L’Arabie Saoudite, l’Iran, Israël, le Liban et la guerre

L’Arabie Saoudite, l’Iran, Israël, le Liban et la guerre (info # 011411/17) [Analyse]

Par Michaël Béhé à Beyrouth © Metula News Agency

 

L’Arabie Saoudite et l’Iran sont sémantiquement en état de guerre. Les deux pôles focalisant les deux tendances principales de l’islam, les sunnites – 90% des 1.4 milliards de musulmans - et les chiites – les 10% restants -, n’ont jamais connu de trêve réelle, mais leur antagonisme est en train de s’enflammer. Techniquement, cela survient à la suite du tir d’un missile balistique sur Riyad, lancé depuis le Yémen, dont les Saoudiens accusent, probablement à raison, Téhéran et ses supplétifs du Hezbollah libanais.

 

Depuis, les menaces et les surenchères vont bon train. Les citoyens du royaume ont été invités par leur gouvernement à quitter le pays aux cèdres séance tenante, comme si l’éclatement d’un conflit était imminent. Le Bahreïn et d’autres pays du Golfe ont émis le même avertissement à l’intention de leurs ressortissants.

 

Donald Trump a félicité le Roi Salman et son fils, Mohammad, accessoirement ministre de la Défense, pour leur décision, affirmant qu’ils savaient pertinemment ce qu’ils faisaient.

 

Les compliments du président américain concernent également la décision des souverains de faire enfermer ou d’écarter des affaires plus de deux cents ministres, princes et dignitaires du régime, accusés de corruption. Parmi ceux-ci, onze princes, tel Aloualid bin Talal, l’un des plus grands hommes d’affaires du royaume, ou Moutaïb bin Abdullah, le fils du roi précédent et ex-chef de la Garde nationale.

 

Le soutien du président américain est d’autant plus appuyé que certains des responsables évincés, à l’instar de Khalid al-Tuwaijri, l’ancien chef de la Cour Royale, Ibrahim al Assaf, le ministre de l’Economie déchu, ou encore Abdullah al Sultan, le commandant de la Marine saoudienne, n’étaient pas favorables à la politique de Donald Trump, à l’accentuation du différend avec l’Iran et au rapprochement avec Israël.

 

Depuis la purge, les critiques fusent aussi contre le Liban, contre lequel Riyad a lancé une offensive diplomatique tous azimuts. Les ressortissants de ce pays sont dépeints comme des hommes d’affaires sans scrupules qui multiplient les promesses de charlatans et vectorisent les commissions/bakchichs entre les décideurs saoudiens corrompus. Le Prince Mohammad bin Salman, 32 ans, le nouvel homme fort de la monarchie, le grand réformateur et successeur désigné au trône, considère que nombre de Libanais sont en fait des agents de l’Iran sinon des agents doubles, et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne les tient pas dans son cœur, tout comme les Palestiniens.

 

Pour le dauphin du Roi Salman, les dirigeants de l’Autorité Palestiniennes sont des fantoches sans importance, dirigeant un mythe sans passé et sans avenir, pour tout dire, des boulets. Quant au Hamas, c’est simplement à ses yeux une organisation terroriste islamiste issue des Frères Musulmans égyptiens, qui comptent parmi les pires ennemis des Ibn Saoud.

 

Pour l’instant, Riyad n’a pas les moyens de porter la guerre au Liban, mais il peut sanctionner lourdement le pays aux cèdres en lui imposant des sanctions économiques, qu’elles soient officielles ou non d’ailleurs. Sans l’argent saoudien, Beyrouth est une capitale arabe pauvre.

 

Ce qui explique pourquoi les dignitaires libanais sunnites et chrétiens se succèdent chez les al Saoud, afin qu’ils ne mettent pas tous les Libanais dans le même panier. Jusqu’au patriarche maronite, le Cardinal Raï, qui est venu rencontrer le Roi Salman dans son palais, pour lui rappeler que Bkerké [le siège de l’Eglise maronite] a toujours tenu ses distances avec l’Iran et ses supplétifs du Hezbollah.

