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Liberté, égalité, judéophobie : Pourquoi Le Pen est loin d'être le plus grave problème de la France |
Par Christopher Caldwell
Traduction française de Liliane Messica pour reinfo-Israel
Strasbourg, France. L'atmosphère du premier tour de l'élection présidentielle
française a été captée par le candidat F. Bayrou, en visite à Strasbourg
le 9 avril. Bayrou, qui représente l'UDF, le mouvement de centre droit de
Giscard d'Estaing, avait prévu de visiter les nouveaux bâtiments de la
Mairie d'une banlieue de Strasbourg avec la Maire UDF de Strasbourg, l'élégante
Fabienne Keller, qui a fait ses études à Berkeley. Bayrou, qui faisait
campagne dans une autre ville, y a été retenu. Pendant qu'elle l'attendait,
Fabienne Keller a été entourée par une "bande de jeunes des
banlieues", ce qui est l'euphémisme utilisé par les Français pour
parler des résidents des cités HLM construites dans la périphérie des
grandes agglomérations, dans les années 1960/1970, et où sévit un
important taux de criminalité.
Les "jeunes", tous des Beurs, ou musulmans, ou nord-africains,
mettaient en scène une protestation orchestrée contre Bayrou, qui, lorsqu'il
était ministre de l'éducation nationale, dans les années 1990, avait
interdit le port du foulard islamique dans l'école laïque. Mais Keller
constituait une doublure pratique. Ils lui crièrent des insultes et des obscénités,
dont une qui menaçait (selon un témoignage que j'ai été trop embarrassé
pour lui faire confirmer directement) de lui raser les parties intimes. Quand
Bayrou arriva, les deux UDF rentrèrent dans le bâtiment pour leur réunion
politique et la foule commença à bombarder le bâtiment de pierres et à
hurler ce qu'elle avait vraiment en tête. D'abord "Pourquoi avez-vous
interdit le foulard ?" et ensuite "Merde ! Nous ne voulons pas vivre
dans un pays où il y a des Juifs !"
Bayrou sortit du bâtiment pendant que les pierres volaient encore et dit à
la foule : "Parlez des Juifs comme ça aujourd'hui et vous trouverez des
gens, demain, pour parler des jeunes musulmans de la même manière." A
un moment de la visite de Bayrou, un garçon de 11 ans le bouscula et tenta de
lui faire les poches. Sans tenir compte de la présence des caméras de télévision,
Bayrou retourna une claque au gamin.
Les hommes politiques de gauche essayèrent de tirer avantage de l'incident,
l'utilisant pour dépeindre Bayrou comme un "vieux con" et eux-mêmes
comme des adeptes branchés de l'excitante culture jeune émergeant dans le
pays. "J'habite en banlieue et personne n'a jamais essayé de me faire
les poches", déclara Robert Hue, candidat communiste à la Présidentielle.
"Moi non plus", ajouta le Premier ministre Lionel Jospin, lui aussi
candidat. L'opinion publique française n'a pas vu pas les choses du même
oeil. Chaque fois que la claque de Bayrou était diffusée, la cote de Bayrou
montait dans les sondages, car on le percevait comme capable d'affirmer un peu
d'autorité face aux jeunes délinquants. Il est sorti du peloton des 16
candidats en présence et a terminé à une respectable 4ème place, derrière
Lionel Jospin.
S'il a mentionné la criminalité (ce qu'il n'a jamais fait, préférant
l'euphémisme "insécurité"), Jospin a manifesté une attitude
affectée, qui l'a conduit à n'arriver que troisième et à mettre fin à sa
carrière politique.
Alors que les étudiants français défilent par milliers dans l'ensemble du
pays, le monde entier connaît maintenant les résultats du premier tour de l'élection
française. Jacques Chirac, le président conservateur sortant sera opposé au
second tour, le 5 mai, non à Jospin mais à Jean-Marie Le Pen, le leader du
fasciste front National. Le Pen a construit sa carrière en singeant les
diatribes des politiciens de droite qui avaient collaboré avec l'Allemagne
nazie pendant la seconde guerre mondiale. Il a combattu sans relâche
l'immigration, et pratique avec constance les allusions et les sous-entendus
antisémites. Ces dix dernières années, il a ajouté à son répertoire la
haine de l'Amérique et la mondialisation. C'est une brute et un gangster,
mais il n'a pas eu besoin de se donner beaucoup de mal pour trouver des sujets
de controverse au premier tour. La France compte aujourd'hui, annuellement,
4244 crimes et délits pour 100 000 habitants, d'après les statistiques de
l'Union Européenne, ce qui la place loin devant les Etats-Unis en matière de
criminalité. Pendant toute une semaine où un fait divers a occupé le devant
de la scène de toutes les chaînes de TV : l'agression sanglante d'un
vieillard de 80 ans, dont la maison, dans la paisible ville d'Orléans, avait
été envahie par un groupe de jeunes beurs, Le Pen, comme Chirac ont concentré
leurs interventions sur l'augmentation dramatique de la violence au cours des
dix dernières années.
Mais alors que le crime était ce qui guidait le choix des électeurs aux
urnes, la France était placée devant un problème qui laissait présager
quelque chose d'encore plus sinistre : une vague d'attaques et de menaces
contre les 700 000 Juifs que compte le pays, ce qui était sans précédent
dans l'histoire des cinquante dernières années. Ces événements incluent ce
que Rabbi Abraham Cooper, du centre Simon Wiesenthal, décrit comme "la
plus grande attaque contre des synagogues et des écoles juives européennes
depuis la nuit de cristal", en 1938.
