|
|
LES MEMOIRES D’UN GOULETTOIS
L’ENFANT DE LA GOULETTE
PAR ALBERT SIMEONI (BEBERT)
A CHACUN SA GOULETTE.
Dans la série des portraits célèbres goulettois….
‘…….BAIZA…’
Baiza doit son surnom au son très personnel qu’il émettait en pinçant ses
lèvres et sa langue coincée entre ses gencives…YETLEK EL FESS ( traduit
littéralement = il cuit un jaune d’œuf ) Ce qui était loin d’être du
bon goût pour une certaine compagnie d’incultes, mal élevés. Ce
sifflement à répétition était son signe de reconnaissance, sa façon de
saluer ses amis, peu vertueux, qui se retournaient sur son passage. La plupart
du temps, avinés. Il faisait partie du sérail, celle des ‘compagnons de la
table Bokobza, grand chevalier de l’ordre du mérite dans l’alcool avec
distinction honorifique’. Plusieurs médailles internationales à son actif.
Ce prestigieux millésime était souvent accompagné d’entrées (khèmia)
L’apothéose de ces fines joutes était de goûter ‘aux morceaux de sexe
de taureau ou de bœuf ( Akoud) coupés en rondelles et assaisonnés en sauce
qu’il fallait manger chaud - ni tiède ni froid - sinon la sauce et les présents
prenaient la forme de béton armé ou ‘blenz’, donc indigestes. Mais
avant, le restaurateur, et selon l’envie de ‘la smala’, pouvait servir
des grillades, entre autres des rognons ( couilles) en grillades. Les fins
connaisseurs s’empiffraient aussi de plats maisons tels que ‘ Pkaila’
‘ ou ‘Harissa maison ‘ que leurs femmes leur diligentaient par porteurs
soit la ‘bonne’ ou un des enfants. Donc, nos héros avaient une prédilection
pour les ‘sex animaux’. Quand l’alcool montait à la tête, il était
courant de ‘blasphémer ‘ avec ‘In yaddin rab..’ pour un rien, juste
pour animer l’ambiance emprunte de rire et d’éclats embrumés chers à
Bacchus. On était entre hommes.
Baiza avait beaucoup d’estime pour mon père…comme d’ailleurs la plupart
de ses amis qui lui voulaient du bien d’autant plus qu’Ayouch’ mon père,
était toujours prompt à régler l’addition. Ce genre de personne ne court
pas les rues et pourtant il s’en est trouvé un de pigeon/ père pour
assouvir et pourvoir à leurs vices sans vertus.
Baiza était l’énième enfant d’une belle-famille qui comptait, je ne
sais pas, que des hommes et une sœur. Les ‘Rzel’ ( Gazelle) sont
cordonniers depuis des lustres sauf un qui a poussé ses études jusqu’à
l’Université de la Goulette, il est sorti en CM 2. Jugeant certainement que
les semelles ne l’intéressaient pas. A juste raison.
Très sympathique, notre ami Baiza . Célibataire endurci. J’ai fis sa
connaissance vers les deux heures du matin, tout jeune enfant, alors que je
sommeillais dans mon lit au premier étage de notre ancienne maison natale de
la rue Pasteur (Immeuble Perez), j’entendis un long cri de terreur…Un cri
de loup….
‘Aaaaaaaaaaaaayouchhhhhhhhhhhh ‘ (Trois fois)
Un hululement qui faisait sursauter tout le quartier à cette heure tardive de
la nuit. Mon père me rassurait en disant que son ami avait bu. Chaque nuit ou
presque, à la même heure, Balbick claironnait sans honte ni pudeur à la
belle étoile, en tous temps et à tous vents. Seuls témoins de ces
turpitudes. Et puis un jour, son cri de détresse prit fin, nous avions déménagé
et Balbick s’étant fait une raison cessa pour cause……de départ. Il
immigra à Paris dans la foulée des ‘déracinés de 67’.
Un jour, contre toute attente, à Paris, je vaquais à mes occupations dans ma
boutique (1999) quand……
‘Aaaaaaaaaaaayyyyyyyyouchchchchchche..’
Je fus saisi d’une intense émotion. Là, devant mes yeux, je vis Baiza
encadrer le seuil de ma porte d’entrée, tenant un couffin et, dans mon
esprit, mon défunt père près de lui.
|