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ACHER MIZRAHI
1890-1967
Le festival international du Oud qu’a cree, il y a sept ans le directeur de «
Beit ha Confederatia » Ephy Benaya , est une reussite qui va sans cesse
grandissante ; c’est aussi et surtout un veritable phenomene de societe : les
salles en effet, sont remplies de Juifs et d’Arabes de Sepharades et
d’Achkenazes, un veritable microcosme de la societe israelienne.
Cette annee il nous propose un concert exceptionnel sur le grand compositeur et
poete Acher Mizrahi dont l’herithage multiculturel comprend des Piyoutims en
hebreu et des chansons en ladino et en arabe. Cette soiree est basee sur la
these du realisateur Yaacov Assal (petit fils d’ Acher Mizrahi) qu’il prepare
dans le cadre de l’Universite Hebaique de Jerusalem.
Acher Mizrahi (Acherico) est né dans la vieille ville de Jérusalem en 1890, fils
d'Isaac et de Vida née Alhadeff', originaire de Rhodes.
Au debut du siècle dernier, ses parents decidèrent de quitter la vieille ville
de Jérusalem pour s'installer dans le premier quartier, en dehors des murailles,
Yemin Moché. Acher Mizrahi,. était Hazan, chanteur et joueur de luth. Il se
maria très jeune avec Rahel, fille d'une famille les plus celebres de Jerusalem,
la famille Alcheihk.
Pendant la guerre des Balkans (1912-1913), l'armée ottomane mobilisa les jeunes
juifs. Devant le nombre importants de morts, certains Yerosolomitains decidèrent
de quitter le pays oú de se cacher.
C'est ainsi que le rabbin Paligel, de Jérusalem, aida Acher a quitte le pays
pour La Valette, dans l'ile de Malte muni d'une lettre de recommandation pour le
Grand Rabbin de la ville. C'est , deguisé en ouvrier qu 'il quitte la Palestine
sur un cargo transportant des oranges. La petite communauté de Malte, n'avait
pas besoin d'un autre chantre, et on le dirigea vers la grande Kéhila de Tunis
où "Baba Dany" l'aida à s'intégrer. Acher rencontra une communaute dynamique où
il fut tout de suite très bien accueilli. "L'homme à la voix d'or" de Jérusalem
conquit d'abord les Juifs de Tunis et puis ceux de toute la Tunisie. Il
developpa chez eux l'amour de Sion et de Jerusalem
En 1919, au lendemain de la déclaration Balfour, l'espoir de voir renaitre
l'Etat juif, l'appel de la grande famille en Palestine, decidèrent Acher Mizrahi
de revenir à sa ville natale Jérusalem. Il y retrouva, son quartier de Yemin
Moche avec le celèbre moulin de Montefiore, ses géraniums , et la synagogue où
il aimait chanter depuis sa plus tendre enfance. Acher Mizrahi, se remit a
composer des chansons en Ladino des "romances" que l'on fredonne encore de nos
jours, le president Isaac Navon est intarissable sur ce sujet si cher a son
coeur.
Le pere de l'ecrivain A.B. Yehoshoua dans son livre "Enfance dans la vieille
Jérusalem" decrit Acher Mizrahi : "…il était le plus célèbre de tous les
musiciens que connut Jérusalem. Sa renommée s'étendait même jusqu'aux villes et
villages arabes…Les jeunes filles de Jérusalem, racontaient que tous, garçons et
filles étaient séduits par sa beauté. Il était brun aux yeux verts et avait une
voix extraordinaire. Contrairement aux autres musiciens qui s'habillaient
négligement, Acherico était toujours tiré à quatres epingles… Un foulard de soie
blanche ou de couleur entourait toujours son cou, pour protéger sa voix. Lorsque
il arrivait, tous se levaient pour le recevoir comme on le fait pour recevoir
une personnalite. Il tenait son luth enveloppé dans la soie, sous son bras. Sûr
de lui, il marchait tranquillement…".
L'année 1929, en Palestine, fut celle de graves evenements.La ville de Hebron,
fut la plus éprouvée, et le slogan qui revenait toujours etait "édbah el yaoud"
(égorge les Juifs). Acher avait l'habitude de porter la "chachiya stambuli". La
"Hagana" lui deconseilla de porter le chapeau pour qu'il n'y ait pas d'erreur.
Ce que fit Acherico et qui deplut fortement à ses nombreux amis arabes, ils
virent dans ce geste son appartenance aux Sionistes, pour eux "Achir" n'etait
plus un natif, un "Oueld el Balad" .Les troubles s'aggravèrent, il y eut de
nombreux morts, dont ses amis les plus proches, ce qui le convaint de retourner
à Tunis.