Le plus surprenant et le plus incompréhensible dans tout cela, c'est que ce
nouvel antisémitisme en France est un phénomène issu de la gauche. Il n'a
pratiquement rien à voir avec Le Pen. En fait, c'est dans les foules qui défilent
dans les rues pour protester contre lui que l'on trouve ses acteurs les plus
virulents.
" À PARIS COMME À GAZA, INTIFADA ! "
L'explosion a commencé en Septembre 2000, dans les jours qui suivirent le
lancement de la 2ème Intifada palestinienne contre Israël. Les premières
attaques virent des incendies de synagogues à Paris, Villepinte, Creil, Les
Ullis (où la synagogue fut gravement endommagée), Lyon et Trappes (où elle
brûla intégralement), et d'autres bâtiments juifs (restaurants kasher, écoles...)
à travers toute la France. Des synagogues et des cimetières furent profanés,
un nombre croissant de fidèles juifs sortant de la prière du vendredi soir
furent attaqués à coup de pierres, on vit des menaces de mort, des alertes
à la bombe, et des inscriptions nazies et islamistes en tous genres :
swastikas, inscriptions diverses, comme "Hitler avait raison",
"NTM les Juifs", "mort aux Juifs" et "A Paris comme
à Gaza, Intifada".
De tels slogans, et principalement le dernier, sont maintenant scandés régulièrement
dans les manifestations pro-palestiniennes à Paris et ailleurs (comme des
hymnes à Ousama Ben Laden, si l'on en juge par les compte rendus de la dernière
manifestation pro-palestinienne du mois d'octobre à Paris). La violence
anti-juive a sans aucun doute suivi la courbe de l'Intifada, augmentant
pendant les périodes de violence au moyen Orient et décroissant pendant les
trêves. Il y a eu un pic après le 11 septembre : au cours de la seule soirée
du vendredi suivant, des fidèles furent agressés à coup de pierres à la
sortie des synagogues de Clichy, Garges-les-Gonesse et Massy. Des gangs essayèrent
de mettre à sac la synagogue de Villepinte, et des coups de feu furent tirés
devant les locaux d'une association juive à Paris. Si elle a ralenti par
moments, cette cascade d'incidents ne s'est jamais interrompue, pas même
durant une semaine, au cours de 19 derniers mois. Au début de cette année,
l'UEJF et SOS-Racisme avaient établi une liste de 406 incidents de cet ordre.
Après l'attaque d'Israël contre les camps terroristes de Jénine et
d'ailleurs, la violence explosa dans des proportions inouïes. Lors du
week-end de Pâques, le mois dernier, une bombe fut trouvée dans le cimetière
de Schiltigheim, près de Strasbourg et trois synagogues furent incendiées.
Les autorités ont semblé se réveiller. Alors qu'il avait fallu 12 jours
pour entendre ne serait-ce qu'un commentaire officiel sur les attaques
d'Octobre 2000, cette fois-ci, le ministère de l'Intérieur publia une liste
de 395 incidents antisémites pour les seuls premiers quinze jours d'Avril. Un
peu moins des 2/3 ne concernaient que des graffiti, mais les autres étaient
plus sérieux, incluant 16 attaques physiques contre des personnes et 14
incendies volontaires supplémentaires. Le Centre Simon Wiesenthal fit
circuler un avis demandant aux Juifs étrangers qui se rendaient en France
d'observer "la plus grande prudence".
Les Juifs de France ont été terriblement choqués de voir que la classe
politique de leur pays, dont les institutions antiracistes peuvent se comparer
aux plus honorables dans le monde, est restée totalement silencieuse devant
leur situation. Quand un cimetière juif avait été profané à Carpentras,
en mai 1990, et que les extrémistes de droite avaient été soupçonnés (à
tort) d'en être responsables, il y eut une manifestation monstre à Paris.
Entre un quart et un demi-million de personnes défilèrent, et le Président
François Mitterrand avec eux -- c'est la seule manifestation à laquelle il
participa pendant ses deux septennats.
Malgré cela, Jacques Chirac a récemment déclaré au ministre israélien des
affaires étrangères, Shimon Peres, " qu'il n'y a en France ni antisémitisme
ni antisémites ". Tous les hommes politiques français interviewés pour
le présent article ont déclaré, en substance, la même chose. La maire de
Strasbourg, Fabienne Keller, dit "il n'y a pas d'antisémitisme
significatif". Comment osent-ils dire cela sans rougir?
PAS LE NAZISME DE PAPA
Une explication innocente serait que la société française était taillée
pour combattre l'antisémitisme d'il y a 70 ans et qu'elle n'en identifie
aucune autre espèce. Les nouveaux antisémites ne sont pas des militaristes
germanophiles qui ont été conquis. Ce ne sont pas des catholiques
traditionalistes, dont l'antisémitisme reposerait sur une doctrine qui n'a
plus cours chez les catholiques - lesquels pratiquent de moins en moins en
France.
