| Accueil | Annonces | Arts | Calendar | Cartes | Chat | Commentaires | Communautés | Coutumes | Culture | Délires
| Enregistrement | e-Souks | Forum | Fun | Galerie Photo | Genealogie | Harissatheque | Histoire | JRencontre
 | Kandil | KesTuCherch | La bouffe | Links | Loterie | Medias | Musique | Objectif | Paracha | Plan du site | Portail
| Recherche | Religion | Sommaire | Sondages | Souvenirs | Telecom | Tunes Célèbres | Voyages |
 

 

 

LES JUIFS DANS LA NATION TUNISIENNE


   

   Les Juifs dans la Nation tunisienne
(1945-1961)


Olfa BEN ACHOUR

Olfa Ben Achour prépare une thèse d’histoire sous la direction de Jacques Frémeaux (Paris IV - Sorbonne). Elle pose ici les premières bases de ce travail, en soulignant les perspectives et les questionnements qui la guident. Sur un thème déjà balisé par d’autres chercheurs, Olfa Ben Achour propose une approche qui semble originale et prometteuse, qui reste bel et bien l’expression d’une "recherche en cours", annonce d’un vaste travail bibliographique et de terrain qu’il reste à concrétiser.



Entamer une thèse sur "Les Juifs dans la nation tunisienne" pose tant la difficulté que la nécessité d’établir un lien entre une minorité faisant partie intégrante de l’histoire tunisienne, bien que n’ayant "sans doute jamais représenté plus de 2% de la population du pays"1, et la Tunisie, pays qui apprend à devenir une nation entre 1945 et 1961. Traiter de ce lien amène à aborder les différents paramètres sociopolitiques qui ont largement contribué à fragiliser le présent ainsi que le devenir de cette minorité face à une nation en voie de construction. En effet, l’enchevêtrement des événements sociopolitiques à l’échelle tunisienne et internationale a rendu plus complexe (et plus douloureux) ce lien, pourtant ancestral, unissant les Juifs à la Tunisie.

Le contexte tunisien et international a en effet contraint la communauté juive de Tunisie à se positionner face à des réalités fort différentes. D’abord, avec l’émergence d’une prise de conscience nationaliste musulmane s’opposant au régime du protectorat et dont le but premier était d’acquérir l’indépendance totale de la Tunisie, la minorité juive se devait d’avoir une attitude claire, d’une part envers la France à qui elle devait un certain nombre d’acquis depuis l’établissement de son protectorat en Tunisie, d’autre part envers l’ensemble de la population autochtone et musulmane qui luttait pour l’indépendance. Ensuite les Juifs de Tunisie ont dû se positionner face à l’ampleur du mouvement sioniste dans le monde, dont l’impact dans leur pays était notamment le résultat de l’application des lois raciales de Vichy et des persécutions nazies lors du débarquement allemand (novembre 1942- mai 1943).

Par ailleurs, la question du lien entre la minorité juive et une nation tunisienne en voie de construction était intimement liée à un problème d’identification chez les Juifs. Trois options s’ouvraient à eux. La première aurait été de s’assimiler à cette prise de conscience nationaliste, et donc d’opter pour la terre de leurs ancêtres, la Tunisie, et combattre l’élément colonisateur, la France, aux côtés de la population musulmane. La seconde aurait été de revendiquer l’appartenance à la France, pays des Lumières et des droits de l’Homme grâce auquel ils se sentaient protégés des aléas politiques d’un gouvernement beylical basé sur les principes d’une religion musulmane auxquels ils ne se sont jamais sentis appartenir. Il restait comme troisième solution, enfin, de s’orienter à travers le sionisme, vers la terre d’Israël, leur terre la plus lointaine.

Toutes les contradictions de la population juive tunisienne se cristallisaient autour de ces interrogations qui devinrent extrêmes au cours de la Deuxième Guerre mondiale, et dont la fin ne devait pas supprimer les incertitudes des Juifs face à leur avenir en Tunisie. Déstabilisés par ce que leurs coreligionnaires dans le monde avaient dû subir de la politique fasciste et par l’horreur des camps d’extermination nazis, les Juifs de Tunisie devaient se souvenir aussi des répercussions du débarquement allemand en Tunisie. Ils se sentirent également visés par la consolidation des nationalismes dans le monde arabe autour de la lutte des peuples contre la colonisation.

