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"La génétique des populations de l’île de Jerba (Tunisie) :
une recherche en cours" 

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 Introduction

Le présent travail s'inscrit dans le cadre d'un projet franco-tunisien associant le Musée de l'Homme de Paris et la Faculté des Sciences de Tunis. Il a pour objet l'étude du polymorphisme génétique à Jerba (au sud-est de la Tunisie). L'intérêt porté à Jerba vient du fait que l’île est un petit territoire où vivent quatre populations (arabe, berbère, juive et noire), apparemment isolées les unes des autres. C'est cet isolement que notre étude a tenté de vérifier au moyen d’une enquête orale. Notre objectif était également de mettre à l'épreuve une théorie de la génétique des populations selon laquelle il suffirait d'un faible taux de migrants pour homogénéiser le pool génique d'une population subdivisée. Autrement dit, des populations voisines entre lesquelles existe une frontière quelconque (culturelle ou sociale) finiraient par être génétiquement homogènes, c'est-à-dire qu’elles présenteraient, à terme, des fréquences géniques comparables. Cette hypothèse serait d'autant plus vérifiée que leur voisinage durerait depuis plus longtemps et cela, même si leurs échanges matrimoniaux s’avèrent très restreints.

Nous avons également inclus dans ce travail une étude des similarités génétiques entre les populations de Jerba et celles du pourtour méditerranéen.

I. DONNEES

1. Arrière plan historique

Jerba est une petite île de 514 km2 localisée au sud des côtes tunisiennes. Les détroits d'Ajim (2 km) et El Kantara (6 km) la séparent du continent.

Préhistoire :

 

On présume que Jerba était déjà habitée au Paléolithique (Acheuléen). La fin du Paléolithique aurait connu les Capsiens, ancêtres hypothétiques des Berbères.

Le Néolithique a vu arriver des populations de Méditerranée orientale qui introduisirent la poterie et la culture de l'olivier.

Antiquité :

 

Au XIIIe siècle av. J.-C., Homère écrivait dans l'Odyssée : " Ulysse roi d'Ithaque découvrit l'île des lotophages "... les auteurs situent cette île au sud de la Petite Syrte (actuel golfe de Gabès) à l'emplacement de Jerba.

Les Phéniciens ont sûrement colonisé Jerba avant de fonder Carthage — au IXe siècle av. J.-C. — car leurs comptoirs commerciaux étaient depuis longtemps établis le long du littoral syrtique.

Au IIIe siècle av. J.-C. les Carthaginois occupaient Jerba qu'ils appelaient Meninx (Bertholon1889). Jerba dériverait de Girba (antique cité sise près de Houmt-Souk, la capitale de l'île), mais d'après Ibn Khaldoun, elle tiendrait ce nom d'une branche de la tribu berbère des Lemaya.

Après la destruction de Carthage, les Romains construisirent la chaussée reliant l'île au continent. A cette époque, Girba était un important évêché et l'île un trait d'union prospère entre l'Afrique et l'Europe. 

Moyen Âge :

 

Au VIIe siècle les Byzantins succédèrent aux Romains. L’intermède vandale n’aurait peut être pas eu lieu à Jerba. En 665, Jerba fut conquise par les Arabes qui en chassèrent les Byzantins et convertirent les Berbères à l'islam. Il y aurait eu alors, d'après certains auteurs, un important brassage génétique.

Les Musulmans venus en Afrique du Nord avec la conquête arabe au VIIe siècle étaient " orthodoxes ". Au IXe siècle, des " hétérodoxes " Kharéjites Abadhites (ou Ibadites) berbères arrivèrent en masse. Au Xe siècle, le Maghreb adopta l'orthodoxie : c'est-à-dire la doctrine professée par l'une des quatre écoles juridiques reconnues, à savoir le Malékisme, le Hanéfisme, le Chafiisme et le Hanbalisme. Les Abadhites se dispersèrent et se retirèrent dans des endroits difficiles d'accès tels que le Mzab (en Algérie), le Jebel Nefoussa (en Libye) et Jerba.

L’islamisation n’atteignit pas certains Juifs qui se concentrèrent dans les deux villages d'Essawani et Erriadh (ex Hara Kebira et Hara Seghira) au nord de l'île. D'où et quand étaient-ils venus ? On ne saurait le dire avec précision car il n'y a aucun vestige ou document écrit appuyant la tradition orale (unique source pour le moment). Celle-ci véhicule plusieurs versions dont la plus répandue rapporte que les Juifs seraient arrivés lors de la destruction du Temple de Jerusalem par Nabuchodonosor en 586 av. J.-C. Ils auraient sauvé certains manuscrits des Tables de la Loi et auraient emporté des pierres du Temple sur lesquelles fut élevé le sanctuaire de la Ghrîba devenu lieu de pèlerinage pour les Juifs du monde entier. Plus tard (au XVe siècle), des Juifs expulsés d'Espagne par les Rois Catholiques arrivèrent en Tunisie et quelques uns d'entre eux s'installèrent à Jerba, plus particulièrement à Hara Kebira comme semblerait l'indiquer notre enquête. 