Les chercheurs et musicologues, reconnaissent tous qu' Acher Mizrahi a introduit
en Tunisie, l'influence Andalouse, qui eut aussi un impact sur la musique arabe
tunisienne. Acher a écrit pour les plus grand chanteurs de l'époque; Il a
composé et écrit plus de trois cents chansons en arabe, plus de deux cent en
hebreu, sans compter celles qu'il avait ecrit en ladino. Parmi les nombreux
interprètes des années 20, la plus célèbre, fut sans aucun doute, Habiba Messika
- "Habibat el Kul" "l'aimée de tous".
Acher Mizrahi lui ouvrit le monde de la musique. Habiba Messika chantait surtout
des airs egyptiens, le repertoire d'Oum Kaltsoum, de Mohamed Abdelwahab et
evidemment ceux d'Acher Mizrahi.
Dans les annees 30, Acher entreprit un voyage à Paris pour enregistrer des
disques, avec les chanteurs Cheikh Elafrit, Chafia Rochdi, Dalila et le pianiste
Mess'oud Habib. La compagnie Pathé tourna un court métrage, aujourd’hui on
dirait un clip, ou Acher Mizrahi chante et joue du luth . C'est à cette epoque
qu' Acher Mizrahi fut accepté comme membre de la "Societe des Auteurs et
Compositeurs de Musique" de France (SACEM).
Dans son livre "Tunis chante et danse" Hamadi Abassi écrit que l'un des
chanteurs les plus en vogue Cheikh Elafrit, doit au "…compositeur-chanteur Acher
Mizrahi son plus joli succés, qui restera longtemps indetronable :"Tisfer we
titgharab" (voyage et tu connaitras le goût de l'exil. Je voudrais souligner le
fait que même dans cette chanson arabe, écrite pour un public arabe, Acher
Mizrahi parle de son pays natal. Il participait aussi chaque semaine a
l’emission hébraïque de Radio Tunis qui etait tres suivi dans le monde juif.
Le celebre et populaire chanteur Raoul Journo, admirateur d'Acher Mizrahi , se
souvient que pour être admis à Radio Tunis, il choisit l’un des grands succès
d'Acher Mizrahi "Ya ness Hamelth", pour lui il reste l'un des trois grands
compositeurs en vogue en Tunisie à cette epoque.
En 1946 Acher Mizrahi publie chez le grand editeur de Sousse Maklouf Nadjar, son
livre "Ma'adane Melekh" , un recueil de ses "Pioutim" . Dans la préface du
livre, le grand rabbin de Tunisie Haim Bellaiche écrit: "…Ces lèvres sont des
roses. Son palais des douceurs que l'on recherche du fin fond du pays et par de
la les mers, pour chanter ses chants orientaux….". Le Bey de Tunis le decora de
la medaille du "Nichan Ifftikhar".
On peut aujourd'hui avec le recul, affirmer qu'Acher Mizrahi a matiné la musique
judéo-tunisienne, des sons de la musique de Jérusalem. Son succés fut aussi
grand chez les amateurs de musique arabe comme me l'a confirmé, le grand
musicologue tunisien Saleh Mahdi.
En fevrier 1957, le président Habib Bourguiba visite la "hara"le quartier juif
de Tunis. Le président de la communauté Charles Haddad demande à Acher de créer
une chanson en l'honneur du Président, qui fut surpris par la qualite du chant
et aussi des paroles concues dans l'arabe le plus pur, qu'Acher parlait à la
perfection.
Acher Mizrahi revint dans le courant du mois d'Août 1967 en Israël, il s’est
promene dans la vieille ville, et rencontra d'anciennes connaissances juifs et
arabes, effleura d'une main tremblante les pierres du Kotel, revit avec bonheur
le quartier de son enfance Yemin Moche. Il s’eteint quelque temps plus tard dans
cette Jerusalem qu'il avait tant aime.
Aujourd’hui son souvenir est encore bien vivace dans de nombreuses memoires mais
ce qui est le plus important c’est que grace a ses nombreux eleves on le chante
plus encore de Jerusalem a Tunis , et de Paris a New York .
Que faire aujourd’hui ? si j’etais Tunisien j’organiserai au theatre de Carthage
un concert en l’honneur de celui qui a marque la musique Tunisienne et dont on
fredonne les chansons . Si j’etais Espagnol je demanderai au ministre des
affaires etrangeres, Miguel Moratinos, qui developpe actuellement l’etude de la
culture Sepharade, d’organise autour de cet homme de paix qu’etait Acher
Mizrahi, un colloque pour montrer qu’il avait ete le receptacle de la
sepharadite : il ecrivait et chantait en hebreu, arabe et ladino.
Claude Sitbon
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