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L’Histoire n’est pas la mémoire, (‘mal’heureusement) Monsieur Victor Cohen :

Combat pour l’histoire et non pas pour « SIDI ABOU ISHAQ ALJABENIANI »


 

                         Par :ABDELWAHED MOKNI

                  Maître de conférences en Histoire  contemporaine

        Faculté des lettres et des sciences humaines de Sfax-Tunisie

 

J’ai beaucoup hésité avant de répondre à l’article de M Victor Cohen ‘’ intitulé  le rabbin de Jebeniana ‘’. D’habitude, je ne me mêle pas aux polémiques non académiques et non historiques.

Mais, cette fois, des exigences sociales, morales et communautaires  m’ont poussé à donner réplique.

Je ne suis pas un ‘’tuteur » sur l’histoire et le patrimoine de la région de Jebeniana, mais tout simplement un connaisseur et un spécialiste de l’histoire locale de toute la région sfaxienne et notamment de celle de Jebeniana.

Je dois signaler d’abord que l’article de M V.Cohen a beaucoup choqué et touché, non seulement les habitants de Jebeniana, mais aussi la plupart des connaisseurs de l’histoire tunisienne , du patrimoine culturel et même des amis ‘’  juifs ‘’ universitaires ou /et originaires de Sfax.

L’article de M .V. Cohen a provoqué la plupart des gens de la région. Selon eux ,les propos formulés dans l’article précité  déplacent et touchent la ‘’ sacralité ‘’ et ‘’ la vénération ‘’ du ‘’Saint-patron’’ de la ville de Jebeniana , ‘’ Sidi Abou Ishaq ‘’qui était longuement respecté et qui représentait une pierre angulaire de l’identité locale des ‘’ jebenianis ‘’ et aussi des populations de toute la région des Mthelith.

Ce marabout ( wali/salih ), grâce à sa ‘’ baraka ‘’ et à sa bonne conduite cultuelle, reste –à travers les générations- une référence morale et un symbole  cultuel islamique.

Son plus grand mérite, c’est surtout son militantisme contre les atrocités du  pouvoir chiite des Obaydites au 4 ème siècle de L’hegire(10 ème siècle de l’ère chretienne). Lui qui était un pur et dur  malikite et disciple rigoureux de l’école sunnite de l’imam sahnoun de Kairouan.

Il a gardé pour les villageois de Jebeniana un patrimoine matériel (l’olivier, la terre et le savoir-faire ) et symbolique (un culte local, un cimetière, une zerda annuelle….)

‘’ Abou Ishaq ‘’était considéré toujours comme un ‘’ sacro-saint ‘’ par les gens de Jebeniana et sa région, sa légende hagiographique s’est longtemps ancré dans la mémoire collective.

La remise en question de son histoire et de ses origines ethniques et confessionnelles n’est pas illicite quand elle  est menée par professionnalisme et rigueur et ce n’est pas malheureusement le cas de M V.Cohen.

Commençons par la forme. L’article paru sur le site (Harissa.com) ne comprend aucune référence bibliographique et encore moins des témoignages crédibles et des données archéologiques convaincantes. Il s’agit  plutôt d’un assemblage d’anecdotes ou d’un conte populaire basé sur l’imaginaire et la mémoire personnelle de M V Cohen.

Dans son article ,ce dernier, se base essentiellement sur l’usage de la langue arabe courante et du parler local (‘’ jebeni ‘’ et ‘’ ana ‘’) pour démontrer que ‘’Abou Ishaq ‘’ n’est q’un rabbin juif d’origine jerbienne venu par un pur concours de circonstances, à Jebeniana.

Son bégaiement « youtamtem » était à l’origine de l’appellation de jebeniana  « ejjebni-ana ».

- le 2ème fondement est purement généalogique et onomastique. Le  prétendu rabbin et l’inventeur du nom  ‘’ Jebeniana ‘’ est le ‘’ père d’Ishaq ‘’ .Ishaq ou Isaac sont considérés généralement comme un patrimoine onomastique hébreu.

- le 3ème fondement est d’ordre géo-économique, puisque ce ‘’ rabbin ‘’ ne s’enferma pas dans sa synagogue et son ‘’ bet – ha midrash ‘’ mais, avec l’aide de son fils aîné ‘’ ishaq ‘’, il initia les gens du village (qui étaient au nombre de cinquante 50selon M Cohen, l’auteur de l’article  et non pas le rabbin) à créer des oliveraies, d’où l’immense foret d’oliviers de Jebeniana ‘’ et toute la région sfaxienne ‘’ !

