AU FESTIVAL JUDÉO-ARABE DE MOLENBEEK : «UN ARABE, C’EST QUOI ? UN JUIF, C’EST QUOI ?»

Par Dounia Hadni— Liberation

Sur le thème d'Esther et Shéhérazade, un festival judéo-arabe se déroule pendant huit jours à Molenbeek. Une première dans la commune belge qui souffre d'une réputation catastrophique depuis les attentats de Paris de novembre 2015.

«Shalom» et «salam», ça signifie à la fois «bonjour» et «paix» en hébreu et en arabe, l’hébreu et l’arabe sont toutes les deux des langues sémitiques, qu’on écrit de droite à gauche… Ce n’est qu’une toute petite partie des connaissances que les gens venus assister au festival judéo-arabe, sur le thème d’Esther et Shéhérazade, à Molenbeek (au nord-ouest de Bruxelles), emportent précieusement avec eux. Un festival qui propose divers ateliers entre le château de Karreveld et la maison des cultures de la commune pour toucher un public diversifié. Au programme : des contes, des chants, des blagues, une initiation aux deux langues, une exposition photo de juifs au Maroc dans les années 50…

Dans l’antre du château, un ancien domaine de trois hectares traversé par un lac qui fait office de parc public communal, vendredi soir, deux conteurs musiciens, Mousta Largo et André Reinitz, donnent le ton. Devant une centaine de personnes, essentiellement des femmes de la commune et des communes avoisinantes venues entre copines, quelques enfants et une ribambelle d’adolescents, Mousta largo lance une première boutade : «Vous mettez un juif et un arabe, vous avez trois avis.» André enchaîne sur une autre, se dispute la parole avec Mousta dans une ambiance bon enfant. Tout ceci, ponctué de chants de paix en hébreu et en arabe, parfois de chants légèrement grivois, déclamés avec les spectateurs. Certains dans le public retrouvent amusés les blagues que leur racontaient leurs parents dans l’humour juif. D’autres comme Bilal, un bénévole d’une vingtaine d’années, se réjouissent de ce retour avant de concéder : «Si tout était rose à Molenbeek, on ne serait pas là à faire des événements.»

Un peu après le spectacle, on retrouve les deux artistes et vieux copains dans une salle consacrée aux cérémonies de mariage. «Attention, je vous conseille de choisir le circoncis des deux», ose Mousta, dans un éclat de rire. Et, chacun son tour, d’exprimer son rapport à son identité propre et à Molenbeek.

«On met au défi les antisémites de trouver le mauvais juif»

«J’ai vécu huit ans à Molenbeek quand j’étais chauffeur de bus. C’est triste que cette commune se retrouve noyée dans les préjugés après les attentats terroristes de Paris, mais que voulez-vous, on peut raconter mille contes fabuleux, ça ne vaut rien à côté d’un Salah Abdeslam. Le fait que ces jeunes-là aient grandi ici, ça a créé une méfiance incroyable. Aujourd’hui, alors que j’ai tout d’un bobo, on me renvoie vingt ans en arrière, à un bougnoule de Molenbeek à potentiel islamiste», regrette Mousta Largo.

André Reinitz, qui n’a jamais vécu à Molenbeek, se dit très heureux de faire partie de ce projet de rencontres et d’échanges. «Un arabe, c’est quoi ? Un juif, c’est quoi ? C’est essentiel, aujourd’hui plus que jamais, de se poser cette question pour faire un pas vers l’autre. En tant que médiateur culturel très actif au sein de la communauté juive, je me dois de transmettre cette multiculturalité, en montrant à quel point les juifs sont différents les uns des autres. Un sépharade, par exemple, n’a pas grand-chose à voir avec un ashkénaze, ne partage ni sa langue ni son humour. En démontrant toute cette multitude, on met au défi les antisémites de trouver le mauvais juif. Moi, hongrois, belge, juif, je remarque qu’on ne cherche pas à connaître l’opinion de la diaspora juive la rattachant systématiquement à celle de l’Etat d’Israël : très peu de personnes savant qu’en Israël, 30% de juifs se battent contre la politique de Nétanyahou.»

