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Le
parcours initiatique de l’intégration repose le plus souvent sur un
compromis. Il tente de concilier un désir d’émancipation du milieu
communautaire, qui s’accompagne d’une prise de distance vis-à-vis de la
culture dans sa matérialité, à une relative fidélité aux origines, qui
s’appuie sur une relation affective à une « ethnicité » de plus en plus
symbolique1. Les
populations en situation de migration expérimentent des situations qui
suivent, plus ou moins, des séquences identiques : le choc de l’arrivée
dans une société nouvelle, la chaleur du regroupement communautaire et,
insensiblement, l’évolution vers d’autres formes d’existence plus
autonomes interprétées comme des trajectoires d’émancipation. Mais tout
au long de ce cheminement, la peur de se couper des racines revient
régulièrement. Le spectre de l’oubli de là d’où l’on vient, du reniement
de ce qu’on a pu être, de la trahison en définitive de sa condition et
de son identité, hante les groupes qui expérimentent une promotion
sociale, et singulièrement les immigrés. Il s’agit alors de renouer les
fils de la mémoire et de réaffirmer une fidélité aux origines que
l’inexorable transformation des pratiques s’ingénie à démentir.
On trouve
un parfait exemple de ce travail de refondation dans le récit suivant,
véritable histoire édifiante relatée par Raoul Journo, chanteur
emblématique de la musique juive tunisienne, lors d’un entretien réalisé
en 1997. Dans les années 1950, Raoul Journo croise une mendiante rue du
tailleur, dans la ‘Hara de Tunis. Il est déjà chanteur et se
produit dans des manifestations familiales ou communautaires. Elle le
reconnaît et lui demande de chanter pour la Bar-Mitzva de son
fils. Il accepte de venir gratuitement avec un orchestre et une danseuse
et lui offre une merveilleuse fête. Des années plus tard, venu à Paris,
on l’appelle au téléphone. Le fils de cette femme, celui pour qui il
avait chanté, lui demande d’animer la Bar-Mitzva de son fils.
Cette fois, la cérémonie se déroule dans un luxueux salon Georges V et
on lui paie le double pour sa prestation, en remboursement de la dette
contractée dans la ‘Hara.
Les
principaux thèmes structurant la mémoire juive tunisienne interviennent
dans ce récit : l’acte charitable (Mitzva) en est à l’origine,
il est récompensé par la suite ; le don et sa contrepartie se tiennent
sur les deux espaces, Tunisie et France, les rattachant par un lien
symbolique qui abolit l’exil et cherche à signifier la continuité de
l’histoire juive tunisienne ; la réussite éclatante de la famille,
pauvre parmi les pauvres, dont la trajectoire part de la ‘Hara
pour finir dans les salons prestigieux du George V ; la fidélité aux
origines malgré la prodigieuse ascension sociale : au judaïsme tout
d’abord, en réaffirmant l’appartenance par la transmission du rite de
passage pour la descendance née en France, à la culture tunisienne
ensuite, en faisant appel à un orchestre traditionnel tunisien pour
animer une cérémonie qui se tient désormais dans un salon luxueux. Toute
la problématique de la mémoire et de sa transmission est contenue dans
la répétition du rite, en toutes circonstances et quel que soit
l’environnement.
C’est ce
cheminement que nous avons observé lors d’une enquête monographique dans
le quartier de Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris, auprès
d’une communauté juive tunisienne qui y a constitué ses « racines en
exil ». Partis dans des conditions certes moins dramatiques que leurs
voisins algériens, les juifs tunisiens vont reconstituer à Belleville
une « petite goulette » évoquant l’univers perdu avec ses structures
communautaires, commerciales, culturelles, son ambiance et son ordre
social organisé dans les premiers temps autour d’une recréation de
l’environnement d’origine, le quartier est progressivement devenu un
espace de centralité fonctionnelle et de consommation des signes de
l’identité, avec tout ce que cela comporte de production artificielle.
La mutation du « quartier-vécu » en sanctuaire idéalisé répond aux
aspirations profondes des juifs tunisiens en voie d’assimilation. Car le
quartier d’immigration comble le vide laissé par l’exil, puis par
l’altération des pratiques, tout en restituant une cohérence aux
biographies des immigrés, marquées par une succession de ruptures. Celle
de l’exil, évidemment, mais aussi, plus sournoise, celle du succès de
l’intégration.
Pour
saisir la signification d’un quartier comme Belleville, il importe de
dépasser les évidences. L’exhibition de la tunisianité dans la mise en
scène de l’espace urbain donne l’illusion que le ghetto de Tunis a été
transplanté à Paris. Tout cela ne serait qu’une admirable survivance que
ses animateurs ont su recréer. Comme à Tunis, Belleville perpétuerait
la tradition. Mais de quelle tradition s’agit-il ? Celle des
milieux populaires, fortement arabisés, ou celle des couches moyennes en
voie d’occidentalisation ? Et en quoi serait-elle commune à l’ensemble
des juifs tunisiens, population par ailleurs si diverse dans ses
composantes sociales, économiques et culturelles ? Comment les pratiques
traditionnelles auraient-elles pu se reproduire en terre d’exil sans
faire l’objet d’altérations et de ré-interprétations ? Enfin, le
quartier juif tunisien peut-il survivre au départ de ses principaux
animateurs, c’est-à-dire à la mobilité résidentielle et à la succession
des générations ?
Cet
article se propose de reprendre ces questions à partir d’une enquête de
terrain réalisée entre 1992 et 1997 au cours de laquelle ont été
recueillis plus de quarante entretiens, dont une quinzaine d’entretiens
biographiques auprès de juifs tunisiens appartenant à trois générations
différentes (les grands-parents, les parents et les enfants nés en
France)2. Le
guide d’entretien portait notamment sur les modalités de la constitution
de la mémoire familiale, de la transmission de l’identité « juive
tunisienne » et de sa re-formulation dans le contexte de la migration.
Une série d’observations des lieux fréquentés par les membres de la
communauté (synagogue, commerces divers, restaurants et cafés, écoles,
fêtes religieuses, locaux associatifs, …) et des rencontres avec les
institutions communautaires présentes dans le quartier ont complété le
matériau biographique. Enfin, une consultation d’archives au CASIP
(Centre d’Action Sociale Israélite de Paris), au consistoire de Paris et
à l’Alliance Israélite Universelle a permis de réunir des informations
sur l’activité de la communauté entre 1950 et 1990 qui ont servi à
illustrer et recouper les témoignages recueillis lors des entretiens3.
Pour
comprendre les modalités de l’installation des juifs tunisiens à
Belleville, il convient d’opérer un détour par leur longue histoire en
Tunisie4. Si la
migration se présente souvent comme une rupture, celle-ci se constitue
nécessairement en référence à un avant, communément appelé
« l’origine », dont elle conserve l’empreinte. L’expérience commune de
toutes les migrations est composée du rapport ambivalent à la terre des
ancêtres : la recherche compulsive d’une reproduction des cadres sociaux
et culturels est vite contrariée par une aspiration à l’imitation du
contexte d’installation. Dans le cas des juifs tunisiens, la migration
relève de l’exil, qui est un cas de figure très particulier dans la
mesure où la rupture apparaît plus profonde parce qu’irrémédiable5.
Amorcée
dès le début des années 50, l’émigration des juifs s’est précipitée avec
l’accession à l’indépendance de la Tunisie en 1956. Pourtant, l’histoire
et la situation de cette communauté ne se confondait pas avec
l’expérience coloniale. La présence juive en Tunisie remonte aux
premiers siècles de notre ère et si l’entrée en vigueur du protectorat
français sur la Tunisie beylicale, après la signature du traité du Bardo
en 1881, allait engager d’importantes transformations du statut des
juifs, ceux-ci n’intégreront jamais la société des colons. Après la
conquête française, les juifs de Tunisie ont continué à constituer une
minorité distincte des musulmans, des Français et des nombreux Italiens
ou Maltais venant compléter la mosaïque tunisienne. Le système de
cohabitation reproduisait celui en vigueur dans l’empire ottoman,
laissant une certaine autonomie aux minorités tout en leur attribuant
des places subalternes6.
Mais l’arrivée de la puissance coloniale française allait bouleverser la
hiérarchie du pouvoir. Occupant les positions dominantes, les nouveaux
maîtres du pays ont en quelque sorte contribué à atténuer les écarts
entre les autres composantes de la société tunisienne qui sont devenus,
par la force du pouvoir colonial, des « indigènes ».
La
présence française favorise le mouvement d’occidentalisation de la
communauté juive initié dès la seconde moitié du XIXe siècle. Cependant,
la situation juridique du protectorat placera les juifs de Tunisie dans
une position très différente de celle de leurs voisins d’Algérie. Placés
sous l’autorité du Bey, ils ne bénéficieront d’aucune procédure de
faveur pour accéder à la nationalité française qui leur reste
pratiquement inaccessible jusqu’en 1927. Ce statut juridique aura, on
s’en doute, des conséquences considérables pour l’avenir de la
communauté, notamment lors de son départ hors de Tunisie. À la faveur de
la redistribution du pouvoir politique, la communauté juive pu
s’orienter vers de nouvelles activités économiques. L’essor du commerce
et des échanges avec l’Europe (France et Italie essentiellement)
favorise l’émergence d’une caste de négociants et de gros commerçants
juifs, tandis que le développement d’une administration de type européen
suscite la création d’une couche d’employés aux écritures travaillant
dans les banques, assurances ou études d’avocat. Une classe moyenne se
forme, dont le mode de vie se distinguera rapidement de celui des
classes pauvres vivant dans la ‘Hara, le ghetto tunisien. Le
développement urbain de la ville de Tunis autorise également une
mobilité résidentielle hors du Ghetto, amplifiant la rupture
socio-culturelle. Les familles juives en phase d’ascension sociale
migrent vers les quartiers européens nouvellement construits, en
commençant leur mouvement par les ruelles à la périphérie de la
‘Hara. En abandonnant la vie de misère du ghetto vétuste et
insalubre, ces familles rompent également avec un environnement façonné
par et pour la communauté. Elles entrent de plain-pied
dans des territoires indifférenciés où elles s’exposent, mais c’est là
leur désir, à une acculturation rapide (Tapia et Taïeb, 1975).
Le
protectorat entre en crise dès 1950 et le conflit ira crescendo jusqu’à
l’obtention de l’autonomie interne en juin 1955, puis la reconnaissance
par la France de l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956. La
communauté juive n’a jamais été particulièrement visée par les attentats
ou coups de main. Elle est apparue, tout au long du processus
d’indépendance, partagée entre, d’une part, un soutien actif et militant
au parti communiste tunisien et au néo-Destour de Bourguiba, et,
principalement pour la frange occidentalisée, la défense de la présence
française. Pour l’essentiel, les masses populaires resteront en retrait
du débat et ne réagiront qu’aux secousses qui vont durcir les relations
entre juifs et musulmans dans la jeune république tunisienne. La crise
de Bizerte en 1961, au cours de laquelle les armées française et
tunisienne s’affrontent au cours de combats meurtriers, provoque une
montée de l’antisémitisme dans l’ensemble du pays, et tout
particulièrement à Tunis où réside l’essentiel de la communauté juive7.
Pour beaucoup de juifs de Tunisie, cette crise fournit le signal du
départ. Elle est suivie en 1967 par l’épisode plus dramatique de la
guerre des 6 jours en Israël. À l’annonce du conflit, des milliers de
manifestants musulmans investissent les quartiers où réside la
population juive. De nombreuses boutiques sont alors saccagées, tandis
qu’on met le feu aux lieux de culte israélites, dont la Grande Synagogue
de l’avenue de Paris.
Ces
événements successifs ont précipité le rythme de l’émigration juive qui,
indépendamment des crises politiques, avait discrètement commencé après
la seconde guerre mondiale. Sous l’impulsion du mouvement sioniste bien
implanté en Tunisie, que ce soit sous sa formulation révisionniste avec
le Bétar ou l’obédience socialiste du mouvement Dror,
l’Aliya touche un nombre croissant des juifs pauvres, mais également,
particularité tunisienne, l’élite de la communauté8.