Jusqu'à nos jours : 

Du IXe siècle au XIXe siècle, Jerba connut de nombreux conflits. Elle fut envahie par les Fatimides de Mahdia, les Bédouins de Beni Hilal, les Germains et les Normands de Sicile, les Almohades du Maroc, les chevaliers de Malte, les Génois, les Espagnols, les nomades continentaux et les corsaires turcs à qui elle servit de repaire. Au XVIe siècle, les Jerbiens se rebellèrent contre le Pacha turc. Au XVIIe siècle, l’île obéissait à la Régence de Tunis. Au XVIIIe siècle, Tunisiens et Tripolitains se disputèrent Jerba. Les Tunisiens l’emportèrent et l’île devint le terminus des caravanes et un gros marché d’esclaves. Au XIXe siècle, après l’abolition de l’esclavage, ce marché s’installa à Tripoli.

En 1881, le protectorat français s'établit sur la Tunisie, jusqu'à l’indépendance en 1956.

Au début des années soixante, le tourisme commença à se développer.

Il semblerait donc après ce survol du passé, que pas moins de 18 vagues de migration se soient succédées à Jerba. 

Aujourd’hui :

 

De nos jours, on rencontre à Jerba des Musulmans (Arabes, Berbères et Noirs) orthodoxes et hétérodoxes ainsi que des Juifs. On y rencontrait aussi (selon les dernières sources datant de 1967) des Maltais, des Français, des Italiens et des Grecs. Les Noirs seraient les descendants d’esclaves amenés du Soudan ou du Niger ; ils résident surtout dans le nord-est de l’île, dans le secteur de Midoun. Les Musulmans orthodoxes sont soit Hanéfites (d’origine turque), soit Malékites (les plus nombreux) descendant d’Arabes venus du continent (peut être des Hilaliens) et, dans une moindre proportion, de Kharéjites convertis. Les Kharéjites, tout comme les Juifs, ont une aversion quasi obsessionnelle pour l’impureté, ce qui favorise l’isolement de ces deux groupes. Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment superposer le groupe ethnique au rite religieux à cause des conversions de plus en plus fréquentes de l’hétérodoxie à l’orthodoxie ; mais les auteurs (Tlatli, Bertholon, Stablo...) ont noté que les Berbères étaient le plus souvent Kharéjites.

D'après S. Tlatli, les mariages sont endogames, les différences religieuses formant une barrière quasi infranchissable ; pourtant, les différentes populations de l'île y vivent en bons termes.

Les Juifs ont souvent pratiqué le commerce et l'artisanat, les Musulmans plutôt l'artisanat et la pêche. Il existe une coopération économique entre Musulmans et Juifs : le samedi, par exemple, les Musulmans se chargent des travaux que les Juifs ne doivent pas entreprendre.

2. Caractéristiques démographiques 

Jerba connaît un surpeuplement, exceptionnel en Tunisie du sud-est, aussi l'émigration a-t-elle été importante jusqu'à ces dernières années.

La densité démographique atteint son maximum dans le secteur de Houmt-Souk (1 334 habitants au km2 en 1980).

Le recensement de 1946 (les statistiques gouvernementales n'ont cessé d’établir la distinction entre Juifs et Musulmans qu'à partir de 1959) dénombrait 4 294 Juifs dans leurs deux villages réunis (Hara Kebira et Hara Seghira) ; la population totale de l'île était à cette même époque de 58 603 habitants.

Les recensements officiels, bien qu’ils aient tenu compte de la religion jusqu'en 1956, n'ont pas fourni de renseignements sur les proportions des différentes composantes arabe, berbère ou noire de la population musulmane de Jerba.

Le dernier recensement effectué à Jerba date de 1994 et fait état de 114 170 insulaires.

D'après plusieurs auteurs, les Juifs et les Musulmans se rendent visite mais ne mangent pas les uns chez les autres, car les Juifs respectent la cashrut. Ils se rencontrent en général au souk où les Juifs exercent très souvent les métiers d'artisanat (bijouterie). Les filles juives ne quittent que rarement l'espace de la maison et ne fréquentent pas de Musulmans.

3. Aperçu sur les précédentes études anthropologiques menées à Jerba 

Les premières études de la diversité humaine à Jerba datent du siècle dernier, et ont concerné les mesures anthropométriques de Collignon, de Bertholon, puis de Benoît et Kossovitch en 1930. Elles ont permis à Bertholon (Exploration anthropologique de l’île de Gerba) de définir un " type jerbien "  très brachycéphale (caractère singulier en Afrique du Nord), qui caractériserait, d’après lui, les habitants du centre et du sud-est de l’île, essentiellement berbérophones. Ses mesures coincident avec celles des trois autres auteurs.

Benoît et Kossovitch ont également étudié la répartition des groupes sanguins ABO à Jerba, mais sans tenir compte de la subdivision de la population jerbienne. Dans leur conclusion, ils rapprochent — sur la base des pourcentages obtenus — les Jerbiens des Arméniens et des Européens du sud.

D’autres études séroanthropologiques ont été entreprises à Jerba. Elles se sont proposé d’étudier la distribution de certains systèmes génétiques polymorphes. L’étude de la distribution des groupes Rhésus et ABO conduite par B. Gherib en 1962 est la plus complète car elle utilise deux systèmes génétiques dont elle donne la répartition chez toutes les populations jerbiennes, en employant cependant une subdivision légèrement différente de la nôtre : les catégories arabe et berbère ne sont pas spécifiées. Nous avons alors décidé de les assimiler respectivement aux catégories malékite (Musulmans orthodoxes) et wahabite (Musulmans hétérodoxes assimilés aux Abadhites) utilisées dans cette étude, en nous référant aux témoignages de Stablo, Bertholon et Tlatli.

