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EN ATTENDANT MARGOT


   

 

Le cadre : un petit salon. Une porte où doit être fixée, sur le chambranle côté droit, une Mézouzah, petit rouleau de parchemin qui contient certains passages de la Bible. Décor mural : un tissu chatoyant au dessus d’une desserte où sont posés un vase garni de fleurs artificielles, un chandelier,  une ou deux terres cuites et un gâteau en forme de couronne ou cake.  Au dessus du meuble une pendule arrêtée qui marquera 7 heures du soir.

Une table de jardin ou  longue table rectangulaire, encadrée de quatre chaises, et recouverte d’une nappe. Dessus, sont posés  un bol ou saladier de taille moyenne en verre transparent empli de graines de tournesol, 4 verres, une carafe remplie d’eau, 4 petites cuillers ou fourchettes à gâteau, 4 serviettes en tissu, une bouteille d’orgeat ou autre boisson sucrée non entamée et un éventai typiquement tunisien (facultatif).

Quatre femmes dites « modernes », entre 50 et 60 ans, ont l’habitude de se retrouver  chez l’une d’elles, Ninette, le samedi après-midi. L’hôtesse reçoit ses amies en robe d’appartement, légèrement rehaussée de broderies. Agnès en tailleur style Chanel, jupe assez longue pour recouvrir les genoux. Sylvie, puisque la plus évoluée, accorde quelques fantaisies à son accoutrement tout en conservant un minimum de pudeur.

Trois tempéraments sont mis en relief : Ninette radine jusqu’au ridicule, mais parfaite médiatrice au cours des conflits qui opposent Agnès et Sylvie. Agnès une exaltée, ironique et humiliante à souhait. Sylvie joue sur les apparences et subit les assauts d’Agnès avec, la plupart du temps, beaucoup de retenue.

Un quatrième personnage exalté, Madame Colombani, corse pur jus, que l’on entrevoit ou simplement entend sans qu’elle montre le bout de son nez intervient dans l’entrebâillement de la porte restée ouverte. Elle interrompt à deux reprises les échanges entre Ninette et Agnès.

Les dialogues de cette tragi-comédie sont truffés d’emprunts à l’arabe ou à l’hébreu et d’expressions franchouillarde pour nous faire croire à une certaine modernité. La formation de certains mots et phrases, issus de ces deux langues hébraïque et arabe  forment un dialecte qui peut sembler incorrect sur le plan de la logique grammaticale française, mais qui, cependant, conservent une certaine saveur auquel il ne faut pas toucher, parce que lisibles.

 

 

PREMIER ACTE

 

 La scène se passe dans le salon de Ninette. Quelques mesures de « L’eau vive » chantée par Guy Béart. Arrêt de la musique. Ninette apparaît en premier.  Femme très méticuleuse, elle met un certain temps à dresser la table tout en marmonnant, comme pour préparer un banquet.  Ses amies arriveront l’une après l’autre.

Quelques coups sont donnés à la porte. Elle ouvre, Agnès  apparaît en premier.

 

NINETTE.

«   Agnès, Chabbat Chalom ! Tu as un coucou suisse dans le ventre.»

AGNES.

Désinvolte, elle frôle la Mézouzah  de son index, étui fixé sur les montants des portes

 (sauf pour les sanitaires) et  qui contient un parchemin écrit en hébreu, assurant la protection  des maisons juives. Elle entre et ferme la porte derrière elle.

«   Elle ne va pas nous faire faux-bond, ce coup là ! »

NINETTE.

«  Je ne comprends pas. »

AGNES.

«  C’est clair pourtant, je parle français. Il s’agit de Margot…Margot la terre promise ! »

NINETTE.

Réfléchit :

«  Drôle de nom, tu l’appelles comme ça maintenant ? Je n’y aurais jamais pensé. »

AGNES.

«  Elle ne sera jamais la première arrivée, D. l’en préserve ! »

NINETTE.

«   Elle a dû essayer de nous joindre pendant le couvre-feu… »

AGNES.

«   Quel couvre-feu ? »

NINETTE.

«   Pendant Chabbat, pardi ! La pauvre, elle souffre tellement de ses pieds…

A haute voix :

Ils la mènent  par le bout du nez. »

AGNES.

«   C’est clair qu’elle arrivera comme le bol d’harissa…Après le repas. »

NINETTE.

Ninette se dirige vers la porte. l’entrouvre et retourne à table.

Imaginons que c’est le prophète Elie, ainsi, on ne la ratera pas. 

Réfléchit quelques secondes :

Elle peut-être eu une panne de paupières… »

AGNES. 

«  Tu ne peux pas laisser la porte ouverte Ninette, il y a une forte odeur sur le palier. »

NINETTE.

«   Elle est en retard aujourd’hui, elle va les descendre. »

AGNES.

«   Elle va les descendre, descendre qui, quoi ? De qui, de quoi tu parles ? »

 

 

NINETTE.

«   La voisine du dessus ; elle a pour habitude de les mettre devant sa porte pour ne pas oublier de les descendre, apparemment, aujourd’hui, elle s’est mise en retard. »

AGNES.

«   C’est quoi qu’elle entrepose devant sa porte ? »

NINETTE.

«   Les deux litières à vider. »

AGNES.

«   Deux litières ! Des chats ! Combien sont-ils ?»

NINETTE.

«   Ils sont cinq, tous adorables. »

AGNES.

«   Adorables…Comment les nourrit-elle ? » 

NINETTE.

Elle profite de l’infinie bonté de Collini le charcutier ; il  l’autorise à fouiller dans ses   poubelles. »

AGNES.

«   Le jour où elle rencontrera une seringue de drogué…ou héritera du tétanos!»

