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   Les nuages de beau temps (suite)   - Le désastre.

 

                                    Les nuages de beau temps (suite)

                                                            Le désastre.

 

Le jour s’était levé. Les hommes depuis longtemps avaient déserté la maison. Ils étaient descendus en ville pour évaluer les dégâts chacun dans son quartier avec le secret espoir de retrouver intacts maison et lieu de travail.

Mon Père s’était d’abord acheminé vers l’appartement que nous avions précipitamment abandonné la veille. Le quartier était en pleine désolation. L’immeuble qui faisait face au nôtre avait été détruit de l’intérieur par une bombe. Les murs extérieurs étaient restés debout, noircis certes mais debout. L’intérieur par contre semblait avoir été déchiqueté, rongé, broyé par une bête monstrueuse à qui rien n’avait résisté. Terrible spectacle qui laissait imaginer l’horreur produite au moment du funeste impact avec son cortège de cris, de pleurs, de sang, de mutilés, de morts.....

En face, notre immeuble. Il tenait debout, mais les murs étaient tellement fissurés, crevassés, lacérés par les coups de butoirs répétés des éclats d’obus qu’il était clair qu’il ne serait jamais plus habitable et qu’à la moindre prochaine explosion il s’effondrerait comme un vulgaire château de cartes. Alors, s’il y avait quelque chose encore à sauver de notre maison, il fallait faire vite, très vite...

Mon Père poussa la grande porte en bois de l’immeuble avec précaution.

Le spectacle était affligeant. L’entrée était jonchée des restes de tout ce qu’avaient contenu nos appartements. Mon Père reconnaissait certains de ses livres qu’il avait tant aimés, éparpillés, salis, déchirés au milieu de vêtements, de bouts de tissus sortis des corbeilles à repriser de nos mères, de débris de porcelaine, de jouets, d’objets les plus divers pris dans les appartements de l’immeuble et abandonnés par les pillards qui les avaient visités.

Les pillards ! Redoutables prédateurs des temps de guerre retrouvant vigueur, assurance, liberté d’action dès que le malheur et la mort s’abattent sur le monde. Qui sont-ils ? d’où sortent-ils ? Du monde de la misère, bien sûr, mais aussi du monde des jaloux, des envieux, de ceux qui à bon compte et sans scrupule s’accaparent de ce qu’ils n’ont pas pu ou voulu acquérir. En ces temps troublés, et pour se donner bonne conscience, certains partaient du principe énoncé par l’Etat Français de Vichy selon lequel prendre aux juifs n’était que justice, « eux » qui depuis la nuit des temps n’avaient cessé de dépouiller la terre entière !

Redoutant maintenant le pire, mon Père s’était engagé dans l’escalier qui menait à ce qui avait été notre maison.

La porte avait été enfoncée. Les meubles, le linge, les lustres tout avait disparu. Ne restaient au sol que quelques objets brisés lors de la rapine, des livres de prières en hébreu, quelques jouets sans intérêt et une partie des couverts en argent tombés sans doute lors de la fuite des voleurs.

Ramassant les livres sacrés qu’il tenait pour la plupart de son Père, les embrassant selon la tradition parce qu’ils avaient été malmenés, Papa s’en était allé, le cœur gros, la gorge sèche, le pas lent sans doute pour retarder l’instant où il quitterait pour toujours cet appartement creuset de tant de bons et de doux souvenirs.

Après la guerre, mes parents avaient reconnu dans certaines familles et pas vraiment les plus démunies, des meubles ou des objets nous ayant appartenu et qu’ils n’avaient jamais osé réclamer . Par pudeur ? Par fierté ? Pour ne pas s’engager dans des procédures traumatisantes et sans fin ? Nous ne l’avons jamais su mais c’était sans doute pour toutes ces raisons à la fois.

Il était dans la rue. La peine l’étouffait et l’air frais venant du port lui faisait du bien. Ses yeux gris-bleus embués de larmes laissaient transparaître toute la détresse qui l’habitait. Il partait maintenant d’une marche hésitante vers son bureau, son entrepôt, son autre vie, celle du travail, du commerce au sens noble du terme, commerce des marchandises, commerce avec les hommes ses confrères, ses fournisseurs, ses correspondants de Marseille dont il nous parlait avec tant de ferveur, ses acheteurs italiens.

Il ne se pressait pas. Il voulait se donner un peu de répit avant d’affronter d’autres possibles malheurs qu’il aurait du mal à supporter.

Mais à Sfax les distances n’étaient jamais bien grandes. Il était déjà devant le Théâtre brisé en deux par une explosion. Un peu plus loin il entrevoyait le début de la rue de le République, centre des affaires de notre bonne ville, là où se trouvait son lieu de travail.

Le quartier avait terriblement souffert.

Plus il avançait plus il découvrait l’ampleur des destructions. Tout le long de cette artère, des monticules de gravats côtoyaient des immeubles déchiquetés. De la rue on pouvait voir l’intérieur des appartements qui la veille encore étaient animés de vie. Il progressait maintenant rapidement vers la rue Flatters là où se trouvait son bureau. Ses appréhensions se confirmaient au-delà de tout ce qu’il avait pu imaginer. A la place du bureau et de l’entrepôt  c’était un énorme cratère qu’il découvrait. Rien n’avait résisté à la puissance de la bombe qui s’était abattue à l’endroit précis où mon Père avait installé depuis de longues années sa société d’importation et d’exportation, la SIMEX, qui développait le négoce de fruits secs et d’huile d’olive avec les pays méditerranéens alentour. Le trou béant avait englouti le matériel, les stocks, les archives commerciales, le coffre fort qui contenait quelques valeurs et des sommes d’argent importantes, il ne restait plus rien et rien ne sera retrouvé lorsque quelques jours plus tard le déblaiement aura pu s’organiser. Là aussi les pillards avaient du faire leurs oeuvres dès le bombardement terminé.

Mon Père, les bras ballants devant ce trou mesurait l’étendue du désastre. Il était ruiné, et se sentait complètement détruit. il ne lui restait plus que le peu d’argent qu’il avait emporté lorsque nous avions quitté précipitamment la maison. Aucune police d’assurance n’avait été souscrite pour couvrir ce type de risque. En ce temps là peu de gens, particulièrement en Tunisie, y recouraient et mon Père faisait partie de ceux-là. De plus, Juif qu’il était, il ne risquait pas d’avoir recours aux autorités vichyssoises pour l’aider dans sa détresse.

Il était désemparé et sa première pensée allait à sa femme et à ses enfants.

Comment leur annoncer ces terribles nouvelles ? Où trouver la force pour se présenter devant eux avec un minimum d’optimisme afin d’atténuer l’infortune qui nous frappait ? Bien sûr il avait des biens qu’il tenait de son Père et qu’il pourrait vendre pour essayer de se construire une nouvelle existence mais quand pourrait-il le faire en cette période de guerre, d’occupation où les lois racistes avaient réduit les juifs à l’état de paria ? Toutes ces questions se bousculaient violemment dans sa tête sans qu’aucune réponse ne lui parvienne. Il restait immobile devant le cratère, entouré des gens de la rue qui le connaissaient bien et qui n’osaient rien dire tant le visage de mon Père, pâle et défait, laissait transparaître un immense désarroi.

claude.rene@infonie.fr 


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