Tunisie : Tataouine s'embrase

REPORTAGE. Le Sud tunisien est le théâtre de violents affrontements. La contagion menace sur fond de régionalisme, d'or noir et de marginalisation chronique.

PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS,  | Le Point Afrique

 

En une matinée, la situation dans le Sud tunisien a basculé de la contestation à la rébellion. Depuis plusieurs semaines, plusieurs années pourrait-on écrire, les habitants de cette région manifestent pacifiquement autour des sites pétroliers. Ils exigent « une part de pétrole ». Ce qui signifie : des emplois, des infrastructures, un projet de développement pour un gouvernorat marginalisé depuis des décennies. La garde nationale a ce matin tenté de canaliser les manifestants en lançant du gaz lacrymogène. L'hôpital de Tatatouine a été submergé de blessés et a lancé un appel à l'aide afin que les établissements les plus proches lui fournissent des ambulances et de l'oxygène. Preuve par l'absurde que la région est singulièrement démunie. Le personnel médical ne cesse de recevoir des victimes des lacrymos depuis le début de la matinée. Une noria d'ambulances et de véhicules de toutes sortes se presse à ses portes.

Le coup de menton du chef du gouvernement

Hier soir, Youssef Chahed a pris la décision d'envoyer la garde nationale en renfort de l'armée pour sécuriser les sites pétroliers et s'assurer que la production poursuive son fleuve tranquille. Les manifestants en ont décidé autrement. Ce matin, ils ont tenté d'envahir le siège du gouvernorat de la ville. Une première salve de lacrymogène les a éloignés. Mais les témoignages et les vidéos des premiers blessés ont accru la tension. Idem sur les sites pétroliers. Hier, la photo d'un jeune homme fermant la vanne d'un de ces sites disséminés dans le désert naissant a fait le tour des réseaux sociaux. Youssef Chahed a alors voulu faire preuve de fermeté. Jusqu'à présent, l'armée était seule en charge de ce dossier sur décision du président de la République. Respectée par la population, peu encline à faire le coup de force, l'institution militaire maintenait un climat de paix dans un contexte tendu.

Un appel à manifester à Tunis

Avenue Bourguiba, au cœur de Tunis, on a dressé à la hâte barrières et autres protections pour sécuriser les alentours du ministère de l'Intérieur. Une manifestation en soutien à Tataouine se déroulera cet après-midi, à partir de 15 heures. Déjà, en 2015, des sit-in avaient bloqué certaines activités liées aux hydrocarbures dans le Sud. Dans la région d'Al Faouar, une quinzaine de jeunes chômeurs ont passé l'été sous une tente dressée devant le site de la société Perenco. Les militaires chargés de sécuriser le site racontaient en off que ce n'était pas leur job de faire la baby-sitter d'une entreprise privée dont le siège social est en Europe. Que leur place était à la frontière avec la Libye. Les sit-inneurs et les militaires partageaient eau et toilettes. Une version d'Occupy Wall Street aux portes du désert.

La tentation régionaliste 

La flambée de violence à laquelle la région de Tataouine est confrontée depuis ce matin peut-elle se transformer en un mouvement plus vaste ? Ce Sud, l'un des parents pauvres du développement avec le Centre et le Nord-Ouest, s'est éveillé ce matin aux parfums du lacrymogène. Déclenchant une spirale de colère dont personne ne connaît encore l'étendue du périmètre. Le gouvernement planche sur une nouvelle série de mesures en faveur de Tataouine et d'autres villes du Sud. Quelque chose s'est passé ce matin, quelque chose de profond. En début d'après-midi, la mort « accidentelle » d'un protestataire a été confirmée. Ce qui ajoute du carburant au brasier qui a incendié, à 13 h 30, les locaux de la garde nationale.

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