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Les Beys de 1574 à la décadence 1815


   

   Les Beys de 1574 à la décadence 1815 :

De la fin du XVI siècle à la fin du XVIII

-De 1574 à 1594

-De 1594 à 1705, l'avènement de la dynastie husseinite

-De 1735 à 1756, sous Ali Pacha Bey

-De 1756 à 1759, sous Mohammed Bey

-De 1759 à 1782, sous Ali Bey

De la fin du XVIII siècle au début du XIX

-De 1782 à 1814, sous Hamouda Bey

De la fin du XVI ième à la fin du XVIII ième siècle

Si, au XVI ème siècle, les grands ports de la côte africaine dépendant de la Sublime Porte et faisant partie de l'empire ottoman, étaient des repères de corsaires, au XVII ième siècle, la situation se modifia. Attirées par la gloire et la fortune, des bandes de renégats de toutes nationalités (Grecs, Croates, Danois, Corses, Siciliens, Anglais, Hollandais, Chinois, Allemands et même Japonais) arrivèrent en foule à Alger, Salé, ou Tunis. Nombreux et indisciplinés, faisant fi des traités passés entre les puissances européennes et les Turcs, ils transformèrent peu à peu la Course en piraterie pure et simple.

Cette situation engendra de nombreux conflits, non seulement avec les souverains européens, mais aussi entre les trois régences de Tripolitaine, de Tunisie et d'Algérie, qui se trouvaient dégagées de l'autorité directe de la Porte. Les Pachas en vinrent à ne plus contrôler les Janissaires et les Raïs. Livrés à leurs impulsions, mûs par leurs intérêts ou leurs haines, ils se disputèrent âprement les affaires publiques. De ces affrontements prirent naissance des pouvoirs nouveaux. En 1590, à Tunis, les Deys remplacèrent les Pachas.

Plus tard, en 1705, l'instauration de la dynastie Husseinite, substituant les Beys au Deys, ne changea pas fondamentalement les relations de la Tunisie avec les autres pays méditerranéens.

Ce n'est qu'au début du XIX ième siècle, sous la pression des puissances européennes, que devaient disparaître la Course et l'esclavage des Blancs, mais aussi, corrélativement, que commença la décadence de la marine des Beys.

De 1574 à 1594 :

La Tunisie était une province ottomane, un Odjack, gouvernée par un Beleyrbey (ou Pacha), désigné par la Turquie. Le Beleyrbey était soutenu par l'Assemblée des Officiers des Janissaires, le Divan. Ainsi, la Sublime Porte exerçait-elle son autorité à travers une occupation militaire, dont l'objectif était stratégique: il s'agissait d'interdire l'accès au bassin oriental de la Méditerranée, aux ennemis de la Turquie.

De 1594 à 1705 :

Les Janissaires, méprisés et opprimés par le Divan, se révoltèrent. Ils prirent le pouvoir et installèrent un Dey à la tête des affaires du pays. Le Pacha ne disparut pourtant pas de la scène politique et continua de représenter le Sultan. Son autorité était diminuée et la Tunisie acquit ainsi une certaine indépendance à l'égard de la Sublime Porte.

La fonction de Capitan, chef de la marine, fut créée, en Tunisie, en même temps que celle de Bey, chef de l'Armée. Cette dernière fonction prit de plus en plus d'importance, jusqu'à obtenir la réalité du pouvoir sur le pays.

Cependant, la Tunisie restait dépendante de la Turquie, notamment la Marine qui resta placée sous les ordres du Sultan.

De 1600 à 1666, ce fut une période d'affrontements entre les puissances européennes et les corsaires des provinces ottomanes. Les Raïs menaçaient successivement les intérêts commerciaux de la France, de l'Angleterre et de la Hollande. Ces nations, en perpétuel conflit, étaient incapables d'actions communes contre les commanditaires de cette Course. De leur côté, les autorités qui armaient les corsaires, prenaient soin de ne traiter qu'avec une puissance à la fois, afin de pouvoir poursuivre leurs entreprises agressives contre les autres, car la paix tarissait la source de leurs revenus.

De plus, la coutume des cadeaux et présents échangés lors de la signature de tout nouveau traité, source de profits appréciables pour les Deys, favorisait la politique de l'alternance des alliances.

Ce fut donc une succession d'affrontements et de paix bilatérales éphémères, que chacun s'empressait de rompre pour favoriser ses intérêts maritimes.

Si le XVII ième siècle fut une période agitée et troublée pour la Tunisie, ce pays ne connut cependant pas l'anarchie, à l'instar de son voisin, l'Algérie. Il avait un passé et des traditions qui ne sombrèrent pas avec la dynastie hafcide.

