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PELERINAGE SUR LA TOMBE DE RABBI FRAJI CHAOUAT A TESTOUR |
..."Je me souvenais des
beaux pèlerinages de Testour, auquels j'avais participé avec mes parents. Tous les ans
on allait au pèlerinage de Rebbi Fraji Chaouat de Béja, originaire d'Espagne et qui
était venu de Fez. Après avoir été rabbin et médecin, il mourut vers 1610 à Béja.
Il était très respecté par la communauté juive et par les Musulmans de Béja. Avant de
mourir il avait voulu être enterré là où sa mule, qui portait son corps
s'arrêterait..
Depuis ce temps, tous les ans le pèlerinage se tenaient à Testour auprès de sa tombe. J'avais entendu beaucoup d'histoires sur les miracles qu'il avait fait. C'était devenu une tradition, que celui qui avait un voeu, allait prier sur sa tombe et son voeu était exaucé. J'avais été témoin d'une amie de ma mère qui habitait à Bone "Annaba"(Algérie) et qui n'avait pas pu avoir d'enfants depuis qu'elle s'était mariée. Elle était resté treize ans sans enfants. Ma mère l'avait invitée à participer avec nous au pèlerinage de "Rebbi Fraji" afin de prier pour un enfant. L'année d'après, elle avait visité avec nous la tombe du saint, neuf mois plus tard elle avait accouché d'un garçon. Depuis, chaque année elle venait au pèlerinage avec son fils. Notre tradition voulait que chaque année les Juifs Béjaois aillent à pied au pèlerinage de Rebbi Fraji Chaouat qui était enterré à Testour. Le fait que sa mule avait choisi Testour n'était peut-être pas un simple hasard. Aujourd'hui on sait que Testour en Sumérien veut bien dire Terre Sainte. Chaque année on se préparait à l'avance pour ce pèlerinage, qui se tenait à Soukkot, la fête des tabernacles, qui symbolise la vie dans le désert durant l'exode des Israëlites d'Egypte. L'après-midi du premier jour de Hol-ha-moëd, toutes les familles juives se groupaient sur l'esplanade de l'avenue de la République et chaque famille formait une caravane. Certaines apportaient avec elles un mouton. Il y avait des familles qui préféraient l'égorger à Béja, d'autres le prenaient vivant et l'égorgeaient à Testour. Les caravanes comptaient quelques centaines de personnes. Elle se formaient devant l'ancien Café Bijaoui d'avant guerre. Les caravanes se composaient des membres de chaque famille, et à elles se joignaient les voisins ou certains amis qui avaient une même affinité. Certaines amitiés se nouaient juste avant ou pendant les jours de pèlérinage. Pour nous les enfants c'était une grande excursion. Chaque famille essayait de tenir les enfants à coté, mais les familles se mêlaient et les parents commençaient à perdre patience. Plus d'une fois, une famille cherchait un de leurs enfants. Ce délai retardait le départ de la grande caravane béjaoise. J'avais plusieurs fois participé aux pélérinages. D'année en année les amitiés se changeaient. C'etait ainsi que les familles faisaient la connaissance des enfants, des parents et grands parents des autres. Les caravanes commençaient la marche, d'abord vers le stade de football afin de s'organiser et de créer des distances entre les grandes familles. Les plus vieux étaient les chefs de familles. Ceux-là marchaient devant en tête de chaque famille. Les hommes et les enfants qui pouvaient marcher allaient à pied. Les vieilles femmes montaient sur des charettes à chevaux, certains montaient à cheval. Les jeunes hommes restaient à l'arrière des femmes pour les protéger des bandits. Certaines familles étaient tellement grandes qu'on ne voyait pas la fin de la file. Ils faut reconnaître que les mariages entre Béjaois étaient fréquents. Un jour mon père me disait:
Les premiers kilomètres étaient les plus agréables. La route était plus au moins droite; les jeunes se sentaient les plus forts, un esprit de compétition se créait parmi les differentes generations. Mais dès que l'on dépassait les vieux, nos pères nous rappelaient qu'il fallait ralentir pour permettre aux femmes et aux vielles personnes de maintenir le rhytme avec nous. Le trajet à Medjez-El-Bab durait jusqu'au matin, on allait doucement, on chantait des chants de pèlerinage. Medjez-El-Bab représentait la première étape. Là, les caravanes de ceux qui venaient de Tunis et d'autres villes s'arrètaient pour se reposer et se débarbouiller. Vers dix heures du matin le lendemain, les premières caravanes de Tunis arrivaient à Medjez-El-Bab. Les caravanes s'arrêtaient et les Béjaois attendaient sous les arbres d'eucalyptus qui donnaient un ombrage agréable aux familles pour se reposer et se réorganiser pour la dernière étape vers Testour. Elles avaient avec elles, des musiciens qui jouaient du biniou, de la Zokra (flûte tunisienne) de la Darbouka (un genre de tambour oriental) et d'autres qui jouaient el Oud ouel Ejrana (du luth et du violon). On continuait ensemble la route jusqu'à Testour. Quand on arrivait à Testour les habitants nous attendaient avec des youyous. Chaque famille juive s'hébergeait dans une maison musulmane. Une fois que les familles avaient pris possession temporaire des lieux, celles-ci étaient libres d'aller à la tombe du saint à tout moment. Les femmes musulmanes préparaient des Jradeks, un genre de pita, (les Tunisois l'appèlent "Khobz Tabouna" bien connu dans le nord de la Tunisie). La plupart des Musulmans refusaient le payement pour le logis et pour les Jradeks. Ma maman avait besoin de beaucoup de temps pour s'occuper de la famille avant d'aller visiter la tombe. En attendant, nous les jeunes étions impatients, nous sortions dehors comme les premiers éclaireurs, les rues de Testour étaient semblables aux rues de Béja. Nous nous amusions a visiter d'autres rues sans toutefois perdre de vue la rue de notre domicile temporaire. A cette occasion on faisait la connaissance de jeunes enfants venus d'autres villes, certains nous invitaient chez eux, nous invitions des nouveaux amis chez nous. Ainsi nous gardions nos parents toujours en action. On passait un jour ou deux à Testour, pleins de joie et de gaieté. Pour les Juifs du nord de la Tunisie y compris les Juifs de Bone et Constantine, le pèlerinage de Testour était aussi important que le pélerinage de la Ghriba à Djerba pour les juifs du sud Tunisien. On dit que l'avenue Sidi Frej de Béja était au nom de Rebbi Fraji. Alors, le chemin de Testour passait par le pont Trajan, le cortège de Rebbi Fraji passait par le chemin qui était devenu Sidi Fraj. Certaines familles faisaient le pèlerinage de la Ghriba à Djerba, du Maarabi près de Gabès et enfin, de Rebbi Fraji à Testour. Les Tunisois avait leur Saint "Rebbi Hai Taieb Lo Met" au vieux cimetière de Tunis. Son pèlerinage était très important pour les Juifs tunisois. Je me souviens de notre première visite à la tombe du saint. Le mausolée de Rebbi Fraji était plein de pèlerins. La tombe se trouvait au centre d'une grande salle. Les femmes et les enfants chantaient et faisaient des voeux. Puis du coup le corps de musiciens avec les binioux et les tambours jouaient des sons qui résonnaient et électrifiaient tous ceux qui etaient présents, avec le rhytme acceleré de la chanson de rebbi Fraji " Lah y lana lah y lana essayed icoun emaana". Certains rentraient dans l'extase de la danse certaines femmes suivaient le rhytme, jusqu'a perdre la tête. Dans ce chahut je me souviens aussi, du moment où comme un silence de l'âme s'accaparait de moi, je sentais le rayonnement qui emplissait tout l'espace et mon être. C'est ainsi que je saisissais la croyance en une force suprême. De même je comprenais que cette force jaillit dès que nous nous trouvons dans la joie. Dans ces moments, tous les problèmes qui nous accablaient tous les jours disparaissaient. Les visiteurs donnaient des offrandes sans réserve. Certains distribuaient même de l'argent. Une atmosphère de sérénité et d'une douceur particulière remplissait nos coeurs. La bonté et la générosité abondaient. Nous nous sentions du coup des frères et des soeurs. Voici les souvenirs que l'enseigne qui disait "Testour" avait reveillée en moi. Tout ces souvenirs se déroulaient dans le silence,..... Emile Tubiana LPILTD@AOL.COM
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