-Le 4ème fondement se base sur la mémoire de M V.Cohen ‘’je me rappelle, il me fut raconté, quand j’étais enfant…’’et sur la mémoire de son père, mais s’inspire aussi de la mémoire collective de la communauté juive de sfax ou  vivait M V.Cohen et sa famille, puisque, à Jebeniana,  il n’y avait pas de juifs (toujours selon l’auteur)

Il est bien clair que M V.Cohen n’est pas un historien ni même un connaisseur en la matière. Tout au long de son récit, bien enchaîné et formulé sans doute, il ne nous donne aucun justificatif. Il ne se réfère à aucune trouvaille archéologique. Pire encore  les références bibliographiques en hébreu, français ou arabe sont quasiment absentes. Son seul support est la mémoire et les interprétations superficielles de l’usage linguistique et onomastique.

(Mal)heureusement, l’Histoire n’est pas la mémoire.’La mémoire, chaque mémoire, a ‘’un caractère social et communautaire subjectif’’, comme disait  M.HABLWACHS[1].

En effet, c’est en fonction des préoccupations et des enjeux du présent que le passé est appréhendé par la mémoire.

Bien que l’Histoire, surtout sa branche contemporaine, utilise occasionnellement la mémoire, il faut insister sur la distinction entre ‘’ mémoire ‘’et ‘’ histoire ‘’[2].

L’histoire d’ ‘’Abou Ishaq ‘’ remonte à l’époque médiévale, période ou la mémoire ne peut  ajouter grand chose.

C’est pour cela, justement, que je ne veux pas utiliser l’arsenal mémorial des gens du Jebeniana traitant du mythe  de leur ‘’saint  Abou ishaq ‘’.

On fait recours à la mémoire, nous historiens, lorsque l’oubli règne à cause de l’absence des sources historiques et des témoignages archéologiques. La mémoire est un outil, quand elle est entre les mains d’un bon artiste et artisan, qui aide éventuellement à écrire l’histoire. En effet, il ne faut jamais  confondre mémoire et histoire.

La science historique met en relief les déférences, les écrits et les conflits. Par contre, la mémoire cherche les similitudes et la permanence à travers le temps. La mémoire reconstitue le passé et l’adopte aux besoins spirituels du présent.

Justement, je ne peux classer l’article de M.V.Cohen  que dans le contexte de discours ‘’communautaire de la mémoire’’. C’est un discours parallèle et rival à son homologue arabe local pour la justification de l’ancienneté et du passé glorieux de chaque communauté.

Les deux discours sont respectés pour moi, en tant q’intellectuel  laïque et historien positiviste. Cependant, rappelons -le, le respect du discours communautaire et de la mémoire collective ne veut pas dire la ‘’ sacralisation de ce discours ‘’.L’historien ne peut fermer ses yeux lorsqu’il s’agit de difformités, de déplacements  et de falsifications. Dans ce cas, la mise au point serait plus qu’indispensable.

 

L’article de M.V.Cohen ne comporte aucune dàte. Il ‘’ recompose ‘’ le passé lointain en concordant trois temps (imparfait, passé simple et passé composé).Parfois il utilise (à l’époque, entre temps, au début, cette année..).On peut constater facilement que M.V.Cohen navigue dans le temps sans aucun repère chronologique ce qui est commun avec tout genre de  conte et récit. Le temps utilisé par l’auteur est un temps légendaire non historique et merveilleux !.

Pour écrire l’histoire il faut situer les événements dans un contexte historique. Il faut donner des dates chronologiques même approximatives...

Concernant l’histoire d’ ‘’ Abou ishaq ‘’, les sources écrites[3] nous indiquent qu’il a vécu entre 280 et 369 de l’Hégire (vers892-979 de l’ère chrétienne)

Nous avançons ces dates, et surtout celle de sa mort, en toute confiance. Les ‘’ manaqib ‘’ de cheikh ‘’ Abou Ishaq ‘’ sont par mis les textes hagiographiques les plus célèbres dans l’histoire maghrébine. Ce texte hagiographique ‘’ manaqib ‘’ retrace les traces profondes  et les faits miraculeux laissés par le santon – dévot. Le genre manaqib naît en Orient arabe à la fin du 3ème siècle de l’hégire à l’époque ou les rites se constituèrent. Les manaqib d ‘’ Abou Ishaq Aljabenyani’’ sont parmi les premiers textes du genre en Ifriqiya. Elles ont été écrites par son disciple  directe  Abou Al Qassim Abderrahmen Al-labidi(né vers 360h décédé en 440/970-1050.Natif de Labida , village situé à 2Km  au Sud de jebeniana ou se trouve le mausolée de Abdullah Mohamed Ibn Yazid, labidi a étudié à Jebeniana chez le cheikh Abou Ishaq ,puis il est passé à Kairouan. C’est dans cette ville qu’il a écrit et diffusé les ‘’ manaqib ‘’ d’Abou  Ishaq. Il a retracé son itinéraire scientifique et religieux, sa généalogie, son école et ses bienfaits. Selon H.R.Idris, labidi « ouvre la voie en rédigeant la biographie d’Abu Ishaq ». La victoire du ‘’malikisme’’ était propice à une floraison hagiographique, celle d’Abou Ishaq en était  la primeur ! .