Le sentiment d’insécurité des minorités juives de l’ensemble du monde arabe dont la position devenait particulièrement vulnérable avec l’exacerbation de la question arabo-juive en Palestine a dû aussi probablement les gagner.

La projection vers un ailleurs, un lent : détournement quête identitaire

Plus qu’un événement d’ordre messianique ou politique, la proclamation le 14 mai 1948 de la création de l’État d’Israël, a pu constituer - pour une frange importante de la population juive - une réponse concrète à un état de questionnement existentiel manifeste au lendemain de la guerre. En effet, les déchirements internes à la communauté juive, résultat de la confrontation aiguë des idéologies communiste, socialiste, sioniste (toutes tendances confondues), assimilationniste et nationaliste, cristallisaient la question exprimée par F. Allouche dès 1929 au nom des Juifs tunisiens : "Sommes-nous des Tunisiens ?"2.

La question israélo-palestinienne puis la création de l’État d’Israël, en plus des tensions politiques et sociales intra-communautaires d’après-guerre dues essentiellement à la radicalisation du mouvement national, enclenchent donc le détournement de bon nombre de Juifs tunisiens de leur environnement arabo-musulman. Peut-on parler de fissure psychologique, voire d’un début de dénationalisation ? Ce processus est perceptible de deux manières : d’une part, par l’accroissement de l’audience sioniste en Tunisie qui contribue largement à l’activer ou réactiver des journaux et organisations sionistes, et la mise en place de souscriptions pour le développement économique du futur État d’Israël et pour l’émigration en Terre Sainte ; d’autre part, d’une manière latente, le militantisme sioniste tunisien, très minoritaire mais encadré par les organisations internationales, crée au sein de la population juive un climat d’insécurité qui permet, au fil du temps, de faire mûrir l’idée d’un éventuel départ vers "un ailleurs".

À ce stade de l’histoire, l’idée d’un avenir commun entre juifs et musulmans ne pouvait plus se dessiner sereinement. Une fraction de la communauté juive, à la recherche d’un compromis politique, adhérait à l’idéologie communiste et socialiste dont les principes de non-discrimination et de lutte contre l’impérialisme lui permettait de cristalliser sa propre idée du nationalisme. Néanmoins le programme nationaliste était bien l’expression politique d’un mouvement exclusivement musulman.

Dans ce contexte de complexification du cheminement sociopolitique des Juifs de Tunisie et de leurs rapports avec les autres communautés, on peut s’interroger sur l’attitude des populations autochtones et des autorités politiques vis-à-vis de cette minorité de 1948 jusqu’à l’indépendance de la Tunisie en 1956. Comment l’émigration juive fut-elle perçue par les autorités françaises et tunisiennes ? Comment la connotation politique de certaines actions menées par les associations sionistes en Tunisie (organisation des cotisations de shekels ainsi que des départs vers Israël) a-t-elle pu être tolérée par ces mêmes autorités ? Quelle fut la participation des Juifs italiens de Tunisie aux actions sionistes, eux qui avaient vécu sous les menaces fascistes, nazies et vichystes3, et dont la situation de privilège inhérente aux conventions franco-italiennes de 1896 rendues caduques après la guerre, avait été de fait annulée ?

Il nous semble nécessaire d’associer différentes questions à ce contexte : celle des répercussions de la Deuxième Guerre mondiale qu’elles soient internes ou externes à la Tunisie ; les retombées du conflit israélo-palestinien sur le monde arabe, l’opinion publique en Tunisie face à la naissance de l’État d’Israël ; l’accélération du processus de décolonisation, en Tunisie et dans le Maghreb en général ; les motivations variées des familles émigrantes issues de classes socio-géographiques différentes ; enfin l’attitude des nationalistes et la politique qu’ils adoptèrent envers les Juifs avant et après l’accession de la Tunisie à l’indépendance. Aussi, la corrélation entre l’exode des Juifs de Tunisie et la quasi-disparition des communautés juives du monde arabe semblent-elles s’inscrire dans un mouvement général. Peut-on aller jusqu’à croire à la peur d’une régression possible au statut de dhimmi une fois la décolonisation devenue effective ?