P. Sebag estime à 25 000 personnes l’émigration de Tunisie vers Israël
entre 1946 et 1956 et à 5 000 les flux vers la France à la même période
(Sebag, 1991). Par ailleurs, de nombreux négociants juifs tunisiens
entretiennent de fructueuses relations économiques avec la France. Au
cours de leurs séjours, ils fréquentent les premières « colonies »
juives tunisiennes et participent ainsi à leur formation. Le secteur de
la rue Montmartre à Paris devient, au tournant des années 50, un point
d’accueil et de rencontre de ces négociants. Dans le prolongement du
développement du pôle juif tunisien du faubourg Montmartre, on relève
également à Belleville l’ouverture, en 1952, d’une épicerie et d’un
café-restaurant. Ces lieux de consommation attirent une clientèle juive
tunisienne dans un quartier dominé par les juifs ashkénazes. Ils
serviront par la suite de point d’appuis pour l’installation des grosses
vagues de migrants, lorsque la situation se dégradera en Tunisie. Au
moment de l’exode, les réseaux tissés entre Tunis et Paris seront
mobilisés et les noms du faubourg Montmartre et de Belleville
circuleront parmi les candidats au départ.
Après la
crise de Bizerte, la décision de partir se prend dans l’urgence, tandis
que les transferts de biens ou de liquidités hors de Tunisie sont
strictement réglementés. Abandonnant leurs maigres possessions dans leur
logement, les familles partent, avec, selon l’expression consacrée,
« 20 kilos de bagages et un dinar en poche » (Touati, 1961). Elles
quittent la Tunisie sans espoir de retour. Cet extrait de témoignage
résume l’état d’esprit d’un départ qui s’inscrivait d’emblée dans une
logique d’exil :
« Mes
parents savaient qu’ils n’habiteraient plus la Tunisie. Qu’ils n’y
retourneraient jamais ça non. Ne plus y habiter, oui, ils sont partis
pour partir. Ils ne sont pas partis avec l’idée de retour. Pour eux,
ils venaient s’installer en France ou alors ils venaient d’abord en
France pour aller ensuite en Israël, ça pouvait n’être qu’une étape »9.
Même si
rétrospectivement, le départ des juifs de Tunisie peut apparaître
inéluctable, le pari du maintien et de la cohabitation a longtemps
prévalu. La Tunisie n’a pas eu à connaître la terrible alternative
algérienne de « la valise ou le cercueil » ; l’enracinement dans son
quartier, l’absence de « communauté de destin » avec un autre espace,
fut-il la France ou Israël, n’engagent pas à se couper de son univers
familier. Le fait est que le départ s’impose à chaque fois comme une
rupture dans les projets, une bifurcation subite et traumatisante dans
les parcours. Quel que soit le milieu social, les témoignages indiquent
le caractère brutal et irrémédiable de la migration. En quittant leur
pays, les juifs de Tunisie mettaient fin à 2000 ans d’histoire et
renouaient avec la malédiction du juif errant qu’ils s’étaient efforcés
de conjurer :
« Quand j’étais jeune, on me disait : "le juif errant, celui qui était
en Pologne, il a été en Allemagne, d’Allemagne il a été en Russie, de
Russie il a été France, de France il a été...". Heureusement que nous
on n’est pas comme ça. On est bien, on vit bien, on travaille bien, on
s’entend avec tout le monde. Et puis quand j’ai pris le bateau, j’ai
dit : "bon Dieu, je deviens juif errant comme les autres". Je quitte
la Tunisie pour aller en France, je suis comme tous les juifs
errants : d’un côté à l’autre, d’un côté à l’autre »10.
Au moment
de partir, les juifs tunisiens ne réalisent pas tout à fait un saut dans
l’inconnu. Certains ont déjà des membres de leur famille établis en
France ou en Israël. Ils pensent alors pouvoir compter sur un accueil
provisoire, le temps de trouver un logement et un travail. Cependant, en
dépit du rôle joué par le recours familial, la plupart des migrants qui
descendent du bateau à Marseille s’en remettent aux services de la
communauté pour réaliser les premières démarches administratives. Et
celles-ci sont nombreuses, car les juifs de Tunisie présentent la
particularité d’avoir, dans leur grande majorité, la nationalité
tunisienne. Malgré un mouvement lent mais continu de naturalisation,
seuls le quart des juifs vivant en Tunisie étaient de nationalité
française en 1956. Ce qui pourrait ne représenter qu’un détail hérité de
l’histoire du protectorat prend une importance singulière quand il a
fallu accueillir les milliers de « réfugiés » sans statut défini. Ni
rapatriés, contrairement à leurs coreligionnaires d’Algérie, ni réfugiés
au sens de la convention de Genève, les juifs tunisiens n’ont bénéficié
de la part des pouvoirs publics français d’aucune disposition ni d’aide
particulière (Bensimon, 1971).
Les
instances de la communauté juive de France ont assez rapidement pris la
mesure des difficultés qui attendaient ces migrants12.
Sous l’impulsion de l’American Joint Comittee, émanation de la
communauté juive américaine distribuant des financements aux communautés
de par le monde, de nouvelles lignes de crédit sont attribuées à
l’accueil des nouvelles vagues de « réfugiés-rapatriés » juifs d’Afrique
du Nord. Le FSJU (Fond Social Juif Unifié), créé en 1949 pour collecter
et redistribuer les fonds nécessaires à la reconstruction des
communautés, sera chargé de mettre en place le réseau d’assistance. Il
s’appuie alors sur le CBIP (Comité de Bienfaisance Israélite de Paris),
renommé CASIP (Centre d’Action Sociale Israélite de Paris) en 1965 et
situé rue Rodier dans le IXe arrondissement. L’accueil des Tunisiens
consomme une grande partie des crédits de l’institution : de 46 % des
personnes secourues entre 1955 et 1960, à 60 % aux pointes de 1964 et
196713. La
fréquentation des services sociaux de la communauté illustre deux
caractéristiques des juifs tunisiens, et notamment ceux venant à
Belleville : d’une part une très faible autonomie économique dans le
contexte de la migration, d’autre part une disposition particulière à
s’inscrire dans les réseaux communautaires qui confine à la dépendance.
Le rapport
aux services sociaux est amorcé dès le départ de Tunisie. Les adresses
se sont échangées et le père de famille voit le port de Tunis s’éloigner
en serrant au fond de sa poche un petit papier où est inscrite l’adresse
du CBIP. L’existence de ce service à Paris et sa notoriété expliquent en
partie l’attrait qu’exerce la capitale sur les juifs tunisiens. La
majorité des passagers débarquant à Marseille n’effectue qu’un court
transit dans la ville (Touati, 1961). L’arrivée sur Belleville se fait
au gré des filières familiales, mais également grâce à l’activité d’un
service du FSJU, le Bureau d’Information et d’Orientation (le BIO)
ouvert en 1961, qui jouera un rôle déterminant pour l’accueil des
« réfugiés » d’Afrique du Nord. L’hébergement constitue véritablement le
point noir de l’accueil des « réfugiés » et les agents du BIO consacrent
une grande partie de leurs ressources à recenser les logements vacants
et à s’assurer des garanties minimales des propriétaires. Cette mission
d’orientation explique la localisation préférentielle des juifs
tunisiens dans quelques quartiers, et notamment Belleville. C. Lancar,
qui a par ailleurs participé au service logement du BIO, rappelle que
les responsables de la communauté parisienne ont mené « l’étrange
politique qui consistait à favoriser le regroupement des juifs du Ghetto
de Tunis à Belleville » (Lancar, 1970). Pour quelle raison ? Parce que
« subsistait la crainte d’une résurgence de l’antisémitisme, provoquée
par la dispersion dans la ville des familles du Ghetto dont les
particularités étaient apparentes. Belleville, Ghetto ouvert et libre
permettait d’absorber cette immigration sans trop de dégâts » (Lancar,
1970 : 17).
Il semble
pour le moins excessif de considérer que l’installation des juifs
tunisiens de la ‘Hara a été planifiée par les instances
communautaires, mais le rôle joué par le BIO a sans aucun doute
contribué à orienter des familles vers les taudis vacants de Belleville.
Suivant une routine bien établie, les « réfugiés » sont pris en main dès
leur descente de bateau ou d’avion et sont conduits vers les principaux
quartiers d’accueil, de telle sorte que la chaîne rattachant Belleville
à la ‘Hara est assurée par les services sociaux de la
communauté. Extraits brutalement d’un univers extrêmement structuré, aux
rôles sociaux balisés par la tradition et aux rythmes de vie reproduits
de génération en génération, les juifs tunisiens des milieux populaires
se trouvent confrontés à un système totalement nouveau. Désorientés par
la perte des anciennes références, ils tentent de se constituer un
univers protecteur où la brutalité de l’intégration sera atténuée. Cet
univers intermédiaire, plus tout à fait la Tunisie, mais pas encore la
France, se concrétisera à Belleville.
En
arrivant à Belleville, les juifs tunisiens vont trouver une vie locale
très structurée, quoique confrontée à une mutation rapide. Le monde
ouvrier du quartier est en train de s’effondrer sous les bulldozers de
la rénovation urbaine et les relogements dans les HLM de la périphérie.
La communauté juive ashkénaze qui s’était constitué un petit territoire
à Belleville est ressortie exsangue des déportations. Ceux qui sont
revenus ou ont réussi à rester connaissent une promotion sociale qui les
conduit à abandonner leurs activités14.
Progressivement, les juifs tunisiens vont se couler dans les structures
animées par les juifs d’Europe centrale et orientale, avant de les
reprendre à leur compte. L’essentiel est déjà là : des commerces
répondant aux besoins de la communauté (restauration, alimentation,
articles de culte), des activités artisanales susceptibles d’offrir des
emplois correspondant aux qualifications des nouveaux venus, des lieux
de culte, des associations de bienfaisance. Seulement cette
infrastructure était destinée pour et animée par les
juifs ashkénazes. Les pâtisseries ne proposaient pas de douceurs au
miel, mais des Delicatessen, les restaurants ne cuisinaient pas
de couscous, mais du Gefilte Fish et la synagogue ignorait les
chants judéo-arabes au profit des Lieder en yiddish. Deux
mondes qui avaient prétention à représenter le judaïsme dans sa totalité
se trouvaient brusquement confrontés et, en dépit des apparences de
proximité religieuse et culturelle, l’acculturation réciproque n’allait
pas de soi.
Beaucoup
de choses opposent les nouveaux venus à leurs coreligionnaires. Les
milieux juifs ashkénazes de Belleville s’étaient rapidement émancipé de
la communauté traditionnelle, abandonnant la dimension religieuse
stricte tout en conservant les éléments saillants de la culture yiddish.
De leur point de vue, le système communautaire traditionnel réactivé par
les juifs tunisiens lors de leur arrivée à Belleville représente une
marque d’arriération et leur renvoie une image du judaïsme dont ils se
distancient. Leur religiosité naïve et démonstrative, leur soumission
aux structures patriarcales et à l’autorité des responsables
communautaires, leur faible conscience politique, leur présence
exubérante dans l’espace public sont perçues négativement par les
milieux ashkénazes. Pour les familles durement éprouvées par les rafles
de la police française et les déportations, l’arrivée tapageuse des
juifs tunisiens attise la crainte d’une résurgence de l’antisémitisme.
Ces critiques d’ordre symbolique sont alimentées par une compétition
bien concrète pour le contrôle des ateliers, des commerces et des lieux
de culte. Partageant d’abord en parents pauvres les emplois, boutiques
et places à la synagogue que les ashkénazes voulaient bien leur laisser,
les juifs tunisiens se sont emparés progressivement des leviers de la
vie communautaire. Les petites querelles de préséance, la répartition
des places disponibles dans les cafés ou sur les trottoirs du boulevard
de Belleville fournissent également l’occasion de frictions. Les
pionniers de la communauté juive tunisienne en parlent comme de leur
« conquête de l’Ouest ». Petit à petit, ils reprennent les espaces
d’animation et s’imposent dans la vie locale. Le centre yiddish
bellevillois laissait place à l’univers méditerranéen et arabe. Et c’est
toute l’ambiance qui change.