Les Français manquent de l'imagination minimale nécessaire pour voir que les
nouveaux antisémites (qui sont en priorité des musulmans radicaux) sont
d'abord antisémites. "L'antisémitisme de papa est mort", dit le
politologue Alexandre del Valle. "Il existe dans la tête de 3 ou 4
skinheads alcooliques". En d'autres termes, le nouvel antisémitisme
n'est pas de droite.
"Le danger qui menace la communauté juive n'est pas celui qui nous menaçait
auparavant", dit Gilles William Goldnadel, auteur d'une pénétrante étude
sur le récent antisémitisme : "Le nouveau bréviaire de la haine".
Goldnadel a averti un groupe du B'nai Brit, réuni dans le 6ème
arrondissement de Paris, quelques jours avant les élections : "Avoir
peur de la droite s'est avéré un leurre, au sens militaire du terme, afin de
nous détourner du véritable danger. Les anti-racistes français ont passé
leur temps à analyser la moindre citation de Le Pen, pendant que du sang juif
était répandu par la gauche à Athènes, Istanbul, Rome, Vienne et
Paris." (Particulièrement par des terroristes palestiniens). Il y a des
indices que le gouvernement, lui aussi, se trompe de cible. Selon un rapport
préparé par Shimon Samuels, du Centre Simon Wiesenthal, au début de l'année,
60 personnes ont été interrogées dans le cadre de centaines d'actes
d'intimidation. "Seules 5 d'entre elles sont poursuivies, et elles sont
d'extrême droite". "Comme si les autres n'étaient pas vraiment
antisémites et que leurs exactions n'étaient pas aussi graves."
L'autre manière dont les hommes politiques français nient qu'ils ont affaire
à une flambée d'antisémitisme, c'est - pour reprendre la formule mémorable
du philosophe Pierre-André Taguieff - de "dissoudre les actes antisémites
dans une vague croissante de délinquance".
En juin dernier, le ministre des affaires étrangères français, Hubert Védrine,
déclarait au Centre Simon Wiesenthal que les actes antisémites étaient une
manifestation "d'incivilité des banlieues". (Il continue dans cette
ligne officielle). L'ambassadeur de France en Israël, Jacques Huntzinger, les
a définis comme constituant "qu'une part de la violence générale
manifestée par la jeunesse française marginale".
Comme la politique française des cinq dernières années a été construite
autour de son rôle comme une force capable de "maîtriser", ou
"brider" le capitalisme anglo-saxon, le fait que le pays soit
incapable de maîtriser la violence antisémite sur son propre sol était évidemment
embarrassant. Ignorer l'antisémitisme a l'avantage de permettre aux
politiciens français de continuer comme si rien ne s'était passé. Dans les
premières semaines d'avril, alors que se produisaient les pires agressions,
la Ministre française de la Culture, Catherine Tasca, marcha en tête d'une
manifestation contre la "menace" provenant du premier ministre
conservateur italien, Silvio Berlusconi, et Jospin mit en garde contre le
risque que Berlusconi serve de modèle à Chirac. (D'ailleurs, les suggestions
de Jospin pour stopper l'antisémitisme actuel ne dépassèrent pas le stade
d'une initiative contre le crime en général, dont les points saillants étaient
une proposition de limiter à 6 le nombre de fusils qu'un chasseur pouvait légalement
détenir (contre 12 à l'heure actuelle). Durant la campagne électorale,
seuls 3 des 16 candidats (Bayrou, l'ultra-libéral Alain Madelin, et la
centriste Corinne Lepage) condamnèrent ces actes sans ambiguïté.
Ce refus total d'appeler un chat un chat perdure. Les 3 garçons qui ont mis
le feu à la synagogue de Montpellier (présentés sous leurs prénoms :
Mourad, Djamel et Hakim) ont nié être antisémites, comme tous ceux de leur
entourage. Toutes les personnes interviewées dans la presse à leur sujet se
sont contentées de les cataloguer comme des "délinquants
classiques". Le Procureur de la république les a décrits comme "un
tas de délinquants mineurs, animés par un esprit de vengeance, qui essaient
d'ennoblir leurs excès en utilisant un discours politique". Ceci peut
s'appliquer à tous ceux qui mettent le feu à des synagogues, si l'on en
croit le représentant du bureau local de la Cimade, une association d'aide
aux démunis, qui a dit : "A Montpellier comme à Nîmes (où la
synagogue a aussi été incendiée) de plus en plus de gamins considèrent que
la victimisation des Palestiniens est la leur propre. C'est un processus
simpliste, ce n'est pas une idéologie."
Cela induirait à assurer l'immunité, au motif d'animalité ou au moins
d'ignorance. Cette façon de voir horrifie Goldnadel. "Des délinquants ?
demande-t-il. Tous les antisémites sont des délinquants. Qui incendiait les
maisons des Juifs dans les steppes russes, il y a une centaine d'années ? Des
architectes mécontents ? " Et à l'immunité s'ajoute l'impunité. En
janvier, les jeunes gens qui avaient vandalisé une synagogue à Créteil, en
banlieue parisienne, ont été mis en examen pour " violence " et
ont été condamnés à trois mois de prison. Avec sursis.