«Avant de venir, j’avais l’impression que ça ne me concernait pas en tant que musulmane voilée»

Le lendemain, samedi, à la maison des cultures, Zohra sort ravie de l’atelier de langues ludique animé par l’association Parler en paix. Cette infirmière de 43 ans née à Molenbeek, belge d’origine marocaine, avait quelques appréhensions : «J’avais l’impression que ça ne me concernait pas, qu’en tant que musulmane voilée de surcroît, les juifs n’allaient pas apprécier ma présence. Mais je me suis sentie rapidement à l’aise. Je n’avais jamais fait le lien entre le salam et le shalom, je ne savais pas que l’hébreu et l’arabe étaient si proches phonétiquement et historiquement. Je réalise de plus en plus que le conflit israélo-palestinien est d’ordre politique et qu’il n’a pas à être importé chez nous. J’ai échangé avec une dame de confession juive tout à l’heure qui m’a donné envie de visiter le musée juif de Bruxelles, ce qui ne m’aurait même pas traversé l’esprit avant. J’emmènerais mes petites nièces la semaine prochaine à la soirée de contes juifs et arabes.» Ibrahim, 34 ans, partage ce constat sur l’importation du conflit qui accentue les amalgames «de type juif=israélien et arabe=musulman». Quant au choix de Molenbeek, Zohra y voit un symbole fort même si elle s’est toujours sentie en sécurité ici. «Quand je me balade dans une autre commune, je sens des regards méfiants qui se posent sur moi à cause de mon voile. Ici, au moins, je fais partie du décor», dit-elle en montrant son corps, amusée. Elle précise néanmoins que la mauvaise réputation de Molenbeek ne date pas d’hier, perçue comme une commune très pauvre et refermée sur elle-même. Son seul bémol : la quasi-absence de jeunes à ce genre d’atelier.

Comme Zohra, plusieurs personnes ont manifesté leur enthousiasme à l’idée d’entrer en contact avec une langue, en dehors du contexte religieux : «C’est vrai que l’arabe existait avant le Coran et n’avait rien de sacré. On ne le dit pas assez souvent», réagit un des participants, venu spécialement de Paris avec sa petite fillle. Quand un autre rebondit : «Le perse s’écrit en lettres arabes, le turc aussi jusqu’en 1923.» Un juif marocain âgé d’une cinquantaine d’années, pourtant arabophone de culture juive, s’étonne lui aussi de découvrir autant de similitudes entre les deux langues, et trouve dommage qu’on ne l’enseigne pas dans les écoles.

 

«Il n’y a rien de plus fort que le pain pour rassembler»

A l’atelier de fabrication du pain, le public est plus familial. Il y en a pour touts les goûts : le pain irakien, la pita, le pain marocain, syrien, juif. «Regarde, j’ai préparé ton pain», lance une femme voilée avec fierté à Michael, en mettant avec précaution la hallah (pain juif qu’on mange pour le shabbat) au four. Michael, ici reconnu pour son talent de faiseur de hallah, est dans la vie un informaticien de 59 ans, habitant de Forest (une commune voisine). S’il est là, ce n’est pas pour redorer le blason de Molenbeek, mais parce qu’il aime faire et apprendre à faire son pain, «une cérémonie en soi». «Je suis juif belge né au Maroc, le pain que je vois ici, ma mère aussi elle le fait, dit-il en indiquant deux jeunes femmes qui préparent la pâte. J’ai vécu en Israël où on mange aussi du pain irakien et syrien. A mon sens, il n’y a rien de plus fort que le pain pour rassembler», assène-t-il comme une évidence.

Sarah Turin, adjointe au maire et une des organistarices du festival, explique comment petit à petit cet événement a pu voir le jour. «On a commencé à préparer le terrain en organisant notamment une rupture du jeûne dans une église et un repas de Noël dans une mosquée.» «Des deux côtés, il y avait des tensions, admet-elle. Oui, on peut rapprocher les communautés en parlant religion, autour de repas qui drainent 300 à 600 personnes, mais c’est trop facile. Là, on essaye de pousser encore plus loin l’échange.»

«L’initiative est bonne mais un peu biaisée, on prêche des convaincus»

Avant de partir, on bavarde avec Olivier, 39 ans, parfumeur et animateur olfactif qui a mené lors de ce festival l’atelier autour des parfums d’Andalousie. «Ça peut paraître étrange d’utiliser le parfum pour montrer les similitudes entre arabes et juifs mais la culture du parfum, sacré, est une des choses qui rapprochent le plus arabes et juifs à travers leurs rituels. Mon but était de faire sentir au public des matières premières associées à des odeurs de tous les jours, comme le thé ou le cumin, pour montrer leur héritage culturel commun», explique-t-il avec passion avant de nuancer l’impact d’un tel événement.

«Le fait que ce festival se déroule à Molenbeek, c’est bien, mais attention, on retrouve les mêmes préjugés dans les quartiers huppés où vous ne voyez pour le coup aucun immigré. Il faudrait faire le même travail là-bas aussi.» Sur la réceptivité des participants, il se montre satisfait, pas dupe pour autant : «C’est une très bonne initiative mais franchement, je trouve ça un peu biaisé : ici, dans les maisons culturelles, on prêche des convaincus, ce n’est pas très audacieux. Je pense qu’il faudrait viser un autre public, plus difficile d’accès. Ce qui peut passer par le choix d’un lieu plus neutre ou au contraire plus marqué comme : une mosquée, une place publique ou une maison de quartier.»

Dounia Hadni @douniahadni

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