Les Manaqib de Jebenyani ont été traduites[4] en français par le grand érudit et l’éminent  spécialiste en histoire Ziride [5] Hedy Roger Idris en 1959(une édition de la faculté des lettres d’Alger et les presses universitaires de France )

Les spécialistes en histoire médiévale maghrébine  considèrent le récit hagiographique d’Al-labidi comme un texte fondateur et typique pour l’étude du phénomène du ‘’maraboutisme’’ en Afrique du Nord,. D’après les spécialistes, ‘’manaqib Al-Labidi est une source du X ème siècle directe, ancienne et fiable.Elle a été écrite par un disciple direct de cheikh ‘’Abou Ishaq ‘’. Pour écrire la biographie, le savoir et la conduite de son maître, labidi qui est un ‘’  éminent docteur malikite et poète ‘’[6] a indiqué avec précision la liste de ces cinquante informateurs et ces sources. Citons les plus célèbres dans le champ de fiqh, hadith et littérature ; Abou al Hasan al Qabisi, trois fils d’Abou Ishaq Abou Attahir ,Ahmed et Abderrahman, Umar Ibn Muthanna, Ibrahim b Ali b Aychoun, Yahia Ibn Zakarya, Msarra b.Muslim Ibn Yazid, Attiyya B.Muslim Assafaqsi, Abu Bakr Al Sayouti, Muhammed Ibn Yazid,Marouan ibn Mansour….

Avant d’être publié en arabe et traduit en français en 1959, ce manuscrit, bien connu de théologiens, a bénéficié d’une attention particulière du grand historien Hassen.Hosni Abdelwaheb qui fut caïd (gouverneur) de Jebeniana entre 1925-1928.Il possédait aux moins 4 exemplaires. D’ailleurs, c’est lui qui a orienté H.R.Idriss pour faire la traduction critique et annotée. Les copies de ce manuscrit  se trouvent  au nombre de 8,au moins, dans la bibliothèque nationale tunisienne ( Fond H.H abdelwaheb, fond de la  grande mosquée de Sfax, Fond de la grande mosquée Zitouna, fond de Ibdillya..) .

J’usqu’à nos jours, quelques grandes familles de Jebeniana, notamment les familles de ‘’ adoul ‘’ /témoin notaire et des  ‘’ mouaddeb ‘’/enseignant théologique, possèdent ce manuscrit bien estimé  et de valeur biblique. Iil est caché souvent dans les coffres forts. 

Le livre retrace la vie religieuse et sociale du ‘’marabout’’  de Jebeniana.

Pour résumer, on doit signaler que tout essai sérieux destiné à écrire l’histoire de Jebeniana et de son santon "Abou Ishaq " doit passer par ce maniscrut ignoré par M .V.Cohen.

L’historien peut exploiter le récit hagiographique, malgré sa difficulté et ses pièges, tout en adoptant la démarche anthropologique qui tient compte des symboles et des significations vérifiables dans le contexte historique réel.

Revenons aux 4  fondements avancés par M.V.Cohen pour prouver que ‘’ Abou ishaq ‘’ n’est q’un rabbin israélite de Jerba qui a été ‘’ amené ‘’ à Jebeniana ‘’ malgré lui ‘’ et qui a injecté son savoir ‘’lire et faire’’ aux habitants de la localité. Toujours selon M V.Cohen , ‘’c’est lui –le rabbin Eliahou Cohen, qui avait  donné à ce patelin l’essor et la fertilité de la  foret d’oliviers ‘’. Après quelques mois de publication de son article sur le site web, M.V.Cohen a ajouté l’image de la zawiya d’ ‘’ Abou Ishaq ‘’ envoyée  par M.H.Kéfi pour confirmer l’existence du mausolée.

Il faut signaler tout d’abord que l’existence du mausolée n’a été jamais contestée par personne.

Seulement, elle a été mise en doute par la mémoire de M.V.Cohen :« je ne sais pas si son mausolée existe toujours ou si, il a été détruit et à quel endroit exact il se trouve.. ». Il ne s’agit pas d’un simple mausolée M.V.Cohen. En effet, il s’agit plutôt d’une grande zawiya qui a assuré le rayonnement  cultuel  et religieux sur toute la région de Jebeniana  et des Mthalith de Souassi,Neffat ,Jlass et Hmamma.