II. Méthodologie

1. Enquête généalogique

Nous avons réuni une trentaine de généalogies de familles jerbiennes tant à Jerba qu’à Paris pour détecter d’éventuelles unions mixtes entre les différentes sous-populations, puis les dénombrer.

Les généalogies sont basées sur les questions suivantes :

1) Nom, prénom, date et lieu de naissance d’ego (personne interrogée).

2) Mêmes questions concernant le conjoint avec précision de sa communauté (ethnique et religieuse) d’origine.

3) Nombre d’enfants.

4) Nombre d’enfants mariés, cette question suit la précédente pour éventuellement détecter une union que l’on voudrait taire ou oublier (comme cela est souvent le cas des unions prohibées, telles que les unions entre Juifs et Musulmans).

5) Mêmes questions pour tous les autres membres de la famille en remontant le plus loin possible.

Nous avons également interrogé ego sur son origine la plus lointaine pour avoir une idée des migrations anciennes.

Les données resteront confidentielles (aucun nom propre ne sera divulgué). Vu le nombre élevé d’unions enregistrées, elles constituent un échantillon représentatif des règles matrimoniales à Jerba. Bien entendu, ces données extraites de témoignages verbaux peuvent être biaisées par des confusions et des omissions. Elles n’en constituent pas moins une source intéressante à même de nous fournir une analyse du comportement matrimonial. Le dépouillement des sources écrites permettra de l’affiner. Nous avons ensuite procédé au calcul du taux de mariages mixtes par génération. Nous avons d’abord défini ce que nous entendions par mariage mixte ou exogamie et par endogamie. Nous avons choisi de désigner comme endogame toute union contractée entre un homme et une femme des mêmes communautés de couleur, de langue et de religion (sans tenir compte des rites), tous deux étant nés de parents jerbiens. Par opposition, nous avons appelé mariage mixte ou exogame, un mariage contracté en dehors de l’une de ces communautés. Ces définitions nous ont permis de bâtir une matrice d'endogamie, d'estimer le coefficient d'endogamie, puis d'analyser les relations entre les quatre populations jerbiennes ainsi qu'entre ces dernières et les populations non jerbiennes. Nous avons également pu analyser l'exogamie selon le sexe. Les données ont été informatisées grâce au logiciel généalogique SYGAP (S. Poulard et al., 1990).

2. Test de l'hétérogénéité génétique des quatre populations jerbiennes 

Nous avons recueilli — à partir des thèses et articles cités dans la bibliographie — les distributions de fréquence de certains systèmes génétiques chez les populations de Jerba. Il s'agit en l'occurence de groupes sanguins érythrocytaires et de protéines sériques. Malheureusement, seuls les systèmes ABO et Rhésus standard ont été étudiés chez toutes les populations de Jerba ; les systèmes MN et Rhésus CDE ainsi que le facteur B de la properdine n'ont été étudiés que chez la population juive, le facteur C3 du complément n'a été étudié que chez la population noire. Une étude de la fréquence des hémoglobinopathies (anomalies de l'hémoglobine, le pigment respiratoire des globules rouges) a également été publiée (Toumi et al.) mais elle ne concerne que la population juive et la population noire.

Nous avons regroupé les données concernant les groupes sanguins éythrocytaires provenant des diverses études suivantes : Moullec et Abdelmoula 1954, Gherib 1962, Helal et al. 1986 (nous n'avons pas utilisé les données publiées par Ranque et al. 1964 car elles chevauchent celles de Gherib 1962) ; après avoir comparé les différents échantillons de chaque population en utilisant le test du chi deux (c 2) ; nous avons ainsi pu conclure à leur homogénéité et justifier le regroupement des données.

Nous avons situé les quatre populations jerbiennes les unes par rapport aux autres en comparant les fréquences géniques disponibles pour les systèmes étudiés dans ces populations : ABO et Rh standard. Nous les avons aussi comparées à d'autres populations méditerranéennes, africaines et européennes pour lesquelles nous disposions de données analogues.

Dans les deux cas, nous avons calculé les distances avec la procédure AMOVA (" Analysis of Molecular VAriance ") conçue par L. Excoffier et al. en 1992. C'est un outil puissant pour l'analyse de la structure génétique d'une population globale subdivisée et repose sur la méthode classique de l'analyse de variance (ANOVA).

L'analyse de la variance est effectuée sur une matrice de distances carrées euclidiennes.

Les significativités sont affichées dans la matrice triangulaire située au dessus de la diagonale occupée par les distances entre paires d'individus de la même population. Le seuil de significativité est arbitrairement choisi comme étant égal à 0,05 : toute valeur strictement inférieure à ce seuil indique une différence significative entre les populations comparées.

III. Résultats

1. Dénombrement des unions mixtes par génération :

La plus ancienne union enregistrée dans notre fichier date de 1820. C’est à partir de cette dernière que nous allons définir les limites des générations (une génération, au sens de la génétique humaine, dure environ vingt-cinq ans).

La première génération correspond aux unions contractées de 1820 à 1844, la deuxième génération, à celles de 1845 à 1869...

On dénombre ainsi sept générations jusqu’en 1996. Nous choisissons cependant de regrouper les quatre premières car les effectifs y sont trop réduits. En effet, l’enquête étant fondée sur un questionnaire, les ego ne se souviennent pas toujours des noms et âges de leurs lointains ancêtres.