BENLADISATION DES BANLIEUES
Les attaques contre les Juifs, cela doit être clair maintenant, sont le fait
d'une part de la minorité musulmane de France. Que nul n'en oublie l'aspect délinquance,
pour autant. Ces quartiers sont en train de devenir des zones mono-ethniques
peuplées d'immigrants d'Afrique du Nord et de leurs descendants de la seconde
ou troisième génération. Ce sont des lieux caractérisés par le trafic de
drogue, l'apathie politique, le chômage (qui dépasse 35% dans ces quartiers)
et la violence. C'est pourquoi les agents de la force publique, les maires et
les politiques les appellent "zones de non droit", où même la
police n'ose pas pénétrer, si ce n'est en plein jour pour enlever un
cadavre. On y résiste aux pouvoirs publics par la force, et pas seulement à
la police, qui est spécialement visée par des "brigades
anti-flics". Même les pompiers, qui ont longtemps été les
"chouchous" des Français, ont été attaqués dans des cités
autour de Paris.
La police n'est pas équipée pour faire face à une telle situation. La
France est supposée être "le plus policier de tous les pays
d'Europe", avec 130.000 policiers, mais la plupart d'entre eux, grâce à
l'efficacité de syndicats très puissants, sont employés à des tâches
administratives, et ne dispose pas de plus de 10 000 hommes prêts à
intervenir à tout moment. Selon un dossier de l'hebdomadaire Le Point, datant
de ce printemps, on doit détacher des unités de Normandie pour venir
renforcer la sécurité sur les plages de la Côte d'Azur. Selon André-Michel
Ventre, secrétaire général du Syndicat de la police, quand la police réussit
à effectuer des arrestations, les juges libèrent souvent les délinquants,
et 37% des condamnations ne sont même pas exécutées.
En fait, on pourrait qualifier les banlieues françaises de l'adjectif américain
"inner-city" à une différence près. Les HLM français et les
"banlieues sensibles" sont devenus le terrain de prédilection de
missionnaires, prosélytes et autres ré-islamisateurs, généralement financés
par l'Arabie Saoudite (qui fait parfois transiter ses fonds par l'Algérie),
par l'Iran, et parfois de groupes fondamentalistes londoniens. Ils cherchent
à séduire les jeunes de culture musulmane pour les convertir à une approche
politique radicale de l'Islam.
C'est ce prosélytisme qui a conduit à ce que les Français appellent la
'benladisation' des banlieues, dont le zélateur le plus célèbre est
Zacarias Moussaoui. Mais il n'est pas le seul. Le "kamikaze" arabe
qui, pour punir les pays arabes qui "empêchent leurs peuples de se
lancer dans la guerre sainte contre les Juifs", a fait sauter un camion
rempli d'explosifs contre la synagogue de Djerba, en Tunisie, tuant, notamment
une douzaine de touristes allemands, était un franco-tunisien nommé Nizar
Nawar. Sa famille vit à Lyon, où son oncle a été arrêté, dans le cadre
de cet attentat. L'un des quatre terroristes jugés pour avoir essayé de
faire sauter la synagogue de Strasbourg, l'année dernière, a longtemps vécu
en France. Le 11 septembre a donné lieu à des réjouissances, dans les
quartiers musulmans, qui n'étaient pas sans rappeler ce qui s'est passé dans
les territoires palestiniens. Le 2 septembre, dans une ville française proche
de la frontière belge, un voyou nommé Safir Bghouia a attaqué un groupe de
policiers avec un lance-roquettes, il a ensuite téléphoné des menaces de
mort aux autorités locales, avant d'attaquer le commissariat local à la
mitraillette et d'exécuter le député-maire de la ville. Lorsque la police
le rattrapa et qu'il fut tué d'une balle, il était vêtu de blanc et hurlait
qu'il était "un fils d'Allah".
Avec Londres, sa seule rivale sur ce point, Paris est la capitale
intellectuelle et médiatique du monde arabe, comme Miami est celle du monde
hispanique. Une des conséquences en est, outre le terrorisme, que le poids de
l'Islam fondamentaliste -- et l'antisémitisme qui va avec -- se fait sentir
dans la vie quotidienne. Eric Marty, professeur de littérature de l'Université
de Paris s'est vu empêcher d'enseigner les oeuvres de Primo Levi (notamment
ses mémoires d'Auschwitz : "Si c'est un homme") parce que les étudiants
arabes l'ont sorti de la classe sous les huées. Kenza, une jeune beurette
participant au reality show intitulé "Loft Story" (une sorte d'équivalent
classé X de l'émission "Survivor"), s'est plainte d'avoir été
sortie de l'émission parce que "la télé est contrôlée par les
Juifs". Un de mes amis qui s'entraînait dans un gymnase à côté de
Strasbourg entama, avec un sympathique Beur, une conversation qui s'orienta
sur le premier ministre britannique, Tony Blair. "Ne croyez pas un mot de
ce que Blair raconte", dit l'homme à mon ami : "Vous ne saviez pas
que son vrai nom était Bloch ?" (Bloch est un nom juif alsacien assez
courant).
Toute l'histoire des arabo-musulmans de France ne se résume pas à cela, bien
sûr. Claude Imbert, rédacteur en chef du Point admet que l'immigration en
France a été mal gérée sous la présidence socialiste de François
Mitterand, mais il "demeure un farouche partisan de l'immigration".
Il remarque que les Beurs sont les plus dynamiques entrepreneurs de France.