La zawiya formée de trois coupoles, 13 chambres, la mosquée et le cimetière historique abrite la tombe de ‘’ Sidi Abou Ishaq’’ décédé un certain «  mercredi 17 moharrem de l’an 369 h/960 et fut  inhumé à l’ Est   de Jebeniana»[7].

La zawiya et l’école d’ « Abou ishaq » avaient connu une renommée depuis le XI ème siècle. Sous les Hafsides puis les Ottomans, elle a bénéficié d’une grande vénération. Les beys hussaynites  l’ont dotèe de statut d’un harem dans lequel les agents makhzens ne peuvent pas exercer le droit de poursuite. D’ailleurs, la zawiya était toujours un refuge sur pour les pauvres, les marginaux et les gens poursuivis par la justice beylicale d’alors. Ce privilège n’a cessé qu’après 1881 ,date de la colonisation française du pays. En 1802,la zawiya a été remaniée et restaurée par ordre du bey Hammouda Pacha, l’Osta (architecte et spécialiste en bâtiment) sfaxien ’’ Al Ketti’’ a mené les travaux d’entretien et d’embellissement comme l’indique l’inscription gravée j’usqu’à nos jours ,dans le toit de la salle d'entrée.

 

Dans tous les cas et en dépit de tout cela, l’existence du mausolée, et les images fournies par M.H.Kéfi, ne confirment pas le contenu de l’article de M.V.Cohen.Personne n’a contesté ou douté de l’existence de mausolée, sauf M.V.Cohen parce que sa ‘’ mémoire ‘’ s’arrête tout juste en 1960.

Je dois ajouter que les habitants de Jebeniana  commémorent les bons souvenirs et la ‘’ baraka ‘’ de leur saint patron par une offrande  « zarda »,à chaque printemps. Tous les quartiers du bled se cotisent pour égorger des vaux. Depuis 1977,Jebeniana est  le lieu d’un festival culturel portant le nom de son saint vénéré.

 

* Le 1èr fondement :

Selon M.V.Cohen le bégaiement d’Eliahou HaCohen fut à l’origine de l’appellation de Jebeniana  ‘’ Jjjjebni-ana  ‘’ ''c’est lui qui m’a emmené ".On trouve là une interprétation archi fausse bien que respectable par les non connaisseurs.

Si l’on commençe par supposer que la dite interprétation est juste et véridique , quel était alors le nom du village avant l’arrivée du prétendu rabbin ? .

Anonyme ! Ou inconnu !! Peut être ? .

Le récit légendaire et la projection libre de la mémoire personnelle ne peuvent pas répondre à ce type de questionnement purement historique.

La réponse est claire dans les sources écrites ; Jebeniana existe bien avant  Abu Ishaq.C’est-elle qui lui a donné le nom ‘’ JEBENIANI ‘’ (comme jerbi ou sfaxi …) et non pas l’inverse.

Abou Ishaq (le vrai)est originaire de la ville de Kairouan « Son grand-père Ali b.Aslam …cadi de Sfax et tout le Sahel ..(il) a édifié la mosquée ..de Sfax et ses remparts..il a construit le mahris..il ..Possédait une grosse fortune et de nombreux domaines dont celui de Jabanyana » [8]. Jebeniana (et précisément Jabanyana , comme l’exige H.H.ABDELWAHEB), était un fief et « une magnifique propriété » du grand-père puis du père d’abou Ishaq : Abou AL Abbas Ahmed, vizir et conseiller aghlabide « Lorsque son père  venait au bourg de jabanyana à l’époque des villégiatures, il y séjournait un mois d’avantage.. »[9].

Son fils Abou Attahir  lui posa la question ,une fois « pourquoi as tu choisi de résider à jabanyana  plutôt que dans une autre localité ? »,Abou Ishaq  lui répondit « J’ai désiré q’Allah y maintint ma renommée dans l’obscurité, parce que je m’étais aperçu que cette localité était de celles dont on parle le moins »[10].

L’appellation de Jebeniana existait bien avant ‘’Abou Ishaq ‘’ soit qu’il était le kairouanais  Ibrahim ibn Aslam al Bakri ,ou, le jerbien  Eliahoo Cohen.

Cependant ,la légende, longuement reprise par les habitants de Jebeniana, prétend que l’origine de l’appellation se compose de deux mots :‘’ Jben ‘’ ou ‘’ jban ‘’ fromage en arabe et Yana. Ce que veut dire littéralement le fromage d’une femme appelée Yana.  JBENYANA, devint une maison de fromage de qualité et de renom, à force de répétition par les consommateurs résurgea le mot Jebeniana .

