Bibi le Sepharade ?

Bibi le Sepharade ? 

 

Les leaders politiques israéliens utilisent souvent leurs origines en période de crise, Netanyahou aussi

"Mon gène sépharade s’est activé". C'est l'explication surprenante que le Premier ministre Benyamin Netanyahou a donné à ses ministres lorsqu'on lui a demandé au cours d'une réunion du cabinet d'expliquer un accès de colère.

Sépharade? Bibi? Ces propos nécessitent quelques éléments de contexte.

Il y a quelque temps, Netanyahou avait annoncé publiquement et sans dissimuler sa joie que son frère avait fait un test ADN, et venait de découvrir que sa famille entretenait un lien avec les Juifs d'Espagne.

Le gène dormant (que tant d'Israéliens portent) s’est terré, attendant le bon moment pour resurgir jusqu'à cette réunion du cabinet, qui n'avait à priori rien à voir avec les origines, mais bien avec une situation complexe d'un point politique et personnel pour Netanyahou.

Evidemment, l'animal politique qu'il est a su rebondir et utiliser cette déclaration à bon escient, en rappelant aux Israéliens qu'il est un homme de toutes les saisons: à la fois ashkénaze et sépharade, européen et très américain.

Dans un système politique souvent dirigé par les origines, cela pourrait être un atout majeur. Or, ce n'est pas tout à fait ainsi que cela s’est déroulé cette fois-ci. En effet, cette remarque spontanée, qui devait signifier : "je suis l'un de vous", a eu un effet contraire.

Le Premier ministre est passé non seulement pour un manipulateur, mais la remarque a également été perçue comme tout à fait offensante. Netanyahou, en pleine difficulté et faisant l’objet d’une série interminable d’enquêtes de police, essayait d'atteindre tous les Israéliens. Contrairement à d'autres, sa tentative de manipuler l’opinion était censée être inclusive, et ne cherchait pas à diviser.

Lorsqu'ils sont en difficulté, les responsables politiques israéliens recourent souvent à leurs origines: le ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a utilisé ses racines russes chaque fois qu'il s’est senti persécuté par la police, tout comme Aryeh Deri (ministre de l'Intérieur), a fait valoir son origine marocaine comme un appel à tous les Israéliens sépharades quand il était en difficulté. De même, la flamboyante ministre de la Culture d'origine marocaine, Miri Regev, s'est auto-proclamée grande protectrice de la culture sépharade.

Dans tous ces cas, cela a fonctionné, mais pas cette fois. Netanyahou est venu renforcer certains des stéréotypes les plus dominants associés à la communauté sépharade: sang chaud, trop impulsive et irrationnelle.

Curieusement, c'est le même stéréotype auquel a recours la gauche israélienne pour expliquer le vote des Sépharades pour Netanyahou. Elle assure que les Juifs sépharades, qui seraient irrationnels, votent pour Netanyahou contre leurs intérêts dans la mesure où sa politique œuvre en leur défaveur.

"Leur comportement électoral est irrationnel", continuent-ils à dire à gauche, ne comprenant pas que peut-être – mais seulement peut-être – ils échouent là où il faudrait comprendre cette logique ou identifier l'intérêt réel des électeurs.

Netanyahou a vite compris son erreur. Il lui a toutefois fallu deux jours pour publier des excuses, affirmant qu'il voue une admiration égale à tous les groupes ethniques en Israël. Son peuple, même ceux qui ont été personnellement touchés par sa remarque, a immédiatement pardonné. Les hommes et femmes de droite sont prêts à pardonner l'un des leurs, alors qu'ils ne l'auraient jamais fait si cette attaque venait de la gauche.

La politique israélienne est pleine d'exemples qui le prouvent. Le terreau "ethnique" est plus fertile que jamais, et ses graines profondément enracinées. Les rancunes que les Israéliens sépharades gardent contre la gauche sous toutes ses formes sont loin de disparaître. Les intellectuels libéraux sépharades, qui se retourneraient contre Miri Regev, en raison de ses décrets anti-démocratiques, ses remarques racistes dirigées contre des travailleurs étrangers en Israël et ses opinions politiques d'extrême droite, se rassemblent autour d'elle depuis qu'elle a affirmé vouloir accorder plus de place à la culture sépharade et à ses artistes.

Cet instinct naturel est intensifié par de sérieuses erreurs à répétition de la gauche israélienne "pas si libérale", certaines d'entre elles appartenant au panthéon du discours politique israélien. En 1981, le célèbre artiste israélien Dudu Topaz, qui a aidé Menachem Begin (Likoud) à remporter les élections lors d'un rassemblement du Parti travailliste à Tel Aviv, a qualifié le camp rival de "chahchahim", slogan dérogatoire faisant allusion aux Juifs sépharades. Begin a rapidement compris la valeur de ce cadeau inattendu et a aussitôt mentionné, dans son discours, ceux offensés par le parti travailliste.

Récemment, lors d'une campagne électorale, Yair Garbuz, un peintre israélien bien connu, a pris la parole lors d'un rassemblement anti-Netanyahou en 2015, et a parlé des "masses de l'autre camp", les qualifiant de bande d’"adorateurs d'idoles" et de "lèche-Mezuzah". Cela a coûté au parti travailliste plusieurs sièges à la Knesset, et cela est loin d'avoir été oublié. Ces dérapages, et d'autres, seront ressortis à des fins politiques le moment venu. En attendant, ils viennent s'enraciner dans les esprits et les cœurs de ceux qui ont été visés.

La gauche peut-elle faire la même chose avec la remarque désobligeante de Netanyahou? Elle le pourrait mais cela ne fonctionnerait pas. Même les excuses maladroites du Premier ministre de l’époque Ehud Barak, qui avait demandé à la communauté sépharade israélienne pardon au nom de toutes les générations du Parti travailliste, n'avaient pas fonctionné. Le péché originel, lié à la manière dont la gauche alors au pouvoir avait absorbé les immigrants orientaux, n'a toujours pas été pardonné.

Le Premier ministre Netanyahou peut se permettre des remarques racistes et ridicules sur la façon dont il perçoit le "gène sépharade". Mais il faut noter que sur les douze Premiers ministres qui ont marqué l'histoire d'Israël, aucun ne faisait partie de la communauté sépharade. Et le gène "irrationnel" de Netanyahou ne pourra pas compenser cette distorsion sociale et politique.

Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a co-signé un livre, "Le million qui a changé le Moyen-Orient" sur l'immigration d'ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.

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