NINETTE.

«   Tu penses ! Elle ? Tellement maniaque, elle prend des gants. »

 AGNES.

Un son lointain, indéfini, leur parvient aux oreilles. Elle se tourne vers la porte.

«   Qu’est-ce qu’on entend…C’est Margot ? »

NINETTE.

«   C’est les chats…ils se font la cour, avant l’assaut final ! »

AGNES.

Dubitative.

«   Tu m’as dit qu’ils étaient cinq… »

NINETTE

«   Et alors, c’est quoi ton problème ?

AGNES.

«  Je ne sais pas, mais…Et à quatre heures de l’après-midi ? »

NINETTE.

«   Ils n’ont pas les mêmes horaires que nous, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre ! »

Elles pouffent de rire, reprennent leur sérieux. Agnès pose son sac et sa veste sur l’une des chaises et finissent par s’asseoir. Ninette dirige le bol de graines de tournesol en direction d’Agnès :

 C’est une promotion, j’en ai profité ! »

Madame COLOMBANI.

La voisine du dessus, visible ou pas selon le choix du metteur en scène. Elle entrebâille la porte et hurle :

«   Vous n’avez pas vu Pupusse ? »

NINETTE.

«   Désolée ma chatte, on a vu personne !

 

AGNES.

«   C’est qui Pupusse ? »

NINETTE.

«   La mère des petits. »

AGNES.

«   Tu parles de la bande des cinq ? »

NINETTE.

«   Voilà ! »

AGNES.

«  Et elle vient te voir souvent la corse ? »

NINETTE.

«   Un Shabbat sur deux comme toi, mais je la reçois que sur le palier. Je ne vais pas me taper l’incruste. Je lui remets les déchets devant la porte. Avec sa ménagerie, elle sent le mammouth à plein nez !»

Une petite pause s’avère nécessaire. Ninette dirige un peu plus le bol de graines de tournesol vers Agnès qui préfère se servir un verre d’eau. Verre qu’elle soulève et scrute avant de le remplir.

AGNES.

Ironique, un peu exaltée, allonge ses jambes et pose sa poitrine sur la table en direction de Ninette comme pour une confidence:

«   Tu sais pas la dernière pour Margot? Elle a loué sa soi-disant résidence d’été  qui se trouve face à la gare, aux Delassin. Tiens-toi bien, pour les trois mois d’été! »

NINETTE.

En appuyant sur le dernier mot :

«   C’est qui les Delassin ? »

AGNES.

«  Les Belhassen, tu sais bien... Francine et Jojo! Ecoute, prends bien note : ils ont francisé leur nom la semaine dernière ! »

NINETTE.

Sans conviction :

«  Mabrouk ! Il faut bien évoluer… »

AGNES.

«  C’est clair, voilà maintenant, que les mouches se mettent à tousser ! »

NINETTE.

«   Tu parles de la location en carton-pâte qui donne sur l’usine de raviolis du maltais ? »

AGNES.

«  Tu ne t’es pas trompée. »

NINETTE.

«  Il ne faudrait pas arriver chez eux pour le Shabbat ! »

AGNES.

«   Qu’est-c qui se passe à Shabbat ? »

NINETTE.

«   C’est le jour où Monsieur Borg ouvre les vannes. »

AGNES.

«   Les vannes ? C’est quoi les vannes ?»

 

 

 

NINETTE.

«   A Shabbat, il carbure pour dimanche, c’est le gros de la clientèle, tu comprends. Margot doit fermer les fenêtres ce jour-là ! C’est pratique en plein été ; l’odeur et les vapeurs causés par la cuisson des raviolis, je te dis pas, ils sont farcis de lardons  et baignent dans une sauce au saindoux qui empeste sa salle à manger. »

AGNES.

«   Tu penses qu’ils sont farcis avec du porc ? »

NINETTE.

Elle ne répond pas à sa question, cela lui semble tellement évident. Une pause courte.

«   …D’ailleurs, la femme de Monsieur Borg  a cru bien faire en donnant la recette à Margot. »

AGNES.

«   Et pour chasser ces odeurs qui ne sont pas « cacher », qu’est-ce qu’elle fait Margot ? »

NINETTE.

«   Elle met en marche le ventilateur qui est fixé dans le plafond de la salle à manger  toute la journée…Et même la nuit. Parce que Monsieur Borg ouvre les vasistas de son usine le samedi soir pour que les odeurs s’échappent ; elles atterrissent chez qui d’après toi? »

AGNES.

«   C’est clair. Mais je trouve que ce n’est pas une conversation très shabbatique.

NINETTE.

«   C’est toi qui a commencé avec Francine et Jojo ! »

AGNES.

« Parlons-en de Francine et Jojo, eux  qui voyagent beaucoup entre la Marsa et la Goulette… »

NINETTE.

Ninette, curieuse, la presse de poursuivre :

«  Allez ! Abrège, la suite. »

AGNES.

«  Un jour, et c’était la première fois qu’ils sortaient de Tunisie. Ils décident de partir en Italie.

NINETTE.

«  Ils ont de la famille à Livourne? »

AGNES.

«   Tu as déjà entendu parler des Belhassen de Livourne  et des Dupont de Nemours de Ouagadougou? » 

NINETTE.

«   Pas vraiment, c’est vrai. »

AGNES.

«   Je continue. Ils devaient donc se rendre à Turin pour le fameux marché du samedi. »

NINETTE.

«  Il ne peut pas se tenir un autre jour le fameux marché du samedi ? »

AGNES.

«   Ecoute la suite, Jojo qui est coupeur chez les Fiorentino a griffonné, soi-disant en italien, le nom de la ville où ils devaient se rendre; et les voilà partis, très tôt ce samedi matin pour l’aéroport d’El Aouina, munis chacun d’un immense couffin en vue des emplettes.