Voici une explication non historique et légendaire. Elle est parallèle et rivale à celle de M.V.Cohen .Deux interprétations  de même ‘’ famille ‘’..L ’une se fonde sur le bégaiement, l’autre sur la répétition et  leur point commun est l’imaginaire légendaire et l’intérpretation superficielle des données linguistiques et d’usages du parler arabe courant.

 

Jebeniana est éventuellement le dérivé du mot antique Guebeliana ou Quebeliana [11].C’est un toponyme très ancien d’origine greco –berbère probablement ,comme celui de Baliana tout proche de Jabanyaniana et CherIana,Galiana ,Zaliana, Seliana, Feriana

Le suffixe  ‘’iana/yana’’ est probablement en relation avec la propriété d’une telle personne ou région.

C’est une interprétation logique ,étant donnée l’existence dans la région des grandes propriétés. C’est ce qui illustre, effectivement, les vestiges des  centuriations romaines et le grand nombre de  pressoirs antiques en ruines dans la région.

Après la conquête arabe ces domaines ont été distribués sur les grands hommes d’Etat. C’était le cas de Ali al Bakri ,grand-père d’Abu Ishaq ,qui possédait de ‘’ nombreuses propriétés ‘’,   y compris Jebeniana ou encore le cas Abou Al-Abbes Ahmed Ibn Nafid, le vizir aghlabide qui avait la propriété de Baliana visitée par Maliki et par Ibn Batouta .Ou Ibn Zyad qui avait le Henchir de Dhràa qui porte encore son nom.

On est dans une zone de grande propriété qui ‘’ se présentait parfois sous la forme d’un village tout entier ‘’[12] , phénomène relié avec l’évolution de statut des terres en Ifriqiya après la    conquête arabe.

Le toponyme de Jebeniana est antique ,sans aucun doute. D’ailleurs, le mot Guebeliana existait en Sicile méridionale. Il est éventuellement en rapport avec le toponyme de domaine devenu patelin de Jebeniana. Les sfaxiaiens qui prononcent Jbeliana avaient raison peut-étre .Les  recherches archéologiques et les investigations dans la région sont en cours pour vérifier et contrôler cette appellation d’origine.

Dans tous les cas, ses origines ne sont ni le bégaiement ni la répétition.

 

* Le 2ème fondement :

M.V.Cohen se base sur l’onomastique et la généalogie pour démontrer qu’Abou Ishaq était un rabbin juif nommé Eliahou hacohen. Il était le père d’un ‘’ Ishaq ‘’, ce qui est très ‘’ suffisant ‘’ pour M.V.Cohen pour confirmer ses origines juives.

Cependant c’est une explication simpliste, peu pertinente, voire même  trop amusante.

L’utilisation des noms comme Ishaq ‘’Isaac’’, Moussa ‘’Moese/moshe’’,Ibrahim’’/Abraham’’,Yaacoub’’/Jacob’’,Ismail,Zakarya,Haroun,Youssef’’Joseph’’,Yahia’’Jovanne’’ ne relève pas uniquement du patrimoine onomastique judaïque. Les arabo-musulmans utilisaient le même champ onomastique.

Le Coran a vénéré les prophètes et les Saints de toutes les religions monothéistes qui l’avaient précédé.

Il s’agit d’un patrimoine commun entre les peuples du Proche et du Moyen- orient. C’est le commun oriental sémitique et sémantique partagé par les Arabes, les hébraïques, les Araméens et les  chrétiens d’orient.

L’exemple suivant concrétisera mieux la chose ; Au temps d’Abou Ishaq Al Jabanyani (892-972),à Kairouan et pendant l’époque fatimide, Isaac Israili ,décédé en 955, qui était un savant juif de renommée était le disciple d’Ishaq Ibn Imran, le médecin arabe musulman très célèbre.

« Natif d’Egypte Ishaq ibn Sulayman l’israélite, commença sa carrière comme oculiste. Emigrant à Kairouan, il devint le collègue et le disciple d’ishaq ibn Imran.. »[13],une autre source crédible le confirme « Ishaq ibn sulayman,elève d’Isaac Ibn Imran connu sous le sobriquet Samm saa.. »[14]

Deux Isaac, collègues, l’un juif l’autre arabe qui vivaient dans le même milieu. Notre Ishaq ,le fils de Ibrahim, n’était pas le dernier Ishaq de ce vieux temps de tolérance et d’entraide. Il y avait aussi Isaac ibn latif et d’autres[15].