En
relevant les noms sur les boîtes aux lettres, C. Tapia fournit des
proportions de familles juives maghrébines par rue au début des années
1970 : environ 7 250 personnes résidaient dans le périmètre de
Belleville (Tapia, 1986). L’épicentre du Belleville juif, séfarade se
forme dans les rues où, deux décennies plus tôt, résidaient les juifs
polonais. La concentration résidentielle des ménages juifs est associée
au développement d’une imposante armature commerciale et à l’ouverture
d’équipements communautaires : lieux de culte, maisons communautaires,
services sociaux. Le Ghetto n’est pas seulement recréé dans ses formes
matérielles, il existe avant tout par son atmosphère particulière
d’espace protégé. Les commerces, la synagogue, l’occupation des
trottoirs, le rythme de la vie quotidienne même : tout ici évoque la
Tunisie. Les épiceries vendent les inévitables salaisons et olives, les
boutargues pendent en devanture, les pâtisseries regorgent de
baklava, de makroud, de manicoti et de zlabia.
Dans les cafés, des hommes attablés disputent les parties de scopa
en écoutant des mélopées du folklore judéo-arabe, quand ce n’est
pas tout simplement de la musique arabe. Le samedi soir, après le
dernier office à la synagogue, le trottoir de Belleville et la rue
Ramponneau se remplissent d’une foule bruyante venant manger les
traditionnels casse-croûtes tunisiens dans les nombreuses
épiceries-snacks du quartier : Benisti, Chez Gabin, au
bar d’Ashod et bien d’autres encore. L’animation autour des
commerces est relayée par une occupation constante de la rue. Lieu
central de la vie sociale, la rue se propose comme une extension du
foyer. Aux beaux jours, il n’est pas rare de voir sortir les chaises sur
les trottoirs des passages. Les locataires des immeubles s’y croisent et
s’y retrouvent, tous sont assurés d’y rencontrer un visage familier.
Fuyant les logements encombrés, les enfants y établissent leurs jeux,
transformant les étroits passages en une cour de récréation sous la
surveillance attentive du voisinage. La convivialité des relations de
voisinage accrédite la sensation de vivre dans un village. Le
regroupement des juifs tunisiens dans les mêmes rues et les mêmes
immeubles compose un univers d’inter-connaissance extrêmement dense.
La vie
quotidienne des juifs tunisiens suit le rythme du calendrier religieux
et, compte tenu de l’importance de la présence juive dans l’animation
locale, c’est tout le quartier qui finit par respecter cette
temporalité. Pour les non-juifs, la matérialisation de la présence de la
communauté et de son rythme d’existence passe d’abord par les commerces.
Leur fermeture pour le shabbat du vendredi soir au samedi soir
plonge le quartier, du moins son secteur à dominante juive, dans une
léthargie que tous subissent15.
Plus encore que la fermeture hebdomadaire, le quartier se mobilise de
façon plus marquante au moment des grandes fêtes du calendrier
religieux : Rosh Hoshanna, Kippour, Hannouca,
Pessah. Les écoles se vident de leurs élèves juifs, tandis que
les salles louées pour l’occasion débordent d’un public venu parfois de
très loin pour renouer avec le rite traditionnel. L’affluence témoigne
de l’attachement des juifs tunisiens à la perpétuation d’une tradition
qui trouve à Belleville son accomplissement. Pour Soûkot, les
enfants distribuent dans la rue le bouquet formé des branches
appartenant aux « quatre espèces » (palmier, myrte, saule et cédrat).
Les familles pouvant disposer d’une cour collective bâtissent la cabane
(Souka) dans laquelle se prennent les repas.
La
reconstitution du ghetto procède également par petites touches, moins
spectaculaires mais indispensables à l’authenticité de l’ambiance. Il y
a d’abord la présence continue de passants présentant les signes
d’appartenance à la communauté : kippa parfois, casquette ou chapeau le
plus souvent pour les hommes et, de façon plus récente pour les femmes,
un filet, une large casquette ou une perruque qui dissimule les cheveux.
Portant le chapeau noir et la tenue stricte des hassidim de
Loubavitch, quelques silhouettes sombres traversent la rue à pas
rapides. Des groupes d’hommes stationnent longuement sur les trottoirs
du boulevard, se défont et se refont plus loin. L’appropriation de
l’espace public se fait également par une occupation sonore composant
une ambiance méditerranéenne. On s’apostrophe bruyamment, on prend des
nouvelles de la famille et des connaissances communes. Le judéo-arabe,
entrecoupé d’expressions françaises, zézaie et grimpe à des hauteurs
vertigineuses dans les aigus. La langue sait habiller les impressions
suscitées par la succession de commerces exotiques. Volubiles et
bilieux, les juifs tunisiens de Belleville ont la réputation de
s’imposer ostensiblement dans l’espace public. Cette pratique
extravertie de la sociabilité est parfois jugée excessive, mais elle est
devenue l’un des signes distinctifs de la « tunisianité ».
Mais la
principale manifestation de l’existence d’une communauté juive à
Belleville réside dans la succession de commerces revendiquant le label
cacher et l’affichant sur leur devanture. Dans le seul périmètre
bellevillois, on relève ainsi l’existence, dans l’édition 1996 de
l’annuaire du consistoire, de 21 commerces disposant du label du Beth
Din : une alimentation, 4 boucheries, 6 pâtisseries, 7 restaurants et 3
traiteurs16.
D’autres commerces, notamment des boucheries, se tiennent à l’écart du
contrôle consistorial. L’étonnante prolifération des boucheries juives
tunisiennes – vingt et une boucheries en 1970 et plus d’une dizaine en
1990 – s’explique tout d’abord par les nécessités de reclassement d’une
corporation pléthorique en Tunisie. Une autre explication tient à la
place stratégique occupée par le commerce de la viande dans la
manifestation ethnico-religieuse. Qu’on songe un instant que sur une
mince bande de 200 mètres sur 600 mètres, du métro Belleville au métro
Ménilmontant, on comptait au milieu des années 1990 pas moins de 30
boucheries, dont 15 cacher, 12 halal (musulmanes), 1
asiatique et 2 bretonnes. Chaque communauté fréquente en priorité son
propre commerce. Alors que la clientèle des épiceries orientales
présente une certaine mixité, celle des boucheries est exclusive.
L’interdit qui porte sur la consommation carnée est le plus absolu, même
lorsqu’on a abandonné toute justification religieuse. Les clients
« français17 »
n’achètent que très rarement dans les boucheries cacher ou
halal, bien qu’aucune restriction ne soit spécifiée par le dogme
chrétien. On met en avant une certaine répugnance à l’égard de la
présentation des morceaux de viande, des modes de découpe ou des
conditions d’hygiène dans les boutiques. En revanche, l’achat dans les
boucheries asiatiques rencontre moins de réticence. La vente de viande
de porc, commune aux Asiatiques et aux « Français », n’est pas évoquée,
mais elle figure en creux dans les éléments attractifs18.
Curieusement, les commerçants maghrébins sont persuadés que les
« Français » fréquentent plus volontiers leurs boucheries que les
commerces asiatiques, jugés beaucoup plus exotiques.
Le
développement de l’armature commerciale ethnique signale l’une des
fonctions essentielles de Belleville : une fonction de centralité pour
une communauté élargie ne résidant pas sur place mais désirant maintenir
un lien avec le groupe originel en consommant les signes de
l’appartenance au judaïsme tunisien. Ce lien réside non seulement dans
la conservation de l’alimentation cacher, commune à l’ensemble
de la judaïcité religieuse, mais aussi dans la fréquentation des mêmes
commerces et commerçants, avec lesquels on entretient des rapports
personnels, voire affectifs19.
Année après année s’impose l’habitude de s’approvisionner en produits
« authentiques » réveillant le souvenir de la Goulette ou du Tunis de
l’enfance, dans des lieux où l’on est certain de rencontrer des
connaissances. Le quartier s’emplit alors chaque jeudi d’une clientèle
juive venue s’approvisionner pour la préparation du shabbat du
vendredi, tandis que le dimanche est consacré aux courses qui ne peuvent
s’effectuer en semaine. Les chiffres d’affaire des boucheries et
pâtisseries, anémiques le reste de la semaine, se réalisent ces
jours-là. De même, les jours précédant les grandes fêtes du calendrier
religieux voient augmenter de façon spectaculaire l’affluence des
commerces juifs. D’après une enquête réalisée à la sortie des boutiques
du quartier au moment des fêtes de Tichri20,
près de la moitié des clients ne résident pas à Belleville21.
Grâce à cette fréquentation extérieure et ponctuelle, le quartier
conserve un peu de l’animation des années de l’âge d’or.
Dans
l’espace urbain saturé des signes de rattachement au judaïsme – façades
surchargées des commerces, sorties groupées des enfants des écoles
juives, affichettes d’information sur la vie de la communauté – la
banalisation des appartenances relève de l’impossible. Chacun est pris
dans un ensemble de signes qui l’obligent à se définir par rapport aux
différentes communautés présentes sur le théâtre bellevillois.
Interpellé, le juif tunisien qui préférerait évoluer dans un
environnement plus neutre, sans exhibition de l’origine, n’a d’autre
recours que la fuite22.
La concentration de commerces, institutions sociales communautaires,
écoles et lieux de culte n’est pas sans évoquer une sorte d’eruv
immatériel, symboliquement tracé par la proximité des édifices
fréquentés par les membres de la communauté qui peuvent, sans sortir
d’un étroit périmètre, réaliser l’essentiel de leurs activités sociales
et rituelles23.
Dans
l’organisation tunisienne traditionnelle, le religieux et le social sont
confondus et relèvent des mêmes structures. Dans le contexte français,
la sécularisation de l’appareil communautaire a distingué ces deux
missions et des structures bien dissociées sont en charge des activités
relevant de la religion, d’une part, et du domaine de l’intervention
sociale, d’autre part. Ces différences dans l’organisation des
institutions représentatives vont susciter de nombreuses dissensions
lorsqu’il s’agira d’intervenir auprès de la population de Belleville.
On
dénombre à Belleville plusieurs communautés organisées autour d’un ou
plusieurs leaders, d’un lieu de culte et d’activités communes
aux fondements religieux, mais qui recouvrent le plus souvent des
dimensions sociales, culturelles ou festives. Le paysage actuel résulte
de scissions et de conflits dont les péripéties témoignent de la vive
compétition à laquelle se sont livrées, et se livrent encore, les
différentes communautés pour exister. Bien que la dimension religieuse
ne soit pas toujours essentielle, le contrôle des lieux de culte
constitue l’enjeu principal de la lutte. Le consistoire, instance
officielle du judaïsme français, gère les lieux de culte et désigne les
rabbins officiant dans les synagogues qu’il reconnaît. Dans les faits,
la création de communauté n’a pas toujours été pilotée par l’organe
central et celui-ci a souvent dû entériner une situation déjà établie.
La multiplication à Belleville des lieux de culte, synagogues ou simples
oratoires, dévolus à des rites tunisiens, algériens ou ashkénazes, mais
surtout dirigés par des responsables considérés comme légitimes par la
communauté, illustre la nécessaire connivence entre l’autorité morale et
ceux dont elle a la charge. L’espace communautaire bellevillois s’est
ainsi constitué progressivement, au terme de rapports de force constants
entre les différents leaders locaux, puis entre ces
représentants et les instances officielles.
Actuellement, l’essentiel de l’activité communautaire à Belleville
gravite autour de la synagogue de la rue Julien Lacroix et de son comité
de gestion où se sont réunis une partie des notables. Reconnu par le
consistoire, le comité de gestion étend son autorité sur la communauté
en développant les activités d’aide sociale par l’intermédiaire d’une
association créée en 1965 et nommée « La Bienfaisance ». L’essentiel des
fonds de l’association provient des subventions du consistoire,
auxquelles s’ajoutent des dons récoltés au cours des offices religieux,
avec la mise aux enchères de la « montée à la Torah », ou lors
des célébrations exceptionnelles. L’association apporte des aides
financières et distribue, tous les jeudis, les « paniers du shabbat »
aux familles les plus démunies. Cette tradition, vivace en Tunisie sous
la forme du hilluq et réactivée à Belleville, consiste à
procurer les éléments de base pour préparer le shabbat : huile,
semoule, légumes, parfois viande. Pour les grandes fêtes, comme
Pessah ou Hannoucca, l’ordinaire est amélioré et
l’association est chargée par le consistoire de distribuer des sommes
d’argent parfois conséquentes. Elle y gagne la reconnaissance d’un rôle
d’intermédiaire incontournable entre les membres de la communauté et les
institutions juives. Cette position stratégique n’est pas sans poser
problème aux intervenants professionnels des services sociaux de la
communauté.