"Ils sont les seuls capables de faire des carrières à l'américaine
dont nous avons besoin ici, dit-il, à savoir : commencer à livrer des pizzas
avec une seule voiture et transformer ce petit artisanat en une grande
entreprise -- enfin, ce genre de choses". D'autres se sont courageusement
élevés contre la vague islamiste, comme Rachid Kaci, adjoint au maire de
Sannois, qui fit une apparition à un colloque juif, à la mi-avril, dans
l'est parisien, pour dire : "Je suis solidaire avec vous pour lutter
contre ce nouveau fascisme." Kaci insiste sur la nécessité de couper
l'Islam de ses influences étrangères, suivant en cela le message que le
romancier tunisien Abdelwahab Meddeb lance dans son cri du coeur : "La
maladie de l'Islam".
D'autres cherchent à rendre l'Islam plus ouvert à tous les musulmans, et
plus transparent dans son financement. Parmi eux, la Maire de Strasbourg,
Fabienne Keller, qui a pris une ligne dure en arrêtant le projet de mosquée,
sponsorisé par l'Arabie Saoudite, que la Maire socialiste précédente
(ministre de la culture de Jospin), Catherine Trautmann avait approuvé, malgré
le fait que certains des investisseurs étaient des fondations qui
apparaissent maintenant sur les listes noires -- établies par les Américains
- d'associations terroristes. De façon générale, la France cherche à créer
un Islam en harmonie avec ses propres traditions séculaires, ce qui est tout
à fait admirable. Malheureusement ce genre d'Islam va devoir être inventé,
car, en 1300 ans, il n'a jamais existé. Cela peut, bien sûr, être une
contradiction logique. Et c'est certainement une chose que les plus radicaux
des 6 à 9 millions de musulmans -- qui constituent presque la moitié de la
population des jeunes dans les villes, avec un taux de natalité trois fois
plus élevé que celui des non-musulmans -- n'ont aucune raison de rechercher.
Ce qui nous amène à la véritable raison pour laquelle les Français ne
croient pas qu'ils ont un problème d'antisémitisme et à la raison pour
laquelle ils ont tort.
JUDÉOPHOBIE
Pierre- André Taguieff, directeur de recherche au CEVIPOF (centre d'études
de la vie politique française) vient de publier un livre, intitulé "La
nouvelle judéophobie", qui explique cela. L'idéologie sur laquelle
s'appuie ce nouvel antisémitisme est largement importée. Elle a ses racines
dans la paranoïa anti-occidentale - que tous les Américains reconnaissent
(sans être capables de l'expliquer) -, depuis les banderoles exhibées lors
de la révolution iranienne. C'est un mélange d'Islam apocalyptique et d'un
antisémitisme occidental pré-nazi, du genre que l'on trouve dans "les
protocoles des sages de Sion". Taguieff récuse le mot antisémitisme.
D'abord parce que, comme l'a montré Bernard Lewis, "sémite" est un
terme linguistique, pas racial, qui permet aux gens des jeux de mots ineptes
sur ce qui arrive en France. ("Les " jeunes "/le Hamas/le
Hezbollah ne peuvent pas être antisémites", lit-on quotidiennement dans
la presse française, "puisqu'ils sont eux-mêmes sémites !").
Ensuite parce que l'antisémitisme est une idéologie raciale et que la haine
des Juifs aujourd'hui n'est plus une idéologie raciale. C'est pourquoi,
explique Taguieff, on la trouve si souvent couplée avec l'anti-américanisme.
Le livre de Taguieff est brillant et remarquablement documenté, ce qui
devrait lui permettre de convaincre tout lecteur non encore familiarisé avec
la problématique du Moyen Orient. Il a rendu furieux les intellectuels français
qu'il visait, parce qu'il explique que ce nouvel antisémitisme s'appuie sur
deux piliers : l'anti-sionisme et le négationnisme.
Le premier [anti-sionisme]a rendu furieux les Français, car ils sont
largement anti-sionistes -- à tel point que le mot peut être utilisé pour
signifier une attitude hostile aux intérêts d'Israël et favorable à ceux
de ses ennemis. Alors que les Américains soutiennent Israël dans le conflit
du Moyen-Orient, dans une proportion de 41 contre 13, un récent sondage du
"The Economist" démontre que les Français sont, de tous les Européens,
ceux qui soutiennent la cause palestinienne avec la marge la plus grande : 36
contre 19. De plus, le conflit du Moyen-Orient est devenu une véritable
obsession dans l'intelligentsia de gauche, une obsession dont on ne peut pas
avoir idée si on n'a pas participé à une soirée du vendredi chez les
socialistes de Strasbourg...
Est-ce que les citoyens d'un pays libre n'ont pas le droit de soutenir la
partie qu'ils préfèrent dans une guerre qui se déroule à l'étranger ?
Bien sûr que si. "Même parmi les Juifs", remarque Goldnadel,
"il n'est pas nécessaire d'être un Juif honteux pour envisager que
l'avenir des Juifs est en diaspora". Ce n'est pas le but de Taguieff. Ce
dont il parle, c'est de l'"anti-sionisme mythique", qui considère
le sionisme comme le mal absolu, auquel il faut déclarer une guerre absolue.
Dans cette acception, le sionisme n'est plus un simple racisme mais le nec
plus ultra en matière de racisme.