 

NINETTE.

«   On ne ramène pas dans un couffin des saucisses de Frankfort, encore moins des raviolis  cent pour cent pur porc d’Italie… On trouve les mêmes chez Borg à la Goulette. C’est vrai que depuis qu’ils ont transformé leur nom ! Cela fait plus exotique !»

AGNES.

«   La suite t’intéresse ? Descendus du « Constellation »,  ils présentent à l’aéroport qui se trouve dans la banlieue  turinoise le bout de papier griffonné par Jojo: les autochtones ne connaissent pas cette ville. Des touristes japonais et suédois tentent de les aider.

NINETTE.

«   Des Italiens d’origine suédoise, je veux bien, mais des italiens japonais où ils ont  été les chercher? »

AGNES.

«   Je continue. Des doigts se tendent dans toutes les directions : Nord Sud, Est Ouest. Jojo impatient, comme tu le connais, regarde sa montre. Un taxi les prend en charge ; Jojo indique, de son index, au chauffeur, une vague direction.

Le compteur tourne, les lires défilent ainsi que des noms de coins perdus. Un panneau de signalisation plus grand que les autres attire l’attention de Francine: Alessandria. Elle fait stopper le taxi devant une trattoria. Ils commandent quelques tranches de jambon de Parme accompagné de melon et retiennent une chambre dans un couvent pour la nuit. Tu penses bien que l’heure du marché du samedi était largement dépassée.

NINETTE.

«   Et toi, tu as largement dépassé ton temps de parole ! »

AGNES.

«  Tu veux connaître la fin de l’histoire ou non? »

NINETTE.

«  Fais court ! »

AGNES.

«  Jojo, il est bête comme un balai sans poils. Ce n’est pas lui qui aurait inventé la machine à courber les bananes…C’est sur ! Il avait écrit Torino avec : a,  u,  d,  à la fin ! »

NINETTE.

«   Très drôle ! Tu en as encore beaucoup, des comme ça  dans la chaussette ?

AGNES.

«   Elle est courte, mais bonne ! »

NINETTE.

«   Je n’arrive pas à te suivre… »

AGNES.

«   Il faut te le chanter ? »

NINETTE

«  Je te raconte celle-là avant qu’elle n’arrive. »

AGNES.

«   C’est vrai qu’on l’a oubliée, la petite Margot ! »

NINETTE.

«   J’essaie d’en placer une, mais c’est difficile avec toi ! »

AGNES.

«   Allez vas-y, à toi l’honneur. »

 

 

NINETTE.

Je connais des Lumbroso qui n’ont jamais voulu qu’on les traite d’Italiens, encore moins de Livournais ou gornis. A la fin de la guerre ils se sont fait ajouter un « t.». Ils tenaient à passer pour des français vrais. Moi, j’aimais bien leur accent plein de charme ! Ninette tend la carafe d’eau : Tu veux boire quelque chose en attendant ? »

AGNES.

Elle semble avoir chaud, s’empare de l’éventail, secoue le bas de sa robe ou jupe évasée.

«   Ah ! Margot par ci, Margot par là…Elle sait s’y prendre, celle-la,  je te le jure ! Au fait, tu ne sais pas, mais je vais te l’apprendre : je n’ai pas été invitée à la Bar Mitsva du petit Norbert… »

NINETTE.

«  On ne peut se rassasier qu’à sa propre table ! »

AGNES. Pensive :

«   C’est clair.»

NINETTE.

«  Tu vois ! »

AGNES.

«  Je vois quoi ? Tu penses que c’est un simple oubli ? Enfin imaginons. »

NINETTE.

«  Elle perd la tête, je te dis ! »

AGNES.

S’emportant :

«  Quand il s’agit d’emprunter la machine à coudre que je viens d’électrifier ou un ou deux citrons…elle se souvient  de moi ! »

Nouvelle intrusion de Madame Colombani :

Madame COLOMBANI.

Elle cogne à nouveau deux coups à la porte restée ouverte :

«  Avez-vous quelques carcasses de poulet ou des arêtes de poissons, c’est pour les petits. »

AGNES.

Répond à la place de Ninette :

«   Désolée madame,  aujourd’hui c’était grillades-pommes frites ! »

NINETTE.

Se sert un verre d’eau qu’elle avale de travers :

« Agnès, à Shabbat ?

Une petite pause.

 Ton histoire d’invitation me fait penser  à ce que dit ma mère qui est très philosophe. » 

AGNES.

« Eduquée à l’Alliance Israélite, elle en a gardé toute la sagesse. »

NINETTE.

 «  Merci.

Avec ostentation et appuyant sur chaque mot :

 Celui qui compte sur la maison où l’on célèbre un mariage, se couche sans dîner ! »

AGNES.

Réminiscence des proverbes arabes  entendus dans la petite enfance :

«  On n’a pas dit que l’on ne parlerait plus en arabe ? »

Elles éclatent de rire, Agnès invite Ninette à prendre les graines de tournesol. Agnès  croise les jambes constamment. Ninette plie et replie la serviette qui se trouve devant elle, fait mine de pousser des miettes imaginaires, Agnès jette un regard furtif sur son verre à moitié vide.

NINETTE.

 «   Tu ne sais pas, pour la pauvre Margot, avec  Vanvan… »

AGNES.

«   Qu’est-ce qu’il a Vanvan? »

NINETTE.

«   Qu’est-ce qu’il avait, tu veux dire. D. ait son âme. »

Légère pause : Je pense, maintenant, avec du recul, que s’il s’était occupé un peu plus de sa collection de timbres, il  lui aurait fichu la paix, de temps en temps à la pauvre Margot, tu ne penses pas comme moi, Agnès? »

AGNES.