La
responsabilité d’assistance aux démunis de la communauté confère au
président et à l’administrateur de l’association un ascendant et un
prestige considérables. Le président est un ancien notable de Tunis.
L’émigration, qui rapproche des milieux populaires peu fréquentés en
Tunisie, a été vécue comme un déclassement24.
L’investissement dans l’animation religieuse et sociale de la communauté
compensera la perte de statut social. Son engagement ne se limite pas à
la vie de la communauté, puisqu’il sera conseiller municipal du XIe
arrondissement sur la liste du parti socialiste. De son côté,
l’administrateur présente un profil étonnamment complémentaire. S’il a
également occupé des responsabilités électives au cours de deux mandats,
de 1983 à 1995, c’est comme adjoint au maire UDF du XXe arrondissement.
Originaire d’un milieu social modeste, il est responsable d’un mouvement
de jeunesse sioniste à Tunis. Après son installation à Belleville, il va
progressivement devenir l’un des personnages incontournables de la
communauté. Son engagement dans l’animation du milieu juif tunisien suit
deux axes complémentaires. Attaché à la revitalisation de la tradition
religieuse, il s’active pour imposer le rite tunisien à la synagogue,
ainsi que toutes les célébrations en vigueur à Tunis. Cette implication
dans la vie religieuse de la communauté se double d’une position
centrale au cœur des réseaux juifs tunisiens de Belleville. Dispensant
conseils aux uns et avis autorisés aux autres, il se trouve impliqué
dans les histoires de famille. Il tranche dans les conflits, participe
aux décisions intéressants l’avenir des enfants, leur orientation ou
même le choix du conjoint. Il intervient auprès des services sociaux,
ceux de la communauté comme ceux de la collectivité française, pour
appuyer des demandes et traite avec les élus municipaux pour faire
avancer les dossiers administratifs... Bref, il devient le personnage
incontournable de la communauté de Belleville, régentant son monde d’une
manière autocratique tout en assurant la permanence de la société juive
tunisienne.
La gestion
de la communauté repose donc sur une alliance étonnante entre un notable
influent, mais peu investi dans la vie quotidienne des habitants de
Belleville, et un « entrepreneur identitaire »25
à la Tunisienne qui est parvenu à se doter d’une très forte légitimité
auprès des membres de la communauté. L’influence de ces notables entre
rapidement en concurrence avec les institutions juives d’intervention
sociale qui ne tardent pas à s’investir sur le quartier. La plupart des
institutions intervenant auprès des familles juives (CASIP, OSE, OPEJ)
mettent en place des structures pour encadrer la population et favoriser
son intégration. Elles sont ainsi devenues des acteurs locaux
déterminant dans la vie quotidienne du quartier, tout en suivant des
objectifs relativement distincts de ceux qui animent la bienfaisance
traditionnelle. De multiples contradictions opposent de fait ces
services, porteurs d’un savoir-faire professionnel et d’une éthique
dictée par une conception moderne et relativement laïque du judaïsme,
aux milieux communautaires traditionnels de Belleville qui ne
considèrent pas toujours favorablement l’irruption de ces interlocuteurs
dans leurs domaines privilégiés d’intervention.
Les
divergences entre le fonctionnement communautaire local et les
institutions se cristallisent sur la distribution des aides en direction
des pauvres de la communauté. Du point de vue des leaders
locaux, la liste des bénéficiaires est simple à établir : la communauté
connaît ses pauvres et entend les secourir selon ses propres critères.
Les services sociaux suivent une autre logique en privilégiant des
critères de sélection des bénéficiaires calqués sur l’action sociale
professionnelle. À l’occasion de la distribution des Matzot et
de la poule de Pessah26,
qui s’accompagne également d’une aide financière, le CASIP a ainsi
demandé aux responsables de la communauté de Belleville de vérifier les
revenus des bénéficiaires, selon les modalités couramment pratiquées
dans le cadre de l’action sociale. L’initiative s’est heurtée à une
franche hostilité des responsables qui ont exigé l’exclusivité des
critères d’attribution, établissant de la sorte une frontière à leur
territoire que les services sociaux ne devaient pas transgresser. La
coexistence entre ces deux émanations de la communauté, locale ou
institutionnelle, est en définitive largement tributaire d’une
compétition entre deux approches de l’intégration : l’une insistant sur
la permanence des racines grâce à la recréation du milieu traditionnel
tunisien, l’autre s’appuyant sur l’abandon du cadre strictement tunisien
au profit d’une référence élargie au judaïsme, dans sa formulation
française et laïque.
La
distribution des secours aux « pauvres » de la communauté confine
parfois à l’imitation de la tradition, comme dans le cas des activités
d’une association de bienfaisance indépendante de la synagogue, le
Chalom fraternité. Par manque de moyen, à moins qu’il ne s’agisse
d’une stratégie délibérée, celle-ci mettait en scène sa prodigalité,
chaque jeudi, sur le terre-plein du boulevard de Belleville. À l’heure
de la distribution, un attroupement de personnes âgées, des femmes en
majorité, se forme autour d’une voiture ou une estafette stationnée sur
le terre-plein et contenant les fameux panier-repas du shabbat.
Aucune marque distinctive ne signale le nom de l’association et seuls
les initiés connaissent les procédures à suivre. En échange de la
présentation d’une carte attribuée par l’association, chacun reçoit un
« panier », tandis que des curieux attirés par l’animation tentent de
comprendre la nature de cette distribution. Des femmes africaines se
font parfois éconduire, sans avoir tout à fait compris le contexte de
l’opération. Pour beaucoup de juifs tunisiens de Belleville,
l’exhibition de la charité est choquante à plus d’un titre. Elle expose
la vulnérabilité des personnes âgées, ce qui discrédite la légendaire
solidarité entre les générations et renvoie une image misérabiliste de
la communauté.
Les
institutions portent un jugement relativement ambivalent sur Belleville.
Si elles mettent en avant le rôle positif qu’a rempli la structure
communautaire tunisienne pour l’accueil et l’adaptation des familles
traumatisées par l’exil, elles pointent aussi les impasses d’un repli
trop important sur le quartier. Le travail effectué par le centre de
l’OSE vise ainsi à réduire l’enfermement des familles les plus fragiles.
Dépendant du milieu communautaire sécurisant, celles-ci n’évoluent que
dans le petit périmètre bellevillois. Ces difficultés à sortir de
l’univers familier concernent les familles ayant « raté leur
intégration », selon les termes d’une intervenante. Après quelques
années en France, l’amélioration de leur situation socio-économique a
permis à de nombreuses familles de Belleville de quitter le quartier
pour des logements de meilleure qualité et un environnement plus stable.
D’autres sont restées par choix, mais évoluent dans un espace très
éclaté dont Belleville ne représente qu’un pôle. Enfin, celles qui ont
rencontré des échecs successifs apparaissent captives du petit milieu
bellevillois, fraternel mais forcément limité. Les atouts qu’apporte un
quartier comme Belleville pour l’intégration des migrants apparaissent
alors terriblement nuancés par l’inertie imposée aux trajectoires et la
répétition des problèmes sociaux dans les familles. Maintenues dans les
marges de la société d’installation, ces familles incorporent
difficilement les éléments indispensables à une évolution autonome. En
particulier, la préservation de l’usage du judéo-arabe se fait au
détriment d’une maîtrise du français.
La
pratique religieuse à Belleville a connu de fortes fluctuations. Pour
simplifier, on retiendra deux périodes. La première se situe à l’arrivée
de Tunisie et se prolonge jusqu’à la fin des années 1970. Elle se
caractérise par une prise de distance relative à l’égard de la religion,
processus largement engagé en Tunisie, mais qui se poursuit dans le
contexte bellevillois. La dimension culturelle du judaïsme tunisien tend
à l’emporter sur la pratique religieuse, même si celle-ci demeure
vivace. Après quoi lui succède une période de retour au religieux (Techouva),
qui n’est évidemment pas propre au quartier, mais qui va prendre une
dimension intéressante à détailler dans le cadre bellevillois. Aux
signes ordinaires d’appartenance au judaïsme viennent s’ajouter des
pratiques plus exigeantes. L’accomplissement de toutes les
recommandations spécifiées par le rite respecte une liste qui s’allonge
en fonction du degré d’observance retenu : la pose de mezouzot
au seuil du foyer familial et de chaque édifice fréquenté par des juifs,
le respect d’une cacherout plus exigeante (séparation des
aliments carnés et lactés dans les repas, utilisation des « deux
vaisselles » pour chacun des genres d’aliments), la fréquentation du
mikvé, le port constant de la kippa ou d’un couvre-chef quelconque
pour les hommes et, de plus en plus, d’une démarche similaire pour les
femmes.
Le
renforcement des conditions de la pratique religieuse prend à Belleville
une dimension toute particulière dans la mesure où la communauté
tunisienne a conservé une religiosité relativement forte, si on la
compare à la situation moyenne du judaïsme au milieu des années 1970. Le
« retour » qui s’opère alors suit des modalités qui heurtent de front le
contexte traditionnel. Si la nouvelle normativité religieuse n’a
généralement rencontré que fort peu de résistance dans les communautés
sensibles à un renouveau du judaïsme, elle n’a pas véritablement séduit
les milieux traditionnels attachés à leurs rites et coutumes. Aux marges
de la mouvance de l’orthodoxie juive, le mouvement Loubavitch a
progressivement consolidé son influence auprès des juifs originaires
d’Afrique du Nord. Bien que s’inscrivant dans la filiation du hassidisme
d’Europe orientale, les Loubavitch ont su répondre aux attentes des
jeunes séfarades déracinés, en recherche d’une « rejudaïsation » tout en
réalisant la rupture avec une tradition vécue comme pesante (Podselver,
1990). En ce sens, le mélange de messianisme, de rigorisme et d’exigence
absolue qui caractérise le hassidisme lui permet de s’instituer en
référence totalisante face aux autres compromis réalisés par les
différentes facettes du judaïsme. Dans sa prétention à investir
l’ensemble des aspects de la vie quotidienne, le hassidisme se confronte
logiquement au mode de vie traditionnel.
Les
différentes tentatives « d’entrisme » exercé par les Loubavitch dans la
communauté bellevilloise ont cependant échoué. Neutralisés dans l’espace
rituel, ils ont néanmoins installé à Belleville l’un de leurs centres
parisien et ouvert deux écoles. L’impact du mouvement Loubavitch auprès
des membres de la communauté reste difficile à apprécier. La
participation active de nombreux commerçants qui relaient les campagnes
de vérification des téfilines lancées par les Loubavitch ou
l’exposition de la photo encadrée du Rabbi Schneerson, accompagnée du
fameux Dollar27,
sur la plupart des étalages bellevillois témoignent de l’écho rencontré
par les symboles du mouvement. Du reste, la contradiction entre le
rigorisme des Loubavitch et les positions plus conciliantes des
institutions habituelles du judaïsme français n’est pas relevée au
niveau des pratiques quotidiennes par les juifs bellevillois. On assiste
au contraire à une sorte de syncrétisme entre les différents signes des
tendances du judaïsme, phénomène parfaitement illustré par la décoration
de la boutique tenue par l’administrateur de la synagogue. Les poissons
et Khamsa (mains à 5 doigts) des croyances populaires
tunisiennes côtoient le fameux portrait du rabbi de Loubavitch et le
présentoir distribuant « Actualité juive », le journal des milieux
consistoriaux.
En
définitive, les divergences concernent moins des interprétations
religieuses que des modes d’expression et de visibilité de la pratique.