Nous aboutissons alors aux délimitations suivantes :

avant 1920

de 1920 à 1944

de 1945 à 1969

de 1970 à 1996

Pour chaque intervalle, on rapporte le nombre de mariages mixtes au nombre total de mariages célébrés pendant cette période.

Génération

Nombre de mariages mixtes

Nombre total de mariages

Rapport

Avant 1920

3

23

13,04 %

De 1920 à 1944

5

74

6,75 %

De 1945 à 1969

16

138

11,59 %

De 1970 à 1996

13

111

11,71 %

 

1. On constate que ce rapport se stabilise au voisinage de 11 % au cours des deux dernières générations, et passe pratiquement du simple au double par rapport à la génération précédente. Si l’on ne tient pas compte du résultat obtenu pour la période d’avant 1920 (le nombre total de mariages étant peu représentatif), on peut en déduire une certaine évolution du comportement matrimonial, traduisant une volonté d’ouverture, à partir de 1945. Cette tendance a pu être renforcée par l’essor du tourisme.

2. Il y aurait donc en tout 37 mariages mixtes sur un total de 346 en sept générations. Ces 37 mariages mixtes se répartissent sur 13 généalogies parmi 30. Quinze parmi 37 des mariages mixtes se concentrent dans trois généalogies, ce qui signifierait que la présence d’un couple mixte dans une famille encouragerait les membres encore célibataires à rechercher un conjoint dans une autre population. Cet état de fait serait également dû aux renchaînements d’alliance très souvent constatés dans la plupart des généalogies.

2. Matrice d’endogamie

Nombre d’unions

Juives

Berbères

Arabes

Noires

Tunisiennes non jerbiennes

Européennes

Total général

Juifs

64

0

0

0

6

1

71

Berbères

0

63

3

0

0

0

66

Arabes

0

4

41

0

4

2

51

Noirs

0

0

5

141

0

2

148

Tunisiens non jerbiens

6

0

0

3

0

0

9

Etrangers

1

0

0

0

0

0

1

Total général

71

67

49

144

10

5

346

 

 

Nous avons calculé à partir de la matrice, un taux d’endogamie général (pour les quatre populations jerbiennes) :

Ce taux paraît relativement élevé.

3. Analyse de l’exogamie à partir de la matrice
Relations entre les quatre populations jerbiennes

1. Nous n’avons relevé dans notre échantillon aucune union entre un membre de la population juive de Jerba et un membre de l’une des trois autres populations de l’île.

2. La population berbère échange des conjoints avec la population arabe dans les proportions suivantes :

des mariages chez les Berbères et des mariages arabes.

3. Nous n’avons enregistré dans notre échantillon aucun mariage entre Berbères et Noirs.

4. La population arabe échange des conjoints avec la population noire dans les proportions :

des unions chez les Arabes de Jerba et des unions chez les Noirs.

Relations avec l’extérieur de Jerba

On peut noter, à partir de la matrice, des unions entre Tunisiens jerbiens et Tunisiens non jerbiens (UJT) d’une part, entre Tunisiens jerbiens et étrangers (UJE) d’autre part. Nous avons calculé les pourcentages de ces unions pour chaque population de Jerba.

% unions avec des

Tunisiens non jerbiens (UJT)

Etrangers (UJE)

Nombre total d’unions

population juive

15,38

2,56

78

population berbère

0,00

0

70

population arabe

6,77

3,38

59

population noire

1,98

1,32

151

 

Il faut noter que dans le cas de l’échantillon de Juifs, les conjoints tunisiens non jerbiens et étrangers sont tous de religion juive.

Pour les Berbères, aucun mariage n’est enregistré avec l’extérieur de Jerba.

Analyse de l’exogamie selon le sexe du conjoint

Nous avons calculé (toujours à partir de la matrice) le pourcentage d’unions contractées en dehors de la communauté pour les Jerbiens de sexe masculin :

 

%

Origines des femmes

Effectifs

Juifs

9,85

préférentiellement Juives du continent (8,45 %)

71

Berbères

4,55

toutes Arabes de l’île

66

Arabes

19,61

surtout Berbères de l’île (7,84 %) et Tunisiennes du continent (7,84 %)

51

Noirs

4,73

3,37 % d’Arabes jerbiennes et 1,36 % d’Européennes

148

Moyenne

27/336 = 8,04 %

 

346

 

On peut classer l’exogamie masculine par population :

Les Arabes sont en première position (caractérisés par l’exogamie la plus forte), les Juifs en deuxième, les Noirs en troisième, suivis de près par les Berbères.

Les mêmes calculs pour les femmes de Jerba donnent le tableau suivant :

 

%

Origine des maris

Effectifs

Juives

9,85

majoritairement Juifs tunisiens du continent (8,45 %)

71

Berbères

5,97

tous Arabes de Jerba

67

Arabes

16,33

Noirs jerbiens (10,20 %) et Berbères jerbiens (6,12%)

49

Noires

2,08

Tunisiens noirs du continent

144

Moyenne

22/331 = 6,65 %

 

331

 

Il en ressort que les Juives ont exactement le même taux d’exogamie (dans les mêmes détails) que les hommes de leur communauté. Chez les femmes berbères, le taux d’exogamie est légèrement supérieur à celui des Berbères de sexe masculin. Chez les Arabes, le taux d’exogamie des femmes est inférieur à celui des hommes. Les Noires ont aussi un taux d’exogamie inférieur à celui des hommes de la même population.