«   Il devait tomber rarement en panne d’essence ! »

NINETTE.

«   Tu joues sur les mots, ce n’est pas le jour.

AGNES.

«   Elle n’avait qu’à mettre sur son oreiller la phrase suivante : « fermé pour cause de travaux ».

NINETTE.

«   Tu as raison de penser ce que tu penses, mais garde-le pour toi. On ne tire pas sur une ambulance, ma chère Agnès…Encore moins sur un corbillard ! »

AGNES.

«   Il avait un nez qui a dû coûter cher à mettre en couleur…et bourré comme un cartable ! »

NINETTE.

«   Tu veux dire qu’il a abusé de l’eau de vie de figue ? »

AGNES.

Se penche vers Ninette, comme pour une confidence :

 «   Il tutoyait le goulot. Bokobza est passé par là. C’est clair. A part ça, moi, je te dis que simplement, c’est elle qui l’a achevé. »

NINETTE.

Inquiète

«   Comment çà ? »

AGNES.

Sûre d’elle, et,  comme si elle dévoilait un secret à qui veut l’entendre, élève la voix.

«   Tu vois pas la viande grasse et le bouillon de couscous  qu’elle lui servait tous les  vendredis soir ? »

NINETTE.

«   Le pauvre… il était taillé dans une allumette ! »

Solennelle, avec de grands gestes :

AGNES.

«   C’est vrai, il pouvait passer entre un mur et une affiche sans la décoller. »

 

 

 

NINETTE.

Un peu philosophe :

«  L’homme peut tout oublier, sauf de manger. Il n’aimait pas les courgettes bouillies, tu crois que c’est ça qui…»

AGNES.

Lui coupe la parole :

«  Je ne dis pas, mais en tous les cas, ce n’est surement pas les pommes d’amour qu’elle lui imposait après le couscous ! Quelle drôle d’idée. Elle ne lui demandait  pas son avis…Tous les vendredis soir c’était le couscous à la grimace !»

NINETTE.

L’affaire lui semble bien embrouillée :

«  Alors, tu penses que c’est la répétition du bouillon gras, des courgettes bouillies et au final, les pommes d’amour, très peu d’amour tout ça réunis, qui, en quelque sorte, l’ont tué ?

AGNES.

«  On va le dire comme ça. »

NINETTE.

Dubitative, perplexe :

 «  En somme, un crime parfait tu veux dire ? »

AGNES.

En colère :

«   J’ai rien dit ! Je ne dis rien ! Qu’est-ce que tu me dis ! »

Une pause. Elles semblent fâchées. Cela ne dure pas. En silence, elles reprennent  des  graines de tournesols.

NINETTE.

Elle essaye de calmer le jeu et essaie de détourner la conversation.

«   L’essentiel, c’est qu’il soit parti en bonne santé.

Une petite pause :

Au fait, tu ne trouves pas qu’elle a un peu grossi ces temps-ci ? »

AGNES.

Avec un léger sourire : 

«   Dis-moi qui tu manges, je te dirais qui tu es. Tu vois ce que je veux dire, hein ?»

NINETTE.

«   Le Docteur Bismuth… »

AGNES.

«   Drôle de nom pour un docteur, tu ne trouves pas ? Qu’est-ce qu’il a le docteur Bismuth ? »

NINETTE.

«   Lui rien, mais elle…Il lui a pourtant recommandé de ne pas reprendre de pois chiche après la baklava. »

AGNES.

« Tu parles des pois chiche grillées de chez Ali ou bien de ceux qui traînent dans le bouillon gras du couscous ? »

NINETTE.

«   Suivez mon regard ! »

Avec une phrase à l’emporte-pièce :

« L’or pèse, le plomb pèse et la femme pèse plus que tout ! »

AGNES.

Dans un éclat de rire :

«   C’est cristal clair! Et toi Ninette, tu pèses combien ? »

NINETTE.

Quelques secondes de silence, Agnès se sert un second  verre d’eau, reprend des graines de tournesol joue avec l’éventail. Ninette va chercher un torchon dans le petit meuble et s’applique  à essuyer les trois  verres restants. Prend tout son temps à  les astiquer. Le silence lui pèse. Elle reprend la conversation :

«   Ah ! Margot…Tu ne sais pas, une fois, je lui ai demandé la recette du trois-quarts… »

AGNES.

«   Tu veux dire… du quatre-quarts ? »

NINETTE.

«   Si tu veux. Elle a oublié de me donner la quantité d’huile à mettre ; je descends chez l’épicier pour lui téléphoner et je lui demande : - Margot, combien  il faut d’huile pour ton sept huitième ?

AGNES.

N’a pas l’air de saisir la question :

«  Sept-huitième  tu lui a dis ? Tu crois qu’elle a compris ?»

NINETTE.

Sur sa lancée :

«  Qu’est-ce qu’elle me répond ? Fais attention, ne dépasses pas le demi-litre, sinon tu le rates ! Te rends-tu compte ! » 

AGNES.

«  C’est pas la peine d’en faire tout un cake. En attendant, elle se fait désirer…Tiens ! J’entends du bruit. »

 

 

 

 

ACTE II

 

Sylvie, la troisième amie, arrive enfin. Elle porte une veste  et un chapeau aux motifs pied de coq.

SYLVIE.

Etonnée :

«   La  porte ouverte Ninette…Pessah est passé ! Tu remets çà ? »

Elle dépose son sac et sa veste sur la  chaise non occupée où se trouvent déjà les affaires d’Agnès. Cependant, elle conserve son chapeau sur la tête.

AGNES.