C'est une vision que les Français -- eu égard, particulièrement, à
l'obsession de la gauche française pour les races et à son attachement
romantique pour les guérillas du tiers-monde -- risquent d'adopter. Le
philosophe Alain Finkielkraut remarque que, en France, "le soutien à la
cause palestinienne est renforcé, et non remis en question, par la violence
sans discrimination dont font preuve les Palestiniens." Le danger
d'adopter une vision manichéenne du conflit israélo-arabe est plus grand
chez ceux qui soutiennent le tiers-mondisme, le néo-communisme, le néo-gauchisme,
tous ceux que Taguieff agrège dans le "mouvement
anti-globalisation". Les adeptes de Noam Chomsky... les gens qui trouvent
que "Empire" est un bon livre. Si vous leur demandez pourquoi, parmi
les dizaines de conflits qui opposent le monde musulman aux civilisations
voisines, c'est celui-ci qui les obsède (pourquoi pas la Tchétchénie ?
pourquoi pas le Soudan ? pourquoi pas le Nigeria ?), ils vous donneront une réponse
qui s'arrête à l'extrême limite de l'antisémitisme. Le conflit Israélo-Palestinien
est le seul qui oppose le monde "capitaliste" occidental (et donc
les Juifs qui l'alimentent) aux pauvres peuples, victimes défavorisées du
Sud. Ainsi, les Juifs se trouvent payer le prix des pillages commis par les
Occidentaux depuis le Moyen Âge, et dont, la plupart du temps, ils ont été
eux-mêmes victimes.
Ce point de vue est, bien entendu, le grand obstacle à la réception de la
version : Juifs == bourreaux : [car il démontre que les Juifs] ont déjà
subi plus que leur part. Et c'est pourquoi le négationnisme, ou, à tout le
moins, la banalisation de l'Holocauste, est un élément indispensable à
cette idéologie.
L'abbé Pierre, un prêtre extrêmement populaire, devenu un héros national
s'est plaint, en 1991, de ce que "les Juifs, qui étaient des victimes,
soient devenus des bourreaux". il a même soutenu la cause de Roger
Garaudy, un stalinien converti à l'Islam radical, quand il a été accusé de
négationnisme. Lors d'une manifestation pro-palestinienne aux Halles, en mars
dernier, les manifestants portaient une étoile de David barrée d'une
swastika et défilaient en scandant "Jihad, Jihad, Jihad !". Si vous
traversez le Pont des Invalides, vous verrez, imprimée en jaune sur fond
noir, une affiche qui exige qu'Ariel Sharon soit déféré devant le TPI pour
crimes de guerre.
Il est difficile de définir quelle imposture est la plus criante sur cette
affiche : voir "sionisme" accolé à "extermination", dans
la liste des crimes, ou voir Israël accusé de faire, dans les territoires
palestiniens, ce que les nazis faisaient en France. ("Déportation",
quel que soit le sens qu'on lui donne dans les Territoires, est un mot qui résonne
de façon terrible dans la mémoire des Juifs de France.)
A une époque où la superposition de symboles nazis sur Israël prend la
forme d'une vision religieuse, Claude Keiflin, journaliste politique du
quotidien "Les dernières nouvelles d'Alsace", qui couvre le Moyen
Orient pour son journal, m'a demandé, alors que je l'interviewais :
- Comment après avoir subi l'Holocauste, le peuple juif peut-il mettre des
numéros sur les bras de ses prisonniers ?
- Quoi ? Vous voulez dire qu'ils sont tatoués ?
- Oui.
- Comment ?
- Bon, d'accord, pas gravés dans la peau, mais quand même...
La France a des lois contre le négationnisme. Le climat actuel montre
qu'elles sont mauvaises, non seulement parce qu'elles transforment des malades
mentaux en héros de la liberté d'expression, mais aussi parce qu'elles
peuvent être violées en toute impunité. Une telle violation a été commise
par José Bové, dans les premiers jours d'avril, quand il a été expulsé
d'Israël, après une visite au QG de Yasser Arafat à Ramallah. Bové, qui
est devenu célèbre en saccageant un Mac Donald dans le Sud de la France,
pour protester contre l'influence américaine, n'est pas seulement le leader
informel de la jeune gauche française, le " héros " des émeutes
de Seattle et le gourou de nombre des manifestations anti-Le Pen qui
fleurissent aujourd'hui à Paris ; il est aussi le plus charismatique leader
du mouvement anti-globalisation dans le monde.
Il était donc très inquiétant de voir Bové, après une dénonciation de
pure forme des violences anti-juives, informer les téléspectateurs de la chaîne
Canal + que les attaques contre les synagogues françaises étaient organisées
ou exécutées par le Mossad. "A qui profite le crime ?" a demandé
Bové. "Le gouvernement israélien et ses services secrets ont intérêt
à créer une certaine psychose, à faire croire qu'il y a un climat d'antisémitisme
en France, pour détourner l'attention de ce qu'ils sont en train de
faire".