Vers la désillusion et la rupture

La perspective de l’indépendance de la Tunisie, suscitant de manière prématurée chez bon nombre de Juifs tunisiens une certaine nostalgie des privilèges accordés sous le protectorat français, leur faisait aussi craindre la perte des garanties que procurait un statut de "protégés". Ils n’avaient en effet aucune certitude de pouvoir accéder pleinement à la citoyenneté tunisienne sous le nouveau gouvernement. Cette situation ambiguë exacerbe en retour le sentiment d’insécurité et de méfiance vis-à-vis du nouveau pouvoir politique impose l’idée du départ. En 1956, environ 15 000 personnes seraient parties sur 25 000 qui s’expatrient de l’indépendance à 19604.

Certaines mesures gouvernementales jettent la confusion, exacerbant l’insécurité juridique ressentie par la communauté juive : la promulgation du Code du statut personnel, en août 19565, entraîne la suppression du tribunal rabbinique de Tunis, le tribunal musulman ayant également été supprimé ; le Conseil de la communauté Israélite est remplacé par une nouvelle structure. Au sein de la communauté, on ne sait pas si ces nouvelles dispositions ont été édictées uniquement par souci d’appliquer le droit commun à tous ou si elles sont l’occasion pour le gouvernement de contrôler ses actions6. Ce trouble persiste malgré la nomination de magistrats tunisiens de confession juive dans les juridictions de droit commun7. Il s’amplifie lorsque l’article 1 de la Constitution de 1958 définit la Tunisie comme "un État libre, indépendant, souverain, sa religion est l’islam, sa langue est l’arabe et son régime la République". De même, l’article 37 précise que "le président de la République est le chef de l’État, sa religion est l’islam". Le paradoxe qui s’instaure entre le souci d’appliquer le droit commun et l’énoncé de la Constitution tend à renforcer la désapprobation de ces mesures par la communauté juive. Il révèle surtout une réalité déjà appréhendée et exprimée au milieu des années vingt par l’élite intellectuelle juive : "Que feront-ils donc les Juifs tunisiens dans votre nouvel État ? Puisque pour vous, nationalité et religion ne sont qu’un ? (…) Que seront-ils les Juifs dans notre organisation ? Allez-vous leur imposer d’être jugés selon votre loi religieuse ?8".

Est-ce à dire que les nationalistes musulmans n’ont pas pris en considération cette ancienne crainte ? Ou bien l’idée de faire participer les Juifs à la direction du pays était-elle trop prématurée pour une action nationaliste longtemps étouffée par le protectorat et impatiente de prendre en main son avenir ? Est-ce plutôt "le passé de la communauté dans sa complexité et son ambiguïté, sa déculturation et son acculturation"9, ainsi que le rôle du conflit israélo-arabe dans la réaffirmation d’une identité arabo-musulmane et juive, qui constituent alors des éléments défavorables à la participation des Juifs tunisiens dans la construction d’une nouvelle Tunisie ?

Toujours est-il que les premières transformations juridiques opérées par le gouvernement républicain ne semblent pas correspondre aux attentes de cette minorité. S’y adjoint en outre une discrimination inhérente au favoritisme qui se dessine au bénéfice de la population musulmane : P. Sebag note que "toutes les fois qu’il s’agissait de pourvoir à un poste de direction, seules les candidatures musulmanes étaient prises en compte"10. Cet état de fait suffit à discréditer l’idée selon laquelle le gouvernement indépendant considèrerait les Juifs comme des nationaux à part entière. Cette discrimination reste à étudier dans le droit et dans les faits. Elle pourrait s’être étendue au secteur commercial, pour les autorisations administratives concernant les licences d’importation et l’octroi de crédits bancaires, de manière plus importante qu’il n’y paraît de prime abord.

Si des milliers de Juifs partent au lendemain de l’indépendance, la Tunisie n’aura toutefois pas été la seule source de leur désillusion. De nombreux émigrants tentent l’expérience du sionisme, puis font des demandes de rapatriement après avoir été confrontés à des difficultés d’intégration dans un État encore embryonnaire et au sein d’une population ashkénaze hostile aux valeurs judaïques nord-africaines.

