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LA JOURNEE DU 5 JUIN 1967 |
DEPUIS L’ACCESSION DE LA TUNISIE A L’INDEPENDANCE, LES ETABLISSEMENTS SCOLAIRES S’ETAIENT SCINDES : CERTAINS DEPENDAIENT DU MINISTERE TUNISIEN DE L’EDUCATION NATIONALE, ET D’AUTRES DE LA MISSION CULTURELLE FRANCAISE. MES DEUX GRANDES FILLES FREQUENTAIENT, BIEN ENTENDU, LE LYCEE CARNOT, APPARTENANT A LA MISSION, SITUE AVENUE DE PARIS, ET ELLES N’AVAIENT CLASSE QU’UNE DEMI- JOURNEE, SOIT LE MATIN SOIT L’APRES MIDI.
L’ANNEE SE PASSA NORMALEMENT JUSQU’AU 5 JUIN 1967, JOUR DU DECLENCHEMENT DE LA GUERRE DES SIX JOURS PAR ISRAEL. CE MATIN LA, EN ARRIVANT VERS 7 HEURES ET DEMIE, NOTRE BONNE, QUI ETAIT MUSULMANE, NOUS DIT : « AUJOURDHUI LES ARABES SONT DECHAINES CONTRE LES JUIFS, ILS VEULENT METTRE A SAC LA GRANDE SYNAGOGUE, MEFIEZ VOUS » NOUS N’EN FIMES PAS CAS, CAR, JUSQU'A PRESENT, LES MANIFESTANTS ETAIENT PLUTOT PACIFIQUES A TUNIS, ENVERS LES JUIFS.
MA SECONDE FILLE SE RENDIT DONC EN CLASSE LE MATIN ET MON PERE ET MOI AU TRAVAIL. MON PERE ETAIT VENDEUR DANS UN MAGASIN DE JOUETS ET INSTRUMENTS DE MUSIQUE « CHEZ BENBARON » RUE CHARLES DE GAULLE ET MOI-MEME ETAIS SECRETAIRE CHEZ UN EMINENT AVOCAT TUNISIEN, Me LAMINE BELLAGHA, DEPUTE A L’ASSEMBLEE NATIONALE ET APPARENTE A L’EPOUSE DU PRESIDENT BOURGUIBA, DONT LE BUREAU SE TROUVAIT RUE DE SERBIE.
L’APRES- MIDI MON AINEE SE RENDIT A SON TOUR AU LYCEE,AVEC LA FILLE DE NOS VOISINS. VERS 2 HEURES NOUS ENTENDIMES DU BRUIT NOUS NOUS PENCHAMES PAR LE BALCON POUR SAVOIR CE QUI SE PASSAIT : C’ETAIT UNE FOULE DE PERSONNES QUI VENAIENT DE L’AVENUE DE LONDRES ET SE DIRIGEAIENT VERS LA RUE DE L’ALFA ET LA RUE BAB SOUIKA. COMME NOUS HABITIONS RUE DU VOILE AU DESSUS DU CAFE « LE SOLEIL LEVANT » ILS NOUS ENVOYERENT AU PASSAGE DES CITRONS POURRIS. NOUS FERMAMES PRECIPITAMMENT LES PERSIENNES.
MON PERE ET MOI PRIMES QUAND MEME LE CHEMIN DU TRAVAIL A L’HEURE HABITUELLE. EN EMPRUNTANT LA RUE DES SALINES. AU BOUT DE QUELQUES METRES, NOUS CROISAMES LE PORTEFAIX MUSULMAN, QUI TRAVAILLAIT AVEC MON PERE, ET IL LUI DIT : « YA CATTAN YA CATTAN RETOURNE CHEZ TOI, AUJOURD’HUI C’EST TRES GRAVE POUR LES JUIFS ! » NOUS ETIONS DESEMPARES. JE DIS ALORS A MON PERE DE RETOURNER A LA MAISON (MES PARENTS HABITAIENT AVEC NOUS) MAIS QUE POUR MA PART J’ETAIS OBLIGEE DE ME RENDRE AU BUREAU ETANT DONNE QUE JE DEVAIS ALLER RECUPERER MA FILLE A SA SORTIE DU LYCEE.
TOUT AU LONG DE L’APRES-MIDI MA MERE ME TELEPHONAIT DE CHEZ NOTRE VOISINE POUR ME TENIR AU COURANT DE L’EVOLUTION DE LA SITUATION. A UN CERTAIN MOMENT ELLE ME DIT MEME QUE LES MANIFESTANTS AVAIENT APPOSE UNE ECHELLE SUR LE BORD DU BALCON POUR PENETRER DANS L’APPARTEMENT, CAR NOUS HABITIONS AU PREMIER ETAGE. J’ETAIS FOLLE D’ANGOISSE A L’IDEE QUE MES PARENTS ET MES DEUX FILLES ETAIENT SOUS CETTE MENACE. MON PATRON, ME CONSEILLA DE TELEPHONER A LA POLICE, MAIS CELLE-CI ETAIT INJOIGNABLE.