Comme Bové n'a pas directement dit que les Juifs n'ont pas été victimes de
l'Holocauste, il peut sembler excessif à certains lecteurs que le B'nai Brith
l'ait accusé de négationnisme, ou de déni de l'Holocauste. Mais le B'nai
Brith a raison. Ses membres ont simplement étudié plus à fond le
raisonnement qui sous-tend le négationnisme. Pour quiconque vit dans la
culture occidentale, l'Holocauste a fait de cette culture un lieu plus
douloureux à habiter, et qui, pour tout être normal moralement constitué, a
nettement réduit les limites de ce qu'est un comportement politique
acceptable. Etre humain, c'est souhaiter que cela n'ait jamais eu lieu. (Ceux
qui nient que cela ait eu lieu sont peut-être ceux qui ne supportent pas
d'admettre que cela a eu lieu).Mais cela a eu lieu. S'il y a une volonté
d'antisémitisme dans la culture occidentale -- et il y en a probablement une
-- alors le style de judéophobie arabe, qui est un antisémitisme sans les
complexes de l'Occident, offre une véritable planche de salut pour ceux qui
veulent l'adopter. Il peut libérer l'Occident coupable et décadent d'un
horrible marasme moral. Et quel anti-dépresseur ! Dire que les chambres à
gaz n'ont pas existé n'est, bien sûr, pas respectable. Mais on peut obtenir
le même résultat en utilisant ce que Leo Strauss appelle le "reductio
ad Hitlerum" (réduction au niveau de Hitler) pour accuser les Juifs
d'avoir commis des crimes identiques à ceux des nazis. Les crimes doivent être
identiques, bien sûr, sinon l'auto-illusion ne fonctionne pas. Nous en avons
commis un, les Juifs en ont commis un : nous sommes à égalité.
Il est facile de voir la force attractive d'une telle idéologie. L'écrivain
Alexandre del Valle craint que l'antisémitisme ne devienne une force
astreignante qui mène à une "convergence des totalitarismes" de
l'islamisme et de la gauche anti-mondialiste. Elisabeth Schemla, qui a
longtemps écrit dans le Nouvel Observateur, un hebdomadaire de centre gauche,
et qui anime désormais le site Proche-Orient.info ( http://www.proche-orient.info
) dit : "L'antisémitisme de la gauche est plus dangereux que celui de la
droite. La gauche tient les rênes des médias, des universités, des
associations, de la classe politique." Schemla s'inquiète de ce qu'un
tiers des candidats du premier tour des élections présidentielles ait été
fortement motivé par le conflit du Moyen-Orient. C'est pourquoi la percée de
Le Pen n'est pas l'événement le plus préoccupant de ce premier tour, c'est
plutôt le bon score des trois candidats trotskystes de l'extrême gauche.
BONIFACISME
Au mois d'août dernier, Pascal Boniface, l'un des conseillers de Lionel
Jospin les mieux en cour pour la politique étrangère, a écrit une
"lettre ouverte à un ami israélien" qui a été publiée dans Le
Monde. La référence aux "lettres à un ami allemand", qu'Albert
Camus écrivit en 1943/44, n'a pas été perdue pour les lecteurs juifs.
L'avocat Pierre-François Veil a fait remarquer que si Boniface avait voulu écrire
à un ami israélien, le Jerusalem Post eût été le bon média. La lettre était,
bien entendu, en réalité, adressée aux Juifs de France, et beaucoup d'entre
eux virent une menace dans les dernières lignes : "En France", écrivait
Boniface, "si elle laissait trop de latitude au gouvernement israélien,
la communauté juive pourrait y perdre à moyen terme. La communauté
arabo-musulmane est certainement moins bien organisée, mais elle représentera
un contrepoids et elle sera bientôt numériquement plus puissante, si ce
n'est déjà le cas".
"J'ai donné mon avis non pas à cause du poids de la communauté, mais
sur le principe", a dit Boniface, lors d'une interview. Les votes des
deux communautés sont à peu près égaux. Les musulmans peuvent être
environ 8 millions, seule la moitié possède la nationalité française. Sur
ces 4 millions, 2,5 millions n'ont pas encore la majorité et sur le 1,5
million qui reste, plus de la moitié s'abstiendra. Mais dans une période où
les Juifs étaient menacés dans les rues de France, il semble qu'on ne leur
donnait pas aux Juifs une leçon électorale mais qu'on les intimidait carrément.
On leur proposait un 'deal' : désavouez votre solidarité avec Israël et on
vous laissera tranquilles. Sinon on vous rejettera hors de la communauté
nationale. Boniface n'est pas le seul à professer cette opinion. La CAPJO
(coordination pour une paix juste au Moyen Orient) a demandé aux Juifs français
de "critiquer la politique d'Israël". Comme l'a remarqué Alain
Finkielkraut, la CAPJO n'a jamais demandé aux musulmans de faire pression sur
les Palestiniens pour qu'ils arrêtent les attentats-suicide. Boniface s'est
vu adresser la même accusation : celle de rendre l'appartenance des Juifs -
et d'eux seuls - à la communauté nationale contingente de la conduite d'un
pays étranger. Cette attitude a été définie par un raccourci humoristique
sous le nom de "bonifacisme" par la presse juive, qui l'a condamnée
comme une forme d'antisémitisme.