Elle reste assise, puis se lève, hautaine,  toise Sylvie des pieds à la tête.

«   Sylvie, c’est quoi ce bibi, pied de coq, que tu portes  sur la tête? Je ne dis pas… mais je préfère te le dire : on dirait une poule ! Je te le jure sur la Torah de D.que tu fais un peu ridicule. Ôte-moi cette toile d’araignée ! »

NINETTE.

«   Agnès, tu as pété un cable! »

 

 

SYLVIE.

Semble outrée par les propos tenus par Agnès.

 «   Je vais lui faire avaler sa « Valda » à celle-là ! Je ne suis pas croyante, mais je t’interdis de jurer sur la Torah devant moi. Si ça ne te gène pas, je le garderai sur la tête. Parce que, figure-toi, j’ai attrapé un torticolis force 4 : c’est comme les tremblements de terre, qui  vont jusqu’à 7.

Elle se met à compter sur doigts : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Elle camoufle ensuite son pouce et montre les autres doigts : le mien c’est force 4 ! »

NINETTE.

Elle essaye vainement d’ouvrir la bouteille d’orgeat, puis abandonne, la repose sur la table. Elle réfléchit quelques instants, puis  prend le public à témoin :

«   Mais qu’est-ce qu’elle raconte… se tourne vers Sylvie : - C’est ton maboul de pharmacien qui t’a dit çà ? »

AGNES.

«   Une entorse… »

 SYLVIE.

Lui coupe la parole :

«   Tu confonds entorse et torticolis ? »

AGNES.

«   Tu cherches le poil dans l’œuf ? »

NINETTE.

Se tourne vers le public :

«   Elle est agitée du bocal, un vrai bulldozer ! »

AGNES.

«   Je fais la différence, je n’ai jamais entendu parler de l’entorse du cou. » 

SYLVIE.

«   Accouche ! »

AGNES.

«   Je veux parler de l’entorse au règlement. »

NINETTE.

«   Je vois ce qu’elle veut dire, mais alors après, tu traduis ! »

AGNES.

«  Voilà : Chouri, chouri, saquaïet bel rich », et maintenant, Ninette, laisse-moi faire,  je traduis : moderne, moderne, plumes aux pattes ! »

SYLVIE.

«  Mon mari m’aime comme ça…O.K. ? »

AGNES. Insistante :

«  Et ce poudrage? On dirait un bronzage agricole…Dis-moi Sylvie, tu n’as rencontré personne au moins, avant d’arriver ici.

S’adressant au public à haute voix :

Même les chattes de la dame corse du dessus portent une jupe, aujourd’hui! » 

 NINETTE.

«   Agnès, tu délires !»

AGNES.

S’adresse à Ninette, mal à l’aise.

«   Sylvie, avec ses lèvres de mérou elle n’a pas besoin de « Rouge Baiser » et son sourire « Email Diamant qui veut faire style ! C’est une vraie musulmane grecque ! »

NINETTE.

En aparté :

«   Elle a pété un câble... Elle n’est pas moins orthodoxe que toi ! »

. AGNES.

«   Et instruite par-dessus le marché. Elle en a sous les bigoudis ! »

SYLVIE.

Feint d’ignorer les propos d’Agnès :

«   Oh ! La La ! On parle de qui là ? Je suis là. » 

AGNES.

«   Sylvie,  sauf ton respect, demande  à Ninette si je n’ai pas horreur des proverbes, mais je pense que celui-là te va à ravir, écoute voir : « tu passes la nuit avec les poules et voilà que maintenant tu glousses ! »

Fière de sa trouvaille, elle éclate de rire.

NINETTE.

«  Tu as dépassé la ligne jaune. Tu la prends vraiment pour une poule ?

Elle s’adresse au  public comme pour une confidence : C’est du brutal ! »  

AGNES.

«   Ne fais pas ta hautaine avec ton nez en prise de courant ! Une dernière, et après je te lâche.»

NINETTE.

S’adressant à Sylvie :

«  Elle a le masque des mauvais jours. Tu ne peux pas lui fermer son clapier à celle-là ? »

SYLVIE.

Au bord de la crise de nerfs :

«   Pas clapier Ninette, pas clapier, on dit clapet. Passons.

Elle finit par s’asseoir. Petite pause graines de tournesol ou bien s’éventent. Elle reprend aussitôt :

Figurez-vous, hier soir, avant Shabbat,  je suis tombée sur ma belle-mère ! »

AGNES.

Toujours ironique et haussant les épaules:

 «   Quels dégâts tu as dû lui causer ! » 

NINETTE.

Agacée :

« Agnès, repose-toi un peu, tu veux bien ? » 

Dans un soupir, en aparté :

 La blessure de la parole est plus douloureuse que celle de l’épée. »

SYLVIE.

«   Attendez, c’est pas permis. Figurez-vous qu’elle m’a remis, devant les gosses six yaourts sucrés à la saccharine et colorés à la cochenille. Elle est futée, non ? » 

NINETTE.

«   C’est quoi la cochenille ? »

SYLVIE.

«   Oh ! Trois fois rien, juste quelques petits insectes, de minuscules parasites rougeâtres  qui proviennent d’un cactus d’Amérique Centrale, et qu’ils utilisent pour coloriser les fraises et les pommes d’amour.

AGNES.

«  Nous les avons déjà évoqué les pommes d’amour, n’est-ce pas Ninette? »

SYLVIE.

Se tourne vers Agnès prise par une sorte de tic :

«  Comment çà ? Et pourquoi tu hausses les épaules Agnès, quand je parle ? »

NINETTE.

«  C’est sa minute de kinezothérapie ».

SYLVIE.