En moyenne, dans notre échantillon, les femmes de Jerba présentent un comportement exogame à un pourcentage légèrement inférieur à celui des hommes de Jerba. On peut aussi classer l’exogamie des femmes par population : la première position serait occupée par les Arabes, la seconde par les Juives, la troisième par les Berbères et enfin la quatrième par les Noires. La différence avec l’exogamie des hommes résiderait dans le comportement des Berbères et des Noirs des deux sexes en matière de mariage.

4. Origines présumées des populations jerbiennes

Dans notre questionnaire, nous avons aussi demandé des précisions sur le plus ancien lieu d’origine des familles concernées par notre enquête. La plupart du temps la réponse était Jerba, mais à quelques occasions on nous en a fourni d’autres.

Nous avons regroupé pour chaque population les réponses intéressantes :

Population

Origine

population arabe

Moyen Orient et Péninsule Arabique

population berbère

Liban

population juive de Hara Seghira

Palestine et Mésopotamie

population juive de Hara Kebira

Espagne, Turquie, Libye, Syrie

population noire

Soudan et Niger

 

Ces traditions orales familiales, mêmes si elles sont un peu fantaisistes et que nous devons les mettre en doute, peuvent nous donner une idée des relations à longue distance entre les habitants de Jerba et le reste du monde. Il y a en effet un dénominateur commun à ces réponses : le Moyen Orient, avec lequel on peut raisonnablement penser que Jerba a eu des relations privilégiées pendant des siècles.

5. Résultats obtenus avec AMOVA
Comparaison entre les quatre populations jerbiennes

a) Matrice ABO :

La significativité de la distance entre la population juive et la population noire est > 0,05 ; cela implique que ces populations ne sont pas significativement différentes, nous allons donc les considérer comme proches pour ABO. Toute autre significativité étant inférieure ou égale à 0,05 ; la population juive et la population noire sont donc génétiquement éloignées de la population arabe et de la population berbère, elles mêmes éloignées l’une de l’autre.

Distance : Fst entre paires de populations. Au-dessus de la diagonale :significativités : probabilité que la distance aléatoire (Fst) soit > distance observée.

Nombre d’itérations : 1000

Matrice ABO

Juifs

Berbères

Arabes

Noirs

Juifs

0,0000

0,0000

0,0000

0,9990

Berbères

0,0189***

0,0000

0,0000

0,0000

Arabes

0,0145***

0,0120***

0,0000

0,0050

Noirs

- 0,0028

0,0187***

0,0136***

0,0000

(*** : p<0,01 ; ** : p<0,05)

b) Matrice Rh :

Les seules significativités supérieures à 0,05 sont celles des distances entre la population juive et la population arabe, d’une part, et entre la population berbère et la population noire d’autre part. Les populations comparées dans chaque cas sont donc proches pour le système Rhésus standard. Toutes les autres significativités étant inférieures à 0,05, cela indiquerait que la population juive et la population arabe sont génétiquement distantes de la population berbère et de la population noire.

Distances = Fst entre paires de populations.

Au dessus de la diagonale : probabilité distance aléatoire ( Fst) > distance observée

Nombre d’itérations : 1000

matrice Rh

Juifs

Berbères

Arabes

Noirs

Juifs

0,0000

0,0250

0,5864

0,0260

Berbères

0,0060**

0,0000

0,0080

0,6104

Arabes

- 0,0013

0,0098***

0,0000

0,0160

Noirs

0,0098**

- 0,0019

0,0146**

0,0000

(*** : p<0,01 ; ** : p<0,05)

Remarque 

On obtient des résultats différents pour ABO et Rh, ce qui peut être dû à un effet d’échantillonnage. La collecte des différents échantillons a pu ne pas se faire uniformément sur toute l’île : on a pu prendre par exemple, plusieurs individus apparentés.

Comparaison entre Jerba et la population du reste du gouvernorat de Médenine

Distances = Fst entre paires de populations.

Significativités : probabilités Fst > distance observée

Nombre d’itérations : 1000

Gouvernorat de Médenine ( Jerba exclue)

Distances

matrice ABO

matrice Rh 

Juifs

0,0220***

0,0058

Berbères

0,0258***

0,0311***

Arabes

-0,0001

0,0018

Noirs

0,0214***

0,0394***

Gouvernorat de Médenine (Jerba exclue)

0,0000

0,0000

(*** : p<0,01 ; ** : p<0,05)

La population du gouvernorat de Médenine est proche de la population arabe de Jerba pour le système ABO ; ainsi que de cette dernière et de la population juive jerbienne pour le système Rhésus.

Comparaison de Jerba aux Berbères de la Tunisie continentale

 

Significativités de la matrice ABO

Berbères tunisiens continentaux

Juifs

0,0248***

Berbères

0,0157***

Arabes

-0,0005

Noirs

0,0248***

Berbères tunisiens continentaux

0,0000

(*** : p<0,01 ; ** : p<0,05)

Il en ressort que la seule population jerbienne génétiquement proche des Berbères de la Tunisie continentale est la population arabe.

