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Des yeux pour regarder Par Sami Al-Soudi |
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Des yeux pour regarder Par Sami Al-Soudi (info # 010311)
© Metula News Agency
Israël a des tanks, des avions, des stratèges et surtout, un système politique stable,
quoique bruyant, qui lui assurent une profondeur stratégique appréciable, lorsquil
sagit de mener une confrontation. De notre côté, il faut bien admettre, au risque
de ne rien comprendre, que nous ne disposons que darguments très réduits, dans
tous les domaines que jai cités plus haut ! Le chef de lAutonomie
palestinienne, Yasser Arafat, a une cause à défendre, bien plus quun plan
cohérent à promouvoir. En dautres termes, il sagit pour le vieux leader, de
tirer le meilleur profit de ce que chacune des composantes humaines de la communauté
palestinienne peut proposer. Dans cette diversité, toutes les tendances sont mises à
contribution, celles qui font parler delles par des actes de terreur et jusquaux
intellectuels, éduqués à loccidentale, qui comme moi, rejettent avec dégoût le
meurtre de civils innocents, comme moyen datteindre un objectif politique.
Arafat a développé une méthode, basée plus sur son instinct consommé de la
survivance, que sur une organisation cohérente. A la place de choisir une voie qui lui
convienne et de faire taire celles qui le dérangent, il laisse se développer une
multitude de sous-pouvoirs, aux aspirations et aux manières contradictoires, quil
dote de prérogatives et de moyens limités. Sitôt que lun de ces sous-pouvoirs a
tendance à prendre trop dimportance, il ajoute du champ à celui qui sy
oppose. Et rien nest plus facile pour lui, puisquil contrôle de façon
absolue, les réserves financières de notre cause, ainsi que tous les attributs du
pouvoir politique.
Le Raïs flatte ainsi les ambitions personnelles dune bonne vingtaine de petits
seigneurs de Palestine, en donnant aux civils, les moyens de sopposer aux desseins
des colonels, ainsi quaux partisans de la paix avec Israël, la force dendiguer
les revendications des jusquau boutistes islamistes. Arafat sest approprié la
devise du « diviser pour régner », en lui apostillant celle du « se diversifier pour
subsister ». On pourrait dire aussi, quil mange à tous les râteliers, y compris
à celui de la terreur. Ce serait absolument vrai mais si on se concentrait uniquement sur
cet aspect des choses, cela amoindrirait les chances dappréhender la seule tactique
discernable de son attitude politique. Arafat a mis le feu à lIntifada et depuis,
il se contente de lancer ses dizaines de cavaliers, aux buts contradictoires, dans toutes
les directions possibles.
Arafat, dans sa tactique, na même pas hésité à diviser le pouvoir de son propre
mouvement, en deux groupes qui se haïssent de toutes leurs forces et qui sont, dun
côté, les Tanzim de Barghouti et de lautre, les barons du Fatah, les revenus de
Tunis, qui sont emmenés par le colonel Jibril Rajoub et par Mahmoud Abbas (Abu Mazen
Ndlr).
Au plan de la propagande et dans la vision arafatienne de son acception, sa tactique a des
avantages, puisque lorsque le Hamas tue des civils israéliens à Jérusalem, Arafat sait
que les gens censés, que sont Abed Rabou, Ashrawi, Abu Mazen et Nusseiba, vont condamner
cet acte en toute bonne foi. Inversement, lorsque rien ne bouge, sur la scène politique
et que le petit peuple des camps macère dans la misère et la promiscuité, les discours
survoltés des Imams, de Rantisi et du Cheik Yassin, diffusent la colère des masses, sans
réellement ébranler lassise du chef suprême.