Ainsi, la compétition à laquelle se livrent les associations de
bienfaisance et le mouvement Loubavitch pour assurer la représentation
des juifs dans le quartier fait l’objet de nombreuses critiques. Même
s’il ne s’agit que d’une retombée indirecte de leurs activités
prosélytes ou charitables, l’affichage de plus en plus exubérant des
signes de l’existence communautaire contrarie la banalisation de la
judéité. Le quadrillage des rues du secteur juif Belleville par les
militants Loubavitch qui proposent la pose de téfilines aux
passants28 et,
plus fréquemment, aux employés des commerces juifs, irrite tout
particulièrement les habitants qui considèrent « qu’ils font trop de
zèle ». Par ailleurs, cette prise de possession de l’espace public
apporte une trop grande publicité à la communauté, déjà fortement
« déprivatisée » avec les manifestations médiatiques, aussi bien
religieuses (Yom HaTorah ou « jour de la Torah » par
exemple) que culturel ou politique (engagement auprès d’Israël ou
mobilisations contre l’antisémitisme)29.
Le sentiment d’une visibilité excessive de la judaïcité gagne dans les
milieux modérés qui considèrent avec circonspection la montée de
l’orthodoxie religieuse militante. Dans sa forme la plus radicale, cette
orthodoxie tranche par sa « définition réactive face à la modernité »
avec le « traditionalisme tranquille » et plus ouvert défendu par les
tenants du judaïsme tunisien30.
De nombreuses options divergentes opposent ces conceptions du judaïsme
qui entrent en conflit pour énoncer le « nouveau modèle d’excellence
juive » (Saada, 1993 : 115).
Il faut
néanmoins replacer cette surenchère dans la visibilité dans le système
bellevillois. Le manque de retenue dans l’expression publique ne
concerne pas que les juifs de Belleville, mais s’étend à tous les
groupes influents sur la scène locale : asiatiques, maghrébins
musulmans, africains, artistes, militants associatifs. En ce sens,
l’appropriation de l’espace urbain à l’occasion de manifestations
religieuses ou par l’expression d’une sociabilité extravertie ne met pas
en péril la cohabitation entre les différentes composantes du quartier,
elle constitue au contraire les fondements de l’intégration à la
bellevilloise. Car la constitution et l’évolution du quartier « tune »
ne s’effectuent pas de façon autonome, suivant des logiques qui lui
seraient spécifiques. La structuration communautaire des juifs tunisiens
doit tenir compte des contraintes énoncées par l’histoire et le cadre
bellevillois. De même, l’ordre social bellevillois se construit avec
l’apport dynamique de ses différentes composantes, dont les juifs
tunisiens composent un bloc extrêmement présent. Si la mémoire et les
usages des juifs tunisiens ont été façonnés par le contexte et la
personnalité de Belleville, le système bellevillois31
s’est lui aussi beaucoup inspiré des modalités de la « cohabitation à la
tunisienne ».
Au moment
de l’exil, la société juive tunisienne apparaissait fortement
hiérarchisée. Une petite élite, une classe moyenne en progression et une
masse de pauvres, bien qu’appartenant à la même communauté,
communiquaient peu et évoluaient séparément dans une relative
indifférence. Pour une minorité de familles aisées, les artisans,
commerçants et employés des quartiers mixtes de Tunis, l’émigration va
bouleverser cet ordre social. Parties en catastrophe, elles font
l’expérience de la précarité et unissent leur destin à celui des classes
populaires. Elles emprunteront les mêmes itinéraires, rencontreront les
mêmes obstacles et, finalement, trouveront refuge dans les mêmes
logements. Pour ces familles, l’exil s’accompagne d’une terrible perte
de statut. L’arrivée en France signifie le plus souvent une
réorientation professionnelle, synonyme de prolétarisation pour la
plupart des petits métiers artisanaux. Les nombreux bijoutiers ou
travailleurs du cuir n’ont pas trouvé à exercer leurs compétences et ont
le plus souvent dû se reconvertir dans d’autres activités. La
dégradation du statut professionnel est vivement ressentie, au point que
48 % des juifs tunisiens de Belleville considèrent que leur niveau de
vie est inférieur en France de ce qu’il était en Tunisie. Il est vrai
que sur les 52 % de personnes enquêtées en 1970 et travaillant comme
artisans et commerçants en Tunisie, seuls 26 % d’entre elles avaient
conservé cette activité, les autres venant grossir les rangs des 63 %
d’ouvriers, manœuvres et petits employés. Et pourtant, Belleville a
offert pendant longtemps d’importants débouchés professionnels dans ses
ateliers et commerces tenus par la communauté...
La
prolétarisation se poursuit avec l’installation dans les taudis
bellevillois, à proximité d’une population qu’on ne fréquente plus
depuis longtemps, parfois plusieurs générations, et dont on ne partage
ni les coutumes, ni la manière de vivre. La vie quotidienne fournit de
nombreuses occasions de constater les différences subtiles d’usages qui
sont autant de critères de distinction sociale :
« Mes
parents ont été élevés dans le bilinguisme le plus complet. Ma mère a
été scolarisée à l’Alliance. Elle a toujours écrit et parlé un parfait
français. Elle trouvait que les Français de Belleville étaient
vulgaires car ils utilisaient des mots qu’elle n’avait jamais
utilisés. Du côté paternel, mon grand-père était quand même
contremaître au chemin de fer français, un monsieur très petite
bourgeoisie. Du côté de ma mère, ma grand-mère était sage-femme, elle
accouchait les femmes du Bey, c’était pas n’importe qui. C’étaient des
gens qu’on appelait les bonnes familles à Tunis. Même s’ils avaient un
style de vie très tunisien, c’étaient pas des... Les femmes à
Belleville sortaient les chaises dehors, ma mère n’a jamais fait ça.
Je n’ai jamais vu ma mère assise dehors. Souvent elle s’arrêtait pour
discuter, elle était amie avec les autres quand même. Par exemple sur
les photos de la circoncision de mon frère, il y a beaucoup de gens de
l’immeuble. Ce n’est pas qu’elle ne les fréquentait pas, mais elle
n’était pas tout le temps dehors, elle n’avait pas cette familiarité
avec les autres »32.
L’origine
tunisienne et l’appartenance au judaïsme ne constituent pas
nécessairement des affinités suffisantes pour dépasser les frontières
sociales, bâties sur des années de socialisation et de formation aux
codes de son groupe. La reproduction, en situation d’émigration, des
clivages en vigueur en Tunisie ne doit pas surprendre. La reconstitution
du milieu d’origine ne doit-elle pas respecter les segmentations
significatives ? Il est vrai que ces différenciations se tiennent dans
un espace plus réduit qu’à Tunis. La séparation des territoires est
désormais délicate, d’autant plus qu’il importe d’affirmer la cohésion
de la communauté face à un environnement encore plus dissemblable.
Confrontés aux autres populations du quartier, les juifs tunisiens
minimisent leurs dissonances et se dotent d’une identité collective qui,
jusqu’à un certain point, transcende les différences de statut.
L’expression des hiérarchies dans la communauté se maintient désormais
grâce à un subtil système de convenances, intériorisées en Tunisie et
reproduites dans la vie quotidienne à Belleville. Quand on occupe un
rang, certaines choses ne se font pas, ce qui n’empêche nullement
d’entretenir de multiples relations avec la communauté. Parmi les
occasions où se manifestent les positions sociales, le choix du conjoint
est d’une importance capitale. L’impératif du mariage entre juifs,
tunisiens de préférence, ne saurait suffire. On ne brade pas les
alliances de la famille, il importe de respecter un certain nombre de
critères engageant la respectabilité, l’honneur et les calculs bien
compris. Le mariage préférentiel entre cousins ayant été abandonné par
la plupart des familles, on accorde une préférence aux soupirants « bien
nés ». Les critères utilisés en Tunisie restent valables en France. Le
milieu social d’origine pèse un poids déterminant. Il équivaut souvent à
une origine géographique, comme dans cet exemple :
« Quand j’ai annoncé que ma fille s’était mariée, mes amis m’ont
demandé : "Elle a épousé un juif ?", j’ai dit : "Oui". "Ah bon, bon.
Mais un séfarade ou un ashkénaze?" j’ai dit : "un séfarade". "Ah, bon,
bon. Mais de quelle origine il est ? Égyptien, ou ...?", j’ai dit :
"Non, il est Nord-Africain", "Mais quoi, Maroc, Algérie... ?", "Non,
non pas du tout, Tunisie", "Ah. Très bien. Mais d’où ? du Nord, du
Sud ?", "de Tunis", "Alma! quelle chance tu as !!. Et de quel côté de
Tunis ?", j’ai dit : "De l’avenue de Londres", C’est la rue des jeunes
qui étaient plus ou moins à la page, et c’était la grande rue des
juifs tunisiens sortis du ghetto. Mes amis n’en revenaient pas : "Mais
où tu as déniché ce trésor là ?". On aurait été en Tunisie, ça aurait
été possible, mais on était là et je tombe sur l’oiseau rare... »33.
Les
alliances ne correspondent cependant pas toujours à ce qui était
recherché. Le déclassement vécu à l’arrivée à Belleville peut s’aggraver
avec l’union d’un de ses enfants avec un conjoint d’une origine plus
modeste. Les rapports entre les deux familles font alors ressurgir les
frontières sociales, au détour d’une conversation ou lors des fêtes de
familles. Pour cette femme dont la mère vient d’une famille granâ
de la haute bourgeoisie tunisienne, les hasards du travail à Belleville
l’ont amenée à se marier avec un commerçant de Belleville dont la
famille est d’origine populaire. Si cette union ne pose pas de problèmes
particuliers aux conjoints, elle nécessite un constant rappel des
positions sociales des familles respectives. Le recours à une allégorie
géographique particulièrement pertinente fait ici fonction de
distinction sociale. Pour comprendre le passage ci-dessous il faut
savoir que la mère venant de la haute bourgeoisie tunisienne a toujours
raconté à sa fille que « dans la ville de Tunis, il y avait une
fontaine et cet endroit coupait la ville en deux. D’un côté, il y avait
ce qu’on pourrait appeler Neuilly aujourd’hui, et puis de l’autre côté,
il y avait les quartiers où elle n’avait pas le droit d’aller ».
Laissons-la continuer à exposer une bonne manière de remettre les choses
en ordre :
« Quand je me suis mariée, il y avait des tiraillements avec ma
belle-mère. Un jour où elle me faisait des réflexions, ma mère qui ne
parle jamais, c’est quelqu’un de très discret, est sortie de ses gonds
et lui a dit : "vous savez, si on était encore à Tunis, ma fille
n’aurait jamais connu votre fils parce qu’elle n’aurait pas eu le
droit de traverser la fontaine". Ma belle-mère, de ce jour, ne m’a
plus jamais cassé les pieds parce qu’elle lui avait remis les pendules
à l’heure. La famille de mon mari vient d’un milieu disons très
modeste. Très honnête, très droite, des gens tout à fait respectables,
mais très modestes. Mon mari est un type très bien, donc mes parents
l’adorent et c’est vraiment comme un fils pour eux, mais de temps en
temps, ma mère, qui a quand même gardé quelques principes d’avant, me
dit "tu sais, si on vivait toujours à Tunis, tu ne l’aurais pas connu"
ou "tu ne l’aurais pas fréquenté...". Ce genre de choses, de temps en
temps ça ressort légèrement comme ça »34.
La
perception des différences de positions sociales n’implique pas
seulement des individus ou des familles. Elle tend à s’appliquer à
l’ensemble de la communauté bellevilloise qui est distinguée du reste de
la communauté juive tunisienne. Le quartier et ses habitants connaissent
alors la même dévalorisation. Ce mécanisme de stigmatisation conjointe
des hommes et du lieu existe depuis très longtemps à Belleville qui,
bien avant l’arrivée des juifs tunisiens, souffre d’une très mauvaise
réputation. Quartier de la sédition, repaire de mauvais garçons aux
mœurs plus que douteuses, amoncellement de taudis croulants et crasseux,
terrain d’élection des miséreux de la capitale, puis des immigrés aux
coutumes inquiétantes, Belleville aura reçu toutes les opprobres et
personnifié avec constance une certaine idée de la déchéance sociale. Il
apparaît donc normal que les juifs « basses classes » vivent à
Belleville, et réciproquement, que les habitants du quartier aient peu
de qualités. Pour les juifs tunisiens de la capitale, ceux de Belleville
incarnent la strate la plus arriérée de la communauté, la plus
clinquante et caricaturale. Souvent, elle fait honte par ses défauts
érigés en manière d’être, cette tendance à l’exhibition qui est
considérée comme une marque impardonnable de vulgarité :
« Jusqu’à il y a environ quinze ans, pour moi, Belleville était
synonyme de vulgarité. C’était un quartier où je ne devais pas aller,
ce n’était pas fréquentable du tout. Dire je vais à Belleville ou je
travaille à Belleville, c’était totalement péjoratif. Quand on disait
les "bouchers de Belleville", c’était l’horreur totale. Les choses ont
un peu changé aujourd’hui, mais jusqu’à il y a quinze ans, on a eu
l’image de la grosse Bellevilloise qui faisaient 120 Kg, vulgaire avec
les cheveux teints en roux ou en blond, avec les ongles courts et les
doigts bien boudinés avec quatorze bagues, enfin c’était l’arbre de
Noël hein »35.