Relations entre les populations de Jerba et celles du pourtour méditerranéen, d’Afrique et d’Europe :

Toujours à l’aide de la même procédure, nous avons placé les populations jerbiennes dans le contexte méditerranéen — vu le rôle d’ancienne date de Jerba en tant que trait d’union commercial entre l’Afrique et l’Europe — en les comparant à d’autres populations pour lesquelles les fréquences des mêmes systèmes génétiques sont disponibles. C’est la population juive de Jerba qui a fait l’objet du maximum d’études génétiques ; c’est pour cela que nous avons essentiellement comparé Jerba aux populations juives méditerranéennes, puisque la génétique des populations juives forme un domaine particulier (Bonne-Tamir et al. 1978, Kobyliansky et al. 1982, Livshits et al. 1991).

Pour chaque système disponible, nous avons comparé chaque population de Jerba avec d’autres groupes régionaux.

 

Comparaison de Jerba à un groupe régional et pour rh+/- à des populations Juives dans chaque groupe

Populations proches

Populations jerbiennes

systèmes génétiques

d’Afrique

d’Europe

du Moyen Orient

Arabe

ABO

* Berbères tunisiens continentaux

* Algériens

* Bédouins du Sinaï

* Gaalin, Nuba et Dinka du Soudan

* Ashanti du Ghana

* Sardes d’Oristano

* Basques

* Maltais

* Arabes du Koweit,

* Arabes d’Arabie Saoudite

 

Rh+/-

* Juifs oranais

* Juifs libyens

* Juifs marocains

* Juifs tunisiens

* Juifs yougoslaves,

* Juifs européens du Sud

* Juifs européens du Sud Est

* Juifs yéménites

* Juifs ashkénazes sépharades et samaritains d’Israël

* Juifs syriens et libanais

* Juifs kurdes d’Irak (Nord Ouest)

Berbère

ABO

* Haratines Aït Yazza (Maroc)

* Falachas (Ethiopie)

* Sardes de Galtelli,

* Français du Cantal,

* Espagnols et Maltais de la Valette

 

 

Rh+/-

* Juifs algériens,

* Juifs égyptiens,

* Juifs marocains

* Falachas (Juifs éthiopiens)

* Juifs yougoslaves,

* Juifs turcs,

* Juifs européens de l’Ouest,

* Juifs bulgares

* Israéliens ashkénazes et samaritains,

* Juifs libanais et syriens,

* Juifs kurdes du Nord Ouest de l’Irak,

* Juifs yéménites du Sud

Noire

ABO

* Nord Africains

* Messeria et Gaalin du Soudan

* Ewe et Ashanti du Ghana

* Slovènes

* Espagnols

* Cypriotes

* Grecs

* Juifs européens de l’Ouest

* Israéliens ashkénazes et samaritains

* Juifs libanais et syriens

* Juifs kurdes du Sud Est de l’Irak

* Juifs iraniens

* Bédouins d’Amman (Jordanie)

Kurdes libanais et syriens

 

Rh+/-

* Juifs d’Algérie, d’Egypte,du Maroc, de Tunisie et d’Ethiopie

* Juifs d’Europe

* Juifs de Syrie et Liban, d’Irak, d’Iran, du Yémen,

* Israéliens ashkénazes et orientaux,

* Juifs kurdes d’Iran et du Nord Est de l’Irak

Juive

ABO

* Nord Africains, Egyptiens

* Messeria du Soudan

* Falachas

* Juifs yougoslaves

* Sépharades de Monastir (Yougoslavie)

* Espagnols

* Slovènes

* Cypriotes

* Juifs iraniens

* Juifs syriens

* Israéliens sépharades,

* un échantillon de Juifs syriens et libanais

Juifs kurdes du Sud Est de l’Irak

Bédouins d’Amman (Jordanie)

 Kurdes de Syrie et du Liban

 

Rh+/-

* Juifs Nord Africains

* Juifs européens

* Israéliens orientaux, ashkénazes, sépharades et samaritains

* Juifs de Syrie et Liban (même échantillon)

* Juifs yéménites

* Juifs irakiens de Baghdad

* Juifs kurdes du Nord Ouest de l’Irak

 

CcDdEe

* M’sirdas Fouaga de l’Oranais

* Juifs oranais

* Juifs marocains

* Juifs libyens

* Juifs égyptiens

* Européens

* Juifs syriens et libanais

* Israéliens orientaux

* ashkénazes et sépharades

* Arabes du Koweit,

* Arabes du Sud Ouest de l’Arabie,

* Sunni du Hejjaz

* Kurdes du Liban et de Syrie

 

MN

* Falachas

* Juifs marocains de Tafilalet

* Sardes

* Juifs kurdes du Nord Est de l’Irak

* Juifs irakiens de Baghdad

 

IV. DISCUSSION

Analyse des données démographiques et comportements matrimoniaux

L’analyse des données démographiques que nous avons recueillies conduit aux constatations suivantes : dans notre échantillon, les femmes noires de Jerba ne se marient qu’au sein de leur communauté de couleur, même à l’extérieur de Jerba, alors que les Noirs de sexe masculin se marient également avec des Blanches. Ce sont, en l’occurrence, des Arabes de Jerba et, plus rarement, des Européennes. Cette différence de comportement trouverait son origine dans les critères stéréotypés de séduction : en Tunisie, une femme plaît d’autant plus facilement que son teint est clair, alors que l’aspect physique de l’homme intervient moins dans le choix des femmes qui attachent en général plus d’importance à sa situation matérielle.

