Par Max le mercredi 01 août 2001 - 08h40: |
Garry Kasparov, (Wall Street Journal 9 avril 2001) traduit par Menahem Macina
traduction de l'article du Wall Street Journal par Menahem Macina
Kasparov critique la couverture partisane du conflit israelo-palestinien par la presse occidentale
Par Garry Kasparov, WSJ, 9 avril 2001
Voici, en quelques mots, comment les médias occidentaux exposent ce qui s'est passé au Proche-Orient, ces derniers mois. Tous les ennuis ont commencé avec l'infâme visite d'Ariel Sharon au Mont du Temple. Les Palestiniens se sont spontanément révoltés contre cet affront, et les forces israéliennes de sécurité ont réagi de manière démesurée en dispersant violemment les protestataires sans armes. La réponse rigide d'Israël ne pouvait avoir qu'un seul et regrettable résultat : les événements sanglants continuels auxquels nous assistons aujourd'hui, qui rendent d'autres négociations inutiles.
Le résultat de cette description soigneusement rédigée est que la réputation de l'Etat juif est désormais à son plus bas niveau aux Nations Unies, où elle n'a, à vrai dire, jamais bénéficié de beaucoup d'estime. N'oublions pas que c'est cette même organisation mondiale, qui a voté une résolution condamnant Israël pour avoir détruit le principal réacteur nucléaire de fabrication française de Saddam Hussein, le privant ainsi d'une occasion d'avoir l'arme atomique avant la guerre du Golfe. Entre temps, en Europe, on ne
pleure que sur les "occasions manquées". Cette conception qui voit en Israël un agresseur irresponsable semble reposer sur le présupposé que Yasser Arafat et ses partisans sont intéressés à la paix avec Israël. Mais le sont-ils? Faire la paix avec Israël est-il à l'ordre du jour politique de l'Autorité Palestinienne et des pays arabes voisins? Pour éviter d'autres erreurs dans le traitement de cette situation explosive, il est crucial que nous parvenions à savoir si un accord arabo-israélien a jamais eu la moindre chance, ou si ce n'était qu'une illusion collective issue de nos espoirs secrets. Une vue d'ensemble historique et objective du conflit indique qu'il n'y a jamais eu la moindre chance de paix.
Les populations des pays développés et démocratiques sont peu enclines à opter pour des solutions militaires onéreuses en vies
humaines. Dans les pays pauvres, soumis à des dirigeants autoritaires, c'est habituellement l'inverse; la propagande incitant à la
guerre ou la haine raciale ou religieuse est partie intégrante de la stratégie de gouvernement. Israël est aujourd'hui une réussite
complète, et pas seulement à l'aune des critères modestes de la région. Son existence même est, pour ses despotes voisins arabes, un rappel permanent et lancinant du fait qu'ils maintiennent leur peuple dans une condition misérable. Pour des hommes comme Yasser Arafat, Bashar Assad, les chefs du Hezbollah et consorts, la confrontation permanente avec Israël a toujours été leur seule prétention à la légitimité.
Si la région se calmait à propos d'Israël, les masses arabes tolèreraient-elles la misère noire dans laquelle leurs dirigeants les ont
plongées? Si "les juifs sanguinaires" n'étaient pas identifiés comme responsables de tout ce qui va mal, l'homme de la rue, au Caire, à Amman, à Damas, ou à Gaza, regarderait les vignes des hauteurs du Golan, la croissance rapide de la Silicon Valley [israélienne] de Haïfa, et les rues animées de Tel-Aviv - tout cela créé de zéro au milieu du désert - et tournerait sa colère vers qui la mérite, contre son gouvernement corrompu et inefficace.
La "crise permanente" et l'interminable "processus de paix" se sont avérés être des sources efficaces de revenus pour les
oligarchies arabes. L'aide humanitaire des Nations Unies et les dons financiers considérables d'autres organisations internationales des Etats du Golfe et d'Occident assurent une vie confortable à ceux qui ont la charge de sa répartition. Un accord durable de paix
tuerait la poule aux oufs d'or. En attendant, l'atmosphère désespérée des camps de réfugiés garantit une réserve humaine disponible
à volonté pour les organisations terroristes, qui appellent aux armes dans plusieurs parties du Proche-Orient. La question
négligeable de la responsabilité ne retient nullement l'attention, alors que l'Union Européenne distribue des centaines de millions de
dollars aux pays arabes pour qu'ils contrebalancent l'aide américaine en faveur d'Israël. Dans la pratique, les contribuables, d'un bout
à l'autre de l'Europe, financent indirectement les violentes activités anti-israéliennes. Par exemple, l'opinion publique européenne
n'est pas informée de ce que le projet de [prétendue] "irrigation" du Sud-Liban est contrôlé par les terroristes du Hezbollah, et que ce
projet vise à couper l'approvisionnement en eau, qui provient du fleuve Hasbani jusqu'à la mer de Galilée. Si le plan réussit, Israël
manquera de ressources en eaux vives. Dans le pire des cas, nul doute que le gouvernement israélien n'hésitera pas à déclencher
une opération militaire de grande envergure pour stopper cette "initiative agricole". Auquel cas, naturellement, le cercle vicieux se
répètera : tollé arabe, accroissement des manifestations, discussions à l'ONU aboutissant à une Résolution, bloquée par le seul
veto des Etats-Unis. Et tout cela relayé par CNN.
