Par Albert Fratty pour Guysen Israël
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Je suis né à Sousse quelques années après la fin de l'occupation allemande
en Tunisie. Avec mes amis, nous avons grandi dans un fond de guerres et
d'inquiétudes quasi-permanentes, l'Indochine d'abord, l'indépendance de la
Tunisie ensuite, celle d'Algérie enfin avant d'être contraints au départ
avec la crise de Bizerte durant l'été 1961.
Durant toutes ces années d'adolescence, nous n'avons eu que très peu
d'echo de cette triste période de six longs mois durant lesquelles
italiens et allemands avaient occupé Sousse. Certes, çà et là, les
témoignages de quelques adultes ou de frères ou soeurs rappelaient ces
événements douloureux; c'était, cependant, très loin d'être suffisant pour
nous faire comprendre la véritable portée de ce qui
s'était passé. Le départ et le séjour en France n'étaient pas faits pour
arranger les choses et les années passant, tout s'évaporait et les témoins
disparaissaient...
Mes parents, pourtant bien présents à Sousse durant ces moments difficiles
n'avaient jamais désiré, semble-t-il, nous raconter leur vécu. Comme
l'affirme notre ami Claude Sitbon, "les juifs de Tunisie n'aiment pas
rappeler les mauvais moments de leur vie". Pour moi, et je pense ne pas
être le seul, tout était quasiment bouclé. Six mois sous la botte, c'était
vraiment du passé et rien ne semblait pouvoir rouvrir un dossier clos. Et
pourtant! Il aura fallu attendre mon alya, mon apprentissage de l'hébreu
avant qu'autour des années 2000, un ami me propose un livre édité par Yad
Vachem : "Pinkassé Kéhilot Louv vé Tunisia". Quelle découverte!
A la lecture de quelques pages consacrées à cette période, j'en appris
plus que durant toute ma vie. Avec forces détails, dates, noms, prénoms,
il m'était possible de redéployer l'emploi du temps de toute notre
communauté durant ces terribles six mois d'occupation! Et de découvrir
avec peine et tristesse, les sévices, les souffrances, les humilations de
nos parents et grands-parents. Travail obligatoire, étoile jaune,
privations, assassinats, je comprenais mieux dès lors, le silence de mon
père, de ma mère, de ma grand-mère, oncles, tantes, etc... Oh, combien
je les comprends aujourd'hui!
Depuis cette découverte, je demandais à mes enfants de participer
davantage, comme tous nos frères ashkénazes, à cette terrible journée qui
commémore la Choah. En attendant qu'un jour, un homme se lève pour lever
le flambeau de la
mémoire et tente d'instaurer ce devoir de mémoire envers nos parents!
Et bien, cet homme, D.ieu merci, est arrivé. Il s'appelle Claude Sitbon.
Il a pris l'immense responsabilité de s'engager. Il a mobilisé ses frères
tunisiens d'Israël et
décidé de les convoquer à Yad Vachem dimanche 10 décembre dernier afin de
commémorer le 64ème anniversaire de la "grande rafle de Tunis". Kol
Hakavod, Claude, Kol Hakavod!
Nous nous sommes donc retrouvés dimanche dernier plusieurs centaines de
juifs tunisiens à Yad Vachem où une organisation parfaite nous attendait.
Visite du nouveau musée de Yad Vachem avec un accent mis sur la période de
l'occupation nazie en Tunisie. Nombre de visiteurs y apprenaient, pour la
première fois, la situation des juifs de Tunisie durant cette terrible
période.
On y apprenait surtout que les allemands n'étaient pas les seuls à se
réjouir de cette situation : français, arabes, maltais tous manifestaient
leur joie de voir nos parents martyrisés! On y apprenait aussi que des
centaines d'entre eux avaient trouvé la mort, plusieurs d'entre eux en
déportation. On y apprenait que la mise en place des fours crématoires
destinés à nos familles n'était qu'une question
de temps!
C'était pourtant la cérémonie du souvenir qui provoquait des moments d'une
intensité inimaginable. Il fallait être là pour vibrer aux chants
religieux interprétés magistralement par Eric Bellaïche. Il fallait être
là au moment où Claude Sitbon déposait, en compagnie d'un survivant
tunisien, la traditionnelle gerbe.
Il fallait être là au moment où le public entamait notre hymne national,
l'Hatikva. Jamais, public n'y avait mis tant de coeur, tant de ferveur!
Nous repartions en fin de soirée, fiers et heureux d'avoir rempli notre
devoir de mémoire. Papa, maman, tonton tata, pendant quelques heures, nous
avons communié avec vos souffrances. Vous ne vouliez pas nous en parler.
Nous avons voulu vous rendre hommage. Que D.ieu vous bénisse!
Comment pourrais-je ne pas infiniment remercier Claude Sitbon. Ce qu'il a
fait, ce qu'il a organisé tient du génie et de la volonté de ne pas voir
les souvenirs s'envoler. On vous le disait, un véritable devoir de
mémoire!
Pour voir la video de la cérémonie.
http://www.guysen.tv/?vida=1075,http://www.guysen.tv/?vida=1075