Arafat est devenu un expert mondial du jonglage total et discontinu entre les courants
politiques. Cette semaine, dans la ligne la plus pure de la tactique que je viens de
décrire, il sest cependant livré à un acte de ré-équilibrage, dont il ne
faudrait pas manquer la signification, au risque cette fois, de passer à côté dun
événement majeur. Arafat vient en effet de nommer à la tête des questions relatives à
Jérusalem, en remplacement du défunt Fayçal Husseini, le très pragmatique et très
intellectuel Sari Nusseiba. Nusseiba, qui sétait pourtant retiré de la vie
politique, afin de devenir Président de lUniversité dAl Quds, est le plus
réaliste des leaders palestiniens actuels. Cest lui qui avait déclaré au Time
Magazine : « Divisons ce territoire entre les deux peuples. Nous pouvons vivre ici en
deux États ou en un, pour autant que lavenir soit construit dans le respect mutuel,
la sensibilité mutuelle et la reconnaissance mutuelle. »
Nusseiba, que jai connu lorsquil était professeur de Philosophie à luniversité
de Bir Zeit, est un ami personnel et intellectuel très proche. Un de ceux, qui ne serait
ni étonné, ni écuré, de savoir que je collabore à la Ména et qui soutiendrait
sans faiblir mon initiative. Nusseiba, qui a déclaré notamment, que «lacceptation
initiale des accords dOslo signifiait obligatoirement labandon de la
prétention au droit du retour, pour les déplacés de 48, sur le territoire dIsraël.
» Encore, a-t-il ajouté, « désormais, cest dans la portion de terre, qui
deviendra lÉtat de Palestine, quil conviendra daccueillir les
réfugiés palestiniens ! »
Évidemment, et comme vous limaginez, les mouvements islamiques réclament à corps
et à cris lannulation de la nomination de Sari à ce poste de première importance,
dans la hiérarchie de lestablishment palestinien mais ceci ne fait que conforter
Arafat dans son choix. Il a désormais en main une nouvelle carotte pour les Américains,
les Européens et les Israéliens et un nouveau bâton, contre les islamiste, sous la
forme dun message politique scintillant : « soit vous respectez mes instructions,
soit je vais encore nommer des hommes de la tendance Nusseiba à dautres postes
clés ». En termes arafatiens, il sagit dun coup de maître !
Un des éléments qui a certainement pesé lourd dans le choix de Sari, pour le
remplacement dHusseini, est sans doute à rechercher dans la détérioration de létat
de santé de Yasser Arafat. Je sais, en effet, que les fréquents déplacements du Raïs
au Caire, ont autant pour but de rencontrer le Président Moubarak, que deffectuer
des analyses médicales suivies, à lHôpital militaire Maadi.
Les symptômes médicaux de la maladie dArafat, que sont les rougeurs oculaires
persistantes, un tremblement accentué de la lèvre inférieure, du bras ainsi que de la
jambe gauche, vont en samplifiant. Ces dernières semaines, Arafat a perdu plusieurs
fois connaissance, que se soit en conseil des ministres ou à loccasion de
rencontres avec des dignitaires arabes. Son médecin personnel, qui nest autre que
le ministre jordanien de la Santé, le Dr. Ashraf Al Kurd, un diplômé dHarvard, se
montre inquiet pour létat général du Raïs. Dans ces conditions, on ne sétonne
pas de voir le leader historique de la cause palestinienne, procéder à un «
ré-équilibrage », afin de parer à toutes les éventualités, comme on a coutume de
dire.
La nomination de Nusseiba, renforce du même coup les chances de succession dun
autre personnage, ambitieux et pragmatique. Ce personnage, nest autre que Jibril
Rajoub, alias Abu Rami, le colonel chargé par Arafat du « Service de sécurité
préventive ». Dans les faits, Rajoub a constitué une armée « privée » dans lAutonomie
; une force bien entraînée et bien équipée, denviron 15.000 hommes. Rajoub, qui
a 47 ans, parle lhébreu couramment, puisquil a été à lécole des
geôles dIsraël pendant 17 ans. Il a été condamné à la prison à vie en 1970,
pour activités terroristes. Relâché en 85, lors dun échange de prisonniers, il a
encore été déporté au Liban en 88. Du Liban, il a rejoint Yasser Arafat en Tunisie,
puis à Gaza.
Rajoub est le plus « israélien » des chefs palestiniens. Contrairement à beaucoup dex-prisonniers
dIsraël, il na pas seulement appris la langue des juifs mais aussi leur
mentalité, leurs habitudes, leur savoir-faire et leur mode daction. Sous une
apparence rude et rustique, se cache un homme extrêmement intelligent et ambitieux mais
aussi un personnage assez effrayant, pour lequel la fin justifie presque tous les moyens.