Agnès insiste. Sylvie s’adresse au public :

«  Dites-moi, elle a fini sa séance, celle-là? »

Longue pause. Ninette complète le verre d’eau d’Agnès et remplit celui de Sylvie. Elles se resservent les graines de tournesol.

AGNES.

Agnès semble recroquevillée sur sa chaise, les jambes allongées sous la table et se redresse soudain :

«  Elle fait sa savante, on n’a rien compris à ce que tu dis, Sylvie. Où as-tu déniché toutes ces phrases ? D’accord, nous on n’a pas fait les grandes écoles. »

NINETTE.

«  Tu parles pour qui ? »

AGNES.

«   Pour nous, c’est clair. A l’école française et laïque, se tourne vers Sylvie, attendant son approbation : je précise, on ignorait tout sur notre fameux Cap Bon ; mais on nous forçait à chercher où se trouvait le Cap Gris Nez. Gris Nez…C’est tout à l’envers ! En général, on met le sujet avant l’adjectif qualificatif, non ? Ce  n’est pas français tout çà ; et après çà, va te plaindre ! »

NINETTE.

«   Autre chose mes chéries: Ille et Vilaine : chez nous on aurait dit : il est vilain, n’est-ce pas ? Pas pour les Français vrais. On savait s’exprimer tout de même ! »

AGNES.

«   Autre exemple : le comble c’était quand il s’agissait d’un garçon on disait de lui qu’il était mal élevé ; c’était donc logique que pour une fille on dise qu’elle était mal élevaise ! Cela ne fonctionnait pas comme çà pour Madame Paoletti. Elle nous rattrapait et nous faisait répéter correctement, après elle, le mot qu’on ne savait même pas comment ça s’écrivait ! »

SYLVIE.

Plus détendue :

«  Le moins marrant c’était le papier Rigollot qui, comme son nom ne l’indique pas, ne nous faisait pas rire. Il était servi pour la bronchite, la pneumonie, l’asthme, que sais-je encore et tenait surtout compagnie, en alternance, aux ventouses et criblait notre poitrine naissante.

J’ai cherché son nom, dans le Littré en six volumes, couverture en similicuir, je n’ai rien trouvé ! Pourtant il s’écrit avec un « R » majuscule... »

AGNES.

«  Toujours plongée dans tes livres, Sylvie ! Tu n’as rien d’autre à faire ? 

Moi, je me souviens de la bouillote pleine de glace que l’on posait sur la tête ; ma mère disait que c’était pour la méningite. Nous gamines, on la cherchait partout dans l’appartement cette méningite, on ne savait pas à quoi elle ressemblait, où pouvait-elle bien se nicher ; par contre, des souris... Passons.  en veux-tu en voilà, quelquefois un rat et des cafards  énormes, noirs, le dos bombé et lustré ; on en trouvait en pagaille!»

NINETTE.

A  moitié assoupie, ne semble pas avoir suivi toute la conversation:

« Le temps est le meilleur médecin ! »

SYLVIE.

Elle fredonne pendant quelques secondes un air connu de cette époque (prendre par exemple : « L’eau vive » de Guy Béart), tout en décortiquant les graines de tournesol appelées aussi « glibettes » en Tunisie :

«  Heureusement que les glibettes sont là pour occuper notre esprit…en attendant Margot. »

Nouvelle pause.

NINETTE.

A nouveau, fait diversion.

«  Aujourd’hui, les enfants se portent bien D. merci ! Malheureusement, ils n’ont pas hérité de nos qualités. »

AGNES.

«   C’est vrai qu’aujourd’hui les usages se perdent, on ne trouve plus de martinets ou de nerfs de bœuf, même les ceintures elles n’ont plus la qualité d’autrefois : tu t’en souviens, Ninette ? Aujourd’hui c’est de la vraie camelote ! »

NINETTE.

«   Parlons d’aujourd’hui ! Les petiots vont direct au frigidaire, ils se servent tout seuls .À notre époque, qui aurait osé ? »

AGNES.

«   A notre époque ? Le pain de glace qui trônait tôt le matin dans le frigo-bassine à bouillir les langes, il y a longtemps qu’il était déjà fondu, et alors pour la tentation…La Boga, quel drôle de nom pour une limonade !ou bien la bière Celtia, tu pouvais les siroter sous forme de tisanes! »

SYLVIE.

«  Cela me fait penser : qu’est-ce qu’on était bête Francine et moi : on se bagarrait pour les morceaux de glace qui tombaient de la carriole ; on se les passait comme des balles de ping-pong jusqu’à la fonte des neiges. »

AGNES.

«  Il était amoureux d’elle ! »

SYLVIE.

«  De qui tu parles ? »

AGNES

«  Du marchand de glace ; il était amoureux de ma mère : elle était belle, jeune et frisée. Le plus gros morceau c’était pour elle. A chaque coup de maillet il dirigeait son regard vers maman pour voir sa réaction. Quel idiot ! » 

NINETTE.

«  Pour revenir à notre époque le premier frigo de ma mère, un tchèque, il n’a pas fait six mois, jusqu’à aujourd’hui il lui sert de garde-manger. La première qui avait un Frigidaire, « Le vrai » comme on disait, c’était la mère de Margot. Avec quel argent ? Seul D. peut nous le dire. » 

AGNES.

«   Et quand le chauffe-eau ne fonctionnait pas, c’était au tour des allumettes. Quel est le crétin qui conseillait de remettre les allumettes, déjà utilisées, dans la boite, sous le prétexte qu’elles pouvaient resservir…»

SYLVIE.

«  Arrêtez, vous allez nous faire pleurer, on dirait du Maupassant ! »

AGNES.

