La présence juive ancienne au Sahara et en Afrique de l’Ouest. Jacob OLIEL

La présence juive ancienne au Sahara et en Afrique de l’Ouest. Jacob OLIEL

L’hexagramme (étoile à six branches), très répandu au Maghreb, au Sahara et dans toute l’Afrique de l’Ouest peuvent-ils attester une présence ancienne des Juifs dans ces régions. En fait, les liens entre le monde juif et l’Afrique datent à l’époque biblique : non seulement Abraham, Joseph, Moïse… mais les premières « incursions » juives en Egypte remontent au temps des Pharaons ; puis ce furent les communautés anciennes d’Eléphantine (v° av. J.C.), Alexandrie et Fustat. Par l’Egypte, extension vers l’Afrique de l’Est (Falasha d’Ethiopie), la Libye et l’ Afrique du Nord.
Principales migrations juives – volontaires ou non – vers Afrique du Nord :
-X-IX° av JC.
Au temps du Roi Salomon, des marchands hébreux allaient jusqu’en Séfarad (Espagne)
-IX° av JC.
Des Hébreux sont venus avec les Phéniciens de Tyr
-587 av JC.
Destruction du Temple de Salomon (époque de l’installation des Juifs à Djerba et du Sous marocain.
-III° av JC
Persécution et déportation de Juifs vendus comme esclaves par les Romains dans les ports de l’Afrique du Nord
-70 ap. JC. destruction du second Temple par Titus nombreux témoignages archéologiques datant de l’époque romaine : lampes à huile trouvées dans les ruines de Carthage & Cirta, mosaïque à la synagogue de Hammam-Lif, dalle funéraire à Volubilis…
-En 115 & 118
Guerres de Cyrénaïque : une population judéo-berbère importante, s’engage vers l’ouest, longe l’Atlas saharien, pour finalement se fractionner et se fixer au Mzab, au Touat, Tafilalet, Dra’ et Sous …A-t-elle rejoint des populations amies, installées de longue date.  Témoignages de l’époque judéo-berbère :
-Gravure rupestre en hébreu et tifinagh dans l’Atlas saharien
-Judéo-Syriens : fondateurs de l’empire du Ghana 
-Le Judaïsme religion la plus importante en Afrique du Nord, au temps de St. Augustin
-St Jérôme : comptoirs juifs de l’Inde aux ksour du Sahara
-VII° s. Expulsion des Juifs d’Espagne (613 par le roi Wisigoth Siseboth, 694, après le Concile de Tolède)
-675 : conquête arabe et arrivée des Juifs d’Arabie (les Beni Kheibar ou Beni Moussa)
un modèle de réussite étonnant : Le TOUAT
Le TOUAT- GOURARA – TIDIKELT – 400 km sur 120 – est une province du Sahara aujourd’hui rattachée à l’Algérie, à un millier de kilomètres au sud de la Méditerranée.
