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Le moment musical : la darbouka |
Je suis issue d’une famille nombreuse. Mon père, grand amateur de musique orientale, rêvait d’élever un garçon dans cette voie. Hélas ! Ce ne fut pas possible. Il n’eut que des filles ! J’arrivais en deuxième position. C’était le destin, «le mektoub » comme on dit chez nous. Vers l’âge de douze ou treize ans, je pris goût à tous les genres de musique : classique, folklorique et variétés. Leur écoute ne fut pas des plus aisée. Lorsqu’un membre de ma tribu se trouvait dans les parages, il relevait, avec une infinie délicatesse, le bras de l’électrophone et retournait vaquer à ses occupations. L’occasion unique s’était enfin présentée. Le bonheur ! Toute la famille, y compris la grand-mère devait se rendre à une Bar Mitsva. Je devais préparer le terrain. La veille, je prétextais des violents maux de ventre pour ne pas être de la fête. Après avoir avalé un savoureux sandwich tunisien que ma mère m’avait préparé, je mis en marche mon vieux «Teppaz » crachotant, et écoutai les « Tableaux d’une exposition » orchestrée par Ravel, disque que j’avais découvert dans une brocante. Coup de foudre. L’écoute de cette œuvre était religieuse. Je reposai le saphir sur le disque jusqu’au retour de la famille. Mon père, qui avait l’oreille musicale, fit irruption un soir dans la chambre. - Suzy, ce n’est pas la première fois que je te surprends à écouter de la musique. Que dirais-tu si tu apprenais à jouer d’un instrument ? Il m’entraîna un après-midi à un concert de musique orientale. Pendant le développement des thèmes musicaux, il se pencha vers moi et me décrivit chaque instrument. - Alors ! Quelle est ta préférence ? - La darbouka, lui répondis-je. Ninette, une cousine éloignée de ma mère mise au courant, nous fit don d’une darbouka qu’elle tenait de son père et qui était une véritable pièce de musée. Mon père m’inscrivit chez un grand maître de la darbouka. Je m’y rendais trois fois par semaine, après la sortie des classes. A l’issue de la première année, le professeur convoqua mon père. - Très douée, la petite ! Il faut qu’elle continue ! Il ajouta : « c’est très drôle, il faut que je vous dise, je n’ai jamais enseigné la musique à une femme… » Misant sur mon avenir musical, mes parents me firent quitter l’école à l’âge de quinze ans. Pour travailler et ne pas gêner l’environnement, ils m’aménagèrent un espace dans la buanderie. A dix-huit ans, après concours, je fus admise à l’orchestre oriental de Radio-Tunis. J’étais la première femme à jouer dans une formation. Ce fut une petite révolution dans les mentalités de l’époque. J’adorais cet instrument. J’étais séduite par les veinures ordonnées de sa peau, par sa terre cuite ornementée et vernissée. Certains affirment même que c’est le métronome de l’orchestre. La veille de chaque prestation, ma mère réchauffait la peau de chèvre au dessus d’un canoun, puis l’enveloppait soigneusement dans un tissu molletonné. - C’est ton avenir, prends-en bien soin ! me rappelait-elle avant de sortir. La darbouka faisait corps avec moi. Je ne permettais à aucune de mes sœurs de l’approcher, de crainte que, par maladresse, elle ne se brise. C’était ma chose. On était fier de moi dans le quartier. J’étais sollicitée au sein de la bourgeoisie juive du Belvédère, de Cité-jardin ou de Crémieux ville, pour animer des réceptions. Mon nom s’inscrivait en caractères gras dans « La Gazette d’Israël », « La Dépêche tunisienne », « La Presse de Tunisie » et, tenez-vous bien, j’eus droit à un entrefilet dans la rubrique des spectacles du « Petit colon français de Tunisie ». Des autographes m’étaient réclamés. Les années défilaient heureuses. Pas un instant, l’idée de me marier ne traversa mon esprit. Lorsque j’eus atteint les trente ans, ma mère manifesta de l’inquiétude quant à mon avenir. Elle m’organisa une rencontre avec la marieuse. Avec un certain détachement, j’acceptai ce projet qui n’était pas le mien. L’entrevue eut lieu en plein été. Je me présentai devant cette matrone en bermuda, un châle en laine posé sur les épaules. Surprise devant mon accoutrement, elle interpella ma mère : - Qui voulez-vous marier au juste ? Je partis à rire sans retenue. Maman garda le silence et lui remit discrètement quelques billets de banque. En sortant, elle jeta un dernier regard sur mon accoutrement. Lorsque j’arrivais en avance sur le lieu de la représentation, mes pas me poussaient à la découverte de nouveaux instruments, de nouvelles