Tunis devint une cité cosmopolite. Elle accueillit les musulmans, expulsés d'Espagne en 1609. Cette population, estimée à 80.000 personnes, complétée par des Orientaux immigrés, adopta rapidement les coutumes tunisiennes. En échange, elle apporta une technique supérieure de la Course, dont les profits permirent l'embellissement de la ville.

Mais, quelle que fut l'importance de la Course pour l'économie tunisienne, elle n'acquît jamais l'envergure exclusive qu'elle eût dans la Régence d'Alger. Les nécessités du négoce et les relations internationales finirent même par obliger le gouvernement à en limiter les effets.

En 1666, une nouvelle paix est signée entre la France et Alger. Les Français rentrent en possession de leurs comptoirs du Cap Nègre, qu'ils avaient dû abandonner en 1637. L'accalmie pour les Français signifia la tempête pour les autres nations chrétiennes: Angleterre et Hollande. Le Fondouk des Français, bâti en 1659, était alors le plus spacieux et le plus beau, car le consul de France protégeait les commerçants de toutes nationalités (à l'exception des ressortissants anglais et hollandais).

En 1671, le bombardement d'Alger et de Bône par une escadre anglaise précipita la chute des Pachas d'Algérie, et la prise du pouvoir par un Raïs qui se proclama Dey. La Course reprit entre la France et les Etats "barbaresques". Une nouvelle fois, les gens de Tunis expulsèrent les Français du Cap Nègre.

En 1680, selon le sieur Dancour, qui le rapporte dans sa "Relation d'un voyage de Barbarie", la marine tunisienne ne comprenait que quatre galères et cinq vaisseaux, normalement basés à Bizerte, avec lesquels elle courait les côtes d'Espagne et d'Italie, tout en se maintenant à l'écart de tout conflit avec le roi de France. En effet, entre temps, les relations franco-tunisiennes s'étaient de nouveau normalisées. Malheureusement, cette époque de paix avec la France ne devait pas durer.

Une nouvelle ère d'affrontements commençait. La France fit intervenir Duquesne et son escadre à plusieurs reprises, pour faire valoir ses droits. Plusieurs expéditions eurent lieu successivement contre Alger et Tripoli. Des traités furent signés en 1684 avec le Dey d'Alger et le Pacha de Tripoli. La régence de Tunis, devant ces évenements, préféra renouveler ses anciens traités avec la France.

A partir de 1690, les Etats européens adoptèrent une nouvelle politique fondée sur les échanges de cadeaux et de relations diplomatiques généreuses pour éviter les affrontements. L'idée développée prétendait que, bien payés, les Deys laisseraient le commerce s'effectuer librement. En fait, ceux-ci profitèrent de ces nouvelles dispositions pour exercer un véritable chantage sur les Etats européens. Les flottes corsaires voyaient leur rôle d'instrument de menace, qu'on appellerait aujourd'hui "dissuasion", s'accroître. Afin de maintenir la bonne harmonie entre la France et les cours de Tunis, Alger et Tripoli, les consuls devaient déployer des trésors d'ingéniosité et de diplomatie. Ils étaient mis en concurrence avec les représentants de l'Angleterre. Les Deys savaient parfaitement exploiter la situation.

Cependant, cette nouvelle politique ne supprima pas les nombreux différends et conflits qui intervinrent encore entre les Deys et les puissances européennes, en dépit des tentatives d'actions communes qui furent conduites par la France et l'Angleterre, au lendemain de la paix d'Utrecht.

De l'avènement de la Dynastie Husseinite (1705) à 1735.

En 1705, Hussein Ben Ali (Bey de 1705 à 1735) prit le pouvoir. Il cumula alors les fonctions de Bey, de Dey et de Pacha, instaurant ainsi la Dynastie Husseinite qui se perpétuera jusqu'au XX ième siècle.

Le remplacement du régime des Deys par celui des Beys, n'entraîna pas de modifications notables dans le domaine de la Course: même si, aux environs de 1725, la guerre de course connut un sensible affaiblissement, les relations demeurèrent tendues et meurtrières.

Sous Ali Pacha-Bey de 1735 à 1756

L'affaire de Tabarka :

C'est en 1741 que se situe l'affaire de Tabarka.

Les chrétiens avaient été expulsés de Tamekart et déportés vers Tunis, tandis que leurs biens étaient confisqués. La France considéra que la paix avait été violée et le roi ordonna d'armer, à Marseille, six grands vaisseaux de guerre qui devaient se diriger sur Tunis pour capturer tous les navires tunisiens qui tenteraient d'entrer dans ce port ou d'en sortir. Ce blocus ne modifia pas l'attitude des autorités tunisiennes.