-Population initiale constituée de Haratine d’origine africaine, de Berbères et de Juifs et qui va enregistrer l’arrivée d’immigrants qui ont apporté des techniques utiles au développement économique de la région :
Les Zénètes après le V° siècle devaient révolutionner le Sahara avec l’introduction
1.- le chameau, qui a permis d’augmenter le rayon d’action des caravaniers et de développer les échanges transsahariens,
2.- le palmier ( création des oasis )
A partir du VI° s., de Juifs irakiens apportent la technique des foggara (système particulièrement ingénieux de canalisations permettant de capter l’eau de la nappe et de la diriger – à l’abri de l’évaporation – jusque dans les jardins…)
Devenue plaque tournante du commerce caravanier transsaharien aux XII°-XIV° siècles, grâce à ses ressources en eau et au dynamisme de ses marchés d’échange, la région assure sa prospérité :
Marchandises échangées :
1. Maghreb – Afrique : argent, cuivre, sel, cotonnades, armes, manuscrits, dattes, henné, tabac, verroterie…
2. Afrique – Maghreb – Espagne : ivoire, or en poudre, plumes d’autruche, esclaves…
Le rôle de l’entité juive ne sera connu qu’au début du XX°, après la mise au jour de témoignages épigraphiques et de chroniques locales :
– découverte de la pierre tombale gravée en hébreu en 1329 de Mona, fille de ‘Amran par E.F. Gautier en 1903 à Ghormali
– collecte par l’officier-interprète A.G.P. Martin[1], des récits et chroniques locales qui ont permis de mieux connaître ce passé :
« Les Indigènes racontent que les ksour de Tamentit furent créés par les Juifs l’année de l’éléphant. C’est ainsi que les Arabes désignent l’année au cours de laquelle eut lieu l’expédition qu’Abraha, prince éthiopien, entreprit contre la Mecque pour renverser le temple de la Kaaba ; Abraha montait un éléphant blanc. »*[2]
« [Les] populations arabes trouvèrent dans ce pays une partie de celles qui l’avaient mis en culture dès le début : c’étaient les Beni Israël »
« Mon hôte, le Mrabet Sidi Youssef, avait appris de son aïeul que ces Juifs avaient été les premiers habitants du Touat et qu’ils y existaient comme nation en 260 [905]. J’ai pu voir moi-même leurs synagogues et leurs boutiques à arcades ».
D’après le voyageur Helal ben Messaoud, venu de Mossoul (Irak) [qui] s’est arrêté en l’année 131 [748-749 apr. J.-C.] à Takhfif… ; il amenait avec lui des commerçants juifs qui (…) y trouvèrent mention sur les tombeaux des Juifs qui avaient abandonné ce pays, que ceux-ci y étaient arrivés en l’année 4429 de la sortie d’Adam […]. C’était vers l’an 5 après J.-C. … »[3]
Les sources d’origine hébraïque, restent assez discrètes, en dehors de quelques documents rabbiniques des XIV & XV° siècles.
– au IX° l’existence et sa prospérité de l’entité touatienne sont connues à l’extérieur, ce qui ne sera pas sans conséquences :
– XI° incursion des Beni Hillal, puis des Almoravides.
Paradoxe : au moment où va se dessiner le déclin du Judaïsme au Maghreb, les auteurs arabes révèlent une présence antérieure des Juifs au Sahara et au Soudan :
-AL IDRISSI[4] évoque, sur le « territoire des Lamlam … deux villes.. MALLAL .. DAW .. [où] les gens… sont des Juifs », [puis] « KAMNURIYYA [dont] la population… prétendait être juive. »
-IBN SAID cite « la ville de LIMI [dont les] habitants sont juifs ».
-AL ZUHRI affirme que « les gens de KARAFUN … suivent la religion juive », « lisent la Torah ».
-IBN ABI ZAR fait état de « tribus (qui) habitaient près d’une ville appelée TATKLASIN , (et) suivaient la religion juive ».
Pendant ce temps, au Sahara, rien n’a changé, apparemment, au point que Charles de La Roncière a parlé d’une ERE JUIVE au Sahara .
– Une lettre datée de 1235[5], trouvée dans la Guenizah[6] du Caire (Lettre d’Is’haq ben Ibrahim al Touaty[7]) fait état d’un commerce caravanier par le Touat, entre Marrakech (safran, lingots d’argent et l’or africain …) et Fustat (Le Caire : perles, des foulards et des tapis d’Orient …
-Stèle de Mimoun ben Shmouel, ben Braham, ben Kouby gravée en hébreu en 1390, à Tamentit, qui confirme l’existence, au XIV° siècle, de rabbins érudits et de spécialistes en lithographie. -Relation d’Antonio Malfante*[8] un marchand génois envoyé à Tamentit en 1447 pour tenter de trouver une source d’approvisionnement en or africain – indépendante des états maghrébins -. Or, Malfante a séjourné au Touat assez longtemps pour s’informer sur tout ce qui, à l’époque, préoccupait les Européens : les marchés d’échange de Tamentit et le commerce caravanier transsaharien, la source de l’or et les grands centres commerciaux du bassin du Niger et le si fameux Prêtre Jean*[9]. Sa relation reste le témoignage unique et précieux du rôle joué par les Juifs, moins d’un demi-siècle avant la fin de leur étonnante aventure.
