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Maïmonide, prophète du dialogue des cultures


   

Maïmonide, prophète du dialogue des cultures

PAR MAURICE-RUBEN HAYOUN *


Que pouvons-nous retenir aujourd'hui de la pensée de Maïmonide, mort il y a tout juste huit cents ans ? En quoi son approche philosophique de la religion, véritable ancêtre des Lumières de notre époque, peut-elle nous intéresser huit siècles après sa mort ? Par sa vocation mais aussi par son destin, cet homme fut un précurseur du dialogue des cultures. Né en 1138 à Cordoue (Andalousie), réfugié avec sa famille à Fès vers 1165 à la suite de l'invasion de la secte des fanatiques almohades, établi jusqu'à sa mort en 1204 dans le vieux Caire (Fustat) où il achèvera son oeuvre philosophique et théologique, Moïse Maïmonide incarne à nos yeux ce qu'était une vie juive dans l'Europe médiévale.


Contemporain des Croisades, ce courageux réformateur du judaïsme de son temps eut un destin exceptionnel, puisque son approche du judaïsme – dénuée de préjugés et de complaisance – a généré son oeuvre philosophique majeure, le Guide des égarés, dont les penseurs musulmans et chrétiens ultérieurs s'inspirèrent.


Comment qualifier la vocation et la personnalité de ce Juif des Lumières que fut Maïmonide ? En soulignant sa volonté d'éclairer la foi par la raison et de donner une exégèse spirituelle des Ecritures. Et en effet, le Guide des égarés se livre, page après page, à une relecture des traditions religieuses. Son auteur, né juif mais nourri de lettres arabes et de philosophie gréco-musulmane, fut contraint d'abandonner son Andalousie natale et d'émigrer en Egypte. Sa vie durant, il sera à l'intersection de trois cultures : il pensait dans des catégories grecques, écrivait ses oeuvres en arabe et priait en hébreu. Au sein du judaïsme médiéval, c'était la règle et non point l'exception.


On peut donc légitimement parler d'un dialogue des cultures avant la lettre puisque, comme son contemporain musulman plus âgé Averroès et à l'instar de ses devanciers Al-Farabi, Avicenne et Ibn Tufayl, Maïmonide fut un représentant juif de l'esprit grec. Ceci n'impliquait nullement le moindre affaiblissement de son identité juive, cela renforçait plutôt la dimension universelle de son judaïsme. A ses yeux, le seul problème qui comptait était celui de l'être et de la vérité, laquelle n'est l'apanage exclusif d'aucune nation.


Examinons succinctement comment Maïmonide a préconisé ce dialogue entre son propre judaïsme philosophique, d'une part, et l'hellénisme, l'Islam et le christianisme, d'autre part. Le point de départ de la spéculation maïmonidienne est le suivant : face au désarroi que ressent l'homme religieux, fidèle à sa tradition mais aussi adepte de la recherche philosophique, il convient de donner aux égarés un guide. D'où le titre du livre. Mais au lieu de pratiquer l'autarcie intellectuelle et morale, Maïmonide se tourne vers une pensée polythéiste, certes, mais bien armée au plan intellectuel. Aux Grecs, il emprunte l'instrument syllogistique, et aux Arabes, rien moins que la méthode d'interprétation allégorique de la Bible. Un dialogue entre des croyances ou des systèmes différents présuppose que l'on s'affranchisse de tout fondamentalisme et que l'on bannisse l'exclusivisme religieux.


La reformulation philosophique de la religion juive par l'auteur du Guide des égarés allait dans ce sens et constituait un bon point de départ. Un judaïsme ouvert, conscient des valeurs qu'il incarne mais aussi désireux de s'ouvrir et de pratiquer une exégèse du dialogue. Un judaïsme qui ne réduit pas la portée du Verbe et de la révélation de Dieu à sa seule portée ou convenance. Un judaïsme qui s'occupe autant de ses adeptes que de l'écrasante majorité de l'humanité. Un judaïsme, enfin, instruit de l'exacte nature de son essence et capable de séparer l'essentiel de l'accessoire, le transitoire du permanent.


Maïmonide a pu montrer qu'au-delà de la pratique religieuse simple, il y a un univers qui s'ouvre au regard de ceux qui savent interroger correctement le Verbe divin. Le rapprochement entre deux univers, monothéiste et païen, ne pouvait manquer d'être fécond. Maïmonide découvre alors des affinités idéologiques entre l'univers de la physique aristotélicienne et celui de l'origine biblique de l'univers d'une part, entre la métaphysique et la vision du char d'Ezéchiel, d'autre part.

Quels sont les emprunts de Maïmonide à l'Islam qu'il connaissait bien mieux que le christianisme ? Juif né en terre musulmane, Maïmonide appartient à l'univers socio-culturel et linguistique de l'Islam puisque son apprentissage philosophique s'est fait en langue arabe, auprès de penseurs arabes et sur des textes gréco-arabes. Mais pour préserver son intégrité religieuse et son essence profonde, Maïmonide n'a pas abandonné son identité juive qu'il a voulu enrichir au contact d'autres cultures.


Comment définir la personnalité profonde de Moïse Maïmonide ? Ce fut un homme doté d'une intelligence prismatique et d'un coeur analytique qui cherchait avant tout à mettre sa conscience en accord avec sa raison. Sa préoccupation sur le plan religieux lui ordonnait de voir dans le judaïsme une altérité d'ordre éthique plus que d'ordre rituel. Pour lui, l'homme peut avoir une religion qui ne se confond pas nécessairement avec une exigence dogmatique. La notion d'alliance suffit à remplir cette condition. La question religieuse, la question perpétuelle, celle des premiers principes, était à ses yeux identique à celle des fins dernières : sous ce qui apparaît et fuit de la religion, saisissons-nous ce qui constitue son essence et demeure ?

La fibre de la doctrine de Maïmonide était que Dieu sort comme une conclusion nécessaire des termes enchaînés d'un syllogisme. Et l'important est de faire sentir Dieu dans le monde et dans l'homme. Le problème qu'il s'était posé était le suivant : comment tenir la mesure exacte entre la judéité et la modernité de son temps ? Les fruits de ce dialogue existent, même si l'on a quelque peine à les entrevoir aujourd'hui : Le recul de l'intolérance, la suppression du fanatisme, la disparition de l'exclusivisme religieux et, enfin, l'instauration de la paix des consciences. L'émergence d'une culture universelle unifiée, qui s'adresse à tous, en respectant les différentes traditions religieuses. Au fond, le dialogue des cultures insiste sur la fraternité naturelle des hommes et la proximité de leurs aspirations culturelles. C'est la leçon magistrale qu'offre Maïmonide à un Occident qui en a bien besoin.

* Philosophe, écrivain. A lire, La Philosophie juive (Armand Colin, octobre 2004) et Maïmonide (Entrelacs, Sagesses éternelles, janvier 2005)

 

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