Bien que
proposant une vitrine peu reluisante de la communauté, les juifs de
Belleville ont paradoxalement finis par représenter la tunisianité. Au
contact des pratiques développées dans le quartier, de nombreux juifs
tunisiens venant des classes moyennes se redécouvrent des racines ou des
habitudes qu’ils avaient abandonné parfois depuis plusieurs générations.
L’acclimatation prend alors des formes originales, puisqu’il ne s’agit
plus seulement de s’adapter à la société française, mais aussi et
surtout de se familiariser avec la vie juive tunisienne des milieux
populaires. Double apprentissage donc, qui prend des détours
surprenants, comme pour cette jeune femme venue aider son père dans la
boutique qu’il tient à Belleville et qui doit se familiariser avec le
judéo-arabe utilisé par les clients :
« On
n’a jamais parlé l’arabe chez moi, jamais. J’ai découvert l’arabe en
venant donner un coup de main à mon père à la boutique. Je me suis
trouvée parachutée dans un milieu que je ne connaissais absolument pas
et que je n’avais jamais fréquenté. Il y avait beaucoup de
familiarité, parce qu’à Belleville, tout le monde se connaît et se
tape sur l’épaule : "salut chérie ! ça va mon cœur ?". [...] Quand les
clients entrent dans la boutique, ils s’adressent à vous en
judéo-arabe. Mais ils voient tout de suite à votre tête que vous
n’avez pas compris. À partir de là, il faut un mot en arabe, deux mots
en français, mais il y a des mots, quoi qu’il arrive, qui sont en
arabe, ça il n’y a rien à faire, il y a des mots qui n’ont pas leur
équivalence française. [...] Je commence à comprendre l’arabe, avec le
temps, il y a même des mots qui sont rentrés dans mon langage »36.
Bien que
limitée à la pratique linguistique, l’expérience présente un cas
intéressant d’acculturation inversée : à la minorité en exil, plutôt
qu’à la société d’installation. Elle recoupe d’autres témoignages
évoquant le retour aux racines par l’usage d’une langue que la famille
avait pratiquement abandonnée dans le contexte tunisien. Ressuscitée à
l’occasion d’une immersion prolongée dans le milieu bellevillois, la
langue ancestrale se fait volontiers vecteur de l’identité :
« Mon
grand-père parlait le maltais, sa femme ne parlait que l’arabe. Mes
parents parlaient entre eux l’arabe, mais ils me parlaient à moi
français. Et moi, jusqu’à ce que je sois arrivé ici, je n’ai jamais pu
m’exprimer correctement en arabe. Maintenant, ça me sort tout seul.
C’est très étrange, je n’ai jamais parlé arabe à la maison, mais je
comprenais très bien tout ce qui se disait. Ici, je parle beaucoup
plus volontiers, sans aucune retenue pratiquement. C’est très étrange
comme retour. Le contact de la communauté de la rue Julien Lacroix, où
l’on parle beaucoup arabe, a sans doute joué »37.
Le
réinvestissement de l’identité juive tunisienne passe par cet usage de
la langue emblématique et l’adoption de pratiques tombées en désuétude
en Tunisie et qui reviennent à Belleville parées des atours de
l’authenticité. Nombre de juifs tunisiens font ainsi état d’une
fréquentation plus assidue des synagogues au moment des grandes fêtes du
calendrier religieux, notamment à celles qui sont plus spécifiques à la
Tunisie. Ce « revival » identitaire s’illustre tout
particulièrement à l’occasion de la cérémonie dite de la « levée des
sefarim ». Au cours de cette cérémonie, les rouleaux contenant les
textes de la Torah sont remisés dans leur armoire. Le rite
tunisien accorde une importance spéciale à cette opération, le plus
souvent accompli rapidement et sans manifestation particulière dans les
autres rites. Bien que se tenant à la synagogue, la fête ne relève pas
seulement du domaine religieux, mais tient aussi beaucoup de la
manifestation populaire. Une foule compacte et joyeuse se réunit dans un
va-et-vient continuel entre l’extérieur et la salle, tandis qu’on sert
rafraîchissements et collations diverses et qu’un orchestre seconde le
Hazan dans ses chants empruntés au répertoire sacré, mais
également populaire. Chaque nouvelle chanson à succès est accueillie par
une salve de youyous lancés par le public féminin. Après plusieurs
heures peut débuter le clou de la soirée : la mise aux enchères du
privilège de porter l’un des sefarim avant son retour dans
l’armoire pour une année entière. La liesse collective atteint son
paroxysme lorsque, dans une sarabande effrénée, la dizaine de
sefarim font le tour de la synagogue en recevant les embrassades
passionnées des fidèles.
De même,
les célébrations du cycle de vie, naissances, mariages, Bar-mitzvoth
et décès constituent autant d’occasions de réaffirmer et d’éprouver son
appartenance, non seulement à la famille élargie, mais également à la
communauté38.
Le faste apporté aux fêtes grève lourdement le budget des familles
modestes, mais celles-ci ne renonceraient pour rien au monde à ces
festivités qui témoignent de leur inscription dans une tradition bien
vivante. C’est l’occasion de réunir les branches dispersées de la
famille, d’y associer les amis et alliés, souvent des voisins. Mais
surtout, l’éclat donné à ces moments clés de la transmission de
l’identité vise à compenser la déperdition des marques quotidiennes de
l’appartenance à un ensemble tunisien qui tend à se déliter au profit
d’une référence plus large au judaïsme. Le maintien d’un cérémonial
tunisien, dont on outre certains aspects pour en souligner la
spécificité, participe de ce témoignage d’une fidélité aux origines.
Cependant, la multiplication des mariages « mixtes » entre juifs
nord-africains de pays différents ou, plus exotique encore, entre
séfarades et ashkénazes, complique ce travail de revitalisation de la
tradition. Les compromis aménageant les codes de chaque groupe atténuent
l’intensité du rappel des racines et menacent la transmission de
l’identité juive tunisienne.
Le retour
des racines place cependant les membres de la communauté ayant
expérimenté une certaine réussite sociale dans une position délicate. Le
désir de renouer avec une identité malmenée par l’exil les pousse à
rechercher les signes d’appartenance dont Belleville regorge. En même
temps, les pratiques qui s’y perpétuent renvoient les classes moyennes
et les élites, détachées de cette culture populaire et folklorique, à
une image archaïque du judaïsme tunisien dans laquelle elles ne se
reconnaissent pas et dont elles cherchent à se distinguer :
« Les
juifs de Belleville ont une mentalité du ghetto. Ils parlent une
langue que nous ne parlons plus depuis longtemps, ils sont
superstitieux, nous avons abandonné les superstitions, la plupart
d’entre nous. Ils ont ces cérémonies, ces fêtes que nous avons
abandonnées. Ils vivent comme ils veulent, ils sont heureux, mais une
famille juive de la bourgeoisie, si elle sait que son fils a épousé
une fille de Belleville, elle en souffrira beaucoup. Peut-être presque
autant que s’il avait épousé une goy, [...] un peu moins peut-être »39.
Le
processus d’intégration à la société française rejoint ici les vecteurs
de promotion sociale internes à la communauté. La formation de l’élite
passait, en Tunisie, par une rupture relativement radicale avec la
tradition et l’ensemble des traits distinctifs de la culture juive
tunisienne. La mise à distance des milieux populaires, matérielle et
symbolique, achevait la constitution de cette nouvelle classe sociale
qui s’autonomisait. La migration a modifié cette évolution, obligeant à
réévaluer le patrimoine culturel pour se le réapproprier tout en
redéfinissant les frontières sociales. L’élite s’est élargie à de
nouvelles couches de la communauté qui l’ont rejoint à la suite de
trajectoires d’intégration à la société française. Cette fois encore, la
culture traditionnelle occupe une place subalterne dans l’échelle des
valeurs. Aussi, les rituels emblématiques de la culture tunisienne font
l’objet de considérations péjoratives, comme ce jugement porté sur la
cérémonie du henné (hanna) qui précède le mariage, passage
obligé dans la célébration traditionnelle :
« Les
"Belleville" font ça, les juifs de Belleville. Pour eux c’est la
partie la plus importante du mariage. Ces danses du ventre et autres,
ces danses arabes, tout ça, non chez nous ça n’existe pas. C’est ça
qui a créé le fossé. Aujourd’hui, il y a un petit fossé entre les gens
de Belleville et nous »40.
Ces
facettes contrastées du retour des racines, tour à tour réparateur ou,
au contraire, stigmatisant, rappellent opportunément la fonction
complexe assurée par la mémoire et la manipulation du stock d’éléments
culturels. Incarnée par les classes les plus populaires, la mémoire
s’identifie à leurs pratiques et place les classes moyennes devant un
dilemme : peuvent-elles communier dans la grande commémoration du
judaïsme tunisien alors que celle-ci est principalement supportée par
les groupes sociaux dont elles cherchent à se distinguer ? Singulier
renversement des positions de prestige ! Le paradoxe de Belleville tient
au fait que cette « communauté primaire », largement décriée, en vient à
représenter l’authenticité du judaïsme tunisien. Le culte des origines
engage à valoriser non pas les pratiques en tant que telles, mais le
supplément d’âme qu’elles apportent. Les milieux populaires de
Belleville sont alors indispensables aux membres de la communauté : ils
témoignent du point de départ, réactivent les souvenirs enfouis et
permettent l’entretien du stock culturel qui sert de ressource commune à
l’ensemble des juifs tunisiens.
Plusieurs
générations se sont succédé à Belleville depuis le départ de Tunisie. La
constitution du quartier « tune » a été l’œuvre de la génération venue à
l’âge adulte du pays d’origine. Leurs enfants ont grandi dans le
quartier, immergés dans un environnement en décalage par rapport aux
normes de la société française. Pourtant, leur scolarisation s’est
généralement déroulée à l’école publique. Leur insertion dans la société
française s’effectue très rapidement au contact des institutions et des
autres enfants non juifs. Insertion à la société française avons-nous
dit, il serait sans doute préférable de parler de la société
bellevilloise, c’est-à-dire un milieu populaire avec ses particularismes
que vont emprunter et reproduire les jeunes juifs tunisiens. S’ils
reçoivent une éducation familiale reprenant des éléments de la
tradition, réinventée dans ce petit carré tunisien à Paris, ces traits
de la socialisation juive tunisienne sont soumis à une forte concurrence
de la part des conduites et modes de vie des « autochtones ». Autrement
dit, se pose la question de la reproduction, ou plus fondamentalement de
la reproductibilité, de l’identité juive tunisienne.
Les
souvenirs d’adolescence à Belleville des juifs tunisiens dans les années
1970 ressemblent beaucoup à ceux des familles ouvrières françaises : la
poursuite d’études techniques courtes qui ne permettront pas toujours
d’obtenir la position professionnelle espérée, les premières fêtes avec
les copains du quartier, les premiers flirts, le désœuvrement, les
conflits avec les parents désorientés par des comportements qu’ils ne
comprennent ni n’approuvent. Banalité de l’expérience de jeunes en
rupture douce avec un mode d’existence peu reproductible. Les conditions
de la transmission ne se sont pas maintenues dans la migration. Même si
la création du « ghetto » tunisien de Belleville favorise la diffusion
des pratiques traditionnelles, ou du moins leur actualisation dans le
cadre bellevillois, les jeunes mettent à l’épreuve ce modèle
traditionnel en le confrontant aux exigences de la vie en France.