«  Elle nous la joue savante ! D’avoir fréquenté Notre-Dame de Sion, elle aurait dû être, aujourd’hui, dame patronnesse ou à cause de son âge canonique bonne du curé à l’Archevêché de Carthage a vitam æternam, comme dirait Sylvie. On l’a récupéré à temps notre petite sœur comme on dit.»

NINETTE.

«   C’est quoi ce mot ? Tu te remets à l’arabe, maintenant ! »

AGNES.

«   Qu’est-ce que tu me chantes ? C’est du latin, si je ne me trompe! Demande confirmation à Sylvie. »

SYLVIE.

Se défendant :

«  En tous les cas,  je n’ai que de bons souvenirs des sœurs ! »

NINETTE.

En aparté :

«  Teints-toi la figure de noir, et tu deviens charbonnier. »

AGNES.

«  Ma petite Sylvie, tu te souviens des sandwichs au pâté de lapin que tu voulais que je partage avec toi… »

SYLVIE.

« La mère supérieure disait que c’était surement « cacher… » Pour que Collini le charcutier se soit installé en face de Jacoubovitz le marchand de salaisons. Ils ont du signer un accord. Ils se complétaient en quelque sorte! »

Petite pause.

NINETTE.

Elle tend la boisson :

 « Vous vous servez ? » 

Signe de refus de la part d’Agnès et de Sylvie :

SYLVIE.

«  Merci, trop sucré. Tu as mis trop de saccharine.»  

NINETTE.

Elle se lève, remet la bouteille non entamée sur le buffet. S’adresse au public, ironique :

«   C’est vrai aussi, que beaucoup de miel donne des douleurs au ventre ! »

Amène le gâteau, le pose sur la table, le recouvre d’un torchon et poursuit la tête penchée sur le gâteau:

C’est pour les mouches, en attendant Margot. »

Petite pause. Agnès regarde sa montre,

AGNES.

«   C’est pour ou contre les mouches ?

S’adressant au public :

Apparemment, ça ne semble pas être pour nous ! »

NINETTE.

Ninette se rassoit, replace le bol de graines de tournesol au milieu de la table :

Servez-vous, servez-vous ! Au diable l’avarice, j’en ai encore plein les chaussettes ! »

 

Longue pause. Sylvie semble s’ennuyer. Agnès triture sa montre. Ninette s’empare de l’éventail, s’évente.

AGNES.  

«   C’est drôle, on ne porte rien, nous, sur la tête à Shabbat ! Si nos grand-mères nous voyaient ! »

NINETTE.

«   Laisse-les tranquille nos grand-mères! Je connais quelques femmes, ici, que je rencontre à Kippour, qui portent bien la coiffe. »

AGNES. Grinçante, allusive :

«  Je nous vois mieux en bonnet de nuit, nous, comme cela, on est sûres de ne pas être vues… »

Sylvie prend un air outragé, mais ne relève pas l’allusion.

NINETTE.

Les femmes religieuses elles font des gosses comme s’il en pleuvait…Et regardez leur taille de guêpe ! »

AGNES.

«   Elles sont sculptées dans des bâtons de sucettes ! »

NINETTE.

Dans un éclat de rire :

«   C’est les mêmes qui servent à tenir les pommes d’amour, je suppose ! »

SYLVIE.

 «   Et nous, les soi-disant émancipées, avec nos méthodes contraceptives…En premier, le demi-citron pressé renversé qu’ils utilisaient au Moyen-âge… »

AGNES.

«  On en parlait justement avant que tu n’arrives ! »

SYLVIE.

Etonnée :

«  Comment cela ? »

NINETTE.

 «   C’est tombé dans la conversation. »

SYLVIE.

De plus en plus surprise :

«   Qu’entendez-vous par là ? »

AGNES.

Dans un éclat de rire :

«   Par-là, on n’entend pas grand-chose, n’est-pas Ninette! »

SYLVIE.

Poursuit :

«   Et la méthode Ogino du japonais ! »

NINETTE.

«   Et les bébés Ogino qui fleurissent un peu partout, surtout là où on ne les attend pas ! »

AGNES.

«   Et les gélules glycérinées que l’on utilisait « sur rendez-vous », qui n’avaient pas la côte et qui vous glissaient entre les doigts ! »

SYLVIE.

«   J’oubliais, les pilules tenues à l’abri des courants d’air, reléguées, bien au chaud, dans le tiroir de nos tables de nuit. N’est-ce pas, les copines ? »

NINETTE.

En guise de conclusion :

«   Vous voyez, maintenant à quoi on ressemble ? »

AGNES.

Relance le débat en étouffant un rire complice avec Ninette :

«  Au fait, c’est quoi le demi-citron renversé ? »

SYLVIE. 

«   C’est l’ancêtre du diaphragme…Et comme pour une confidence, elle lui chuchote à l’oreille d’Agnès, assez fort pour que le public l’entende :

Tu sais, le truc que l’on met…Mais à l’envers, d’après Lagarde et Michard. »

NINETTE.

Une petite pause de réflexion. Ninette avec sa logique simple : 

«   Cela devait piquer, Non ? »

AGNES

«   Elles ne devaient pas connaître le citron doux. »

Une pause.

NINETTE.

Passant du coq à l’âne :

«  Quand je pense qu’elle a eu six gosses ! »

AGNES.

«  De qui tu parles ?»

NINETTE.

«  De Margot. »

SYLVIE.

«   Elle les fait pas ! »

NINETTE.

Dans un éclat de rire.

«   Qui les a fait alors ? »

SYLVIE.

«   Il parait qu’elle a encore perdu 2 centimètres de tour de hanches cette semaine. »

NINETTE.

