NOTRE LIBERTE ET LA VOTRE

PAR MICHEL GURFINKIEL

"Pour notre liberté et pour la vôtre". Ce fut, tout au long du XIXe siècle, le cri de ralliement des patriotes polonais qui se battaient contre
l'oppression russe. Ce fut aussi, en avril 1943, voici cinquante-neuf ans exactement, celui des insurgés du Ghetto de Varsovie, ces héros décharnés qui s'étaient dressés, à un contre dix mille, les mains presque nues, face aux assassins hitlériens. Et les juifs de France, aujourd'hui, pourraient adresser le même appel, la même mise en garde, à l'ensemble de la communauté nationale. "Pour notre liberté et pour la vôtre" : car le véritable enjeu de la manifestation de cette après-midi, c'est bien la France, elle-même. Quoi, s'imagine-t-on encore qu'un pays où l'on brûle impunément les synagogues et les écoles juives depuis dix-huit mois, dans une sorte de Nuit de Cristal rampante, où des commandos munis de voitures-béliers défoncent les portes d'un lieu de culte, où on lance des cocktails Molotov contre des policiers chargés de la protection des édifices et des fidèles, où l'on roue de coups, en pleine rue et en plein jour, des rabbins ou des jeunes couples du chabbath, où des enseignants d'origine juive sont à la fois insultés ou menacés par certains de leurs élèves et mis à l'écart par certains de leurs collègues, où une banque solde d'autorité le compte, largement positif, d'une association, au seul titre qu'elle est juive, s'imagine-t-on encore qu'un tel pays va bien ?
S'imagine-t-on que les agressions que subissent les Français juifs ne rejailliront pas, ou ne rejaillissent pas déjà, sur les autres Français ?
Croit-on qu'un Etat de droit, qu'une République, puissent traverser sans dommage une crise aussi profonde ? Croit-on que le reste de l'Europe et du monde libre ne s'inquiètent pas de ce qu'il advient de notre pays, de sa dérive inexplicable, de l'impuissance apparente de ses élites politiques, de la trahison de ses clercs ? Allons, allons, un peu de sérieux. Un peu de véritable amour pour la patrie.

Parlons clair et parlons net. La plupart des agressions antijuives des dix-huit mois passés et d'aujourd'hui ont été perpétrés par des enfants perdus de l'immigration. Et il en va de même de beaucoup d'autres violences. Il semble donc important et urgent de donner à l'islam, religion noble et sage, les moyens de l'emporter sur un pseudo-islam extrémiste, et aux dirigeants des communautés immigrées la représentation qui leur revient. L'Organisation de la Conférence islamique, qui rassemble tous les pays musulmans, dans leur infinie diversité, vient de condamner catégoriquement à Kuala-Lumpur le terrorisme contre des civils et contre des fidèles d'autres religions. Pourquoi a-t-on moins entendu ce message que celui de sectes ou de conféries en rupture avec les traditions sunnite et chiite authentiques ? Nombreux sont, parmi les Français originaires des pays d'islam, ceux qui récusent les totalitarismes à prétexte religieux ou nationaliste : c'est le cas, notamment, des militants démocratiques berbères ou kabyles. Pourquoi leur action est-elle le plus souvent occultée ?

Parlons clair et parlons net. La première responsabilité d'un politique ou d'un professionnel des médias, c'est de ne pas nier ou minimiser les faits. En France, c'est l'attitude inverse qui semble avoir été la règle :
plutôt que de prendre acte de la vague antijuive sans précédent qui balayait le pays, de la réprouver, de la combattre, bon nombre de
représentants des quatre pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire et journalistique, l'ont niée, chacun à sa manière, chacun dans son langage, chacun dans son domaine. Quand un ministre israélien - de centre-gauche, soit dit en passant - a observé que la France de 2002 était le pays occidental le plus affecté par l'antisémitisme, ce qui n'est certes pas la même chose que de le qualifier de pays le plus antisémite du monde, l'indignation vertueuse a fusé de tous côtés. Et il a fallu à la plus grande partie des médias un an ou plus, et plus de quatre cents agressions antisémites répertoriées, pour consacrer enfin leur une - ou et leur éditoriaux - au problème.

Parlons clair et net. La pensée unique qui règne en matière de politique étrangère sur ce pays, l'hostilité radicale, a priori, à l'égard de la
démocratie américaine et de la démocratie israélienne qui submerge tant de milieux, l'indifférence à l'égard des victimes du terrorisme en Israël ou ailleurs, la sympathie affichée vis à vis des terroristes de tout poil, ont activé le mal. Et ceci n'est pas seulement une affaire de déontologie universitaire ou intellectuelle. Cette pensée unique est, dans une large mesure, le produit d'institutions publiques ou semi-publiques, qu'il s'agisse de Grandes Ecoles, d'instituts consacrés aux problèmes stratégiques ou de relations internationales, de télévisions ou de radios d'Etat, d'une agence de presse au statut de semi-monopole. Il appartient aux citoyens de décider si leur argent doit réellement être investi à de telles fins, et éventuellement de demander des comptes.

Jamais, depuis la Libération, le souci des juifs de France et celui de la France n'ont été à ce point entremêlés. Jamais, depuis 1944, le drapeau tricolore n'a été à ce point celui d'une légitime révolte.

(c) Michel Gurfinkiel, 2002
Diffusé sur RCJ le 7 avril, quelques heures avant la manifestation contre l'antisémitisme organisée par le Crif et la Communauté juive de France

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