dans les croyances eschatologiques juives où il apparaît comme l'annonciateur du Messie. Dans les rituels de la circoncision, le bébé est déposé dans les bras du sandaq "parrain" qui prend place sur un siège, dit le Fauteuil d'Élie le Prophète, pendant l'opération. La présence symbolique du prophète est généralement associée à la référence biblique dans laquelle Élie condamne ceux qui ont abandonné le rituel de la circoncision (1Rois 19,10), mais surtout au Zohar où il est directement invité à participer à toutes les circoncisions. De même, dans le folklore, le prophète Élie est réputé venir en aide à tous ceux qui sont dans le besoin, comme dans le récit de sa rencontre avec Lilith, où il sauve une femme en couches et son enfant, grâce à sa connaissance des formules appropriées. Ici, en dévoilant ses noms au prophète, Lilith le rend maître d'elle, et dès lors, par le pouvoir attribué à l'écriture, la retranscription de ce récit pérennise la victoire primordiale sur Lilith, assurant les futurs utilisateurs de ces noms de la même victoire. Mais les formules elles-mêmes évoluent, et dans des amulettes plus anciennes, en place de "Adam et Ève, Lilith dehors", on trouvait encore "Adam et Ève, dehors Lilith la Première Ève", une réminiscence directe de la légende de Ben Sira qui n'est plus évoquée. On la trouve par exemple sur une amulette (fig. 3) reproduite dans le Sefer Raziel, un livre de mystique et de kabbale pratique attribué au cabaliste Eléazar de Worms qui vécut au XIIIème siècle, mais dont l'œuvre est connue par des impressions plus tardives.[8] Entre les deux cercles qui entourent le sceau de Salomon (une étoile à six branches constituée par deux triangles équilatéraux entrecroisés) on lit "Adam et Eve, dehors Lilith la Première Eve, Shamiel, Hasdiel, Sanaoï, Sansenoï, et Semanguelof, ils sortiront pour toi, pour te garder dans tes chemins. Amen Selah". Autour des cercles, aux quatre coins de l'amulette sont inscrits les noms des fleuves du Paradis : "Pishon, Guihon, Hidekel (le Tigre), Parat (l'Euphrate)". Sur une autre amulette du XIXème siècle, originaire de Perse (fig. 4) Lilith est encore désignée comme "la Première Ève", à l'extérieur d’une figuration humaine naïve. Dans sa concision exemplaire, la formule plus récente "Adam et Ève, Lilith dehors" résume les positions sexuelles respectives recommandées par la tradition judéo-chrétienne à l'homme et à la femme, positions qu'il n'est plus de bon ton d'évoquer explicitement, même dans les amulettes. Par ce rappel du vrai couple primordial et par ceux des patriarches et des matriarches, la naissance de chaque enfant juif est inscrite dans la continuité des généalogies bibliques. Mais ces amulettes n'étaient et ne sont jamais utilisées pour la naissance d'une fille, et ainsi, même devant les démons, les petites filles et les petits garçons ne sont pas égaux. Les mauvais génies ne s'intéressent qu'aux garçons et à leurs mère, parce qu'elles les allaitent, et ne s'attaquent pas aux filles dont la naissance n'est accompagnée d'aucun rituel particulier, si ce n'est celui de la bénédiction du nom introduit plus tardivement. Au-delà de l'inégalité des sexes pérennisée par l'usage de ces amulettes, le pouvoir qui leur est attribué peut apparaître naïf. Elles n'en restent pas moins des expressions contemporaines d'un certain judaïsme pratiqué au quotidien, nourri d'images et de formules puisées à des sources millénaires et hétérogènes.
Notes[1] Au singulier : qame'a ou qemi'a, que l'on rapproche de la racine hébraïque signifiant "lier, nouer", mais qui a probablement une racine étrangère que l'on retrouve dans le mot "camée" qui désigne une broche utilisée aussi comme amulette. [2] Les Juifs de Tunisie, Paris, Ed. du Scribe, 1989, p. 138. [3] De Carthage à Jérusalem. La communauté juive de Tunisie. Catalogue d'exposition, Tel Aviv, Beth Hatefutsot, 1986, p. 40. [4] Le texte original ne comporte pratiquement pas de ponctuation, à la manière des anciens textes hébraïques. Dans ma traduction, j'ai introduit la ponctuation nécessaire à la compréhension du français. [5] Haïm Zafrani, Mille ans de vie juive au Maroc, Paris, Maisonneuve et Larose, 1985, p. 53. L'auteur souligne également "que le rituel se prolonge par une longue veillée au cours de laquelle les femmes, sous la direction d'une conteuse professionnelle, racontent des histoires, des légendes de circonstances [...] Le tahdid devient aussi tahdit 'raconter des récits originaux, converser'" (idem, p.54)". [6] Les traductions des citations bibliques sont empruntées à La Bible traduite par rabbinat français sous la direction de Zadoc. Kahn, Paris, Colbo, 1973. [7] Acronyme du nom du célèbre rabbin-émissaire Haïm Yossef David Azoulaï (1724-1806), né à Jérusalem dans une famille de kabbalistes. [8] Une version de 1701 est citée par Raphael Patai, The Hebrew goddess, New York, Ktav Pub. House, 1967, p. 225.
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