MA MERE ME RACONTA PAR LA SUITE QUE LES MANIFESTANTS AVAIENT EGALEMENT ESSAYE DE PENETRER DANS NOTRE IMMEUBLE, MAIS, PAR BONHEUR, LE GARDIEN, MUSULMAN LUI AUSSI, S’OPPOSA A EUX EN FERMANT LES PORTES ET EN LEUR DECLARANT : « IL N’Y A PAS DE JUIFS DANS CET IMMEUBLE, IL N’Y A QUE DES MALTAIS ET DES ITALIENS » IL FAILLIT SE FAIRE ETRANGLER PAR UN DES MENEURS QUI AVAIT CASSE UNE DES VITRES DE LA PORTE ET QUI LE PRIT A LA GORGE EN LE TRAITANT DE TRAITRE.
HEUREUSEMENT LES AUTORITES ARRIVERENT A JUGULER CETTE VIOLENCE ET VERS 16 HEURES, LE PRESIDENT BOURGUIBA, QUI RELEVAIT D’UNE ALERTE CARDIAQUE, ET QUE L’ON N’AVAIT PAS VOULU INQUIETER, APPRIT, EN ALLUMANT LA RADIO, APRES SA SIESTE, PAR LA STATION MONTE CARLO, TOUS LES TROUBLES QUI AVAIENT EU LIEU. AUSSITOT IL CONVOQUA TOUT SON GOUVERNEMENT POUR AVOIR DES EXPLICATIONS ET LE SOIR MEME FIT UNE ALLOCUTION TELEVISEE QUE NOUS VIMES, POUR RASSURER LES JUIFS. MAIS LE MAL ETAIT FAIT, NOUS AVIONS PEUR.
POUR MA PART, Me BELLAGHA ME DIT D’ALLER CHERCHER MA FILLE AU LYCEE QUI SE TROUVAIT A UN QUART D’HEURE DE MARCHE A PIED DE NOTRE BUREAU, AVEC ALI, NOTRE COURSIER, ET DE DEMANDER A MES PARENTS DE PREPARER DES VETEMENTS DANS DES VALISES CAR IL AVAIT L’INTENTION DE NOUS ABRITER TOUS CHEZ LUI JUSQU'A CE QUE TOUT SOIT RENTRE DANS L’ORDRE.
A LA FERMETURE DU BUREAU NOUS NOUS RENDIMES DONC CHEZ MOI. EN DEBOUCHANT DANS NOTRE RUE JE VIS DES FLAQUES DE SANG ET J’EUS TRES PEUR. EN FAIT LES MANIFESTANTS AVAIENT SACCAGE LES BOUCHERIES JUIVES, (DONT UNE APPARTENAIT A UN CERTAIN M. KRIEF) QUI SE TROUVAIENT LA ET AVAIENT PIETINE LES QUARTIERS DE VIANDE !
MON PATRON NOUS EMMENA TOUS : MON PERE, MA MERE, MON FRERE, MES TROIS FILLES ET MOI, CHEZ LUI, A GAMMARTH. MON MARI, QUI TRAVAILLAIT AU LYCEE DE LA MARSA, IGNORAIT TOUT CELA MAIS UN PROFESSEUR VENANT DE TUNIS POUR PRENDRE SON SERVICE, LE MIT AU COURANT. AFFOLE IL VOULUT VENIR NOUS RETROUVER CELA NE LUI FUT PAS POSSIBLE : LES ROUTES ETAIENT FERMEES. JE REUSSIS A LE JOINDRE PAR TELEPHONE ET IL NOUS REJOIGNIT CHEZ LES BELLAGHA.
CEUX-CI NOUS ACCUEILLIRENT TRES CHALEUREUSEMENT, NOUS OFFRANT LE COUVERT ET LE GITE.
LE LENDEMAIN MON PATRON ME DIT : « Mme COHEN, NOUS ALLONS RENTRER ENSEMBLE A TUNIS VOIR COMMENT LES CHOSES ONT EVOLUE, VOS PARENTS ET VOS ENFANTS RESTERONT CHEZ NOUS JUSQU'A CE QUE CELA SE TASSE » TOUT ETANT RENTRE DANS L’ORDRE, NOUS RECUPERAMES LE SOIR MEME TOUTE LA FAMILLE ET RETOURNAMES CHEZ NOUS. A LA SUITE DE CES EVENEMENTS MON MARI DECIDA QU’IL ETAIT TEMPS DE QUITTER LA TUNISIE POUR LA FRANCE.