Au même moment, monsieur Fougasse, directeur du comptoir de La Calle, apprenait que la garnison, (d'une centaine d'hommes) qui gardait Tabarka était malade. L'occasion lui parut bonne de venger la destruction du comptoir de Tamekart. Il écrivit dans ce sens à l'officier qui commandait les navires occupés au blocus de Tunis. Ce coup de main sur l'île devait humilier le Bey de Tunis, Ali Pacha.

Le Marquis de Massiac, capitaine de vaisseau commandant la flotte devant Tunis, décida l'opération et confia pour cela quelques frégates au lieutenant de vaisseau de Saurins-Murat. Le débarquement eut lieu le soir même.

Rapidement, la troupe débarquée se trouva en difficulté, et emprisonnée, tandis que les frégates reprenaient le large après avoir été canonnées depuis la côte.

Apprenant la nouvelle, le Marquis de Massiac proposa la paix à Ali Pacha, en échange de la liberté du lieutenant de vaisseau de Saurins et de sa troupe.

La paix entre la France et Ali Pacha fut signée en 1742. Le roi de France désigna un nouveau consul qui présenta, de sa part, de nombreux cadeaux au Bey. Ali Pacha décida d'offrir en retour, un présent au roi de France et choisit, parmi les plus grands officiers de sa cour, des commissaires extraordinaires qui furent chargés de le lui apporter.

Sous Mohammed-Bey de 1756 à 1759

En 1756, les Algériens marchèrent sur Tunis. Mohammed Bey voulut garantir Tunis contre toute attaque algérienne venant de la mer. Comme il ne disposait pas de forces navales suffisantes, il traita un arrangement avec Malte qui envoya trois vaisseaux, dont un de premier rang, pour rester au mouillage devant La Goulette, aussi longtemps que les Algériens ne se seraient pas éloignés de Tunis. En échange, le Bey versait cent mille piastres et devait assurer les dépenses courantes des navires.

Le Bey fut battu et les navires maltais se retirèrent, non sans enlever avec eux trois navires tunisiens richement chargés de denrées alimentaires.

Sous Ali-Bey de 1759 à 1782

La Course de 1764 à 1798

Pendant ce temps la Course continuait d'exercer ses activités à partir des ports tunisiens.

De 1764 à 1769, elle se faisait avec de petites unités. La plupart d'entre elles étaient des galiotes, petits bateaux de 17 à 25 bancs . On trouvait même des galiotes de six bancs armées par 15 hommes d'équipages. Ces petits navires ne devaient pas pouvoir se risquer bien loin. Durant cette même période le Beylik possédait encore deux galères de 24 et 23 bancs portant respectivement 350 et 300 hommes.

Les Raïs provenaient, pour le plus grand nombre, du bassin oriental de la Méditerranée ou d'Albanie. Les Algériens et les Tunisiens étaient plus rares. Les Raïs, peu nombreux, pouvaient commander tour à tour et suivant les circonstances, des navires très différents.

Les armateurs étaient également assez peu nombreux et ce sont toujours les mêmes noms qui réapparaissent. De 1764 à 1769 c'est surtout le Beylik qui arme des corsaires, de 1783 à 1843 outre le Beylik, on retrouve essentiellement les Djellouli, les Ben Ayed, le saheb et-taba Youssef Khodja, Hadj Younes ben Younes, et Mohamed Khodja. Les proportions respectives des armements étaient:

En 1790 en 1801 :

Pour le Beylik 4 navires 12 navires
Pour les Djellouli 13 navires 7 navires
Pour les Ben Ayed 21 navires 12 navires
Pour Sahib et Taba 3 navires 9 navires

Du point de vue du nombre de sorties, on relève deux années particulièrement fastes pour la Course à partir des ports tunisiens:

Avec 47 sorties de navires, portant en tout 253 canons, dont 18 navires relevaient du Beylik.

Avec 97 sorties de navires, portant en tout 1.052 canons.

Bien qu'il soit possible de retrouver les traces des activités des corsaires tunisiens jusqu'en 1843, la Course prend fin, officiellement du moins, à la mi-juillet 1816. A partir de cette date, les seuls navires qui apparaissent sur les registres des passeports comme quittant les ports de la Régence sont munis de titres réguliers, délivrés par le Beylik et affectés à des missions déterminées.

Entre temps, l'annexion de la Corse par la France, en ôtant aux corsaires tunisiens des lieux de refuge commodes avait provoqué un conflit avec la régence de Tunis qui s'était soldé, en 1770, par le bombardement massif de Bizerte et de Sousse, par une escadre royale. En 1771, la paix fut signée entre les deux nations, et une ambassade se rendit à Versailles pour apporter les regrets du Bey à Louis XV. Après quoi le commerce avec Tunis se développa de façon harmonieuse.

