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Chronique de Zama.
En septembre 202 avant J.-C., près de Zama, en Numidie, le consul Scipion
affronte Hannibal et les Carthaginois pour une bataille dont doit dépendre le
sort du monde méditerranéen.
En portant la guerre contre Carthage sur le territoire africain, Scipion joue
avec la chance.
Une défaite romaine à Zama pourrait bien anéantir pour toujours les
desseins impérialistes de Rome. Mais, grâce à la tactique originale qu'il
adopte sur le champ de bataille, le jeune consul offre à sa patrie une
victoire incontestable, qui lui assure une suprématie définitive sur la Méditerranée.
La rencontre des chefs
Dès les premières batailles qu'il livre en Afrique, Scipion a remporté des
victoires. Durant l'été 203, les Romains placés sous ses ordres vainquent,
aux Grandes Plaines, une armée composée de Carthaginois et de Numides, et
s'emparent de Cirta (Constantine).
Alors, comme l'a prévu le consul, Carthage épouvantée rappelle d'Italie
Hannibal et ses troupes. En septembre 202, près de Zama (peut-être Jama,
aujourd'hui), à environ 150 km au sud-ouest de Carthage, l'ultime
confrontation a lieu. La veille de la bataille, les deux grands hommes se
rencontrent à égale distance de leurs camps, établis à 6 km l'un de
l'autre.
Ils renvoient leurs escortes et pendant un long moment, s'entretiennent avec
l'assistance d'interprètes. Deux siècles plus tard, l'historien Tite-Live
reformulera les paroles prononcées par les deux chefs, l'un auréolé de la
gloire des seize années pendant lesquelles il a occupé l'Italie, l'autre
aspirant à un renom universel.
Hannibal, Scipion et la deuxième guerre.
En 206 avant notre ère, Publius Cornelius Scipion se déclare candidat pour
les élections consulaires. Fils du général vaincu par Hannibal à la
bataille du Tessin, en 218, au début de la deuxième guerre, il jouit d'une
très grande popularité.
Il a obtenu en 210, par un vote extraordinaire du peuple romain, un impenum
(pouvoir suprême civil et militaire), alors qu'il ne remplit ni les
conditions d'âge (il a vingt-cinq ans) ni celles de la carrière politique
(il n'a pas exercé les magistratures indispensables pour obtenir un
imperium).
Lors de sa campagne électorale de 206, il s'engage à terminer rapidement la
deuxième guerre en débarquant avec des légions en Afrique, tactique destinée
à chasser les Carthaginois de l'Italie dont ils contrôlent les régions méridionales.
Malgré une opposition sénatoriale très violente contre ce projet hasardeux,
il est élu consul. Il passe l'hiver 205 à Syracuse pour organiser son armée
et débarque en 204 sur la côte africaine, non loin d'Utique.
Deux armées bien différentes.
Des deux côtés, les généraux ont élaboré un plan très précis
d'attaque. Hannibal fait placer en première ligne 80 éléphants, en deuxième
ligne les mercenaires gaulois et ligures, en troisième ligne l'infanterie
carthaginoise et africaine. A quelque distance, d'autres mercenaires, des vétérans
recrutés lors de la campagne d'Italie, doivent servir de réserve.
Aux deux ailes se trouve la cavalerie; à droite, celle des Carthaginois, à
gauche, celle des Numides, commandée par le jeune roi des Masaesyles, Syphax,
époux de la fabuleuse Sophonisbe. On peut reconstituer le plan d'Hannibal:
faire charger les éléphants, puis envoyer les mercenaires gaulois et ligures
dans un premier assaut qui doit affaiblir les Romains, ensuite faire
intervenir la ligne des Carthaginois beaucoup plus solide et, enfin, les vétérans
italiens pour assurer la victoire. Dans cette armée composée d'hommes si
différents par leurs nationalités, leurs langues, leurs armes, leurs modes
de combat, il est difficile de parvenir à harmoniser les consignes traduites
par des interprètes, et Hannibal s'efforce de motiver les combattants: aux
mercenaires il promet une solde supplémentaire, aux Carthaginois, aux Numides
et aux Africains il représente la ruine de leur pays en cas de défaite.
