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A La Goulette
Le poisson en fête
"On s’est débrouillé comme on pouvait cette année. Le poisson se fait rare,
cher et en plus, la qualité n’est pas vraiment au rendez-vous. Seuls le loup
et la dorade sont là pour faire l’affaire ". Face aux tables encore vides, un
serveur lance ces mots, tout en disposant les chaises déjà placées. Il est
20h00, et les signes de nervosité et d’inquiétude se laissent apparaître sur
les visages de certains restaurateurs " Il n’y a pas assez de monde, en
comparaison avec l’année dernière". Il est encore tôt ? " Non je ne crois pas
! A la même heure, l’année dernière, toutes nos tables étaient occupées. C’est
à cause du décalage de la date du festival qui était prévu pour le 31 juillet.
Voilà le résultat : des tables encore vides ", s’angoisse un restaurateur
coiffé d’une toque blanche monumentale et qui s’est mis sur son trente et un
pour ce grand jour : la cinquième session de la fête du poisson à La Goulette.
Au milieu de la rue qui commence à s’animer, arrive M. Mondher Zenaïdi,
ministre du Tourisme, du Commerce et de l’Artisanat entouré des organisateurs
de la fête. Le ministre a voulu par sa présence donner une allure plus
solennelle à cette manifestation qui s’installe de plus en plus dans les mœurs
des estivants et les habitants de la ville de La Goulette.
Barbecue trottoir
Tout le long de l’avenue Roosevelt, les restaurateurs attendent, préparent
leurs poissons, ravivent inlassablement la flamme de leur barbecue qui souffle
l’odeur du poisson grillé. Des invitations se laissent, de temps à autre,
entendre entre brouhaha, cacophonie et musique d’orchestre, que certains
restaurateurs ont prévue pour les grandes occasions " un plat poisson à 7
dinars seulement. Venez madame, venez voir, venez déguster le meilleur poisson
de l’année, de toute la Goulette, de tout ce festival ", d’un geste un peu
timide, il désigne un plateau où on a disposé à la vue des passants les
poissons les plus gros. Les vitrines sont plutôt réservées pour les
restaurants " chics ", qui essayent tant bien que mal de tenir la barre haute
: les poissons mis en exergue dans les éléments de la décoration. Des tables
bien garnies, des nappes bien propres, le couvert bien disposé…Les serveurs en
uniforme, papillon au cou et plat à la main, circulent entre les tables,
attentifs à chaque demande.
Ce genre de restos, dits touristiques, qui vendaient le poisson à 4 D le 100g
obéissent, eux aussi, à la règle générale de la fête : entrée, poisson au
choix avec garniture et dessert. Le tout à 7 D. " Nous sommes obligés d’y
participer. Mais franchement c’est dur pour nous. Notre rang nous oblige à
garder un certain prestige et une certaine qualité. Et la qualité ça se paye.
Nous nous trouvons souvent en difficulté à cause des fast-foods qui cassent
les règles de la restauration " lance un gérant de restaurant. Mais ce
jour-là, ce ne sont pas seulement ces restaurants «fast- foods» qui leur font
de la concurrence mais aussi les petits vendeurs de " crêpe " et de " fricassé
" qui ont mis, eux aussi, la main à la pâte. Les barbecues s’improvisent sur
le trottoir, les tables en plastique en pleine avenue et on sert à gogo à
boire et à manger. Vu l’emplacement inconfortable, les clients, se trouvant
bousculés par la foule qui se fait de plus en plus dense, se dépêchent de se
lever dès que les plats se vident. Tant mieux, " ils seront très vite
remplacés par d’autres ", plaisante un serveur, un sourire rusé s’esquisse sur
ses lèvres. Ce roulement agace les grands restaurants qui se font du confort
leur devise " J’ai 24 ans de métier dans ce domaine et je sais que la
situation dans nos restaurants est aujourd’hui difficile… " Une voix
l’interrompt soudain " aujourd’hui c’est la fête du poisson. Inutile de
s’inquiété pour rien ", un regard triste accueille ces propos et le silence
s’installe.
A 22h00, la fête bat son plein. Qu’ils soient chics ou modestes, les
restaurants se remplissent, aucune place n’est restée vide. Les gens se
serrent les coudes pour se frayer un chemin. On écrase même ceux qui par
malheur ont choisi de s’installer au milieu de l’avenue. Les restaurateurs,
tout à l’heure angoissés et perdus, se trouvent, deux heures après, débordés :
" cinq poissons par-ci, une pizza par-là, deux poulets pour cette dame… les
sandwiches, il faut aller les chercher de l’autre côté… Allez, grouille,
grouille...". A la fête du poisson, tout le monde ne mange pas poisson. " Nous
sommes sept personnes. Sept fois sept, ça fait environ 50 dinars. Et c’est
beaucoup pour une seule nuit. Je préfère acheter donc du poisson frais au
marché à côté et le cuisiner à la maison ", nous confie une dame qui s’est
déplacée juste pour faire la fête et pour manger des sandwiches.
Emporté par la foule
Il y a ceux qui ne mangent rien. " Franchement même à 7 dinars, les plats
restent chers. Je croyais que ce festival offrait du poisson à un prix
symbolique, je profite alors pour écouter le stambali", nous confie un père de
famille qui s’est arrangé pour trouver des places juste à côté du podium où
s’est confortablement assise une troupe de stambali.L’odeur du poisson se mêle
à celle de l’encens et enveloppe cette partie de la rue, extrêmement animée.
Depuis des années, le stambali accompagne la fête. Pourtant, il n’a aucune
relation avec le poisson et La Goulette. C’est juste un chant d’animation. Ce
chant, devenu aujourd’hui élément essentiel du festival, ajoute un brin de
folie à cette fiesta. Une fiesta dont plusieurs profitent sans modération
Pour ces derniers, l’ambiance est "très agréable, le poisson est bon et le
prix raisonnable". Selon certains, il n’y a aucune différence entre l’année
dernière et cette année. " On s’amuse comme des fous", laisse échapper un
client.Pourtant il y a bel et bien une différence. Les prix du poisson sont
chers cette année, " à cause du mauvais temps. Le vent était tellement fort
que plusieurs pêcheurs ne se sont pas aventurés pour affronter les écumes et
plusieurs restaurateurs ont eu recours au poisson d’élevage», tente
d’expliquer un marchand de poisson. Mais cette hausse des prix n’a pas empêché
La Goulette de vivre, pendant deux jours, une véritable fiesta.
Héla HAZGUI
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