Car le bel équilibre est menacé par les arrivées ininterrompues de tribus nombreuses et souvent turbulentes, les tensions sont aggravées par les pénuries alimentaires et les famines. Au XIV°, la région est secouée par des conflits et affrontements qui rendent particulièrement inconfortable la situation des Juifs, désormais minoritaires et regroupés à Tamentit. Aucun étonnement donc, lorsque Léon l’Africain*[10] de passage au Gourara, annonce que l’aventure du petit royaume*[11] juif saharien a été brutalement interrompue en 1492, par un prédicateur musulman venu de Tlemcen, scandalisé de voir à Tamentit des « Juifs arrogants » auxquels n’est pas appliqué, comme au Maghreb, le statut infamant des dhimmis.*[12].
Il saisira le prétexte de la construction (autorisée par le Qadi Al Asnouni) d’une nouvelle synagogue à Tamentit, pour alerter les uléma*[13] de Fès, Tlemcen, Ténès et Tunis et décider la destruction de l’édifice. Le succès de l’opération l’incite, dès le lendemain, à ordonner le massacre des Juifs, en promettant 7 mitkals d’or par tête de Juif assassiné.
Les rares rescapés se sont partagés entre une adhésion à l’Islam, pour demeurer au Touat (les Mohagrin* = humiliés), la mort ou l’ exode massif à travers le Sahara, tant vers le Nord que vers le Sud …
Que reste-t-il de cette extraordinaire épopée ?
1. au Touat le réseau de foggara
Un toponyme d’origine hébraïque : Fenoughil
des toponymes arabes rappelant la présence juive ancienne : Ksar Lihoud, Rjem Lihoudi, Theirat Lihoud…des restes de tradition juive : habitants qui n’allument pas de feu le samedi.
Un chant d’Ahellil[14] en usage chez les Berbères zénètes du Gourara, il pourrait remonter à la destruction (en 587 av. JC ) du premier Temple : il chante la gloire de Salamo (Salomon ?) …les patronymes Abani, Gourari, Tamesti, Touati (variantes : Ettouati, Touitou, Chaouat…), Zenati … portés par les descendants des Juifs touatiens 
les patronymes berbères de beaucoup de Juifs d’A. F. N. : ABOUKRAT – AFLALO (de la tribu des Aït AFELLA) – AUDAY, AOUDAY (en berbère : « Juif ») – AZAGOURI, ZAGOURI (de Zagora, ville du Dra’) – AZANCOT (en berbère : « gazelle ») – BAHLOUL, de la tribu des BAHLOULA – BRANES – MEDIONI (de la tribu des MEDIOUNA)… et inversement,
les patronymes juifs des berbères d’A. F. N. : KAHINOU, AMRAN, ICHOU, MIMOUN…
2. A travers le Sahara
Si les premiers voyageurs européens ont rencontré des Juifs – dès le XV° – et si, au XIX°, la plupart des explorateurs ont eu des guides juifs …), de l’exode éperdu à travers le Sahara (en 1492), pour rejoindre des groupements installés à la lisière du désert ou en Afrique noire, il est resté les nombreux et éventuels descendants :
1.- en Mauritanie : les M’almine, ces forgerons appelés Ihoud jusque dans les années 1950. (Beaucoup, du reste, paraissent avoir reçu en héritage les techniques et les motifs de décoration traditionnels des Juifs du sud marocain)…
2.- dans le monde touareg
nombre de tribus disent conserver le souvenir de leurs origines juives :
-Enaden (forgerons)
-Daga[15]
-Ida Ous’haq & Igdalen,
Rencontre fortuite ou réelle influence ? Quelques éléments lexicaux, identiques à la forme hébraïque, sont pour le moins troublants.
3. Au Soudan
-Près du lac Fati, dans la boucle du fleuve Niger, d’autres Juifs touatiens auraient trouvé asile parmi les Banou Israël[16] établis de longue date, comme d’autres individus ou groupements installés dans les régions aurifères et qui ont initié le grand commerce de métal précieux longtemps avant l’arrivée des Musulmans.