L’opposition se durcit quand elle concerne le domaine des interdits et
prescriptions rituelles. Le respect de la cacherout ou du
chabbat résiste mal aux incitations nombreuses de l’environnement
parisien.
Tant que
la vie sociale se tient dans le territoire communautaire, les pratiques
traditionnelles gardent la force de l’évidence. Elles ne font l’objet
d’aucune explicitation de la part des parents ou des garants de la vie
communautaire tant elles paraissent naturelles, spontanées, inscrites
dans une vie quotidienne imprégnée de croyances et structurée par les
actes rituels. Leur transmission passe avant tout par la répétition des
actes, sans que leur signification profonde ne soit dévoilée. Les
gestes, les paroles, les interdits, les fêtes, les chants, les
superstitions, ce qui fait la texture de la judéité ne procède d’aucune
intellectualisation ni référence savante. Tout y est imitation par
inculcation de la chair immémoriale d’un être juif, identité qui se
conçoit comme une totalité indivisible. Or, les jeunes se trouvent
confrontés à la nécessité de ressourcer leur judaïsme dans un nouveau
contexte où la tradition ne va pas de soi. Les réponses avancées par la
famille ne suffisent bientôt plus, comme l’analyse une ancienne
responsable des services sociaux de la communauté :
« Beaucoup de mères n’avaient pas d’éducation religieuse, elles
pratiquaient par tradition. Les enfants qui demandaient à leur mère
pourquoi on ne doit pas faire ceci ou cela, la mère disait : "on ne
doit pas le faire parce que c’est péché". Les parents n’étaient pas
capables d’expliquer et ça limite la transmission. Quand les enfants
sont petits, la réponse "c’est péché" peut encore suffire. D’autant
que les juifs tunisiens sont très superstitieux. Mais plus tard, cela
ne suffit pas à soutenir une pratique contraignante ».
En voie
d’émancipation, les jeunes posent un regard critique sur le
fonctionnement de la communauté et celui de leur propre famille. Le
poids de la communauté sur ses choix personnels, le rappel à l’ordre
dans les conduites novatrices, considérées comme autant de
transgression, l’omniprésence de la famille élargie, des voisins, des
amis, mais aussi des instances morales dans la vie quotidienne forment
un carcan moral qui ne trouve plus de justification dans la soumission à
la tradition. Les interdits brident l’évolution dans la société
française, ils imposent une spécificité alors que l’ambition de ces
jeunes est de se fondre dans la société globale. L’attachement professé
par les parents à un mode de vie perçu comme une marque d’arriération
est mal supporté, d’autant que l’environnement hors communautaire
renvoie une image très dévalorisante du « ghetto bellevillois ». Le
décalage culturel place les jeunes devant des choix difficiles et les
conduit à s’accommoder d’une position en rupture. La volonté de s’ouvrir
de nouvelles perspectives entre en contradiction avec un système clos et
résistant aux évolutions. On retrouve du reste un processus
d’émancipation commun à celui vécu par les jeunes des milieux ouvriers
désirant s’extraire d’un schéma de reproduction sociale contraignant. Le
rejet de la tradition s’identifie souvent à un rejet de Belleville en
tant qu’incarnation du milieu communautaire replié sur lui-même. Le
témoignage suivant41,
recueilli à la fin des années 1960, synthétise bien les principaux
griefs adressés au monde étriqué de la tradition :
« Je
suis arrivé à Paris à 18 ans ; mon père ne m’a pas demandé mon avis
sur le choix du quartier, et c’est ainsi que je me suis retrouvé à
Belleville. À 20 ans, j’en avais assez du quartier, de l’entassement
dans une maison sans aucun confort, des sermons de mes parents, bref,
j’en avais assez de la misère. C’est alors que j’ai quitté le
quartier ; plus tard, j’ai épousé ma femme, une catholique. Pourquoi ?
Parce que je ne voulais pas revenir en arrière, me battre contre des
préjugés, assister à des querelles de famille. Les filles tunisiennes
sont encore trop près de leurs mères et un mariage avec l’une d’elles
pose trop de problème ».
La
filiation tunisienne se dilue au profit d’une inscription dans un
judaïsme plus moderne et... français. Parfois, l’émancipation peut
prendre des dimensions extrêmes et pousser à transgresser l’interdit
ultime : l’union hors de la judaïcité. L’acte dépasse le seul abandon de
la tradition tunisienne, il touche à l’appartenance au judaïsme telle
qu’elle est définie par la normativité religieuse. Cette démarche est
vécue dans la confusion, car si l’on revendique l’autonomie de son
choix, parfois contre la famille, en tout cas contre la tradition, on
entend malgré tout maintenir une filiation juive rompue par le mariage
mixte. On cherche alors à faire circoncire ses garçons et à leur faire
suivre un peu d’enseignement religieux pour leur assurer, en dépit de la
transgression réalisée, une appartenance à la judaïcité. La conception
libérale du judaïsme qui est défendue par ceux-là ne prend pas toujours
un aspect militant ou réfléchi. Il s’agit tout au plus d’une mise en
cohérence entre ses propres aspirations à l’ouverture vers une société
non-juive et son attachement à perpétuer la transmission du judaïsme.
Quitter le
territoire communautaire où les places sont assignées et la mobilité
sociale et culturelle limitée est une solution que beaucoup ont choisie.
Partir de Belleville, c’est bien souvent rompre avec une histoire qui ne
peut être assumée par des jeunes qui veulent exister autrement que dans
le souvenir. Il leur reste à construire leur propre trajectoire, sans se
préoccuper des questions de transmission d’une histoire révolue. Le
« retour des racines » viendra plus tard, quand le besoin de se replacer
dans la filiation juive tunisienne se fera sentir. À ce moment là,
l’existence de Belleville facilitera la ré-appropriation d’une mémoire
toujours vivante.
Que
Belleville ait joué, et joue encore, un rôle de ressource pour
l’élaboration d’une mémoire collective, fondement de l’identité juive
tunisienne en France, apparaît encore plus manifeste pour la génération
née en France au début des années 1980. N’ayant connu ni la Tunisie, ni
l’âge d’or du quartier tune, cette deuxième génération de juifs
d’origine tunisienne nés en France trouve en Belleville une
représentation, idéalisée certes, mais matérialisée du milieu dans
lequel leurs grands-parents ont vécu. C’est du moins comme cela qu’ils
conçoivent le quartier, même s’ils ne le fréquentent pas souvent. Par sa
permanence, Belleville exorcise leur besoin de ré-appropriation d’une
histoire fuyante et abstraite, souvent réduite aux éléments glanés au
cours des discussions familiales. À sa manière, la nouvelle génération
renoue avec le traumatisme enfoui de ceux qui ont vécu l’exil. Ils
reprennent avec passion les mythes de la communauté, tout
particulièrement celui qui exalte la cohabitation harmonieuse entre
juifs et musulmans.
Le passage
qui suit provient d’un entretien réalisé avec une jeune fille d’origine
tunisienne née à Paris en 1980. On y retrouve le déroulement du mythe
bellevillois, mais également l’expression d’une recherche de racines qui
bute sur la disparition des traces vivantes de l’existence juive en
Tunisie. Devant cette impossibilité de retrouver l’atmosphère de la vie
juive en Tunisie, une projection se réalise sur Belleville qui ne se
contente plus d’incarner le quartier tune en exil, mais se présente
également comme une reproduction authentique de ce qu’était la
cohabitation en Tunisie :
« J’avais très envie d’aller en Tunisie avec mes grands-parents et
qu’ils me montrent : "c’est ici que je vivais quand j’étais petit, je
jouais ici, mon école était là-bas". J’aurais bien aimé connaître la
Tunisie où ils ont grandi ! J’aurais aimé voir cette ambiance, cette
cohabitation qu’ils avaient avec les gens, ce bien-être avec tout le
monde. Les voisins venaient chez eux, c’était un va-et-vient
incessant, les portes restaient ouvertes. Une atmosphère où l’on
pouvait appeler le voisin par la fenêtre, qu’il soit juif, qu’il soit
musulman ou qu’il soit autre chose. Une atmosphère où, par exemple,
quand il y avait une fête musulmane, la famille musulmane venait
apporter des gâteaux ou les plats. On venait partager. Quand on voit
maintenant les relations qu’ont les juifs avec les arabes, c’est
triste quand on pense à la cohabitation qu’ils avaient avant...
Mais
mes grands-parents sont allés en Tunisie avec des frères et sœurs à
eux, et ils n’ont pas retrouvé les endroits où ils ont grandi. Tout
avait changé, tout avait été modernisé, ça leur a fait un choc. Je me
suis dit que finalement, aller avec eux et voir qu’il n’y avait plus
rien de ce qu’ils avaient connu, aller juste pour voir le pays,
c’était comme pour voir n’importe quel pays. Maintenant, la Tunisie
est devenue un pays moderne, où il reste très peu de juifs, et ce
serait visiter n’importe quel pays d’Afrique du nord.
Pour
moi, Belleville c’est à peu près l’image que j’ai de Tunis. Pourtant
c’est un quartier délabré, les immeubles tombent en ruine, mais quand
je vois des juifs, des arabes, des noirs, des blancs, des chrétiens...
je vois de tout à Belleville, et je vois rarement de bagarres. Je me
dis que ça devait être comme ça à Tunis. Quand je vois des gens qui
crient par la fenêtre pour appeler leurs enfants, qu’il y a plein de
gens dans la rue, une foule incroyable, des gens à la terrasse des
restaurants en été, je me dis : "vraiment, ça devait être ça à
Tunis" ».
Cette
représentation idyllique occupe une place d’autant plus importante dans
la mémoire qu’elle propose une lecture optimiste des rapports
judéo-musulmans, au moment où l’actualité est dominée par la tension
constante en Israël. Bien entendu, la mémoire ment quand elle enjolive à
l’excès la situation des juifs en Tunisie. Le besoin irrépressible de
gommer les drames, de lisser les aspérités conflictuelles s’est
manifesté très tôt. Il n’est du reste pas spécifique aux juifs
tunisiens, mais a été constaté également pour le Maroc et l’Algérie42.
Albert Memmi attribue le succès de ce mythe à cinq facteurs, dont la
propagande arabe qui aurait cherché, dans le cadre du conflit
israélo-arabe, à opposer juifs maghrébins et européens. Mais la
principale responsabilité serait portée par les juifs des pays arabes
eux-mêmes que Memmi (auto)critique avec lucidité : « C’est notre
complaisance de déracinés qui ont tendance à embellir le passé, qui,
dans leur regret de l’Orient natal, minimisent, ou effacent complètement
le souvenir des persécutions » (Memmi, 1974 : 57). Alors
l’écrivain-sociologue s’insurge devant cette démagogie historique : « La
fameuse vie idyllique des juifs dans les pays arabes, c’est un mythe !
La vérité [...] est que nous étions d’abord une minorité dans un milieu
hostile ; comme tels, nous avions toutes les peurs, les angoisses, le
sentiment constant de la fragilité des trop faibles. Aussi loin que
remontent mes souvenirs d’enfant, dans les récits de mon père, de mes
grands-parents, de mes tantes et oncles, la cohabitation avec les Arabes
n’était pas seulement malaisée, elle était pleine de menaces,
périodiquement mises à exécution » (Memmi, 1974 : 50).
Que pèse
le rappel des vexations, des meurtres mêmes, devant la nécessité de
croire en une complémentarité judéo-musulmane ? La remontée
sélective des souvenirs privilégie les moments où la complicité entre
juifs et Arabes rendait la cohabitation espiègle. Comme cette anecdote
du verre de Boukha but rituellement à crédit au café arabe de
Tunis, le jour du chabbat, pour éviter au client juif de payer,
ce qui contreviendrait à l’interdiction de manipuler de l’argent ce
jour-là. Ou encore, celle relative à l’allumage des feux, interdit
également lors du chabbat :
« Dans les relations entre les communautés des trois religions, il y
avait des limites, mais il y avait aussi beaucoup de convivialité. Il
est évident que les musulmans savaient, par exemple, qu’il ne fallait
pas rentrer chez un israélite le jour du chabbat avec des cigarettes à
la bouche. Chacun connaissait et respectait l’autre. Il y avait aussi
une complicité, par exemple les musulmans savaient qu’il fallait
allumer la lumière le samedi parce que les juifs ne pouvaient pas le
faire, alors ils rentraient chez eux directement et ils allumaient la
lumière en s’excusant : "ah je ne savais pas qu’il ne fallait pas
l’allumer", mais ils savaient très bien qu’ils devaient le faire parce
que ça arrangeait tout le monde »43.
