54 ans après la disparition de Moncef Bey
Le Roi nationaliste
Le 25 juillet 1957, l'Assemblée Constituante se réunit pour décider de l'abolition du régime beylical et de l'instauration
de la République.
Tous les députés qui prennent la parole font le procès des deux cent cinquante deux années de règne des beys. Aucun
d'entre eux n'est épargné, sauf Moncef Bey qui n'a pourtant régné que quelques mois mais dont le souvenir chez les
Tunisiens est celui d'un monarque proche du peuple et de ses revendications ; un bey que les Tunisiens ont toujours appelé
Sid el Moncef est devenu l'une des figures emblématiques du mouvement national tunisien.
Moncef Bey, mort en exil à Pau il y a de cela cinquante-quatre ans (le 1er septembre 1948), a fait preuve depuis sa jeunesse
d'une volonté et de choix nationalistes. Ses contacts avec les milieux destouriens de l'époque y sont certes pour beaucoup,
mais il faut également souligner le tempérament de Moncef Bey, et un sentiment, qui s'affirmera avec le temps, que le régime
devait changer, rompre avec des coutumes et des traditions dépassées et s'affranchir de la tutelle du Résident général
qui détenait en fait la réalité du pouvoir avec l'assentiment et la complaisance de la plupart des beys de la dynastie
husseinite. Moncef Bey était le fils de Naceur Bey, dont le long règne (1906/1922) ne vaut que par l'épisode qui marqua sa
dernière année et qui a eu une signification historique importante. Le jeune prince exerçait une influence certaine
sur son père et essayait d'infléchir son action vers un soutien aux idées nationalistes.
La Résidence le savait et c'est afin de discréditer le Bey, qu'un véritable "complot" a été réalisé. Dans une interview
qu'il a accordée au Petit Journal sur intervention de la Résidence générale, Naceur Bey avait pris ses distances vis-à-vis des nationalistes. Dans le texte de l'interview, il
mettait les Tunisiens en "garde contre les menées nationalistes". La réaction populaire fut l'étonnement et la
consternation et le prestige du Bey en fut touché ; c'est alors que Moncef Bey réussit à engager son père dans un
conflit avec le Résident général Lucien Saint. Le 3 avril
1922, Naceur Bey annonce son abdication, provoquant un vaste
mouvement de manifestations populaires. La crise ne dura que
deux jours : le 5 avril, Naceur Bey, soumis à d'autres influences que celle de son fils, se rétractait. Ce furent
ensuite deux semaines d'hésitations, de prises de positions contradictoires de la part du Bey, puis tout rentra dans
l'ordre et Naceur Bey mourut le 10 juillet 1922.
La crise d'avril 1922 a permis à Moncef Bey de s'affirmer comme un homme avec lequel la France devait compter. Les
hasards de la vie et les lois de la succession au sein de la famille husseinite le portèrent sur le trône le 12 juin 1942 à
la mort d'Ahmed Bey, il devait y rester jusqu'au 14 mai 1943.
Dès le début de son règne, Moncef Bey imposa un nouveau siège
à l'activité beylicale. Mohamed Salah Mzali, qui a vécu cette période, en parle dans son livre "Au fil de ma vie". Il
écrit : "Il a tout d'abord supprimé le baise-main, il donnait l'accolade aux uns, ou les embrassait sur les joues. Il
tendait la main aux autres pour un démocratique shake hand.
Dans les cérémonies, au lieu de garder le silence ou de faire parler en son nom le Premier Ministre ou le Bach Hamba, il se
lançait dans des propos familiers et parfois mordants". Ce nouveau style ne pouvait pas ne pas déranger dans la mesure où
il bouleversait des traditions en place depuis plus de deux siècles, mais surtout parce qu'il augurait de prises de
positions politiques allant dans le même sens. C'est ainsi qu'il adresse au Maréchal Pétain, chef de l'Etat français de
l'époque, un mémorandum sur les revendications tunisiennes. Le 1er janvier 1943, il nomme
M'hamed Chenik Premier ministre d'un gouvernement qui comprenait Mahmoud Materi et Salah
Farhat, représentant les deux tendances du Destour, ce qui ne devait pas plaire à l'Amiral Esteva, le Résident général
français.
La Tunisie vivait alors les effets de la seconde guerre mondiale, l'arrivée des troupes alliées et leur victoire sur
l'armée allemande devaient précipiter l'évolution des choses.
Profitant des circonstances et prétextant sa collaboration avec l'Allemagne, la France décida de destituer Moncef Bey.
Lors de l'entrée des troupes alliées, Moncef Bey était à Hammam-Lif. On lui demanda de regagner La Marsa, ce qu'il fit
le mardi 11 mai 1943. Le général Juin, qui avait l'intérim de la Résidence générale, demande à Moncef Bey d'abdiquer, il
refuse sur les conseils de son frère Hassine et de son Premier ministre M'hamed Chenik. Mais la décision est prise. Vendredi
14 mai, le général Giraud, commandant en chef civil et militaire, signe l'arrêté de déposition de Moncef Bey. Le
général Juin préside le lendemain l'investiture de Lamine Bey, qui a accepté de succéder à Moncef Bey dans des conditions que
l'histoire n'oubliera jamais. Le nouveau Bey constitue le jour même son gouvernement, présidé par Slaheddine Baccouche et
comprenant notamment Mohamed Salah Mzali ministre des habous.
Ces deux hommes s'illustreront plus tard par les services qu'ils rendront à la France lors de la dernière étape de la
lutte pour la libération nationale. Moncef Bey, quant à lui, est contraint à l'exil en Algérie puis dans le Sud de la
France. Une page courte, mais intense, de l'histoire de la Tunisie est tournée.
Le 1er septembre 1948, Moncef Bey meurt, ses funérailles donnent lieu à un formidable élan populaire, sincère et
émouvant, qui ne sera égalé que le 1er juin 1955 à l'occasion du retour de Habib Bourguiba en Tunisie.
Que reste-t-il aujourd'hui de Moncef Bey ? Un sentiment d'attachement et d'émotion chez ceux qui ont connu cette
période ou l'ont étudiée, et un souvenir très vague, voire inexistant, chez des millions de jeunes tunisiens. L'histoire
retiendra quant à elle, l'image d'un Bey proche du peuple, qui a voulu réformer la fonction beylicale et faire avancer la
cause nationale. Il fut une exception dans la longue histoire de la famille husseinite.
Mehdi Ayari
Envoi de le.citron@laposte.fr