Autres cas : Rufisque (Sénégal), Cap Vert, l’île de Sao Tomé…
Existe-t-il, à ce jour, des descendants de ces Juifs africains ?
Des tribus ou de groupes revendiquent leur appartenance au Judaïsme : Peuls, Zakhor, Boganda…
Somme toute assez peu de chose en dépit des 25 à 28 siècles de présence juive… Quoi d’étonnant si l’on considère la période la plus récente ?
-1950-60, encore 6 à 700 000 Juifs au Maghreb 
-aujourd’hui, moins de 10 000 entre Maroc et Tunisie, 200 à peine, en Algérie où il n’existe plus de synagogues ni de cimetières dans la plupart des localités …
-en Afrique de l’Ouest, hormis quelques voyageurs de passage, il ne se rencontre plus de Juifs.
Et, évidemment, aucune mention dans les livres d’histoire… 
Jacob OLIEL
Blois, 25 octobre 2003
[1] Martin, AGP (1908) – (1923)
[2] Al Sayyid Mohammed al Taïb ben Hadj Abd er Rehim al Touati el Tamentiti El Koreïchi tel qu’il se nomme lui-même dans sa fameuse chronique « Al Kaoul al Basit fi Akhbar Tamentit » par Louis Watin, traducteur du Tamentiti (note p. 225) 
[3] Martin, A.G. P, 1923, p. 74, 76, 100.
[4] IDRISSI ( p. 130 § 203) et (p. 145 § 233) ; IBN SAID (p. 204 §§ 341-342) AL ZUHRI (p. 121 § 192) IBN ABI ZAR (p. 231§388),
[5]datée par S.D. Goitein, Letters of Medieval Jewish Traders, Ed. Princeton University Press, 1973
[6] Crypte où sont conservés les papiers-livres inutilisables, mais qui ne peuvent être détruits, le nom divin y étant inscrit
[7] documents de la Genizah du Caire Cambridge University Library, coll. « Taylor- Schechter », Arabic Box 53, f 66 & 67.
[8]La Roncière, III- 1925 et Escudier-Oliel (à paraître)
[9] Dans une Europe du XII° inquiète des avancées de l’Islam et qui rêvait d’un libérateur venu de l’Orient, le mythe du Prêtre Jean (qui était en fait un Prince d’Ethiopie) a permis d’entretenir l’espoir jusqu’au XV°
[10]« Tegorarin [il s’agit du Gourara, que Léon traversa vers 1506] est grande contrée au désert de Numidie. Il y soulait jadis habiter des Juifs fort riches, qui par le conseil et la suasion d’un prédicateur de Telemsin furent tous saccagés […], ce qui advint en l’année même que les Juifs furent expulsés par Fernand, roi d’Espagne et Sicile. »
[11]Le mot n’est pas à prendre ici dans son acception européenne puisque le Touat n’avait ni roi, ni armée ; il s’agissait plutôt d’une entité économique
[12]Le statut de Dhimmi imposé aux non-musulmans est fondé sur le principe du rachat de l’erreur consistant à ne pas reconnaître le vrai Dieu, ce qui se traduit par le versement d’un impôt et les marques distinctives de l’abaissement supposant le port d’un costume spécial, et c…
[13]docteurs de la loi en Islam
[14]Ahellil vient de l’hébreu et a la même racine que halléluïa (glorification) Mouloud Mammeri, L’Ahellil du Gourara, 1985 et disque 3 C 064 – 18079 M (EMI-UNESCO collection)
[15] Mardochée aby Serour, les Daggatoun (traduction I. Loeb), bulletin de l’A.I.U., janvier 1880
[16] groupement juif de maraîchers de la région de Tendirma (localité située à 80 km, au sud-ouest en aval de Tombouctou), connus pour avoir foré des puits dont les parois étaient patinées au beurre de karité, ce qui leur permettait d’obtenir une eau de qualité pour arroser leurs légumes.

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