MON PATRON ESSAYA DE NOUS FAIRE CHANGER D’AVIS NOUS ASSURANT QUE LE PRESIDENT BOURGUIBA ET SES MINISTRES ETAIENT DESOLES DE CES FAITS, QU’ILS NE SOUHAITAIENT PAS DU TOUT QUE LES JUIFS QUITTENT LA TUNISIE ET QUE D’AILLEURS LES MANIFESTANTS ETAIENT DES HABITANTS DE L’INTERIEUR DU PAYS INFLUENCES PAR DES ALGERIENS. JE LUI REPONDIS QUE NOUS ETIONS TRES PEINES DE QUITTER NOTRE PAYS NATAL MAIS QUE LE PRESIDENT N’ETAIT PAS IMMORTEL ET QUE NOUS IGNORIONS QUEL SERAIT LE COMPORTEMENT DE SON SUCCESSEUR.
AU MOMENT DE PARTIR, EN VOYANT EMPILER MES MEUBLES ET AUTRES BIENS DANS UN CADRE AUQUEL NOUS AVIONS DROIT EN TANT QUE FRANÇAIS, J’EUS BRUTALEMENT LA SENSATION D’ASSISTER A UN ENTERREMENT ! EN FAIT C’ETAIT CELUI DE LA BELLE VIE QUE NOUS AVIONS EUE EN TUNISIE, ET NOUS PARTIONS VERS L’INCONNU !
LA FRANCE FUT POUR NOUS UNE VRAIE TERRE D’ACCUEIL MAIS NOUS GARDIONS LA NOSTALGIE DU CIEL BLEU, DU SOLEIL, DES PALMIERS ET DU JASMIN DE NOTRE PAYS NATAL.
J’AI GARDE LE CONTACT PENDANT DE LONGUES ANNEES AVEC Me BELLAGHA ET JUSQU'A CE JOUR MA FAMILLE ET MOI-MEME RESSENTONS UNE PROFONDE RECONNAISSANCE POUR SA CONDUITE, SA GENTILLESSE ET L’HOSPITALITE QU’IL NOUS ACCORDA SI SPONTANEMENT.
PENDANT DES ANNEES J’AI SOUHAITE AVOIR DE SES NOUVELLES, MAIS, RESIDANT EN ISRAEL, JE N’OSAIS LUI ECRIRE, CRAIGNANT DE LUI CAUSER DU TORT.
A PESSAH 2007 MA FILLE CADETTE ET SON MARI DECIDERENT DE SE RENDRE EN TUNISIE POUR LE VOYAGE RITUEL DE BAT MITZWAH DE LEURS FILLES ET MA TROISIEME FILLE TINT A SE JOINDRE A EUX POUR CONNAITRE SON PAYS NATAL QU’ELLE AVAIT QUITTE A L’AGE DE 1 AN. JE DIS A MES ENFANTS « LE MEILLEUR CADEAU QUE VOUS PUISSIEZ ME RAPPORTER CE SERAIT DES NOUVELLES DE Me BELLAGHA »
LEUR PREMIER SOIN, EN ARRIVANT A TUNIS, CE FUT DE SE RENDRE A L’ADRESSE OU SE TROUVAIT LE BUREAU DE MON ANCIEN PATRON ET LA, MIRACLE, SUR LE MUR ETAIT APPOSEE UNE PLAQUE PORTANT LE NOM DE SON FILS ADLY, QUI ETAIT DEVENU LUI AUSSI UN AVOCAT CELEBRE. IL LES RECUT TRES CHALEUREUSEMENT LORSQU’IL COMPRIT QU’ELLES ETAIENT MES FILLES ET IL LEUR DONNA LES COORDONNEES DE SON PERE.
ELLES LE CONTACTERENT AUSSITOT ET LE LENDEMAIN IL LES ACCUEILLIT AVEC BEAUCOUP D’EMOTION DANS SA VILLA DE GAMMARTH, LEUR MONTRANT LES CHAMBRES DANS LESQUELLES NOUS AVIONS DORMI CE FAMEUX 5 JUIN !
A LEUR RETOUR JE PUS LUI TELEPHONER. CELA A ETE TRES EMOUVANT, J’AVAIS L’IMPRESSION DE M’ADRESSER A UN MEMBRE DE MA FAMILLE. DEPUIS, JE L’APPELLE DE TEMPS EN TEMPS POUR M’ENQUERIR DE SON ETAT DE SANTE CAR IL A DEPASSE LES 80 ANS ET NOS ENTRETIENS SONT TOUJOURS TRES CHALEUREUX. DAISY COHEN
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