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Le Faiseur de beignets. Knendli.
Il y en avait 5 ou 6 à la Goulette de marchands de beignets éparpilles sur
nos avenues. Si ma mémoire est bonne.
J'étais client chez celui qui était situé entre le Casino et l'épicerie à
deux portes Hamza. Le propriétaire était natif, tout comme ceux qui
l'aidaient dans sa tache, du Sud de la Tunisie, du Jrid.
Je le voyais toujours assis, 'mgamèz', rarement
debout, en tailleur comme un bouda sur 'la doukhana',
un bâtit carrelle à mi-hauteur d'homme, habillé d'un Serwel
ample et d'une simple chemise. Il était coiffé d'une chechiè
ou tout simplement d'une calotte tressée. De couleur blanche. Une généreuse
moustache à l'ancienne 'naturelle'
bien coupée
lui donnait un air austère.
Il portait aussi un tablier bleu noué à hauteur des hanches, qui lui servait
à s'essuyer les mains ' gluantes et enfarinées' toutes les deux minutes.
Il dominait de tout son sérieux son bac à huile, encastré dans ce bâtit.
Un 'Babour' ( grand primus = primus étant une marque ) caché à la vue de la
clientèle, alimenté au pétrole à ces débuts, chauffait à grand bruit, la
généreuse huile dormante dans ce grand contenant de couleur noir à force d'être
'brûlé'. La bonbonne de gaz vint, plus tard, remplacée cette première énergie.
Ce qui m'impressionnait le plus, c'est sa façon à confectionner ses beignets
à l'huile ou au miel, avec une grande habileté. Il prélevait son morceau de
'ramollie', toujours de la même grandeur, en le soupesant du coin de l'œil.
Au feeling. Ni bascule ni zamara puis, il le lançait à la volé en lui imprégnant
un tournis. Dewkhè
Cette petite boule de mie molle, détachée d'une masse de matière blanche,
stagnante dans grande bassine en zinc, venait par la suite 'griller' avec des 'tkechkich'
( petits grésillements) dans l'huile chauffée à 'blanc'. Avant cela,
il trempait légèrement ses doigts dans un bol d'eau afin que celle-ci ne
colle pas entre ses phalanges.
Il agissait toujours de la même façon avec des gestes mesurés, répètes à
l'envie tel un automate réglé comme du papier à musique.
Une fois dans la marre d'huile, un ouvrier prenait la chose en main en
inculquant à l'amalgame, quelques rotations à l'aide de son 'cheffout'
( longue aiguille en fer ) et cela afin de lui imprégner la rotondité voulue
et suivant le souhait du client qui la voulait soit en trapèze 'Sfenj'soit
'Mgahmta' ( braise), 'Medrouba
bèl cheffout ( Piqué par la pince afin qu'elles soit bien cuite et
croustillante) soit alors molle sur les rebords. Un art. Mais toujours bien
dorée.
Cette petite main d'œuvre répétait souvent comme un leït-motiv..
'Thaba kiffèch…?' ('Tu le veux comment…?')
Le bac à huile n'était jamais vide, à mesure que les beignets étaient piqués
et sortis de 'l'enfer bouillonnant', le patron en rajoutait toujours si bien
que quatre ou cinq cerceaux de pâtes se retrouvaient à 'bronzer'.Tout était
minuté.
Il confectionnait aussi des 'bambalonnis' ( Chi-Chi en
France à ne pas confondre avec Chichi Chirac) petite couronne de pâte,
vide au centre; le patron ôtait un bout de mie centrale. Juste un anneau. Une
fois cuite, l'ouvrier s'empressait de les mettre en vitrine et de les sucrer.
En générale, le 'Knendli' les fabriquait sur
demande et cela afin de les servir bien dans 'leur chaleur interne'.
Les briks au miel, par contre, étaient confectionnées tôt le matin. Pour
une clientèle matinale qui venait goûter en solitaire ou en famille, ces
petits ronds mielleux superposés en pyramide dans la vitrine.
Les beignets à l'huile pour les fins gourmets, s'accompagnaient souvent soit
de Karmouss ( Figues vertes dites Bitar= première
récolte) soit de petites figues violacées ou vertes aussi, certains les
saupoudraient de sucre. Le kif était de les poser sur le toit de sa voiture
et de les grignoter par petites 'déchirures ' en short debout sur le trottoir
ou attablé avec ses enfants au cafè vert sous un parasol le dimanche..Yè
Baba..! Chikhè…!
A côté des briks au miel, on trouvait, sur un côté de la vitrine quelques
–{rouge'Zlebia' ( pâtisseries orientales en forme de colimaçons imbibés
de miel mises les unes sur les autres et toujours posées en forme de
pyramide; Quelques makrouds, souvent rassis,
reposés aussi dans un plateau en alu.
Pendant la période du ramadan, la proportion s'inversait. Fête oblige.
Son service termine, il procédait au recueillement de l'huile frite. Il
vidait son bac à l'aide d'un appareil à siphon. Un gros bidon en zinc muni
d'un aspirateur. Pour la remettre le lendemain, sur le 'tapis'.
Petite anecdote du crû ancien..
Lorsqu' une maman se présentait avec son bébé dans les bras, le 'faiseur de
beignets' s'empressait de lui confectionnait un mini beignet assez mou pour le
lui offrir. La maman, en prélevait un petit bout qu'elle mâchait pour le réintroduire,
dans le palais de son avorton. Sans son avis.
ALBERT
SIMEONI
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