Le quotidien d'une enseignante juive en banlieue parisienne (TEMOIGNAGE)

Par Isabel MALSANG

PARIS, 27 fév (AFP) - Marie-Line Nahon, enseignante française de confession juive dans un établissement de la banlieue parisienne à forte population maghrébine, raconte à l'AFP qu'elle est contrainte de faire l'impasse sur la guerre d'Algérie ou le conflit israélo-palestinien pour avoir la paix en classe.

"J'ai renoncé à enseigner le chapitre d'éducation civique sur la guerre et ses justifications, et je passe très vite sur la colonisation de l'Algérie" parce qu'aseptiser les cours est devenu le seul moyen "d'avoir la paix" avec ses lycéens, souvent issus de l'immigration maghrébine, dit-elle.

"L'an dernier, en seconde, une élève musulmane âgée de 17 ans et demi, mais qui ne portait pas le voile, a refusé que sa copie soit corrigée par moi. J'ai dû faire, pour la première fois en 19 ans, un rapport sur l'élève au chef d'établissement," raconte Marie-Line.

L'enseignante reconnaît néanmoins avoir fait une erreur: "Je n'aurais pas dû préciser que j'étais moi-même née en Algérie et de confession juive, alors que nous étions en plein chapitre sur la guerre d'Algérie".

L'élève, d'origine algérienne elle aussi, s'est sentie attaquée. "Moi aussi", avoue l'enseignante, qui est ressortie très choquée de cette confrontation.

"L'ambiance de la classe a été pourrie jusqu'à la fin de l'année. Nos yeux ne se sont plus jamais rencontrés. Et je l'ai surnotée d'un ou deux points jusqu'à la fin pour avoir la paix", avoue Marie-Line.

"J'ai trop souffert l'an dernier. Je ne ferai pas non plus le cours sur le conflit israélo-palestinien prévu au programme d'éducation civique," dit-elle.

Se décrivant comme "constamment sur la défensive", Marie-Line affirme en le regrettant, que l'école fait de la "laïcité à géométrie variable".

"Cet hiver, il a fallu que j'accepte que des élèves sortent en plein cours dans le couloir à 17h00 pour rompre le jeûne du ramadan. Certains ont refusé qu'il y ait un sapin de Noël à l'entrée du lycée. Une prof de biologie m'a dit qu'on l'avait contestée quand elle parlait de l'évolution des espèces. Un collègue de sixième m'a avoué qu'il n'avait pas pu faire la leçon sur les Hébreux".

Mme Nahon, qui avait claqué la porte il y a plusieurs années d'établissements juifs pour choisir le public et la laïcité, n'a pas subi d'insultes directes, racistes ou antisémites, mais le quotidien qu'elle décrit illustre une dégradation du climat scolaire.

Au lieu de baisser les bras, elle a cependant choisi de se battre en invitant des spécialistes des trois religions monothéistes à venir parler aux élèves pour lever les préjugés et leurs "idées préconçues aberrantes".

"Cela a complètement changé l'ambiance de la classe" dit-elle.

Même s'il reste encore beaucoup à faire pour "ouvrir les esprits": "Quand Amir Moïsi, un éminent spécialiste de la mystique musulmane, leur a dit que la femme de Mahomet ne portait pas le voile et que l'imposition du voile n'est que l'une des interprétations possibles d'un texte du Coran, un élève a immédiatement levé la main pour lui dire +vous n'êtes pas musulman, vous ne savez pas de quoi vous parlez+".

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