Considérer Ishaq comme un patrimoine exclusivement hébreu serait une grande confusion inacceptable. Cela me rappelle la confusion courante entre anti-judaïsme et antisémitisme. Toutes les races descendantes de Sam fils de Noé  –y compris les Arabes- sont victimes d’antisémitisme, n’est -ce pas !

Dans tous les cas, le surnom ‘’Abou Ishaq ‘’ ne peut pas, à lui seul, confirmer les origines ethniques ou confessionnelles de la personne. Les Arabes du Machraq et du Maghreb j’usqu’à une époque tardive utilisent plus que les juifs le surnom ‘’Al Konya/ le nom de célébrité ". Abou Ishaq aljabanyani s’appelait Ibrahim ; il avait 5 des 7 enfants qui portaient  des surnoms. L’aîné Ishaq porta la Kunya ’’surnom’’ d’Abou bakr, AbouAttahir (abdallâh),un autre Abu abdallâh(muhammed),le 4ème Abou al Hassan (Ali)et abu Zayd (Abd Al Rahman) .

On doit insister aussi , sur le fait que le surnom n’est pas  forcement lié au nom de fils aîné. A cette époque , tous les gens célèbres se dotaient d’un surnom. Il y avait des gens qui ne sont jamais mariés ou qui n’ont pas enfanté ,et ils avaient des surnoms .Certains n’avaient que des filles et s’appelaient ‘’ abou…/le père ‘’ ,chose fréquente dans une société patriarcale et masculine.

Revenons, encore une fois, à Abou Ishaq : Les sources écrites sont unanimes sur sa filiation et sa généalogie. On a une idée approximative sur son ‘’portrait’’ et sa ‘’ fiche d’identité ‘’.

Abou Ishaq est « Ibrahim b.Ahmed b.Ali b.Aslam al Bakri de la tribu de bakr b.waiil, fraction de rabia..Ses ascendants occupaient de hautes fonctions…La mosquée et le quartier d’ibn Aslam étaient célèbres à Kairouan… »[16] , « fils d’une servante…sa valeur infime ».

 Quand il était jeune, « Il avait  deux maîtres, l’un lui apprenait le coran et l’autre la langue arabe et la poésie…Au cours  de ses déplacements et pérégrinations, il n’entendait pas parler d’un savant sans aller le trouver suivre ses leçons et les noter par écrit…Il allait de ville en ville, se consacrait à la quête de science, à la dévotion et à l’ascétisme…puis fit le Pèlerinage en l’année 314 h/926.. »[17].

Il « recueillait la science et corrigeait les livres  avec une sure précision.Il avait..Une telle mémoire qu 'il oubliait rarement ce qu’il avait appris.Il excellait à réciter le Coran avec pureté.Il avait  de bonnes connaissances lexicologiques et philosophiques.Il étudia  maints recueils de droit et copia de sa main un grand nombre de livres.. »[18].

Quant à ses habits ,’’ Il s’habillait de laine provenant d’un endroit dont il connaissait les gens..Il mangeait des légumes sauvages ..Il moulait lui même l’orge  dont il se nourrissait.. ‘’[19].

Il épousa plus q’une femme …l’une ‘’ avait déclaré : «  Il ne dormait jamais avec moi, sur un lit. Il ne manquait jamais, après les rapports...de faire une ablution majeure et de consacrer sa nuit à de vivifiantes prières.. »’’[20].Une autre ‘’ n’avait ni fortune ni béauté, ni bon caractère. Elle lui reprochait de trop priér.. « Je ne t’ai pas épousée, disait –il, par amour de toi ,mais par amour de ces orphelins »’’[21] .’’ Pendant la maladie qui fut la cause de sa mort…,il avait des filles et était accablé de misère, de scrupules et de dévotion ‘’.

J’aurais pu ajouter d’autres détails sur sa vie familiale, scientifique et religieuse.

Mais je développerai tout ça dans un travail approfondi sur Jebeniana et son dévot  qui est  encore en friche,

Admettons que toute cette littérature soit imaginaire, exagérée et fausse, ce qui n’est pas à exclure. Admettons encore que le récit hagiographique et les autres  chroniques avaient détourné l’histoire du rabbin pour inventer un dévot arabo-musulman.

Dans ce cas, les sources judaïques peuvent nous porter secours et réponse. Justement ses sources juives du Maghreb médiéval, qui sont abondantes d’ailleurs à Jerba,à Kairouan[22] ,à Fès, à El Genisa du Caire, en Espagne, ne mentionnent rien sur le personnage d’ ‘’ Abou Ishaq ‘’ ou du rabbin Eliahou Ha Cohen.Les spécialistes peuvent en juger.