 

Car c’est la nouvelle exigence que Riyad entend imposer aux sunnites et aux chrétiens libanais : cesser de cautionner ou de tolérer la présence des Perses et de leurs porte-flingues chez eux et les considérer comme des envahisseurs et des ennemis. C’est le message que Saad Hariri, le Premier ministre démissionnaire, est censé propager ; il s’y attèlera en rentrant à Beyrouth après un long séjour dans la péninsule arabique où il est l’hôte du roi. Evidemment qu’en revenant chez lui, il mettra sa vie en danger, s’exposant à un attentat du Hezbollah et des services syriens, comme celui qui a coûté la vie à son père, Rafic, le 14 février 2005.

 

De plus, il va placer le Président maronite Michel Aoun devant un choix impossible : lâcher le Hezb, qui contrôle militairement le Liban, ou se faire lâcher par l’Arabie Saoudite et le monde arabe, ce qui en ferait, plus encore qu’actuellement, une marionnette entre les mains des ayatollahs iraniens.

 

Mais des problèmes coalitionnaires d’Aoun, les gardiens de la Mecque n’ont cure, ce n’est qu’un vieil ambitieux sans colonne vertébrale à leurs yeux. De toute façon, ils ne font qu’avancer l’heure de sa détermination, celle qu’exigeront les Israéliens lorsqu’ils déclencheront leur guerre avec le Hezbollah au Liban. Ce sera un instant dramatique, durant lequel Aoun décidera du destin de notre pays : soit couler avec les Iraniens et revenir au temps des arcs et des flèches, comme se plaisent à le répéter les généraux hébreux, soit participer à une nouvelle guerre civile aux côtés des Israéliens, des sunnites et des chrétiens et face aux chiites.

 

La nouveauté est que le monde arabe a déjà choisi son camp, en espérant que Binyamin Netanyahu se trouve contraint par les évènements en Syrie de procéder à une guerre préventive. A Beyrouth, il se murmure, mais suffisamment haut pour que cela soit audible, que Riyad a promis à Jérusalem de couvrir tous les frais de la guerre si elle envoie Tsahal débarrasser le Liban des chiites. De plus, le Roi Salman aurait promis à Netanyahu une normalisation complète avec le monde arabe et l’abandon de la cause palestinienne s’il parvient à ses fins.

 

Non seulement c’est probablement très tentant pour le Premier ministre hébreu, ça lui assurerait entre autres d’échapper aux poursuites policières qui se rapprochent quotidiennement de sa personne, mais aussi, les Saoudiens lui montrent, par des comportements d’alliés, qu’ils ont déjà tourné la page de la confrontation arabo-juive.

 

La coordination militaire entre les deux pays se renforce, celle entre les services de Renseignement fonctionne à plein rendement, et les ventes de matériel israélien, de même que le recours aux conseillers hébreux pour combattre les Houthis yéménites et se préparer à la confrontation face à l’Iran se chiffrent en milliards de dollars.

 

Reste que l’on n’attire pas Israël dans une guerre s’il n’en conçoit pas la nécessité. Mais justement, l’évolution stratégique régionale semble pousser Jérusalem à entrer en conflit avec l’Iran en Syrie et au Liban. Ainsi, en dépit des demandes insistantes du chef d’état-major de Tsahal, Gadi Eizenkot, le tout récent plan de démilitarisation du sud syrien, conclu la semaine dernière entre les Américains et les Russes, permet aux Iraniens et à leurs supplétifs du Hezbollah de s’approcher par endroits jusqu’à 5km de la partie israélienne du Golan. Le plan prévoit certes que tous les éléments étrangers à la Syrie quittent ce pays, mais de manière absconse, sans fixer de date butoir pour leur départ. Pire encore, du point de vue hébreu, Poutine vient de répéter que la présence des Iraniens dans la "république" démembrée de Bashar al Assad était "légitime".

 

Or la direction politique et militaire de nos voisins méridionaux répète pour sa part à l’envi que l’établissement permanent de forces perses en Syrie constitue une ligne rouge infranchissable pour Israël et que l’Etat hébreu n’hésitera pas à intervenir au-delà de ses frontières pour l’empêcher.

 

Prosaïquement, l’avenir d’Israël, mais aussi du Liban et de toute la région, pourrait dépendre directement de l’issue des combats qui se déroulent dans la vallée de l’Euphrate, au fin fond de l’est syrien. Si la "coalition américaine", en particulier les Kurdes des Forces Démocratiques Syriennes, parviennent à couper le corridor iranien, Téhéran ne sera pas en mesure de transférer des soldats et du matériel en nombre suffisant pour menacer l’Etat hébreu sur ses frontières du Nord. Si, en revanche, cet axe devait se trouver entièrement sous le contrôle de la "coalition russe", rien n’empêcherait les ayatollahs de porter le danger aux confins de la Méditerranée.

