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Lorsque j'avais neuf ans j'avais opte pour la synagogue d'E'in Esemch (l'oeil du
soleil) qui avait ete amenagee par le grand-pere de Leila Fitoussi dans une chambre au
premier etage de sa maison dans l'ancien quartier arabe. C'etait a E'in Esemch que la
plupart des Juifs habitaient avant l'arrivee des Francais a Beja.
Chacune des familles qui habitait dans ce quartier pouvait raconter le
passe lointain de Beja. Elles connaissaient l'histoire de chaque famille juive et musulmane
qui habitait ou qui avait habite Beja. Elles determinaient l'age et les evenements en
fonction des annees passees dans chacune de ces anciennes maisons du quartier. Cette
synagogue servait dans mon temps les vieux qui n'avaient pas quitte le quartier. La
nouvelle synagogue du "Rebat" etait un peu loin pour les vieux. La plupart n'avaient
jamais bouge de ce quartier, leurs familles y habitaient depuis des siecles.
Les samedis j'allais prier dans cette petite synagogue. Les vieux de cette
synagogue etaient pieux et pauvres, mais ils degageaient de la bonte et de la gentillesse.
Quand j'etais avec eux, je sentais que je respirais l'air de la vie. Ces vieux me
transmettaient un sentiment celeste et une purete humaine emanait de leurs personnes.
En un mot, ce qu'il y a de plus haut dans l'etre. C'etaient pour moi des moments
solennels. J'etais le seul enfant, parmi ces vieux, qui savait bien lire
l'hebreu. Les femmes, avec leurs chemisettes bouffantes, leurs jupes faites d'un morceau de tissu
qu'elles roulaient autour de leur corps, qu'on appelait "Fouta", leurs tetes couvertes de
"Takritas" (foulards) attendaient en bas dans la cour et ecoutaient les sons des chansons
lithurgiques et des prieres qui sortaient par une petite fenetre de la synagogue que les
hommes laissaient ouverte durant le service. Quand je lisais la paracha de la semaine
du Sefer Tora, ( le rouleau en parchemin), tous etaient silencieux pour
m'ecouter. Une fois la lecture terminee, je devais faire le tour de tous ces vieux qui me
felicitaient avec des compliments hebraiques, comme: "Hazak Veematz", ou "Hazak ou
Baroukh" ou "Tizke Le Chanim Rabot" ou "Tizke le Hayim". ("Sois fort et courageux" ou "Sois fort
et beni" ou "Que tu vives de nombreuses annees" ou "Que tu merites la vie").
C'etait la coutume.
Une fois les prieres du samedi terminees, ces femmes nous accueillaient dans la
cour ou elles avaient prepare la table avec de la Boukha (boisson alcoholique de figues)
et de la "Tfina Kameh" (pieds de veau avec du ble) ou de la "Tfina Camounia" (pieds
de veau avec des pois chiches, de l'ail et du cumin) ou de la "Tfina
Pekaila" (epinards frits a l'huile avec des pieds de veau et de la viande), ou encore de la "Tfina Nikitous"
une soupe de poulet preparee avec des morceaux de sellerie et des pates fines rondes
faites a la main) qui avaient cuit lentement toute la nuit et que l'on mangeait avec les
grains de couscous. Chaque semaine nous nous regalions d'une autre Tfina. En sortant
je me sentais purifie par tout ce que cette ambiance creait en moi. Ces sentiments me
penetraient jusqu'au trefond de moi-meme, je les gardais jalousement comme un
tresor sacre et en sortant, de peur de les perdre, j'evitais mes meilleurs amis, que je
pouvais rencontrer dans la rue. Je flanais dans les ruelles qui me parraissaient vides, afin de
retarder mon entree a la maison. Ainsi je reussissais a prolonger cet agreable
etat d'ame. Je me croyais le seul a etre enveloppe de ces doux sentiments. Je les
considerais personnels et sacres. Mes parents et mes amis ne pouvaient pas comprendre
que mon isolement etait volontaire. J'avais beaucoup de comprehension et du respect
pour eux.
Aujourd'hui, je me sens privilegie de pouvoir me refugier a certains moments
dans ces agreables souvenirs. Je me rends compte, qu'il n'est pas donne a tout le
monde de trouver son petit coin personnel et paisible. Malgre l'evolution que nous
pouvons passer dans la vie, nous avons tous le besoin de nous retirer en
nous-memes et dans notre propre monde.
Ce meme sentiment emanait aussi d'un viel homme musulman qui etait pieux et qui venait visiter papa au magasin, ce qui me fait penser que certaines personnes possedent
cette serenite, sans rapport a quelle religion elles appartiennent. Depuis j'ai appris
a respecter tous les etres, quels qu'ils soient.
Emile Tubiana
LPILTD@AOL.COM
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