La relance du mouvement migratoire dès 195411, l’année des négociations franco-tunisiennes pour l’autonomie interne de la Tunisie, rend nécessaire l’examen des mesures adoptées pour l’intégration de la minorité juive tunisienne à la nouvelle nation, et l’analyse des parcours des membres de la communauté dès la fin de la deuxième guerre mondiale et jusqu’à l’indépendance de la Tunisie. Les bonnes intentions des Néo-destouriens vis-à-vis de la communauté juive, exprimées dans les accords franco-tunisiens de juin 1955 sont salués par la majorité des Juifs en Tunisie et en France12. Émanaient-elles cependant d’une conviction profonde aussi bien chez les musulmans que chez les Juifs ? Peut-on évoquer l’hypothèse d’une pression exercée par le gouvernement de Pierre Mendès France sur les dirigeants nationalistes pour que soit envisagée la participation des Juifs dans le nouveau gouvernement tunisien ?

Comment croire en la fiabilité d’un discours nationaliste qui, d’une part, cultive les principes de citoyenneté et de laïcité et prône l’égalité entre tous les Tunisiens sans distinction de confession ; et qui, d’autre part, définit la Tunisie comme étant un pays arabo-musulman ? Comment croire aussi en l’unicité des aspirations de la communauté juive, elle-même déchirée par des idéologies différentes ?

B. Slama évoque la désillusion ressentie chez de nombreux Juifs dès l’indépendance de la Tunisie : "Les années qui ont suivi l’indépendance ont été pour moi une période d’enthousiasme, de projets, de travail, d’espérances mais aussi de difficultés et de déceptions. Je rêvais, comme beaucoup d’autres, d’une vie nouvelle où nous participerions à la construction d’un pays indépendant et démocratique. Non plus seulement lutter contre mais agir pour. C’était une utopie de plus : une fois encore, celle d’avoir une place d’acteur"13. Indéniablement, cette désillusion ne touche pas de la même manière toutes les fractions de la population juive qui sont déjà divisées entre militants du Parti communiste tunisien ou du Néo-Destour de Bourguiba, et défenseurs de la présence française. L’effondrement de l’image d’une Tunisie juste envers tous ses nationaux touche plus particulièrement ceux qui ont lutté pour l’indépendance et qui ont connu aux côtés des musulmans des sanctions et des peines d’emprisonnement14.

Les tensions politiques aiguës dans un Maghreb en cours de décolonisation et dans le monde arabe en général, font craindre à la population juive le retour à un passé très proche où le statut de dhimmi était encore en vigueur. La décolonisation accéléra les vagues migratoires vers la France et vers Israël. Le départ précipité des Français de Tunisie, notamment après la crise de Bizerte en 1961, donne une impulsion supplémentaire. À la fois complices et victimes de l’histoire ou de leur propre histoire, en quittant la Tunisie, les Juifs "mettaient fin à deux mille ans d’histoire et renouaient avec la malédiction du juif errant qu’ils s’étaient efforcé de conjurer"15.

Ici encore nos recherches devront répondre à un certain nombre de questions. À quel rythme cet exode s’est-il déroulé ? Comment est-il vécu par les Juifs et perçu par les autorités tunisiennes ? Les motivations de départ sont-elles les mêmes pour chaque groupe social ? Quel devait être le devenir des Juifs - très peu nombreux - qui ont choisi de demeurer en Tunisie ?



Questions méthodologiques

et perspectives de recherche

Comprendre cette histoire, devrait nous permettre d’appréhender les différentes approches que l’on a pu en avoir, qu’elles soient cognitives, polémiques, mémorielles, etc. C’est aussi acquérir la maîtrise d’une démarche méthodologique dont la question de la périodisation est l’un des principaux axes. En effet, la réflexion sur l’histoire des Juifs de Tunisie ne peut être dissociée de l’histoire même du peuple tunisien dans sa longue lutte contre le colonialisme et dans ses rapports avec le monde politique international.

En même temps, on cherchera à la mettre en relation avec l’histoire de leur communauté qui fonctionnait autour de rôles politiques et économiques en rapports étroits avec l’État. Dans ce sens le terme "communauté" renvoie aux anciennes notions hébraïques de kahal (ou Kehila), c’est-à-dire à un groupe de personnes minoritaires, constituant une véritable administration et jouissant d’une certaine autonomie interne. Cependant, ce terme est impropre dans la mesure où deux communautés juives ont existé en Tunisie : l’une tunisienne (touansa), l’autre livournaise (grana). Elles vivaient d’une manière séparée en raison de leurs spécificités historiques et de leurs différences
culturelles ; la première était fortement imprégnée de l’environnement arabo-musulman ; la seconde était attachée à des valeurs italiennes et à un mode de vie occidental. Les questions de définition du lien communautaire restent donc encore en suspens.

