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La conquête de l’Ouest… de Tunis


   

 Fallait pas me prier !

1959 : je devais avoir 6 ou 7 ans. La perspective d’un tour de piste sur les chevaux de bois de l’avenue Jules Ferry me remplissait d’une jubilation intérieure que personne ne pouvait deviner et que je m’efforçais de camoufler de peur d’en faire monter le prix. Qui sait ? Aurait-il fallu, la semaine suivante, ramener un 10/10 en dictée pour bénéficier du droit à la chevauchée fantastique ? Mieux valait recevoir la proposition avec une sérénité feinte et répondre par un blasé : "Pourquoi pas ?".

Je sentais bien que ma sœur Annie, qui n’avait que trois ans de plus que moi, partageait cette même fièvre hippique et qu’elle avait choisi le même stratagème que moi auprès de Papa et Maman.

Il s’agissait, assis sur une carriole, de driver le cheval en bois monté sur roues devant soi. Nous disposions de rênes pour faire pivoter la roue antérieure et d’un pédalier de vélo. Le site de l’attraction était situé, je crois, non loin de la gare de départ du TGM de l’avenue Jules Ferry. La piste n'était pas goudronnée et le parcours était fait de deux longues lignes droites avec virages en épingle à cheveux aux extrémités.

Une fois installé, le western pouvait démarrer. Je me disais que je faisais bien de ne pas dévoiler à mes parents les dangers qui me guettaient en prenant les rênes de ma diligence. Déjà, les hirondelles qui se pressaient dans les feuillages des arbres qui bordaient l’avenue Jules Ferry s'étaient métamorphosées en autant de vautours guettant le cow-boy bientôt vaincu par la soif après la traversée de la Vallée de la mort. Je décidai de leur sourire en guise de défi.

Après quelques mètres, je pouvais, en longeant la gare TGM, rebaptisée gare de Santa Fé, apercevoir le visage du chef de gare : Gary Cooper, vieilli, fuyait mon regard, conscient de sa déchéance. Il aurait dû, pourtant, être assuré de ma mansuétude, persuadé que j'étais déjà que "les héros ne meurent jamais".

Mais trêve de sensiblerie : la mission qui m’avait été confiée était des plus périlleuses, mais comme je n’avais été confronté, au cinéma, qu'à des happy end, j'étais gonflé de confiance et persuadé que la cargaison d’armes et de munitions que j’avais chargée au départ parviendrait bien aux forces nordistes qui m’attendaient de pied ferme.

La première partie du parcours se déroula sans encombre. Il y eut bien quelques coyotes venant de la gauche comme porteurs de mauvais présages. Mais il y avait longtemps que j’avais choisi de ne plus être superstitieux pensant que ça portait malheur.

J’avais choisi la meilleure monture de la région. Sa robe blanche tachetée de noir lui procurait une classe dont elle devait être consciente et c’est sans doute à sa résistance hors du commun que je dois ma survie et le privilège de pouvoir vous narrer cette aventure aujourd’hui.

Très tôt, nos affaires à Glibette – c'était son nom – et moi allaient vite dégénérer. Il n’y avait pas que les Sudistes qui avaient intérêt à voir mon entreprise échouer. Les Apaches, dont je devais traverser le territoire, convoitaient, eux aussi, mon chargement. Ils avaient compris la supériorité des armes à feu sur leurs flèches, lances et autres tomahawks.

C’est pourtant avec une flèche empoisonnée que leur comité d’accueil me souhaita la bienvenue. Je perdis vite connaissance, non sans avoir préalablement vu défiler, dans mon subconscient, le Casino de la Goulette, un Frigolo au chocolat et le numéro 125 de Spirou.

A mon réveil, une gentille infirmière me souriait. Curieusement, elle se présenta comme étant une certaine Corinne Zerbib, ce qui ne faisait pas très couleur locale. Je ne compris rien à ses explications mais toujours était-il que mon bras était pansé et que la plaine était jonchée des cadavres de ces pauvres Apaches dont je n’appris que beaucoup plus tard qu’ils n'étaient pas les sauvages sanguinaires que j’imaginais.

Le paysage avait changé. Les Rocheuses avaient remplacé le désert et Glibette et moi avancions avec les plus grandes difficultés.

Nous dûmes affronter les éboulements de la montagne, une tempête de neige, l’attaque d’un puma qui avait cru pouvoir faire de Glibette son sandwich et de votre serviteur son dessert. C’est moi, finalement, qui possède aujourd’hui une magnifique descente de lit.

La fièvre, par malheur, allait me vaincre, si près du but. Je pouvais, en effet, apercevoir les contreforts de la Sierra Madre où se morfondait le Général Lee dans l’attente de ma venue. Mais cet horizon qui paraissait si proche était encore à deux jours de cheval. Les antibiotiques n’existant malheureusement pas en cette fin de 19e siècle, je savais que c'était la fin. Les vautours de l’avenue Jules Ferry tournoyaient de plus belle. Corinne Zerbib était restée dans les environs d’Apache City et ma réserve de Whisky était épuisée.

C’est pourtant encore cette merveilleuse Glibette qui parvint seule à destination, devinant ma déficience et le trajet à suivre. Recevant à Fort Faith les soins adaptés, je pus repartir très vite, ma mission accomplie.

Je me rendis vers le village de San Francisco où, paraissait-il, on trouvait de l’or à gogo.

A l’entrée du bourg, j’aperçus avec étonnement Papa et Maman. Comment avaient-ils fait pour être là avant moi ?

Je décidai de rejoindre mes parents et de confier Glibette à un fermier sûr, moustachu et qui, bizarrement, était coiffé d’une chéchia.

J'évitai de leur dire le moindre mot de mes péripéties aventureuses et de la mort que j’avais frôlée.

Pourquoi les inquiéter inutilement ?

 

Jean-Pierre Chemla

 

Ci-dessous: ma nièce, Muriel, drivant Bomboloni, le frère jumeau de Glibette

           

 

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