Ainsi, Rajoub navait pas hésité à arrêter Maher Al-Almi, le très influent
rédacteur en chef du journal Al-Quds, parce quil avait publié en page intérieure,
un article « commandé », comparant Arafat au Calife Omar Al-Khattaeb, un chef
historique de lIslam du 7ème siècle, à la place de le mettre en première page,
« comme on le lui avait demandé ». A tous ceux qui sont intervenus pour faire libérer
léditorialiste, Jibril Rajoub a simplement répondu : « il est en détention parce
quil est mal élevé ! »
Jugeant, sans doute, que linfluence dAbu Rami sétendait trop vite et
dans le respect de sa tactique, Arafat lui a collé deux commissions denquêtes à larrière
train. Leur but déclaré, faire la lumière sur les méthodes quelque peu expéditives,
avec lesquelles Rajoub traite ses opposants. Nous savons par exemple, que le « colonel »
sest livré à un véritable duel au pistolet avec un autre dirigeant palestinien,
qui lui faisait de lombre, Shaker Habash. Rajoub avait alors déclaré son intention
de « le piétiner avec ses souliers ». Dans les sphères de lAutonomie, on est
aussi persuadé, que Jibril Rajoub a aidé les services israéliens à capturer deux
membres influents du Hamas.
Cette opposition aux islamistes, cest une constante, chez le chef de la «
Sécurité préventive », il nen fait dailleurs pas mystère. Rajoub a, par
exemple déclaré : « Je ne crois pas que les Palestiniens veulent vivre dans un Etat
islamique ! » et « je nai pas pris part à la lutte nationale pendant 18 ans, pour
voir le Cheik Ahmed Yassin (chef spirituel du Hamas Ndrl) prendre la tête du peuple
palestinien ! ». A propos dun autre leader du Hamas, Abdel Aziz Rantisi, Rajoub
prétend « quil mérite entre 15 et 20 ans de prison ! »
Rajoub dispose de moyens financiers non-négligeables, pour étendre sa renommée. Arafat
la, en effet, laissé acquérir des parts dans de nombreux business de Cisjordanie
et même dans le Casino de Jéricho. Lorsque cela ne suffit pas, Abu Rami dispose dun
droit dentrée permanent, auprès du tout puissant
trésorier-gestionnaire-comptable-conseiller financier rapproché du Raïs, Muhammad
Rashid.
Et même si les relations entre Rajoub et les Israéliens se sont quelque peu
rafraîchies, après que larmée juive a bombardé la caserne principale des
Services de sécurité préventive, détruisant le bureau de Rajoub, cest toujours
et seulement en lui, que le gouvernement israélien à confiance, lorsquil sagit
de faire respecter sur le terrain un accord politique. Lex-premier ministre Barak, lappelait
en souriant du surnom israélien de Gavriel Regev ! Le gouvernement actuel a exigé, que
ce soient les hommes de Rajoub, qui investissent Bet Jala, après le départ de ses
soldats, ainsi que les deux buttes de Hébron. Tant que lAutonomie « refusait denvoyer
Rajoub », les Israéliens refusaient de quitter ces secteurs doccupation.
Désormais, les Israéliens exigent encore, que Jibril Rajoub assume la sécurité des
cinq villes palestiniennes restant sous leur contrôle, comme condition de leur retrait.
Cest vrai que, depuis que Rajoub a déployé « ses » soldats à Bet Jala, les
attaques des Tanzim contre Gilo ont quasiment cessé.
Au-delà des considérations dont jai parlé dans cet article, et si on admet, comme
des gens sérieux, quil nexiste pas de solution magique, pour faire
disparaître 5 millions dIsraéliens, dun côté et 4 millions de Palestiniens
de lautre, il faudra bien mettre à lécart les extrémistes religieux
fanatiques des deux bords et accéder à une paix de compromis. Lun des hommes qui,
du côté palestinien, soutiennent cette option, cest justement Sari Nusseiba et son
allié de fortune, Jibril Rajoub. Pour les Israéliens qui ont le courage de ne pas se
laisser aveugler par leur propre propagande, il convient de mettre en place, avec ces
hommes, les dispositions dapplication du plan Clinton, en favorisant lapproche
pragmatique de ces Palestiniens, par une discussion honnête et efficace. Tout manquement
à reconnaître cette nécessité, à faire des amalgames simplificateurs entre les
courants palestiniens, aurait pour conséquence déloigner le seuil de la paix et de
favoriser, ceux dentre nous, qui exigent la destruction dIsraël. Ignorer la
présence de Nusseiba à Jérusalem, constituerait un manque évident de discernement
politique grave, de la part du pouvoir israélien, car, enfin, si on a des yeux, cest
bien pour regarder, non ?
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