Appréhender l’histoire des Juifs dans la nation tunisienne est un travail qui demande une vigilance constante étant donné les rapports entre le particulier et le général, entre l’intrinsèque et l’extrinsèque, et la complexité historique et culturelle de cette minorité. En étudier l’histoire dans un contexte de "soulèvement" des nationalismes arabes et tenter de mesurer le sens de son appartenance au concept de la nation rendent difficile la périodisation. Comment dissocier entre des périodes qui s’imposent d’elles-mêmes et celles qui doivent être nécessairement établies pour une meilleure compréhension du sujet ?

Un découpage en trois tranches nous paraît correspondre à une construction motivée par la période 1945-1961, soit de l’après guerre immédiate au dénouement de la crise de Bizerte. Les années 1945 à 1948 sont celles des répercussions d’après-guerre qui vont crescendo jusqu’à la cristallisation des tensions internationales autour de la question israélo-palestinienne. Aussi l’espoir de la création de l’État d’Israël apparaît-il pour une fraction importante de la population juive tunisienne, comme une première échappatoire face à une profonde déception de la France de Vichy et à ses appréhensions face à l’avenir.

Entre 1948 et 1954, est atteint le point de non-retour pour une minorité qui s’est déjà projetée dans un "ailleurs", alors qu’elle reste tiraillée entre le rappel de ses "racines" et la nécessité d’une rupture avec cet enracinement. Les raisons en sont à rechercher, entre autres, dans les nouvelles réalités socio-politiques et économiques matérialisées par la déclaration de l’autonomie interne de la Tunisie en 1954.

Enfin, la période 1954-1961 que l’on qualifiera de phase finale est celle où, comme l’a démontré A. Allagui16, les départs des Juifs de Tunisie connaissent une relance sans précédent notamment entre 1954 et 1956, et encore en 1960, dans un contexte d’indépendance.

Tenant compte, à la fois, du problème de définition du concept de "communauté" et de celui de la périodisation, nous envisageons de croiser deux approches. En premier lieu, on traitera des archives écrites qui demandent un travail analytique et on les recoupera avec différentes sources ayant un lien direct ou indirect avec le sujet. Ensuite, on adoptera la démarche qui consiste à donner la parole à un certain nombre de personnes, juives et non juives, ayant un vécu et un regard susceptible d’enrichir le champ des investigations. En effet, l’apport des acteurs s’impose à nous dans la mesure où une bonne partie des sources relatives aux années 1950 est encore inaccessible, réservées par les services archivistiques français et tunisiens ou non communiquées par les familles qui les détiennent. Par exemple, une quantité non négligeable des archives des anciennes œuvres juives de Tunisie est encore en la possession des descendants des anciens dirigeants. Indéniablement, ce type d’approche nécessite une grande vigilance, en raison de la subjectivité de la mémoire des acteurs, et un travail d’interaction constante entre les différentes sources orales et écrites. Nonobstant cette difficulté, les témoignages oraux sont à considérer dans leur originalité car étant vivants ils permettent d’appréhender la vie quotidienne de l’époque, le vécu des individus et de leur temps : dans cette perspective, il s’agit d’abord de "retrouvailles" de "re-mémoration" : de rendre visible ce qui avait été oublié ou perdu"17.

Grâce à un travail qui pourrait être réalisé avec des associations communautaires juives implantées en France, un parcours original pourrait être tracé entre les deux rives de la Méditerranée. Une recherche sur les deux terrains pourrait servir de jonction entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Cette forme d’asymétrie enrichirait non seulement le savoir sur le judaïsme tunisien en terre d’islam, mais aussi reconstituerait une part non négligeable de la mosaïque qui caractérise l’histoire tunisienne.

Aujourd’hui, la Tunisie compte environ 2 000 Juifs dont près de la moitié se trouve à Tunis, l’autre sur l’île de Djerba qui est assurément le lieu où la communauté juive a été et demeure la plus ancrée dans des traditions judaïques. Elle a été seule en particulier à résister à l’assimilation française en refusant l’implantation d’une école de l’Alliance israélite sur l’île. Il existe encore à Djerba des yeshivot (écoles juives), ainsi que des synagogues dont la plus célèbre est la Ghriba.

