George Koskas fait partie des grands peintres juifs de Tunisie. C'est le seul peintre de Tunisie qui est entré dans l'histoire de l'art en sa qualité de précurseur de l'abstraction géométrique et de l'art minimal.

Peu sensible à la vanité des honneurs, George Koaskas vit en véritable aristocrate à La Marsa. Il poursuit sa quête du sens dans une humilité remarquable attestant de la noblesse de son caractère.

Célèbre pour sa peinture, Koskas est peu connu en tant que poète. C'est avec un réel plaisir que nous présentons Koskas l'écrivain.

Il nous arrive parfois des moments où l'on n'a rien à dire... L'originalité de George Koskas est d'arriver à dire ce rien... avec quelques signes: un cercle, une ligne, un point, un trait... Il a été si loin dans l'exploration du non-dit qu'on le considère comme un des précurseurs du minimalisme. Au bout de la plûme de Koskas, le discours assume avec sérénité sa part de silence.

A l'image de sa peinture, la poésie de Koskas se contente d'un mot: respiration permise, voies détournées, aller plus loin, Rêver, Voir, Vivre, Lumière, Espoir, Beau, Aventure, Amour, Immortalité... Renouveau... Autant de signes étoilés venant éclairer la page... Bien avant Ben, George Koskas a senti la force des mots et a vécu le langage comme un vrai poète. Dans le recueil Beau-Kages, Koskas se contente d'un vers, d'un mot, d'une lettre ou d'un signe pour transmettre son besoin de communiquer. Chaque mot qui vient du bout de la nuit, devient comme un météorite traversant à toute vitesse l'espace astral de l'imaginaire...

Ce qui semble surgir du hasard obéït en réalité à la nécessité. Pour la peinture comme pour la poésie, les choses ne nous appartiennent que l'orsqu'elles nous échappent. Dans son détachement presque zen, Koskas ne veut rien posséder. Il espère seulement être constamment possédé par le besoin d'amour... L'amour authentique nous apprend que rien ne nous appartient, même pas ce que ceinture notre étreinte...

"Tous deux enlacés

dans un même baiser

l'Eden

je veux suivre l'oiseau

qui me montrera l'infini".

L'amour n'a de valeur que s'il nous propulse au-delà de nous-mêmes, vers une aventure fusionnelle que l'on ne peut plus maîtriser et dans laquelle on est sauvé lorsqu'on est perdu. C'est dans ce contexte d'évasion complète que se place Koskas lorsqu'il peint, lorsqu'il écrit et lorsqu'il aime. Il illustre parfaitement le propos de son compatriote Saint Augustin disant: "Un homme qui s'est perdu dans sa passion vaut mieux qu'n homme qui a perdu sa passion".

Les mots et les signes de Koskas sont autant de symboles d'une géographie stellaire et cosmique. S'excusant presque d'exister, George Koskas est marqué par la philosophie de l'effacement. Quelle belle leçon d'humilité!

Chez Koskas, la création artistique s'accompagne de conquête de soi par la quête de l'autre. De renoncement en renoncement, il est arrivé à une remarquable légèreté d'être imbibant sa plume et sa palette. George Koskas a conduit sont art jusqu'aux extrêmes limites du discours, là où le silence et le langage se complètent, se fondent et se confondent pour exprimer l'inexprimable.

De même qu'en peinture, Koskas est surprenant en poésie tant par l'audace qu'il s'autorise avec les mots que par la liberté avec laquelle il aborde le langage. A l'aide de mots simples, il crée une poésie claire et limpide, débarrassée des contraintes de l'alexandrin et de la puérilité de la rime. Il est le poète du quotidien, "de la banalité" dirait H. Claude Pissarro.

Humble parmi les humbles, il avance avec ses maux d'amour qu'il guérit par la grâce des mots rares du poème accompli: "J'attends que se réalise mon désir secret". De même qu'il lui suffit en peinture de dessiner un cercle pour faire vivre la toile, de même il arrive à faire vibrer la feuille blanche à l'aide d'un mot: Amour... Désir... Koskas redonne au mot sa puissance originelle... Du coup, le mot liberté devient plus libre que la liberté et le mot beauté devient plus beau que la beauté...

Ajouter du sens au sens est une entreprise louable qui renforce Koskas dans son humble recherche de l'essentiel. Il suffit parfois d'un mot ou d'un regard pour illuminer une vie entière. Les poètes japonais l'ont parfaitement bien compris et Koskas aussi.

Koskas a très peu écrit. On peut limiter sa période d'écriture entre 1970 et 1973... En l'espace d'à peine deux ans, il a pu transmettre l'énergie extraordinaire qui l'a traversé. Ce court séjour en poésie permet de comprendre et d'expliquer Koskas le peintre. L'un pénètre l'autre... intelligence complémentaire... Langage expliquant un autre langage... Un peu comme si Koskas avait établi dans ses poèmes un carnet de bord pour permettre un meilleur voyage dans son univers pictural... Il savait depuis sa plus tendre jeunesse qu'on allait un jour avoir besoin de son aide pour mieux comprendre sa peinture.

Koskas le poète donne les clés pour ouvrir les portes de Koskas le peintre. Koskas a voulu dire "le moins" pour signifier "le plus" préfigurant ainsi l'idéal minimaliste "less is more"... Plusieurs langages ont voulu parler en George Koskas. En effet, Koskas est poète, peintre, cinéaste, dramaturge, décorateur, costumier, écrivain... pourtant un jour Koskas a jeté par-dessus bord tous ces masques et toutes ces vanités avec la terrible décision d'être un homme, simplement un homme...

Mustapha Chelbi