 

La semaine dernière, les Russes et leurs alliés gouvernementaux syriens, iraniens, libanais (Hezbollah) et irakiens (milices chiites) ont subi deux revers militaires importants. Ils ont été refoulés des villes d’al Quriyah et d’Abou Kamal (carte) dont ils avaient pris le contrôle du fait d’une contre-offensive dévastatrice des miliciens de l’Etat Islamique. Ce, en dépit de l’appui écrasant de l’Aviation, de l’Artillerie et des commandos de Poutine.

 

Inversement, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), qui ont concentré d’importants moyens au nord de l’Euphrate, poursuivent imperturbablement leur progression en direction à la fois de la frontière irakienne et de l’axe iranien (en vert sur la carte), situé à quelques kilomètres au sud de l’Euphrate.

 

A certains endroits, comme à Darnaj et à l’est d’Hajin, ils ne sont qu’à 5, voire 3km de ce corridor stratégique. La poussée des FDS dans ces deux zones n’est pas fortuite, c’est là que se situent les deux seuls ponts permettant de franchir le fleuve : un pont routier pour se rendre à al Asharah, et ferroviaire, pour rejoindre al Jalaa.

 

Mais leur franchissement tarde, et ce délai soumet à rude épreuve les nerfs des responsables saoudiens, israéliens, libanais et jordaniens. Le soupçon d’une entente secrète entre Donald Trump et Vladimir Poutine ne s’est pas encore totalement estompé ; les deux hommes ont l’air de bien se comprendre, et la rhétorique guerrière résolument anti-iranienne du pensionnaire de la Maison Blanche peine à se traduire par des actes.

 

L’hypothèse selon laquelle le tzarévitch détiendrait des informations compromettantes sur une éventuelle collusion entre la Russie et Donald Trump pendant la campagne présidentielle persiste dans les esprits.

 

A la rédaction de la Ména à Métula, on dit que la capture d’al Asharah et/ou d’al Jalaa sera le vrai juge de paix dans cette affaire. Mes camarades rappellent aussi que la prise du contrôle d’une portion du corridor iranien [afin de le couper. Ndlr.] constitue l’objectif essentiel de l’offensive "Tempête de Jazeera" lancée le 9 septembre dernier, pour laquelle les combattants kurdes ont déjà payé un lourd tribut en morts et en blessés.

 

Des points de vue stratégique et tactique, rien n’empêche – les Russes n’occupent pas la berge sud de l’Euphrate dans cette zone – la "coalition américaine" de lancer l’assaut. Si elle ne le fait pas ou si elle patiente trop longtemps, son inaction serait incompréhensible sur le plan militaire, et il faudrait chercher son fondement ailleurs.

 

Est-il bien nécessaire de préciser qu’outre les très grands intervenants, l’Amérique et la Russie, les grands intervenants, Israël, les Etats sunnites et l’Iran, les Libanais se sentent très concernés par ces évènements. La plupart d’entre eux, ceux qui désirent vivre dans un Etat indépendant, jugent que la démission de Saad Hariri est un acte courageux, que le raidissement de l’Arabie Saoudite est une bénédiction ainsi que l’alliance arabo-israélienne. Que ces avatars constituent peut-être la dernière chance pour notre pays d’échapper à l’emprise Iran-Hezbollah qui nous impose une violence quotidienne.   

  

Téhéran et sa milice supplétive libanaise font tout pour obliger le Liban à se trouver mêlé à un conflit dans lequel il n’a aucun intérêt, auquel son gouvernement légitime n’a pas décidé de participer, et qui pourrait nous infliger un niveau de destruction que nous n’avons jamais connu, pas même aux pires heures de notre Guerre Civile.

 

Ceux qui prétendent que la démission d’Hariri n’a pas soulevé un vent d’espoir chez soixante-dix pour cent des Libanais ne disent pas la vérité. Ceux qui œuvrent à étouffer cet espoir ne sont pas nos amis et poussent à notre disparition ou la souhaitent.  

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