Une étude anthropologique de terrain y a été menée en 1978 et 1979, par L. Valensi et A.-L. Udovitch afin de tenter de "comprendre le paradoxe d’une communauté si intensément, si complètement juive, et en même temps si profondément intégrée dans son environnement nord-africain et musulman"18. Ses auteurs reconnaissent cependant le caractère inachevé de leur enquête qui requiert d’être complétée par d’autres chercheurs : leur rôle serait d’occuper la position symétrique à celle que les frontières religieuses et ethniques ont dû leur imposer19.

Pour ma part, n’ayant pas un champ d’études en anthropologie sociale et culturelle, je ferai l’hypothèse que les "frontières religieuses et ethniques" n’interdisent pas d’occuper cette "position symétrique" : il ne s’agit pas de pénétrer l’espace socioculturel de cette minorité dans sa vie quotidienne et ses rituels, mais de faire parler sa mémoire d’un temps qui, d’une certaine manière, est révolu. Ainsi, une enquête, aussi bien à Djerba qu’à Tunis, devrait enrichir notre travail à travers les différents témoignages que nous pourrons recueillir sur la période 1945-1961. Nous tenterons ainsi de mesurer les rapports entre les deux communautés juive et musulmane, notamment dans les périodes de crise (relatives, par exemple, aux retombées du conflit israélo-palestinien en Tunisie et aux débuts des négociations franco-tunisiennes pour l’indépendance de la Tunisie), de mesurer la participation des deux communautés à la lutte nationaliste, la perception de chaque communauté pour l’autre ; et d’autres aspects restent à aborder et à découvrir sur le terrain. Nous envisageons d’effectuer la même démarche en Israël et en France, où, à l’heure actuelle, des témoins concernés directement par certains aspects de notre sujet et par des axes cruciaux de la période 1945-1961 peuvent nous aider à déchiffrer différentes sources écrites.

Retrouver les Juifs de Tunisie hors des limites nationales tunisiennes, les interroger sur les circonstances de leur départ, la nature des liens qu’ils ont gardésdevrait être après leur exil et tenter de suivre une part de leur parcours notamment en Israël, l’un des volets les plus passionnants de notre sujet. Nous aurons notamment à établir le lien entre deux pays éloignés, géographiquement et historiquement, à travers une population qui se réclame aussi de deux pays, de deux histoires.

Si l’histoire des Juifs de Tunisie est intrinsèque à l’histoire même de ce pays, l’histoire de la Tunisie ne peut être extrinsèque à celle de ses communautés qui sont partie intégrante d’elle dans son cheminement social, économique et politique. Comme l’a si bien exprimé L. Valensi, il s’agit de contribuer à rassembler les fragments d’une mosaïque tunisienne dans laquelle les Juifs parmi d’autres communautés (maltaise, sicilienne, grecque, française, etc.) s’imbriquent, contribuant à son harmonie.

Tenter de rendre lisible une part de cette mosaïque et de saisir le fil conducteur des éléments qui l’ont amputée à son environnement sera l’une des tâches fondamentales de ce travail. Aussi, étudier l’histoire de la Tunisie à travers le regard de l’un de ses groupes socio-ethnique serait un complément original à ce qui n’est jusqu’à présent qu’une lecture restreinte d’une histoire tunisienne particulière et complexe.

http://www.crif-marseilleprovence.com/ 

           

 

| Accueil | Annonces | Arts | Calendar | Cartes | Chat | Commentaires | Communautés | Coutumes | Culture | Délires
| Enregistrement | e-Souks | Forum | Fun | Galerie Photo | Genealogie | Harissatheque | Histoire | JRencontre
 | Kandil | KesTuCherch | La bouffe | Links | Loterie | Medias | Musique | Objectif | Paracha | Plan du site | Portail
| Recherche | Religion | Sommaire | Sondages | Souvenirs | Telecom | Tunes Célèbres | Voyages |
 
Google
 
Pour toutes informations, critiques et commentaires, envoyez un émail a :
jhalfon@harissa.com
copyright 1999-2007  Harissa Inc. All rights reserved.