* Le 3ème fondement :

L’environnement de Jebeniana, région fertile en oliveraies, était un autre argument avancé par M.V.Cohen pou confirmer que le prétendu rabbin était l’initiateur de base de cette richesse.

Cependant, la culture des oliviers dans les régions de Sfax, de Jebeniana, de la Chebba et Sidi Alouène, était une pratique très ancienne. Les gens de ces contrées cultivaient l’arbre depuis plus de2000 ans.Au10 ème siècle, ils n’avaient pas besoin d’Abou Ishaq, qu’il fut rabbin juif ou dévot musulman, pour planter ces arbres !!

Les textes anciens, les vestiges archéologiques, les pressoirs en ruine, les tableaux de mosaïque, les analyses dendrochronologiques attestent de l’ancienneté de la foret d’oliviers dans la région.

Les anciens habitants de Jebeniana et de Sfax et de toute la Berbérie orientale, avaient planté cet  arbre divin, depuis l’ère carthaginoise si ce n’est pas avant.

Les anecdotes avancées par M.V.Cohen convergent, d’ailleurs, avec les récits arabo-musulmans classiques qui représentaient la Tunisie comme un pays vide et sans hommes ni culture. Il faut toujours un nouveau arrivant qui injecte et invente, qui apporte et produit !!

Il est temps, certes, pour rompre avec ces explications égocentriques et simplistes qui nient tout apport  des populations d’origine. En effet, ni notre ‘’ Abou Ishaq ‘’ ni le vôtre ni ‘’ Cérès ‘’  étaient à l’origine de la fertilité, c’est toute la communauté et les acteurs locaux  qui produisaient et reproduisaient.

 

* Le 4 ème fondement :

Se base sur la mémoire personnelle ,familiale et communautaire de M.V.Cohen.

La mémoire collective des gens de Jebeniana évoque aussi la dévotion et la ‘’ baraka ‘’ de leur ‘’ Abou Ishaq ‘’.Une multitude de faits miraculeux et mystiques difficiles à croire, tels que son voyage ‘’ à la Mecque en une journée ‘’ ou ‘’la transformation du bois en or ‘’,’’ faire tomber la pluie après une longue sécheresse ‘’ ’’le vendredi et non pas le Shabbat’’, ‘’ la guérison des malades »…

Des récits légendaires accumulés et repris à travers les générations pour insister sur la sainteté de dévot vénéré du village. La ‘’ zarda ‘’ périodique de chaque printemps, dans laquelle les habitants commémorent les souvenirs et le culte local  d’ ‘’ Abou Ishaq ‘’, représente plus q’un symbole. Les gens du village reconnaissent à ‘’ Abou Ishaq ‘’ une grande dette selon leur ‘’ imaginaire ‘‘. En effet, c’était lui qui a instauré toute une école malikite dans la région et a laissé aux gens un patrimoine moral et matériel appréciable la terre pour cultiver, le village pour bâtir et habiter, la zawiya et la mosquée pour prier et un coin dans son cimetière.

Si nous faisons la comparaison entre ses croyances reprises par la mémoire populaire locale et celles formulées par M.V.Cohen, nous détectons maintes ressemblances.

En effet, l’imaginaire et la mémoire collective des arabes et des juifs de la Tunisie appartiennent au même champ civilisationnel. Le maraboutisme et le culte des saints ont régné pendant 6ou 7 siècles ; ils étaient la référence culturelle la plus rayonnante et populaire chez les deux communautés confessionnelles. Les musulmans avaient leur saints vénérés  comme Sidi Mehrez ,Sidi Al Mazri , Sidi Assahbi, Sidi Allakhmi …

Les juifs avaient rebbi Fraji Chaouat à Testour, Rebbi Yacoub Slama à Nabeul, Rebbi Binhas à Moknine, Rebbi Youssef Al Maarabi à El Hamma…

Sidi Abou Ishaq n’était pas un dévot israélite, comme le prétend M.Cohen ,ni un saint commun de deux communautés musulmane et juive. Il était plutôt un « saint patron » arabe musulman, typiquement et exclusivement ‘’Jebeniani ‘’ sans plus.

J’ai formulé ces éclaircissements  pour éviter de confondre entre mémoire et histoire et pour ne pas faire recours à des légendes usées et à des interprétations superficielles  pour transformer des vérités requises, et falsifier l’histoire.

La  grande famille Cohen de Sfax de jadis n’a pas besoin de toutes ces ‘’ manœuvres inutiles ‘’ pour confirmer sa noblesse et sa primauté.

La famille Cohen était bien respectée et considérée dans la région. Elle a une histoire glorieuse[23] ,sans doute. C’est pourquoi la famille Cohen  n’a pas besoin de l’invention du Rabbin  Eliahou Cohen  par Monsieur Victor Cohen !!