On
retrouve, actualisées, ces anecdotes dans le cadre bellevillois : telle
voisine musulmane s’occupe de faire chauffer les biberons pour la
famille juive qui habite sur le palier ou, de façon plus générale, le
recours fréquent d’employés musulmans dans les commerces juifs. Les
complémentarités existent aujourd’hui comme hier, mais elles sont
devenues incontournables dans le nouveau contexte de cohabitation. Juifs
et musulmans maintiennent les distances, mais se sont découvert une
référence commune avec l’origine maghrébine. Celle-ci est souvent
évoquée comme la marque d’une proximité culturelle, par opposition à des
entités plus distinctes, les Asiatiques notamment. Enfin, le climat de
xénophobie et d’antisémitisme larvés de ces dernières années a favorisé
un rapprochement des groupes stigmatisés.
L’actualité récente du quartier offre un dernier événement majeur dans
les relations judéo-musulmanes44.
En mai 1995, au cours d’un marché à Belleville, un banal contrôle
d’identité auprès d’un jeune coursier du sentier dégénère. Des insultes
racistes et antisémites auraient été lancées par les forces de police,
provoquant un attroupement autour de leur estafette. Secoués, les
policiers appellent en renfort une compagnie d’intervention qui charge
la foule sans ménagement. C’est la stupeur. Il n’y a que quelques
blessés légers, mais l’émotion est intense. Dès le lendemain, de
nombreuses réactions politiques, religieuses et associatives s’insurgent
contre les violences policières et leurs actes de racisme et
d’antisémitisme supposés. La rapidité de la levée de boucliers rappelle
le statut particulier du quartier dans l’imaginaire collectif.
« Belleville n’est pas Barbès », comme l’indique un habitant interrogé
par le journaliste du Nouvel Observateur45
et tous les commentateurs d’insister sur la vie en bonne intelligence
des juifs et des Arabes que démontre leur réaction solidaire face à
l’agression policière. C’est qu’à Belleville, la cohabitation pacifique
n’est plus seulement imaginaire, elle s’est imposée comme une réalité
incontournable et oriente désormais les comportements.
Le désir
impérieux de faire survivre les traits saillants de la culture et du
mode de vie juif tunisien s’attache à la condition de l’exilé. Il lui
faut croire à la possibilité d’assurer une certaine continuité,
même fictive, pour exorciser la hantise d’une rupture définitive avec
son passé. La recréation du milieu d’origine en terre d’exil ne se donne
les apparences de l’authenticité que pour atténuer les blessures de
l’âme meurtrie. La chimère tire sa force du besoin vital qu’éprouvent
les juifs tunisiens, comme tant d’autres avant eux, de renouer les fils
rompus de leur histoire. Fascinés par le prodige réalisé, on finit
fatalement par ignorer tout ce qui, dans cet univers idéalisé, tient de
l’invention et des transferts sélectifs. Or, pour exister comme
sanctuaire juif tunisien, Belleville a dû tricher avec les souvenirs,
adapter les pratiques, travestir les rites. Cherchant à paraître fidèle,
la mémoire sait grossir le trait pour masquer les invraisemblances et
combler le fossé irrémédiable qui se creuse entre le passé tunisien et
le présent français. L’accumulation de détails accréditant
l’authenticité du décor ne doit pas nous abuser : la transplantation est
une illusion. Celle-ci est d’autant plus crédible qu’elle répond à une
attente profonde de revitalisation d’un univers qu’on ne se résout pas à
voir disparaître. La terre des racines n’est plus, elle a été recouverte
par la Tunisie moderne. Belleville est alors investi du poids des
racines en exil, comme un rappel inébranlable, non pas de l’histoire
mais de la mémoire, c’est-à-dire des fragments idéalisés du passé.
Le
processus de « mythification » du Belleville « tune », c’est-à-dire du
passage d’une expérience vécue à une relation idéalisée à cette
expérience, résulte de la transformation, inéluctable, des pratiques à
la suite de l’intégration en France. Les changements de condition
d’existence, l’émergence de nouvelles aspirations, l’attachement
progressif à la société d’installation engagent à faire le deuil du
passé tunisien. C’est précisément au cours de cette phase critique que
s’exacerbent les marques d’attachement à une tunisianité en voie de
dissolution. Plus la tradition disparaît des pratiques quotidiennes, et
plus son aura grandit dans les représentations affectives des juifs
tunisiens. En ce sens, la survivance de Belleville en tant que quartier
tune ne résulte pas d’une continuité des pratiques, mais plutôt d’un
attachement viscéral à une certaine idée de la tradition qui trouve ici
un terrain où se matérialiser. On peut comprendre la permanence du
quartier « tune » comme une tentative de perpétuation d’une culture
vivante dont la préservation est menacée.
Car la
transmission ne paraît pas assurée. Le constat fataliste, mais pas
nécessairement amer, de ce militant associatif traduit bien la
conviction d’une impossible continuité :
« Non
seulement on a quitté la Tunisie, mais on n’a pas su transmettre. Et
on le sait. […] Nous avons la lourde responsabilité de ne pas avoir
procréé de juifs tunisiens. On est juifs tunisiens et on le sera
jusqu’à notre mort. Mais ceux que l’on engendre ne le seront plus
jamais. La machine s’arrête avec nous ».
Les
nouvelles générations qui ont grandi en France entretiennent une
relation de plus en plus métaphorique à la culture juive tunisienne.
Elles inventent une identité où les références à la tradition
s’estompent, même si le cadre bellevillois a tendance à réduire les
divergences de trajectoires.
Notes
On fait
référence ici au concept d’ethnicité symbolique de H. J. Gans (1979),
dont les exemples tirés du judaïsme aux États-Unis ont également
trouvé écho dans cet article.
Un
ouvrage en a été tiré : Simon et Tapia, 1998. Ce texte en reprend de
nombreux développements en les synthétisant.
Dans la
suite de l’article, les extraits d’entretien sont présentés par
l’indication d’éléments biographiques succincts : sexe, date et lieu
de naissance, date de départ de Tunisie.
Pour
l’histoire des juifs en Tunisie, on se reportera à Sebag, 1991 et à
Taïeb, 1994.
Quoique
la notion même d’exil mérite d’être revisitée, comme l’invite
C.Benayoun en évoquant le rapport ambivalent des juifs d’Afrique du
Nord à l’expérience diasporique : « tour à tour émancipateur ou
destructeur, l’exil fait l’objet de réexamens successifs au cours
d’une même existence. L’exil se vit, s’éclipse, s’invente et se
cultive » (Benayoun, 1992 : 19).
Sur le
modèle ottoman et les relations interethniques en Afrique du Nord,
voir Valensi, 1986.
En
1956, 68 % des juifs tunisiens vivent à Tunis.
D.
Bensimon (1971) relève le caractère spécifique à la Tunisie de cette
émigration de l’élite en Israël.
Femme,
née en 1955 à Tunis, partie en 1956.
Homme,
né en 1921 à Tunis, parti en 1961.
La
formation des quartiers « juifs » a fait l’objet de plusieurs études
qui ont démontré l’étroite imbrication du religieux, du culturel et du
social dans la constitution des territoires, qu’ils se localisent dans
les quartiers anciens, comme le Pletzl de la rue des rosiers
(N. Green, 1984; J. Brody, 1997) ou dans les banlieues nouvelles,
comme Sarcelles (A. Benveniste et L. Poldselver, 1996).
La
thèse de C. Zytnicki sur les juifs à Toulouse reprend en détail les
conditions institutionnelles d’accueil des juifs d’Afrique du Nord en
France dans le chapitre 3 (Zytnicki, 1998).
Source :
archives du CASIP, consultation personnelle.
On
ne reprendra pas ici en détail la description de la communauté juive
d’Europe orientale et centrale qui vivait à Belleville. Sur les
caractéristiques de cette communauté au sortir de la guerre, on se
reportera à l’ouvrage de référence de C. Roland (1962). Le livre de
Robert Bober, « Quoi de neuf sur la guerre ? » (Paris, POL, 1994),
propose une très belle évocation de l’état d’esprit des « survivants »
de la shoah à Paris dans les premières années d’après-guerre.
Il
faut néanmoins relativiser l’observance de la fermeture du shabbat
dans les premières années du Belleville « tune ». Celle-ci s’est
notablement développée au cours des années 80, de même que la
diffusion du label du
Beth Din certifiant la « cacherisation » des commerces.
Un
relevé des commerces du bas-Belleville a été réalisé en 1985 par
l’équipe d’E. Ma Mung et G. Simon. Voir (Ma Mung et Simon, 1990,
p. 98 et sq).
Il
s’agit en fait de tous les clients non juifs et non musulmans,
c’est-à-dire, dans le cas de Belleville, des non maghrébins.
Les
modes de consommation constituent un vecteur important de
différenciation entre communautés, et d’inclusion dans chacune d’entre
elle (Raulin, 1990).
Sur
les pratiques alimentaires des juifs tunisiens, voir Balland, 1997, et
sur l’organisation de la cacherout :
Nizard, 1998.
Mois
du calendrier juif correspondant à peu près à septembre. C’est au
cours de ce mois que se fêtent le jour de Kippour et Roch
hachana (nouvel an). Il se termine avec la célébration de
Soûkot.
Enquête
réalisée par Fayman et Simon, 1991.
On
a développé cet argument dans : Simon, 1997.
L’espace
de l’eruv a été décrit pour Djerba par U. L. Udovitch et
L. Valensi (1980, p. 768 et sq.).
Nous
revenons plus loin sur les changements de hiérarchie sociale et les
reclassements provoqués par la migration.
L’expression
est reprise de Saada, 1993.
Traditionnellement,
les juifs tunisiens confectionnent un plat avec une poule pour fêter
la rupture du jeûne.
Le
Dollar était offert par le Rabbi Schneerson (autorité suprême des
Loubavitch qui vivait à New-York) aux visiteurs venus le consulter. Il
représente un porte-bonheur annonçant la prospérité future.
Les
juifs religieux enroulent les téfilines autour de leur bras
gauche et de leur tête lors de la prière du matin. Les Loubavitch
procèdent à des « séances de rattrapage » auprès des passants dans les
lieux fréquentés par des juifs.
Arguments
développés par Cohen, 1993.
Ces
deux expressions sont reprises de Cohen, 1993 : 112.
Sur
le système bellevillois, voir Simon, 1995 ; Simon, 1997.
Femme,
née en 1955 à Tunis, partie en 1956.
Homme,
né en 1921 à Tunis, parti en 1961.
Femme,
née en 1960 à Tunis, partie en 1964.
Homme,
né en 1954 à Tunis, parti en 1967.
Femme,
née en 1960 à Tunis, partie en 1964.
Homme,
né à Sfax en 1934, parti en 1961.
voir
à ce sujet : Bahloul, 1989.
Homme,
né en 1924 à Tunis, parti en 1956.
Femme,
née à Tunis en 1954, partie en 1956.
Témoignage
rapporté dans Lancar,1970, p. 15.
Voir
le colloque consacré aux « Relations entre juifs et musulmans en
Afrique du Nord », Institut d’histoire des pays d’Outre-Mer, abbaye de
Sénanque, Éditions du CNRS, 1978.
Homme,
né en 1951, parti en 1964.
Les
relations judéo-arabes ont connu deux autres moments « fondateurs »
avec les affrontements spectaculaires de 1968 et la tension
perceptible lors de la guerre du Golfe en 1990-1991. Sur ce point,
voir Simon et Tapia, 1998, pp. 167-173.
F.
Aïchoune, A. Chouffan et M. De Pracontal : « Portrait de Belleville
après la bavure », Le Nouvel Observateur,
8-14 juin 1995.
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