"Je défie quiconque de trouver une seule ligne dans tout ce que j'ai écrit,
qui soit antisémite", a dit Boniface dans une interview. Il fit
remarquer que ses opinions étaient généralement très objectives. "Mes
étudiants aussi ont changé d'avis", a-t-il dit. "Il y a 20 ans,
quand Israël a envahi le Liban, ils étaient partagés. Aujourd'hui, ils
sont, à une écrasante majorité, pro-palestiniens." Lionel Jospin a
suivi la ligne de Boniface pendant toute sa campagne, condamnant le
"communautarisme" et insistant auprès des groupes juifs (mais pas
auprès des groupes arabes) sur le fait que "nous ne devons pas importer
en France les problèmes du Moyen-Orient". Mais Jacques Chirac renvoya
les deux parties dos à dos, sur le sujet du communautarisme, d'une manière
encore plus répréhensible. Lors d'une visite à la Grande Mosquée de Paris,
une semaine avant le vote, il condamna fermement les incendies de (nombreuses)
synagogues (dans son pays), mais il assura les nombreux dignitaires rassemblés
que, si quelqu'un touchait à une mosquée (ce que personne n'avait fait), ou
une église (comme l'église de la Nativité, dans un autre pays où les Israéliens
encerclent des terroristes palestiniens qui détiennent des otages), ce serait
tout aussi mal.
Et pourtant, les "problèmes du Moyen-Orient" comme les nomme
Jospin, sont le seul sujet auquel les Français ont envie de penser. Les Juifs
se sont longtemps inquiétés de ce que les non-Juifs soient de moins en moins
nombreux à participer à leurs manifestations. Depuis Octobre 2000, ils se
demandaient pourquoi leurs compatriotes ne défilaient pas contre l'antisémitisme
réel avec le même enthousiasme que celui avec lequel ils se mobilisaient
contre la version qui-faisait-tranquillement-partie-de-l'histoire. ("Une
manifestation du 13 janvier 2002, devant la synagogue de Créteil -- la dernière
en date victime de violences -, fut marquée par l'absence notable de
sympathisants non-juifs", fait remarquer Shimon Samuels, du Centre Simon
Wiesenthal. "Bien sûr, le député maire de la ville a profité de
l'occasion pour dénigrer publiquement la politique de Sharon, ce qui lui a
valu les huées du public".)
Le 6 avril, des manifestations pro-palestiniennes se tinrent dans tout le
pays. Le 7 avril, le CRIF, organisation qui regroupe toutes les associations
juives, organisa une marche en faveur d'Israël. Il décida de manifester
aussi contre les attentats antisémites des jours précédents. Trois des 21
membres du bureau du CRIF décidèrent de ne participer qu'à la seconde
partie de la manifestation. L'un des membres du bureau, Olivier Guland, de
Tribune Juive, se plaignit : "C'est la première fois que les
institutions juives de France ont donné l'impression que la défense de leurs
propres intérêts était différente de celle des valeurs de la République".
La pancarte la plus souvent exhibée : "Synagogues brûlées : la république
est en danger", véhiculait le message que les intérêts de la France et
ceux de sa communauté juive étaient pratiquement identiques. Mais il est
loin d'être sûr que c'est ce message qui sera perçu par la France.
"Traditionnellement", écrivait Alain Finkielkraut dans le mensuel
juif L'Arche, "les antisémites sont ces Français qui vénèrent leur
identité et s'aiment sur le dos des Juifs. L'antisémitisme contemporain
inclut des gens qui ne s'aiment pas, qui ont une perspective post-nationale et
qui appauvrissent leur "francitude" autant qu'ils peuvent pour
s'identifier avec les déshérités du monde. Ils utilisent Israël pour
placer les Juifs dans le camp des oppresseurs. Vous avez une sorte de ligue
qui rassemble l'islamisme antisémite et l'auto-dénigrement, la répudiation
de l'autre et la haine de soi".
Pendant des années, Finkielkraut a mis en garde contre les dangers du
"politiquement correct" dans un mouvement anti-raciste français
affligé d'une grande paresse intellectuelle. Ses écrits sont souvent apparus
comme un moyen nécessaire de constituer un rempart pour le mouvement
politique contre le ramollissement de la pensée. Mais maintenant que ce
mouvement "arme une machine de guerre contre les Juifs au nom des
exclus", ce travail semble encore plus important.
La gauche française a consciencieusement assimilé les leçons de la Seconde
Guerre mondiale. Peut-être trop consciencieusement. Après avoir fantasmé
pendant des années sur l'idée qu'ils auraient été bien plus braves que
leurs parents, s'ils avaient vécu en 1938, après avoir attendu mollement,
pendant des années, un antisémitisme nébuleux de type vichyssois, qu'ils
auraient pu combattre en suivant les instructions de leur manuel
d'antiracisme, les Français de gauche se sont soudain trouvés confrontés au
fait qu'ils y a au moins des centaines de milliers de gens, dans leur pays,
qui pensent, en gros, la même chose que les martyrs de la brigade El Aqsa, et
des millions de plus qui pensent ce que vous pouvez imaginer. La gauche française
a peut-être des raisons idéalistes de réserver sa sympathie aux
Palestiniens, mais elle a aussi de puissantes raisons matérielles. Il s'avère
que son coeur penche du côté de ceux qui ont commis le plus de violences sur
le sol français.
Ce qu'il y a de plus dangereux chez Jean-Marie Le Pen -- qui exècre la
mondialisation, se méfie des Juifs et pratique la gesticulation politique --
ce n'est pas qu'il risque d'être élu, mais qu'il serve de mauvais trait
d'union entre les islamistes anti-occidentaux et les anti-mondialistes qui défilent
contre lui, soir après soir, pour des différences idéologiques de plus en
plus difficilement discernables.
Christopher Caldwell est l'un des rédacteurs en chef du Weekly Standard.
© The Weekly Standard, 05/06/2002, Volume 007, Issue 33.
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