Le 25 mai 1777, un accord autorisa l'implantation du premier consulat de France en Tunisie

De la fin du XVIII ième au début du XIX ième siècle :

Cette période fut faste pour la Marine tunisienne. Le Bey jouait des dissensions européennes pour favoriser ses propres affaires. Il fit construire, à cet effet, une flotte conséquente et efficace.

A la fin du XVIII ième et au début du XIX ième siècle, grâce à l'insécurité qui régnait dans la Méditerranée du fait de la guerre européenne, la flotte tunisienne connut un essor et une vigueur jamais atteints jusque-là. Au début du XIX ième siècle, la Marine du bey comptait de 15 à 30 bâtiments puissants. Le nombre de sorties en course approchait de cent en 1798 .

Les Raïs tunisiens étaient capables d'exploits spectaculaires tels que celui de l'île Saint Pierre au cours duquel ces corsaires ramenèrent un millier d'esclaves en cette même année, 1798. Ces derniers, hommes, femmes, enfants et vieillards avaient été enlevés de nuit, dans leur ville. Ils représentaient la quasi totalité de la population de cette petite île, située au sud-ouest de la Sardaigne, qui fut pillée puis détruite par les corsaires après qu'ils eurent capturé ses habitants.

Sous Hamouda-Bey de 1782 à 1814

Le 26 mars 1786, un traité était signé entre la Tunisie et les Etats-Unis d'Amérique, stipulant que tout bateau américain entrant dans les eaux tunisiennes était placé sous la protection des canons des batteries côtières dont la portée était de trois milles.

A la suite de la Révolution française de 1789, la marine de la République étant fort occupée par les conflits européens, le Bey de Tunis jugea l'époque propice à une remise en cause des traités qui le liaient à la France et conduisit des opérations contre les intérêts de ce pays.

Ces tentatives hostiles ayant été réprimées, le Bey se vit contraint de signer un nouveau traité de paix avec la Convention française à Tunis le 25 mai 1795.

Jusqu'alors, la Régence s'était engagée à ne pas pratiquer la Course dans une zone de trente milles au large des côtes de France, contre les nations européennes avec lesquelles elle était en guerre. Le nouveau traité modifia cette distance à une portée de canon.

Une ambassade solennelle fut envoyée en France par Hamouda-Bey en janvier 1797 pour sceller ce renouveau de l'amitié franco-tunisienne. L'ambassadeur tunisien était Mohammed-Khodjah, intendant de l'arsenal de Tunis.

En 1810, Hamouda Bey développa La Goulette et modernisa les installations. Il fit construire l'arsenal et l'organisa.

La Marine tunisienne en 1810

Au même moment, la marine tunisienne se situait, du point de vue du nombre d'unités, entre la marine algérienne et celle de Tripoli. Normalement stationnée en hiver à Porto-Farina, elle se rassemblait à La Goulette avant de partir en course et ainsi peut être dénombrée par un voyageur observateur. Les quinze à trente bâtiments, cités plus haut, se répartissaient de la façon suivante:

- Une frégate

- Deux gros chébeks

- Quelques bricks et corvettes

- Quelques petites pinques d'origine napolitaine

A cette marine de l'Etat, il fallait ajouter vingt-quatre petits corsaires appartenant à des particuliers, armés par quelques mauvais marins et encombrés par autant de soldats que possible. Cette dernière flotte connaissait une grande misère et était peu efficace.

Contrairement à la flotte algérienne, la flotte tunisienne respectait scrupuleusement les accords passés entre le Bey et les puissances étrangères et n'attaquait jamais les bâtiments alliés ou neutres.

Après cette période faste de la marine de la Régence, la flotte tunisienne, au lendemain de la paix européenne et de la prohibition de la Course, connut le début de sa période de décadence.

En effet, les nations européennes qui n'étaient plus occupées par leurs guerres intestines pouvaient se décider à contrecarrer les menées des corsaires contre leur commerce maritime. Cette ambition était d'autant plus facilement réalisable que, quel que fut le nombre des unités de la Marine beylicale, celle-ci restait inférieure en potentiel aux marines nord-méditerranéennes et ne pouvait conduire que des opérations de course qui ne résisteraient pas longtemps devant des forces disciplinées et organisées pour le combat naval.

Enfin, s'il est vrai que la perte de bâtiments marchands pour un état européen était plus grave que celle d'un petit corsaire tunisien de valeur insignifiante pour le Bey qui compensait celle-ci par la riche valeur des navires marchands capturés, il suffisait aux escadres européennes de s'attaquer aux ports, bases et autres abris connus de ces corsaires pour les empêcher de nuire.

Ainsi, les nations européennes prenant conscience de leur supériorité militaire, envisagèrent-elles de modifier leur stratégie et d'imposer leur loi aux pays du sud de la Méditerranée.


 

  


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