Mais les dispositions prises par Scipion rendent la tactique d'Hannibal
totalement inefficace. En effet, rompant avec la formation compacte en
quinconce de l'infanterie. utilisée par l'armée romaine, Scipion laisse des
passages libres entre les manipules (unités tactiques de la légion) et place
dans ces intervalles des vélites, ou soldats d'infanterie légère qui
pourront évoluer facilement et désorienter les éléphants. À l'aile
gauche, il dispose la cavalerie italienne et, à la droite, la cavalerie des
Numides conduite par Masinissa, allié des Romains.
Scipion devient "l'Africain".
Conformément au plan d'Hannibal la charge des éléphants marque le début du
combat. Mais, affolés par le vacarme des clairons et des cors romains, les
pachydermes se retournent contre leur propre armée. Seuls quelques-uns
continuent à avancer vers les troupes romaines. C'est alors que la
disposition adoptée par Scipion montre sa supériorité: les cornacs engagent
leurs bêtes dans les passages laissés libres et les vélites peuvent lancer
leurs javelots sur les flancs des animaux, exposés des deux côtés à la
fois. Les deux ailes de l'armée d'Hannibal, les cavaleries carthaginoise et
numide, font les frais de la débandade des éléphants.
Lorsque, à leur tour, les deux infanteries s'affrontent, les forces sont déjà
inégales. Les auxiliaires gaulois et ligures, comme Hannibal l'a prévu ne
peuvent longtemps résister et se mettent à reculer vers la troisième ligne.
celle des Carthaginois et des Africains. Ceux-ci refusent de leur faire place
dans leurs rangs et se battent pour repousser à la fois leurs mercenaires et
les Romains.
Scipion adopte ensuite la tactique utilisée par Hannibal lors de la bataille
de Cannes: la deuxième et la troisième ligne des légionnaires sont envoyées
aux ailes et commencent un mouvement tournant encerclant les Carthaginois qui
continuent à se battre contre la première ligne. A partir de ce moment, la
victoire est acquise pour les Romains.
Privés de l'aide des éléphants, de leur cavalerie, de leurs mercenaires,
les Carthaginois prennent la fuite. Environ 20000 hommes ont péri dans leurs
rangs. 10000 ont été faits prisonniers ainsi que 11 éléphants. Les
Romains! quant à eux. n ont à déplorer qu'environ un millier et demi de
morts. Ayant pu regagner Carthage Hannibal déclare à ses concitoyens qu'il
vient de perdre non une bataille. mais la guerre. Carthage doit accepter un
traité de paix désastreux pour elle: elle perd l'Espagne, doit livrer sa
flotte et ses éléphants de combat, et payer en cinquante annuités une
indemnité de 10000 talents (environ 50 millions de francs-or).
Revenu à Rome, Scipion célèbre un triomphe magnifique et reçoit de ses
soldats le surnom d'Africain.
Carthage reste libre de gérer ses affaires intérieures et de poursuivre son
négoce. De la grande entreprise d'Hamilcar Barca et de son fils, il ne reste
plus qu'une cité humiliée, désarmée et désormais vassale. Mais Hannibal
ne perd pas l'espoir de redresser la situation. Il prend part aux luttes
politiques, devient le chef du parti démocratique et essaie de parfaire la révolution
politique accomplie un demi-siècle plus tôt par son père. Lorsqu'il
parvient à se faire élire suffète, il tente de casser le pouvoir de
l'oligarchie.
En quelques mois, Hannibal brise les principales institutions qui garantissent
le monopole politique de l'oligarchie et oblige les responsables des finances
publiques à rendre des comptes, mettant ainsi à jour un certain nombre de
scandales. C'en est trop pour ses adversaires politiques qui décident
d'appeler Rome.
Averti par ses espions, Hannibal quitte alors précipitamment Carthage vers
l'un de ses domaines près de Thapsus. Là, un navire l'attend pour le mener
à Cercina (île Kerkenna), puis de là, à Tyr.
Propos recueillis
Berdah
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