sonorités. Intrépide, malgré une certaine timidité, je décidais un jour de me rendre à la cafétéria de l’orchestre occidental. Après avoir siroté un café, mon regard se dirigea vers un instrument que je n’avais jamais vu. Il me paraissait gigantesque et donnait l’impression de reposer sur le bras d’un jeune musicien. Je m’avançai vers lui. - C’est quoi ? Lui demandai-je. Il me répondit : « Un violoncelle. » Devant mon air dubitatif, il répéta : «Un violoncelle ! » - Comment en joue-t-on ? - Passez demain au studio d’enregistrement, j’y serai et je vous ferai une démonstration. Je fus au rendez-vous. Il planta la pique de son violoncelle, sortit l’archet de son étui et se mit à jouer une suite pour violoncelle de Bach. Je le regardais bien en face. Mon cœur battait la chamade. - J’aimerais bien assister à vos répétitions, lui dis-je. - Pas de problème. Tenez, venez demain soir, nous devons répéter la sonate « Arpeggione » de Schubert. Nous étions peu nombreux à cette répétition. Je me fis toute petite. Je manifestais beaucoup d’intérêt à sa tenue d’archet, ses pizzicati enlevés et l’intense émotion qui se dégageait de son vibrato. De temps en temps, son regard quittait les cordes et semblait se diriger vers moi. J’étais au septième ciel. Je délaissai la darbouka pour me rendre, le plus souvent possible auprès de lui. Je l’aimais. J’étais juive et il ne l’était pas. Au bout de quelques mois de cette relation platonique, les sourires complices cédèrent la place aux rictus et les silences s’installèrent un peu plus chaque jour. Il ne me communiquait plus les dates des répétitions. Je me contentais d’assister aux concerts qu’il donnait à l’auditorium. Un soir, après le spectacle, il me rattrapa à la sortie et m’entraîna dans une salle de musique désertée. - Je voudrais vous parler. Je crois que vous tenez beaucoup à moi, mais je ne crois pas vous aimer. La chose à laquelle je tiens le plus, voyez-vous, c’est mon violoncelle et, lui, vous ne pouvez le remplacer. Il esquissa dans l’espace une forme qui s’apparentait à l’instrument, s’appuya sur le manche, caressa son bois, respira son vernis et releva la tête. - Regardez sa forme, c’est une femme, c’est ma femme…et cela me suffit. Vous n’avez jamais compté pour moi, sinon en tant que bonne amie. Je me devais de vous le dire. Allons à la cafétéria, voulez-vous ? Un thé bien chaud nous fera du bien. - Non, lui dis-je, la gorge nouée, il faut que je rentre, on m’attend à la maison. Au bord des larmes, je m’affalai sur mon lit et jetai un regard pitoyable sur la darbouka qui était encore ma confidente. Je lui fis part de mon désarroi. « J’ai bientôt quarante ans, tu sais, et tu es toujours là, présente. Tu m’accompagnes partout et je t’aime. Il faut te réchauffer, n’est-ce- pas ? Pour que tu rendes le meilleur de toi-même ! Mais moi ? Qui me réchauffe ? Tu es là, inerte, tu ne vois rien, tu ne compatis pas. Tu commences à m’énerver, tu sais ? Je ne te supporte plus. Tu as contribué au ratage de ma vie. On dirait qu’il n’y a que toi qui comptes. Et moi alors ? C’est fini ? Mais qu’est-ce que tu représentes pour moi ? De la poterie. Tu tombes ? Tu te brises ! Tu n’es rien qu’une peau de mouton, une peau de chagrin ! Et le chagrin, c’est moi. Je t’ai adorée, je t’ai adulée. Je paraissais heureuse. Mes admirateurs disaient : «la darbouka, c’est sa vie. C’était ça ma vie ? » Quand j’atteignis la quarantaine, de jeunes loups investirent l’orchestre. Dès lors, je fus placée à l’extrémité, cachée à moitié par le rideau de scène. Les sons qui sortaient de ma darbouka ressemblaient à des messages qui s’adressaient au vent. Personne n’y prenait garde. Traversant la cinquantaine, je décidai de quitter Radio Tunis. Pour subsister j’assurai quelques représentations privées. Je me débarrassai de mon électrophone et de mes vieux disques. Je remplaçai le tout par une platine laser et des compact-discs. Allongée sur mon lit, je me repassai les musiques de Mozart, de Beethoven, de Schubert et persistai à vivre dans le souvenir de Jérôme. - Allez ! mettons le trio opus 100 de Franz Schubert. Le deuxième mouvement, c’est celui qui me fait pleurer. Ecoutez, là, vous entendez le violoncelle ? C’est lui ! Je dis adieu à l’homme aimé, je dis adieu à la darbouka, je dis adieu à ma carrière, je dis adieu à ma vie, à ma pauvre vie. - Ecoutez, mais écoutez donc ! Hein, que c’est beau ? ----------------------------------------------------- Chers amis,
Viviane
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