Par Yohan O'Muray (Yohan3005) le mardi 28 août 2001 - 14h52: |
Ca se passe en Libye, à la fin du 19iéme siècle.
Yitzhak a 20 ans. Il est le plus jeune des rabbins de Tripoli. Grand, frêle, débordant de joie de vivre, il est le préféré du grand rabbin. Pas pour son intelligence, qui est moyenne, pour sa voix.
Sa voix était si belle qu’elle privait de la leur toutes les femmes caquetant au balcon de la synagogue ; si belle, qu’elle faisait déserter les synagogues voisines au grand désespoir des autres rabbins de Tripoli ; si belle, qu’elle faisait s’accroupir autour du temple, les jours de fêtes, des foules de plus en plus nombreuses de voisins musulmans.
Un musicologue dirait aujourd’hui : « une voix objective ». Une de ces voix qui t’émeuvent sans que tu saches pourquoi, sans même que tu comprennes ce qu’elles disent, qui te poignardent le cœur et t’arrachent un sanglot instantané béni, de celles qui partagent par une sorte d’électrolyse divine le meilleur du pire de chaque âme. Une voix surnaturelle, au point que les musulmans, eux-mêmes, surnommaient Yitzhak « le rossignol de D_ieu ».
Le Pacha de Tripoli finit par venir l’écouter, un soir de la Pâque, avec toute sa cour. On lui offrit les places réservées aux notables et, comme le plus simple de ses mendiants, le pacha pleura.
En rentrant au palais, le grand turc décida qu’il était inacceptable qu’une voix si belle soit l’apanage de cette race de vaincu, de cette branche chétive et rétive du grand arbre sémite. C’était un affront à l’empire ottoman, une insulte à l’islam.
Le lendemain, il le fit enlever.
« Choisis ! Tu te convertis, et je ferai de toi le plus grand muezzin de l’empire ou tu refuses, et ta gorge sera tranchée. »
La communauté juive resta à tout point de vue sans voix.
Réunion du conseil rabbinique, tentative de médiation des juifs d’Italie et de France installés à Tripoli et qui avaient en main le trafic du port.
Pacha, inébranlable.
« Convertis-toi, Yitzhak », finit par conseiller le grand rabbin au jeune prisonnier en s’essuyant les yeux. « Convertis-toi, mon petit. La vie avant tout commande le seigneur. Si vous mourez, qui m’adorera a-t-il dit, béni soit son nom. Sacrifies toi, ma brebis, sacrifies toi, comme ton ancêtre du même nom pour faire plaisir à son père Abraham. Si tu refuses, ils vont nous massacrer. J’ai déjà vu trois massacres dans ma vie ; je t’en prie, évites en un quatrième à mon troupeau. »
Un mois après, toute la population de Tripoli était réunie sur la grande place entre la mosquée principale et le port. Toute, sauf les 4500 juifs enfermés dans leur quartier, en signe de deuil.
Silence. Un soleil impitoyable embrasait le ciel. Tous les fidèles, tête levée, attendaient de voir apparaître le nouveau muezzin au balcon du minaret. Tous voulaient entendre de la voix sublime du converti : « Allah est grand et mahomet est son prophète », la phrase qui avait au fil des siècles et des épées retournée des millions d’âmes, des extrêmes confins de l’Asie à l’extrême pointe de l’Afrique.
Soudain, en haut de l’aiguille de craie, un jeune homme, habillé de blanc et sans barbe. Yitzhak.
Un murmure parcourt la foule, puis à nouveau le silence.
Le chantre est pris de vertige.
Jamais il n’avait vu la ville de si haut, le ciel chauffé à blanc, la mer infinie, les bateaux, les palmiers et tout là-bas, tout au bout de la ville, comme une dénivellation, comme l’empreinte d’un géant méchant dans la fourmilière des maisons, le mellah, son quartier, sa ville.
La foule attend.
Yitzhak ouvre la bouche.
La voix qui en sort module la première note, la première lettre du nom de D_ieu, avec une ferveur, une emphase, une puissance de souffle inouï.
Mais le « A » qu’il chante n’est pas le « A » d’Allah. C’est celui de « ADON OLAM ACHER MALAH BETEREM KOL YETSIR NIVRA».
Trois cents marches séparent les soldats du Pacha du jeune sacrilège. Yitzhak a tout son temps. Il chante et sa prière se déroule, tranquille, inexorable, au-dessus de la foule pétrifiée.
Quand les soldats arrivent, il a fini. Il ouvre les bras et se jette du haut du minaret dans les bras du seigneur.
( raconté à la radio par Herbert Pagani, qui nous a malheureusement quitté trop tot )
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