«   Déjà toute petite, elle partait à l’école sans manger mais s’empressait d’acheter chez Ali les gaufrettes « Gringoire » dont elle s’empiffrait. Ce n’est pas étonnant, qu’aujourd’hui, elle ne dépasse pas la taille d’une allumette.»

AGNES.

Désabusée, cynique :

«  Un cercueil à roulettes…on dirait qu’elle cherche à rattraper le pauvre Vanvan. »

NINETTE.

Pause. Lassée, Ninette détourne son regard d’Agnès.

«   Elle ne manque pas d’humour…Cela te fait une sortie. » 

SYLVIE.

«   Tu vas faire pleurer Margot, comme dit Alfred de Musset ! »

AGNES.

«   C’est clair. Tu as couché avec le dictionnaire des noms propres cette nuit?

 

 

 

NINETTE.

Longue pause. Après cette rude empoignade, Ninette essaie de clore le débat :

« Ce silence est assourdissant ! On se retrouve, enfin, la tête entre les deux oreilles !

Grignotage de graines de tournesol. Agnès, avec désinvolture, jette les causses par terre. Ninette avec un geste du pied les pousse sous la table. Nouvelle diversion de Ninette :

 «   Au fait, on n’a pas beaucoup parlé des enfants, aujourd’hui. »

AGNES.

«   Laisse tomber ! »

SYLVIE.

«   La fille de Margot m’écrit de temps en temps. »

AGNES.

«   Je n’entends plus parler d’elle depuis belle lurette. Que devient-elle ? »

SYLVIE.

«   Elle est mariée avec deux enfants… »

AGNES.

Dans un nouvel éclat de rire.

«   C’est quoi mariée avec deux enfants ? »

SYLVIE.

«   Elle attend son troisième petit. Elle est enceinte jusqu’aux amygdales, je veux dire à terme. Et en plus, elle s’est inscrite au chômage. »

NINETTE.

«   Une institutrice… »

SYLVIE.

«   Elle a dû revoir sa copie. Elle supportait mal les crissements  de la craie sur le tableau ! »

NINETTE.

Après une pause, semblant réfléchir, puis intervient :

«   Au fait, pourquoi elle a fait appeler ses enfants Boniface et Mirabelle …Par déformation professionnelle, sans doute ? »

AGNES.

«   Et pourquoi pas Camouna et Bichi ? Disons que ça fait plus local… »

SYLVIE.

«   Oui. Comme les noms de rues de notre quartier : la rue de Colmar, de Vesoul, Metz, Toul, Verdun… »

AGNES.

«   Grace à toi, Sylvie, nous voilà revenus à 14-18 ! »

NINETTE.

«   Et sans doute c’est plus moderne que le demi citron renversé… » 

SYLVIE.

«   Bis répétita ! »

AGNES.

«   Comme d’habitude, on ne comprend rien à ton charabia ! Et « Aoud ami Daoud » tu connais ?

Elle se lève et s’adresse au public : Qu’est-ce que vous préférez : bis répétita ou bien…elle hésite, lève les bras : je ne me souviens plus, j’ai un blanc ! Se rassoit»

 

 

SYLVIE.

«   Vous me direz aussi que Margot… Margot au collège, on l’appelait Marguerite…Dès fois Marguerite de Navarre, et tu me diras : pourquoi pas la reine Christine ? Ce n’est pas des prénoms juifs tout çà ! »

AGNES.

Recharge son agressivité :

 «   Pas de prénoms juifs, pas de prénoms juifs, ça te va bien, toi qui a été élevée à Notre-Dame de Sion. »

NINETTE.

Et pas de prénoms hébraïques pour les petits ? »

SYLVIE.

«   Bien sûr que si : c’est Yaacov pour Boniface, et Rébecca  pour Mirabelle…

En deuxième  prénoms, bien sur ! Enfin, juste pour faire plaisir à Margot et Vanvan. »

AGNES.

Ironique :

«  C’est clair ! Mais pourquoi Mirabelle et Boniface ? »»

SYLVIE.

«   C’est aussi pour faire plaisir à la partie adverse. Une pause puis continue : Les parents de Thibaut sont deux solides normands, ça doit leur rappeler les croisades ! »

AGNES.

«  Et  pourquoi pas Jeanne d’Arc, l’évêque Cauchon…Comme disent les américains : ce n’est pas très kosher tout çà. »

NINETTE.

Elle dirige sa tête vers la pendule placée au dessus du bahut, Agnès regarde à nouveau sa montre :

«   Il est déjà sept heures…»

SYLVIE.

«  C’est sûr qu’elle ne viendra pas. »

AGNES.

«   C’est clair ! Sur ces fortes paroles…»

Toutes trois, hésitantes,  se lèvent avec lenteur. Agnès et Sylvie ramassent leurs affaires, font  du sur place quelques instants. Ninette se place derrière elles comme pour les aider à retrouver leur chemin, mais  ne s’éloigne pas de la table, leur fait juste un petit signe de la main.

Recommandation

Ninette doit se tenir très proche de la table et réagir  promptement afin que les spectateurs ne pensent pas que la pièce s’achève à cet endroit.

NINETTE.

 «  Zut ! Dommage que vous n’ayez pas touché au gâteau… »

 Les deux amis disparaissent. D’un geste vif, Ninette découvre le gâteau, le soulève et le présente au public :

 «  C’est vrai aussi, qu’il est meilleur le lendemain ! »

Reprise de « L’eau vive » de Guy Béart. Agnès et Sylvie rejoignent Ninette pour saluer le public.

 

RIDEAU

Viviane Lesselbaum
24/11, rue Mac Donald
42262 Netanya
ISRAEL
Tel. : 09 882 12 55
E-mail: viviane.lesselbaum@gmail.com
 

 

 

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