Chez les Juifs, on trouve un taux d’exogamie identique chez les hommes et chez les femmes. Cette exogamie est pratiquée avec des conjoints juifs du continent tunisien ou de pays étrangers. Elle reste tout de même assez rare (taux inférieur à 10 %).

La population noire ressemblerait beaucoup plus que la population juive à un isolat, si l’on se réfère à la définition de Walhund (1928) :  " un isolat est la zone de population à l’intérieur de laquelle chaque individu a la possibilité de se marier ".

5,97 % des femmes berbères pratiquent l’exogamie en se mariant avec des Arabes jerbiens, contre 4,55 % pour les hommes berbères. Ces derniers se marient aussi avec des Arabes de Jerba. Il faudrait dorénavant distinguer les Berbères hétérodoxes des orthodoxes, car ces derniers doivent certainement échanger plus souvent des conjoints avec les Arabes.

Chez les Arabes de notre modeste échantillon, 16,33 % des femmes se marient avec des Musulmans d’autres populations jerbiennes (berbère ou noire) et 19,61 % des hommes arabes de Jerba se marient soit avec des Musulmanes (berbères de Jerba ou tunisiennes du continent), soit avec des Européennes d’une autre confession.

Les pourcentages d’unions avec l’extérieur de Jerba montrent qu’a priori, la population juive présenterait le comportement le plus exogame avec l’extérieur de l’île ; la population berbère se caractériserait par très peu d’échanges avec l’extérieur, par contre elle occuperait la deuxième position en ce qui concerne l’exogamie à l’intérieur de l’île, en effet, ses échanges avec la population arabe (qui présenterait le plus d’exogamie avec l’intérieur de l’île) sont assez denses ; cependant elle échangerait très peu ou pas de conjoints avec la population noire (s’agirait-il d’une endogamie de classe ?), celle ci vivrait dans un relatif isolement au point de vue matrimonial.

Analyse des données génétiques : des proximités qui diffèrent en fonction des systèmes génétiques

L’analyse de nos données génétiques fait ressortir le fait que toutes les populations jerbiennes sont proches de certaines populations nord-africaines. Ces populations proches diffèrent souvent d’un système génétique à l’autre et d’une population jerbienne à l’autre.

Système ABO

Pour le système ABO, les Jerbiens (mise à part la population berbère) sont proches des populations moyen orientales. Les Juifs de Jerba sont proches de quelques populations africaines ainsi que des Juifs méditerranéens et des Juifs kurdes, mais ils sont éloignés des Ashkénazes. Les Berbères sont éloignés de toutes les populations sauf des Français, des Sardes, des Espagnols, des Maltais, des Falachas (Juifs éthiopiens) et d’une population berbère marocaine.

Toujours concernant le système ABO, les Arabes de Jerba sont proches de certaines populations d’Afrique et du Moyen Orient alors qu’ils sont éloignés des Européens. Quant à la proximité génétique de la population noire de Jerba avec des populations d’Afrique noire (notre banque de données contient des informations sur les populations du Sénégal, du Nigéria, du Soudan, du Tchad, du Mali, d’Ethiopie, du Ghana et du Niger), il est surprenant de constater que seules quelques populations soudanaises et ghanaises sont proches des Noirs jerbiens.

Système Rhésus : Comparaison avec des populations juives à travers le monde

En ce qui concerne le système Rhésus standard : les Juifs de Jerba deviennent proches des Ashkénazes en plus de leur proximité avec les populations juives nord-africaines, juives méditerranéennes et juives orientales ; les Arabes jerbiens sont proches des Juifs européens du Sud, des Ashkénazes, des Juifs d’Afrique du Nord et Juifs du Moyen Orient ; les Noirs jerbiens ne changent pas beaucoup de voisinage génétique entre ABO et Rhésus : ils restent près du Moyen Orient et de l’Europe du sud et deviennent proches des Falachas; enfin les Berbères deviennent proches de certaines populations juives d’Afrique du nord, d’Europe et d’Orient et conservent leur proximité avec les Falachas

La génétique et l’histoire

Nous n’avons pas entrepris d’analyse factorielle sur les données génétiques concernant les Juifs jerbiens, car nous n’avons pas comparé les mêmes populations pour chaque système génétique.

On peut remarquer que la population juive (pour Rhésus standard) et la population noire (pour ABO) sont proches de davantage de populations méditerranéennes que les autres populations jerbiennes. A l’opposé, la population berbère se distingue par son éloignement génétique de la plupart des populations utilisées dans notre banque de données. Cependant sa proximité avec les Noirs de Jerba, avec une population berbère marocaine, ainsi qu’avec une population éthiopienne, serait une preuve de son ancienneté africaine : ainsi les Berbères auraient constitué le fond autochtone nord-africain antérieur à l’invasion arabe, comme l’ont déjà montré de multiples sources historiques et archéologiques. Ces données sont également en accord avec celles du Dr Bertholon (1897) concernant le type brachycéphale fréquent chez les Berbères jerbiens mais très rare ailleurs en Afrique du Nord ; on en avait tiré la conclusion qu’il s’agissait peut être à l’origine d’un groupe humain qui vivait dans une région s’étendant au continent africain, où il aurait subi des métissages, alors qu’il s’est mieux conservé à Jerba grâce à la barrière de l’insularité... En outre, la proximité génétique des Berbères de Jerba avec les Espagnols serait un argument en faveur des thèses suivantes :

les Berbères seraient issus d’un métissage ibéro-africain (la civilisation capsienne),

les Musulmans qui ont envahi l’Espagne auraient été essentiellement des Berbères.

