LE BOMBARDEMENT DE PORTO FARINA ET DE BIZERTE
Plusieurs causes furent à l'origine de cette crise:
Tout d'abord le rattachement de la Corse au Royaume de France : avant ce
rattachement, la Corse et Gênes étaient en guerre contre le Bey. Durant
l'affrontement que le Roi de France conduisit contre les Corses, il demanda et
obtint de la Régence des patentes pour ses navires afin qu'ils ne soient pas
attaqués par les corsaires tunisiens. Lorsque l'île fut intégrée au
Royaume, les Français jugèrent superflues ces patentes et n'en renouvelèrent
pas la demande puisque les deux Etats étaient en paix.
Des navires tunisiens armés en course, rencontrèrent des bâtiments français
non pourvus de patentes, les attaquèrent, les capturèrent et mirent les équipages
aux fers.
En dépit des protestations de Louis XV, Ali Bey repoussa les demandes de libération
et de réparation transmises par un envoyé du ministère français.
La deuxième cause concernait les privilèges de pêche au corail à Tabarka.
Le corail étant particulièrement abondant sur les côtes nord de Tunisie,
les Génois avaient fondé un établissement dans l'Ile de Tabarka, en vue de
cette pêche. Ils payaient, pour cela, une redevance au Roi de Tunis et, en échange,
en tiraient des profits considérables.
Cette pêcherie était passée aux mains des Français sous le nom de
"Compagnie d'Afrique".
En 1742, elle fut détruite et la colonie chrétienne de Tabarka fut réduite
en esclavage. Lorsque la paix fut rétablie (voir annexe I) entre la Régence
et la France, cette dernière obtint un nouveau bail d'exploitation pour deux
ans, renouvelable à la demande du Roi de France. Ce bail profitait à la
colonie chrétienne de La Calle (ville située à quelques kilomètres à
l'ouest de Tabarka ), qui se rendait sur les lieux de pêche avec de petits
bateaux corailleurs.
Il se trouva qu'à l'expiration du bail, le Bey annula la concession et déclara
la pêche interdite. Des bateaux furent même confisqués.
La troisième cause était due à un Raïs nommé Soliman El Djerba,
commandant d'un vaisseau de guerre tunisien armé en course qui, rencontrant
un navire de commerce français, s'empara de sa cargaison et maltraita son
capitaine.
Le roi Louis XV décida une expédition contre Ali Bey.
Trois vaisseaux français vinrent mouiller devant La Goulette, le 23 mai 1770,
et firent le blocus de ce port pendant 25 jours. Le 21 juin 1770, l'escadre
française, commandée par le comte de Broves, vint rejoindre les trois
premiers navires.
Cette flotte comprenait seize bâtiments:
Deux vaisseaux de guerre, respectivement de 74 et de 50 canons,
Deux frégates de 26 canons,
Une grosse barque armée de 18 canons,
Deux chébecs de 20 canons,
Deux galiotes à bombes,
Une flûte, et quelques navires maltais.
Après avoir passé deux jours devant Tunis, sans mouvement, le chef de
l'escadre fit remettre au Bey une dépêche en sept points, précisant les réparations
exigées par le Roi de France:
La participation de la Corse aux avantages des traités conclus antérieurement
entre la France et Tunis,
La restitution, par le gouvernement tunisien de tous les bâtiments et de tous
les esclaves pris par le Bey ou par ses sujets, sur la Corse, depuis sa réunion
à la France,
La restitution des esclaves corses capturés avant que la Corse fut devenue
française,
La continuation du privilège pour les pêcheries de corail,
La réinstallation d'un établissement français tel qu'il existait auparavant
à Tamekart, petite ville située sur le Cap Negro,
La punition du Raïs Soliman El Djerba, pour son attentat envers un sujet français,
Enfin, le remboursement de tous les frais qu'avait occasionnés à la France
son armement contre Tunis.
Cette dépêche précisait qu'au-delà d'un délai de trente heures, et en
l'absence de réponse du Bey, le bombardement commencerait aussitôt.
Ali Bey fit remettre une réponse vague et évasive, qui ne satisfît pas le
chef de l'escadre française. Ce dernier laissa trois vaisseaux en blocus
devant La Goulette et alla bombarder Porto Farina pendant deux jours, et
Bizerte durant un jour et demi. Trois cents bombes, lancées sur cette ville,
provoquèrent un incendie gigantesque qui entraîna la fuite de ses habitants.
Un violent coup de vent contraignit l'escadre à quitter le mouillage de
Bizerte, pour prendre celui de La Goulette, le 6 août 1770.
Cette flotte réappareilla pour aller bombarder Sousse, le 14 août, avec plus
de mille projectiles. Ensuite ce fut le tour de Monastir, avant que les bâtiments
ne regagnent à nouveau La Goulette.
Ces hostilités durèrent ainsi trois mois.
Entre temps, un envoyé de la Sublime Porte était arrivé à Tunis, pour
demander à Ali Bey un renfort en hommes et en navires afin d'aider le Sultan
à se défendre contre les Russes, qui eux aussi attaquaient.
Devant la situation, cet envoyé, Qapydjy Bachy, accepta de servir d'intermédiaire
entre les Tunisiens et les Français.
La paix fut enfin conclue le 2 septembre 1770 sur les bases suivantes:
La Corse fut assimilée à la France pour toutes les franchises et les privilèges
qu'assuraient les traités antérieurs,
Les esclaves corses faits prisonniers depuis le rattachement de la Corse à la
France, devaient, seuls, être immédiatement rendus par le gouvernement
tunisien. Les bâtiments corses, pris sous pavillon français devaient être
restitués ou remplacés par une juste indemnité.
La jouissance de la pêche du corail était prorogée pour cinq ans, elle
devait être exécutée par douze bateaux corailleurs de La Calle. Le Bey
s'engageait à indemniser la Compagnie d'Afrique du manque à gagner provenant
de l'interruption des concessions.
La Compagnie d'Afrique obtenait de la Régence le privilège d'exporter une
certaine quantité de blé, sans être soumise à des taxes,
La France renonçait à ses prétentions sur la restauration de l'établissement
de Tamekart,
La France devait faire au Bey de Tunis, les présents consacrés par l'usage,
à la conclusion de chaque traité de paix,
L'indemnité pour les frais de la guerre devait être réglée à Versailles
par un ambassadeur que le Bey enverrait prochainement,
Les parties contractantes reconnaissaient comme rétablies les conventions réciproques
des traités antérieurs, notamment ceux de 1720, et de 1742.
L'escadre appareilla, et revint en France.
Ali Bey envoya à Versailles Ibrahim Khodjah, comme ambassadeur, pour recevoir
la ratification du traité et les présents destinés au Bey.
Cette crise ayant pris fin, les douze dernières années du règne d'Ali Bey
s'écoulèrent dans la sérénité.
Jean-François Coustillière
http://perso.wanadoo.fr/jean-francois.coustilliere/essais/ANNEXE%20J.htm