Natif de Béja qui a déjà donné à la Tunisie l'irremplaçable Ammar Farhat, voici que la ville du blé offre à la Tunisie un artiste exceptionnel en la personne de Victor Sarfati. En excellent humaniste, il entre dans la vérité de chaque Tunisien. Il interprète de façon remarquable l'univers judaïque matérialisé par les rabbins et les lecteurs du Talmud et l'univers romantique arabe symbolisé par les cavaliers épiques de jlass.

Avec la précision de l'orfèvre, la dextérité du chirurgien et le geste harmonieux du musicien, Victor Sarfati organise l'aquarelle comme un être vivant devant s'imbiber de toutes les richesses de l'existence. Quand bien même son oeuvre se nourrit de la spontanéité, rien n'est livré au hasard. Sa connaissance parfaite des communautés Juive et Arabe de Tunisie fait de lui un témoin privilégié et un artiste inimitable et irremplaçable. Son art émane de lui presque naturellement, ça coule de source: "Je m'exprime sans me poser trop de question. La véritable appartenance culturelle c'est le vécu. Je peins comme l'oiseau qui chante. L'art n'est pas seulement inné; il suppose pour être vraiment maîtrisé, beaucoup de travail et beaucoup d'épreuves. C'est pourquoi j'ai beaucoup appris et beaucoup travaillé".

Du témoignage des membres de sa famille, Victor Sarfati se cachait sous le lit de ses parents pour peindre. Son regard se nourrit de toute la Tunisie: "J'affectionne énormément les études de tête... J'ai toujours aimé peindre les rabbins et aussi les paysans... J'aime les sujets typés et racés...". Victor Sarfati mélange la rapidité du geste à la lenteur de la méditation. Il sublime la réalité tunisienne dont il est issu. L'islam, autant que le judaïsme, constituent son trésor visuel. Les synagogues autant que les mosquées sont au coeur de son oeuvre. Comment concilier le mouvement du cheval au galop et la sérénité qui illumine le visage du rabbin à la lecture de shefer Thora?

La réalité que l'on essaie d'exprimer nous échappe, autant que nous échappe le cheval qui court à la vitesse du vent et autant que nous échappe le souffle de Dieu qui traverse nos prières, et autant que l'amour échappe aux amants... Il demeure toutefois le génie artistique qui sait capter ce qui s’enfuit et que notre étreinte veut éterniser. Il en est ainsi de Victor Sarfati qui rattrape en aquarelle le cheval qui galope, le vent qui souffle et le navire qui traverse les flots. La vérité de Victor Sarfati est dans cette volonté inébranlable à réconcilier les Juifs et les Arabes malgré les contingences, les accidents et les caprices de l'histoire. Par cet acharnement à être l'homme de toutes les humanités, Victor Sarfati s'impose non seulement comme un plasticien de génie, mais aussi et surtout comme un grand humaniste.