Je terminerai par un petit passage cité dans les manaqibs d ‘’ Abou Ishaq ‘’ par Labidi au 10 ème siècle :

 « Si les israélites, disait-il, prétendaient nous surpasser en se targuant de leurs dévots, nous les surpassons  grâce à al Jabanyani  لو فاخَرَنا بنو اسرائيل بعبادهم فاخرناهُم بالجبنياني»[24].

 

Labidi prévoyait –il de possibles « détournements ‘’ avant 9 siècles ?!

Non ,je ne crois pas en les légendes .

Je me passionne pour la vérité historique.

 

                             ABDELWAHED MOKNI

                  Maître de conférences en Histoire  contemporaine.

        Fac des Lettres et Sciences humaine de Sfax-Tunisie.

                                                  wahidmokni@yahoo.fr

 

Jebeniana le 8 Novembre 2006.

 


 

1-HALBWACHS (M) : La mémoire collective, Paris, puf, 1964.

HALBWACHS (M) : Les topographies légendaires des évangiles en terre sainte, Paris, puf, 1971,p7.

2- RICOEUR (P) : La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Seuil, 2000

-LE GOFF(J) : Histoire et mémoire, Gallimard, 1988.

3-  Plusieurs chroniqueurs  arabes ont mentionné la vie d’ « Abou Ishaq »,on peut citer Tjani dans sa rihla ,Maliki dans riadh al noufous , Idrissi dans nozhat el mochtaq, Ibn Naji dans maalim al -imen,Magdish dans nozhat al andhar

Les plus important Sont : -Al-labidi : Manaqib Abu Ishaq al –Jabanyani, édité  et trad. par H.RogerIdriss, Paris, 1959.

-Al QADHI YADH :Tartib el madarek wa Takrib el masalik limarifati madheb malek,Beyrouth1967,tome 4..

4-:Manaqib d’Abu Ishaq al-jabanyani par Abulqasim al-labidi et Manaqib de Muhriz B.Khalaf par Abu L-Tahir Al Farisi,Introduction,edition critique ,traduction annotée,glossaire,index par Hady Roger IDRIS,Paris ,puf,1959.

5-IDRIS (HR) : La bérberie orientale sous les Zirides X-XI ème siècle, Paris,1961.l

6- IDRIS (HR) : Manaqib d’Abu Ishaq al-jabanyani..,Op.cit, pXXI (cf. l’introduction).

7- Al-labidi: Manaqib Abu Ishaq…op, cit, p69.

8- Al-labidi: Manaqib Abu Ishaq…..op,cit, p197-198..

9-Ibid,p198.

10- Ibid, p218.

11- c’est le cas de Cilma puis Kilma devenu à l’époque arabe Jilma ou encore Gummi devenu Jemma…

11- MAHFOUDH (F) : « Le Nord de la petite Syrte au moyen age : Questions de toponymie », Du Byzacium au Sahel.Itinéraire historique d’une région tunisienne, Pub de la Fac Des Lettres et Sciences humaines de Sousse, 1999,pp164.

[13]-Ibn Gulgul, Le Caire, ed F Sayyid, 1955,p87.cité par :

FENTON (Paul.B) : « Un monument de la pensée juive en terre tunisienne : Le commentaire kairouanais sur le livre de création », Juifs et musulmans en Tunisie ; Fraternité et déchirement, Somogy éd D’ART, Paris 2003,p59.  

[14] - Said Al Andalusi : Livre des catégories des nations, trad. R.Blachère, Paris, 1935,p157.

[15]- JELLOUL (N) : « Les juifs de Kairouan au moyen-age», Juifs et musulmans en Tunisie. op.cit, 103-112.

16- Al-labidi : Manaqib Abu Ishaq…..op, cit, p196-197.

[17]- Ibid,pp198,201-202.

[18]- Al-laidi : Manaqib Abu Ishaq…..op,cit,p204-205.

[19] -Ibid,p213.

[20]-Ibid, p234.

[21] - Ibid, p242.

[22]- FENTON (Paul.B) : « Un monument de la pensée juive en terre tunisienne : Le commentaire kairouanais sur le livre de création », Juifs et musulmans en Tunisie…, op.cit, pp57-71.

[23] -MOKNI (Abdelwahed) : « Les relations judéo-musulmanes à Sfax à l’époque coloniale1881-1956 », Juifs et musulmans en Tunisie ; Fraternité et déchirement, Somogy éd D’ART, Paris 2003,p245-258.

[24] -- Al-labidi: Manaqib Abu Ishaq…..op, cit, p210

 


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