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Chez nous, nous honorions Rebi Chimyone.
Chaque famille juive avait sa façon de respecter la fête de son saint
patron.
Deux jours avant la tradition 'él ââdé', mon père nous apportait des
bandes de papiers en petites coupures, en nombre et couleur unie, d'environ 15
cm de long sur trois centimètres de large. Il nous les posait sur la table en
tas bien rangés et nous indiquait la marche à suivre pour en faire des
petits anneaux qui mis bout à bout donner naissance à de cours serpentins
entrelacés les uns aux autres, qui se transformaient plus tard en longs
rubans.
Il était très attentif sur la marche à suivre, surveillait du coin de l'œil
notre progression et ne voulait surtout que nous nous ne trompions d'ordre;
une bande rouge, une bande verte, une bande rose etc….Il préparait sa colle
spéciale, de l'eau avec de la farine tandis que nous débarrassions la table
avant de commencer notre tache. Avec soin.
Nous imbibions, par la mixture, une extrémité de la pelure avec l'autre et
le tour était joué. Puis à mesure que nous entrelacions nos petits ronds,
mon père nous indiquait la longueur à respecter environ quatre mètres, pas
plus. Juste les longueurs des deux diagonales des deux chambres à orner. De
coin à coin.
Nous avions ainsi une quinzaine de 'merguez' en papier multicolore que nous
posions avec soin sur le lit. Quant tous les rubans étaient prêts, mon père
se chargeait de les faire passer par le lustre et de clouer légèrement les
extrémités du ruban aux coins des chambres. Ainsi elles étaient toutes
enguirlandées par ces colliers sans parfum mais agréables à la vue. Il
rehaussait le lustre avec un décor fait de sa propre main, toujours en papier
enroulé..
La soirée de la fête, ma maman nous habillait de neuf, et nous remettait des
bougies garnies par un bouquet de fleurs noué au tronc, que nous avions préalablement
préparé avec des œillets et roses de l'Ariana.
Vers les 20 heures de ce fameux soir, nous cheminions vers la 'choule', à la
queue leu leu, avec nos cierges allumés depuis la sortie de la maison. Nous
abritions des fois la flamme du vent avec nos mains, éphémère abri, afin
qu'elles ne s'éteignent pas. Nous parions des fois entre nous, les frères,
pour la garder ainsi longtemps allumée.
Sur place, une odeur acre de bougies nous titillait les narines , dés que
nous franchissions le seuil de la syna de l'Hôpital. Tous nos amis et voisins
étaient là. Les femmes étaient 'mkartine' ( foulardèes) assises sous les vétustes
lambris de la 'choule'. Chaque famille avait sa fékiè (un mélange de
pignons, raisins secs, noix décortiques, 'boufrewa' ( noisettes) etc… bref
toute sorte de fruits secs. Ces derniers seront échangés entre les familles
une fois la 'séhouda' terminée. Avant la sortie.
Mon père avait pris l'habitude d'imprégner nos paupières par son index
trempé dans l'huile sainte du 'marabi'. Un geste que nous redoutions à
chaque fête. Souvent, l'un de nous, voulant échapper à ce rituel, se
cachait dans une encoignure de la syna, c'était sans compter avec mon papa
qui le prenait par surprise…
Le Rabin se devait de faire la prière adéquate du vin ou de la boukha pour
chaque famille qui lui en donnait l'occasion, les verres, remplis à ras le
bord, faisaient ainsi le tour des lèvres.
Une fois, nos bougies posées sur un grand plateau gorgé de sable, nous
levions le siège tandis que le bedeau, sans attendre la fin de l'allumage de
nos cierges, les prenait pour les déposer dans son grand couffin. Enfin c'était
le bedeau. La séance se terminait une fois nos vœux et souhaits accomplis.
Je demandais souvent que mes parents aient une longue vie. C'est pour cela
d'ailleurs que mon père est mort jeune.
Une fois notre obole enfilée dans une caisse à résonance, posée à cet
effet, nous quittions la maison de D ieu, rassérénés.
ANECDOTES….
Il était d'usage vers le midi du lendemain de la "ziarra', que des
familles offraient aux voisins et amis un déjeuner copieux parfois frugal
suivant leur situation. Les rabbins avaient leur fidèle clientèle. Il
fallait obligatoirement la présence d'un 'minièn' ( dix hommes ) pour
chanter les prières réservées au saint…connu…….Bar Yohai…
Parfois, quand il en manquait un pour compléter 'la scène', l'un de nous, se
rendait dans les cafés avoisinants pour chercher le manquant qui souvent se désistait
et continuait sa belote plutôt que de venir faire la mitvah.
Il nous disait..
' Aâmèl kif mè cheft'nich..' ( Fais comme si tu ne m'as pas vu)
Et je lui répondais..
' Fémmè rabi kââd i chouffik..' ( Il y à Dieu qui te regarde)
Il me toisait pour me dire ' In yadin radèk..) Juron.
La table était souvent garnie de fèves au cumin, bien fumant, de divers
salades souvent coupées en rondelles tels que navets crus (left), carottes
bouillies ( mzourra) ratatouilles de tomates et de piments ( makbouba) de
courgettes ( ââjlouk) pommes de terre cuites, coupées en quartier et
assaisonnées de poivre, radis ronds, raiforts frais etc….. Plusieurs petits
plats à fond creux remplis de 'fékièe' de toutes sortes, quelques lames de
'adam hout' bien dorées accompagnaient la smala végétale. On trouvait aussi
bien souvent des brikhs frites farcies aux pommes, fricassés, quelques
macarons de pizza faits maison, des toasts garnis de thon ou de hachis de
poulet. La maîtresse de maison y ajoutait souvent une touche finale à sa
'pkaïla' et akoud. Un vrai délice servit modestement. La boukha et le vin
Bokobza était de mise et coulaient harmonieusement dans nos intestins, sans
chichi. Une ambiance conviviale régnait dans ses courtes joutes. Un candélabre
à 7 branches trônait au centre de la 'midèh'. Les conversations allaient
bon train. Pendant le Bar Yo Hai.
Parfois on critiquait le rabbin sur la lenteur de sa prière..
-'Chnouè yè rébbi…! Ech'biyè twéllèt èl harkè él ââm éhdè..…?'
(Eh rabbin comment se fait il que l'affaire ( prière) s'est prolongée cette
année…?'
-'Khèllini nékh'dèm ââlla rouhi …!Chmat…!'
(Laisse moi travailler….! Tas entendu…!')
-'Mènné khadmè…!'
(Drôle de travail..!')
Vers la fin, la maman nous offrait des gâteries orientales faites maison,
souvent très appréciables, 'manicotes', brikhs au miel en forme de cigare
…ou a en forme de losange, toujours farcies de pâte d'amandes. Un régal
'palaitaire'. Princier.
Les démunis s'invitaient, dés qu'ils apprenaient que telle ou telle famille
procédait à une 'séhouda maison'. Ils venaient souvent avec un couffin. Une
fois la collation terminée, ils empiffraient le couffin de tous les restes émiettés
qu'ils trouvaient sur la table, un peu comme les glaneuses, chères à
MILLET…La bagatelle était mise dans un désordre indescriptible. Parfois,
les sauces, mêlées au miel, coulaient par le fond de leur couffin, laissant
une coulante salée et douce rougeâtre sur le carrelage.
Yè Hassra…..! Aâlla ékèl wakt ehdèKKK…EL MèjiènnnnnnEEEEE….Chikhè…
): ): ): ): 5 sourires.
ALBERT SIMEONI
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