Né en 1933 à La Marsa, en
Tunisie, Lucien Moatti, fils du docteur Léon
Moatti, président-fondateur de l’OSE-Tunisie,
s’est donné pour mission de recueillir, de
dépouiller et de classer les informations les
plus exhaustives possibles sur les médecins qui
ont exercé dans son pays natal. Dix années de
réflexion, trois années de travail intensif.
L’auteur a dépouillé journaux officiels et
livres spécialisés. Ce travail minutieux de
recherche lui a permis de publier une véritable
encyclopédie qui tient tout à la fois du livre
d’or et du dictionnaire, constituant désormais,
et pour les générations à venir, un émouvant
monument du souvenir : « La mosaïque médicale de
Tunisie. 1800-1950 » (*).
L’ouvrage, qui compte près
de mille deux cents références dont beaucoup
sont assorties de photographies ou de croquis,
permet de retrouver les « grands médecins »
comme les plus humbles, de Charles
Nicolle qu’on retiendra, surtout, parce qu’il a
obtenu le prix Nobel de médecine et de
physiologie en 1928 pour sa découverte du rôle
du pou de corps comme agent vecteur du typhus
(c’est le seul prix Nobel obtenu par la Tunisie
à nos jours) au célèbre médecin des pauvres du
ghetto, la Hara de Tunis, David Dario Scialom,
dont on raconte qu’en même temps que son
ordonnance accordée gratuitement aux indigents,
il ne repartait pas sans laisser une pièce de
monnaie pour permettre à la famille du malade de
payer les médicaments prescrits. Sans oublier
Abramino Lumbroso dont le père, Isaac Lumbroso,
a longtemps été le président de la communauté
juive « portugaise » de Tunis qui a notamment,
organisé l’alimentation en eau de la capitale
par le canal de l’aqueduc de Zaghouan, Giacomo
de Castelnuovo, proche de Cavour et d’Adolphe
Crémieux, médecin qui fut fait baron et qui a
joué aussi un rôle de diplomate, participé à la
négociation des accords tuniso-italiens de 1869
et qui, de plus, a été à l’origine du projet de
construction de la Grande Synagogue de Tunis,
Béchir Dinguizli, qui étudia à Montpellier et
fut le premier médecin tunisien musulman à
obtenir le diplôme de docteur en médecine et qui
réussit à contourner les superstitions
ancestrales et à obtenir des imams locaux une
fatwa autorisant la vaccination antivariolique,
Joseph Scemama de Gialouli, né en 1870 à Tunis,
qui est, lui, un peu avant Béchir Dinguizli, le
premier Tunisien né en Tunisie à avoir obtenu
son diplôme dans une faculté européenne, Israël
Eugène Hayat, pionnier de la lutte contre
la tuberculose, fondateur et médecin-chef du
Préventorium de L’Ariana et partisan d’un
« judaïsme laïc », Alberto Bensasson di Levi,
spécialiste de la vésicule biliaire et médecin
attitré du bey, Emilio Molco, né à Tunis vers
1867, chirurgien-gynécologue de renom qui fut
l’un des créateurs de l’Hôpital Israélite, le
Suisse Auguste-Jean Cuénod, spécialiste du
trachome, créateur de la clinique
ophtalmologique populaire de Tunis et Albert
Cattan, né en 1875 à Tunis, fondateur de
l’Institut Héliomarin du Kram, premier d’une
lignée ininterrompue de médecins avec son fils,
Roger, son petit-fils, Daniel et son
arrière-petit-fils, Stéphane. Des Chrétiens, des
Musulmans et, comme on pourra le constater de
nombreux Juifs qui, quoique ne représentant que
2% de la population du pays ont donné à la
Tunisie un très grand nombre de médecins. De
très nombreuses photographies, des caricatures
également, permettent de mettre un visage sur
tous ces médecins dont certains ont donné leur
nom à des hôpitaux. Un graphique montre
l’évolution des médecins en Tunisie en fonction
de leur nationalité : Français, Italiens,
Tunisiens, Maltais et autres « étrangers ». On
constate que si les Italiens sont majoritaires,
de 1838 à 1921, ils seront dépassés par les
Français, de 1921 à 1952.
Original et passionnant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Glyphe.
Préface de Lucette Valensi. Décembre 2008. 422
pages. 26 euros
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