V. CONCLUSION

Nous devrions maintenant être en mesure de répondre aux questions suivantes :

Les quatre sous populations sont elles génétiquement différentes ?

Nos réponses sont les suivantes : chaque sous-population est proche d’une autre mais pas de la même pour chaque système génétique (par exemple, les Juifs sont proches des Noirs pour ABO et des Arabes pour Rh) ; cependant pour les deux systèmes étudiés (ABO et Rhésus+/-) la sous-population berbère diffère génétiquement de la sous-population arabe et de la sous population juive, de même la sous population noire diffère de la sous population arabe.

Les différences de résultats entre ABO et Rh s’expliquent en partie par la taille réduite de l’échantillon de Noirs (N=31) de l’étude de 1962, bien que nous ayons pu justifier le regroupement de ces données avec celles de 1992. Une autre tentative d’explication serait le fait que nous n’ayons ajouté l’échantillon étudié en 1954 à l’échantillon de 1962 et à l’échantillon de 1992 que dans le cas du système ABO.

Il est également important de souligner le fait que l’histoire d’un gène ne traduit pas forcément celle des populations. En effet, il peut arriver que deux individus tirés au hasard dans deux populations différentes présentent la même variante du gène contrairement à deux individus tirés au hasard dans la même population.D’où la nécessité de recourir à un grand nombre de gènes variables pour retracer les migrations et les peuplements anciens.

L’étude démographique et l’étude génétique sont elles en accord ?

L’accord entre l’étude démographique et l’étude génétique de Jerba, n’apparaît que dans le fait que les Berbères soient génétiquement différents des Juifs, car l’étude démographique a montré que ces derniers n’échangeaient jamais de conjoints avec les Musulmans.

Il y a par contre au moins trois paradoxes : d’abord le fait que les Arabes et les Berbères, qui contractent ensemble relativement beaucoup d’unions, soient significativement différents pour les deux systèmes génétiques. Le deuxième paradoxe est le même fait appliqué à la population arabe et à la population noire. Le troisième est la proximité génétique (respectivement pour ABO et Rh) des Juifs avec les Noirs et les Arabes, car nous avons montré la totale absence de mariages entre la population juive et les autres populations de l’île. Ce dernier paradoxe pourrait s’expliquer par le fait que la population juive partagerait avec la population noire et la population arabe une origine commune récente, mais cette hypothèse va à l’encontre des témoignages des historiens. Il est plus sage — en attendant d’autres études fondées sur des marqueurs plus polymorphes, donc plus informatifs — de penser que ces proximités sont provoquées fortuitement par le phénomène de la dérive génétique (bien que les tailles des populations soient relativement importantes).

Les deux premiers paradoxes pourraient constituer deux contre-exemples de la théorie couramment admise en génétique des populations (S. Wright), selon laquelle un faible taux de mariages mixtes par génération est suffisant pour rendre homogène le pool génique d’une population divisée en sous-populations différentes, à moins que celles-ci ne soient structurées ; c’est-à-dire à moins qu’elles ne présentent un noyau endogame responsable de la persistance d’une structure génétique spécifique à la sous population considérée (en admettant que celle-ci soit initialement différente des autres sur le plan des fréquences géniques ), ce qui semble plus être le cas de la population noire que de la population berbère .

Prolongements de l’étude : d’autres systèmes génétiques à explorer !

Il serait intéressant (pour que les prochaines études comparatives puissent être plus précises) de compléter les données génétiques déjà disponibles sur les Juifs par des données sur les autres populations de Jerba, et de les enrichir avec l’étude d’autres systèmes génétiques plus informatifs...

L’étude du polymorphisme de l’ADN mitochondrial chez les Arabes et les Berbères de l’île est en cours, elle fait l’objet de la thèse de doctorat de Besma Yacoubi, étudiante en génétique à la Faculté des Sciences de Tunis.

Soufia MOURALI

Muséum

Evelyne HEYER

CNRS

VI. BIBLIOGRAPHIE

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VASSEL, Eusèbe - Le Juif tunisien. Paris - Aux bureaux de la revue indigène, 1907.

VII. Remerciements

Nous remercions très vivement :

- le laboratoire de démographie historique de l’EHESS et en particulier M. le Pr Hervé Le BRAS et Melle Sandrine BERTAUX,

- le laboratoire d’anthropologie biologique du Musée de l’Homme et en particulier M. le Pr André LANGANEY et Melle Florence LAMY,

- le laboratoire d’immunogénétique de la Faculté des Sciences de Tunis et en particulier Mme. le Pr Amel EL GAÏED et Melle Besma YACOUBI.

- l’Association pour la Sauvegarde de l’île de Jerba et en particulier M. le Pr Farhat BEN AYED

- le laboratoire de Génétique et Biométrie du Dpt d’Anthropologie de l’Université de Genève et en particulier Mme Alicia SANCHEZ-MAZAS, M. Stefan SCHNEIDER et M. Laurent EXCOFFIER,

- la direction et le personnel de l’Hôpital de Houmt-Souk et particulièrement M. le Dr Riadh OURIEMI

- la direction et le personnel de l’Hôpital de Midoun,

- les participants à l’enquête généalogique,

 


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