Les réfugiés jouent également un rôle politique important en augmentant la pression exercée sur Israël au cours des négociations.
En Europe, cette question est d'importance primordiale. Les reportages de la BBC, par exemple, font toujours deux poids deux
mesures. Tous les Juifs ont un "droit au retour" en Israël, mais pas les Palestiniens. Pourquoi les Arabes chassés de leurs maisons
par "des agresseurs brutaux" ne bénéficieraient-ils pas du même droit? Les Palestiniens ont commencé à quitter le pays en raison
de l'hostilité des Arabes eux-mêmes envers Israël. Le premier exode palestinien a été la conséquence de la guerre arabo-israélienne
de 1947-48. La guerre a résulté du refus des Etats arabes - pleinement encouragés par le gouvernement britannique - d'accepter la
partition de la Palestine en deux entités, juive et arabe, décidée par l'ONU. L'état d'Israël nouvellement né a miraculeusement
survécu à cet assaut et a donné aux Juifs du monde une chance de construire leur avenir sur ce morceau de terre aux infimes
ressources naturelles.
La BBC serait-elle également disposée à favoriser de la même manière un droit de retour des Allemands qui furent brutalement
expulsés de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Russie à la fin de la seconde Guerre mondiale? Après tout, elles n'ont pas été
contraintes d'abandonner des masures ni des champs desséchés, mais une terre cultivée et une infrastructure sophistiquée; et
pourtant, la plupart d'entre eux n'ont jamais rien eu à voir avec les crimes nazis.
Les exemples de partialité sont trop nombreux pour qu'il soit possible de les citer tous, bien entendu, mais l'un des cas les plus
flagrants s'est produit en novembre dernier. Dans un reportage du programme, très regardé et leader de sa catégorie, "News Night",
la correspondante de la BBC en Israël, Hillary Anderson, établit un parallèle entre la mort des enfants-manifestants palestiniens et le
récit biblique de la mise à mort de tous les enfants de moins de deux ans par le roi Hérode : le "massacre des innocents".
"News Night", Pourquoi n'y a-t-il personne pour souligner la lâcheté de la tactique permanente qui consiste à envoyer des enfants
affronter la police anti-émeutes? Comme l'intention expresse des dirigeants de l'Autorité Palestinienne est d'obtenir la sympathie du
monde pour les jeunes victimes, les journalistes qui entrent dans leur jeu deviennent complices du processus.
CNN contribue également à cette cause. Dans un reportage sur ce que le Président Bill Clinton et Ehud Barak étaient disposés à
offrir Arafat, la chaîne affirma que l'offre comprenait "95% de la Cisjordanie, l'entièreté de Gaza, ainsi que le contrôle sur le Haram
al-Sharif - que les juifs appellent Mont du temple - lieu saint contesté de Jérusalem-Est [secteur] traditionnellement arabe". Mais
depuis quand ce secteur a-t-il été désigné en anglais par son équivalent arabe et, par ailleurs, dans la tradition de qui est elle
majoritairement arabe?
Durant trois générations, les citoyens d'Israël ont combattu pour leur survie tout en rêvant du jour où l'Etat juif serait assez fort pour
proposer un arrangement final juste à ses voisins arabes. Je ne suis pas un fan de la Gauche israélienne, mais je reconnais la
bonne foi de leurs efforts pour parvenir à ce résultat. Hélas, les tentatives courageuses des dirigeants travaillistes, tels Yitzhak Rabin
et Ehud Barak, pour parvenir à une réconciliation avec leurs homologues arabes n'ont mené nulle part. Il n'y avait pas de véritable
partenaire pour la paix de l'autre côté de la table. Alors que la plupart des Israéliens ont tenté de faire la moitié du chemin en
direction de leurs voisins arabes, ils ont découvert, à leur amère déception, qu'une majorité accablante d'Arabes s'accrochaient
toujours au désir d'assister en définitive à la destruction finale de l'Etat d'Israël. Indéniablement, le dialogue des années 90 n'a pas
amené les résultats escomptés. Il n'y a eu aucune vraie percée depuis le traité historique de Camp David, de1978, entre Menachem
Begin et Anwar Sadate. Inconsciemment peut-être, la presse internationale favorise l'antisémitisme par ses rapports partisans sur
Israël. En présentant l'enchaînement des événements qui ont conduit à la violence quotidienne actuelle d'Israël sous la forme d'un
combat entre David et Goliath, où Israël joue le rôle du géant impitoyable, les journalistes du monde rendent un mauvais service à
l'Etat juif, mais également à la vérité.
Le fait est que l'Etat d'Israël demeure en état de siège, seul aux avant-postes de la lutte pour la démocratie et le capitalisme dans
une région qui, jusqu'ici, a rejeté les valeurs occidentales. En un demi-siècle, le dur travail et la fierté d'une nouvelle nation ont
transformé ce morceau de désert en une terre promise. Le jour de la coexistence pacifique avec ses voisins arrivera, mais avant
cette époque, Israël mérite, sinon la sympathie, du moins la compréhension des journalistes qui servent d'yeux au monde dans la
région.
M. Kasparov, collabore à la rédaction du Wall Street Journal, est actuellement classé comme le meilleur joueur d'échecs du monde.
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