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Le
destin tragique du Juif Baittou : L’Histoire n’oublie pas !
C’est l’histoire banale d’un Tunisien qui a insulté l’Islam au milieu du
siècle dernier. Une insulte, comme on en commet partout tous les jours, mais
qui lui a valu une condamnation à mort. Parce qu’il ne s’agit pas d’un
Tunisien tout court, mais d’un Tunisien qui, sans le vouloir, appartenait à la
communauté juive. De ce fait divers, Hatem Karoui tire un livre dans lequel il
nous raconte une période de la Tunisie où toutes les communautés vivaient en
paix et avaient, comme dans toutes les communautés, leurs différends.
Un plaidoyer pour la paix ? Un rappel historique que Juifs et Musulmans ont
vécu ensemble en paix ? Une simple histoire d’un ordinaire sujet du Bey ? Le
destin tragique du Juif Baittou, roman de Hatem Karoui, édité récemment, est
peut-être tout cela à la fois. Il raconte l’histoire d’un Tunisien,
appartenant à la communauté juive, condamné à mort pour avoir insulté la
religion musulmane. Avec Baittou, l’auteur, délicieusement, nous plonge dans
la Tunisie des années 50 du XIXème siècle où différentes communautés
maltaises, siciliennes, juives et musulmanes vivaient en toute quiétude, mais
où aussi on réglait certains comptes politiques en utilisant la justice et le
glaive.
En attendant sa condamnation puis son exécution, Baittou revient sur son
passé, et c’est ce passé qui nous est servi sur près de 200 pages. Non pas
celui de Baittou uniquement, mais de tout son entourage, composé de
différentes communautés et d’une kyrielle de cultures.
Ce que nous découvrons (ou redécouvrons) dans cette lecture est une vie des
plus ordinaires entre des personnes ordinaires que la religion n’est pas
arrivée à séparer. Quoi de plus normal, en effet, qu’un Musulman collabore et
coopère avec un Israélite, tous deux sujets du Bey ?
Hatem Karoui relate donc cette vie et ce quotidien des Tunisiens avec tous les
odeurs et parfums de l’époque. Plongeon parmi les Musulmans et les Juifs, mais
aussi dans la Grana, dans la Hara, au Djellaz ou encore à Malta Sghira.
Plongeon parmi le Bey, le khaznadar, le caïd, le cadi et les différentes
dynasties tunisoises musulmanes et juives. Plongeon dans les belles demeures
ou aussi dans les oukalas et la misère qui y sévissait. Plongeon avec les
karakouz, les bach krarsi, le rabbin, l’imam etc. Plongeon également dans les
lois de l’époque, le fikh, la sharia, les condamnations à mort (pendaison ou
décapitation), flagellations par le fouet etc.
En fin de compte, et comme l’indique l’auteur lui-même sur la couverture de
son livre, il s’agit d’un roman historique où se mêlent, agréablement,
politique, religion, faits divers, amour, séduction, commerce, affaires
sociales, entre les communautés d’un même peuple. La religion n’a jamais été
synonyme de citoyenneté à cette époque. L’amalgame n’avait alors aucune place
possible.
Au milieu des conflits communautaires et religieux qui marquent le début du
XXIème siècle —et celui d’avant— une pareille rétrospective n’est pas de trop
pour rappeler aux extrémistes de tous bords qu’une vie paisible est possible,
dès lors qu’on le veut. Un hymne à la tolérance, au respect du droit à la
différence de l’autre, en somme, à travers une injustice subie par un cocher
juif tunisien qui a été déterminante pour la mise en œuvre d’une batterie de
réformes fondamentales dans la Tunisie en 1857 et les années d’après. Une
injustice que l’humain a peut-être oubliée, mais que l’histoire a rattrapée
avec l’ouvrage de Hatem Karoui.
Le Destin tragique du Juif Baittou de Hatem Karoui, 200 pages, édité à compte
d’auteur – 12 dinars.
Nizar Bahloul
redaction@realites.com.tn
12-02-2004
http://www.realites.com.tn/index1.php?mag=1&cat=/7CULTURE/1Edition&art=8598&a=detail1
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